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33- 01/03/83 - 2

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Deleuze - Cinéma cours 33 du 01/03/83 - 2 transcription : Anna Mrozek

« Tu t’en souviens Cinna ? tant d’heure et tant de gloire ne peuvent pas sitôt sortir de ta mémoire. Mais ce qu’on ne pourrait jamais s’imaginer, Cinna, tu t’en souviens... »  Qu’est-ce qu’il en train de dire à Cinna là, il a l’air plutôt gentil, il fait appel à la mémoire... Je recommence : « Tu t’en souviens Cinna, tant d’heure et tant de gloire ne peuvent pas sitôt sortir de ta mémoire. Mais ce qu’on ne pourrait jamais s’imaginer, Cinna tu t’en souviens... et veux m’assassiner. » (Corneille, Cinna) Cinna ne s’y attend pas à ça, il blêmit ; c’est une sustantation, lâcher le mot choc au moment où on s’y attend pas. Ca peut se faire dans une proposition quelconque, avec des mots quelconques.

Voilà donc les quatre figures distinguées par Fontanier. Je crois que c’est une très bonne classification. Dans quel cas on le met là, c’est un cas très précis on ne s’occupe pas de mots, on s’occupe d’images. On ne s’intéresse pas aux rapports éventuels entre des images et des mots.

Alors je reprends : je fais la liste des figures telle que je peux la faire d’après nos analyses précédentes.

-  J’ai dit d’une première sorte de figures que c’était des représentations sculpturales ou plastiques qui s’introduisent entre une action et une situation. Exemple que j’avais donné dans "Octobre", les contre-révolutionnaires invoquent la religion, Eisenstein fait suivre une image, une série d’images où il y a des fétiches, des bouddhas, des dieux hindous ; ou bien l’exemple : les jets d’eau et les jets de feu qui viennent s’introduire après le jet de lait. Je dis voilà typiquement des figures qui correspondent en terme d’images au premier type ; ce sont vraiment des "tropes" proprement dit.

Vous remarquerez en effet que généralement, il y a une série d’images mais chaque image vaut pour elle-même et il peut n’y en avoir qu’une, par exemple, toujours dans Octobre, le buste de Napoléon qui survient lorsque Kerensky, qui indique que Kerensky se prend pour Napoléon. Là, Il n’y a qu’une image. Parfois il y en a trois, les trois lions de Potemkine, les trois célèbres lions. Ils font généralement métaphores, ce n’est pas exclu que ce soit d’autres figures.

-  C’est des figures de premier type. Ce sont et ça correspond à ce que j’appelais les représentations sculpturales et plastiques. Donc pour moi dans ma classification des images, la première espèce de figure, ce sera les représentations sculpturales et plastiques qui correspondent si vous voulez, à la première catégorie de Fontanier.

- Deuxième catégorie ce qui m’intéresse énormément : la représentation théâtrale, qui ne peut tenir dans une seule image, ni même dans une série d’images indépendantes. Elle implique, sauf cas extraordinaire, elle implique une séquence ; je dis : sauf cas extraordinaire parce que si elle n’impliquait pas de séquence, elle impliquerait ce qu’on appellerait un plan-séquence, même extraordinairement contracté. Dans Godard par exemple, il y a ça, mais peu importe.. Elle implique une séquence, elle se développe dans une séquence et, en effet la représentation théâtrale doit être adéquate à l’ensemble de la situation. Je dirais que c’est une figure qui correspond à la seconde catégorie, et voyez la liste que Fontanier donnait lui-même de la seconde catégorie : allégorie etc... Je dirais donc que ma seconde catégorie de figures, c’est les représentations "théâtrales" qui se glissent ou surgissent et qui forment une séquence dans la succession des images cinématographiques. Je ne prétends pas par là épuiser les rapports théâtre et cinéma.

Bon et puis là pour le moment on est bloqué ; Fontanier alors nous pousse, n’y a-t-il pas un autre type de figures ? Il y a quelque chose dès le début du cinéma qui a énormément joué et qui a sa source dans le burlesque ; c’est les phénomènes d’inversion. Les phénomènes d’inversion, sous la forme la plus grossière et la plus évidente, le travesti home/femme, l’homme habillé en femme. C’est curieux ça parce que c’est des figures...Vous voyez que je parle de figures en un sens beaucoup plus poussé que Fontanier. Moi je parle d’inversion, il ne s’agit pas de mettre l’attribut à la place du sujet ou le sujet à la place de l’attribut, il s’agit de faire une inversion entre deux images dont aucune n’est prise en un sens figuré. Mes deux images précédentes, les figures plastiques et théâtrales, étaient prises en un sens figuratif, elles étaient prises en un sens figuré.

-  Là, dans les inversions dont je parle, l’image est littérale, un homme déguisé en femme, ça court dans tout le cinéma ces choses-là, et puis homme/femme c’est l’inversion qui nous vient le plus immédiatement à l’esprit parce que c’est celle qui nous satisfait le plus ou qui nous fait le plus rire, au choix, mais il y en a plein d’inversions à croire que peut-être que contrairement au langage, le cinéma a des mécanismes d’inversion qui portent sur le réel lui-même et pas sur l’ordre des mots. Des mécanismes d’inversion très puissants, qu’est-ce que ça pourrait être et encore une fois, où l’image est prise littéralement ? Je dis : c’est partout dans le cinéma, mais tout comme on cherchait un auteur pour les figures précédentes, Eisenstein par exemple, ce serait bien pour nous si on avait l’idée même vaguement d’un auteur ayant apporté au cinéma les figures d’inversion le plus loin qu’on ait vu, dont ce soit le problème ou un des problèmes, un type qui soit hanté par ça. Là encore, on ne se hâtera pas de donner des interprétations du type homosexualité ou pas homosexualité, ce n’est pas tellement notre problème, nôtre problème estun problème d’image. Rien à voir avec Eisenstein, c’est un autre domaine, un nouveau de type de figure...C’est Hawks. Le thème commun de toute l’œuvre de Hawks, il s’en fout du genre, un western, une comédie, à la rigueur un film historique, il fait tout, il faut croire que sa signature est ailleurs.

-  La signature de Hawks, vous la reconnaissez à quoi ? On la reconnaît à des mécanismes d’inversion qui constituent autant de figures mais de figures littérales. Il faut toujours que dans le scénario, il y ait toujours un moment où l’homme est surpris en tant qu’il a été forcé de mettre un vêtement de femme et il est en rapport avec une femme virilisée à l’extrême. Inversion homme/femme constante chez Hawks. Mais comme c’est un grand auteur, il ne s’en contente pas, c’est trop facile ça ; là où ça devient plus intéressant c’est quand les inversions sont moins attendues. Alors, il y a une autre inversion célèbre chez Hawks : vieillard/enfant ou adulte/enfant ; ça a trouvé son expression la plus belle, la plus frappante dans "Les hommes préfèrent les blondes" où il y a l’enfant-monstre qui a huit ans, qui parle, et se tient et se comporte en homme de quarante et qui fait avec Marilyn Monroe un numéro pas croyable, pour ceux qui se rappellent le film, et puis le vieillard qui lui se comporte comme un enfant . Et il y a la grande scène qui oppose ce vieillard à Monroe montée sur les épaules du gamin et répondant avec la voix du gamin mais étant elle-même une géante du coup on a là une très belle scène où se joue toute l’inversion qui est une véritable figure et l’inversion entre l’enfant monstrueux et le vieillard gâteux. ça Hawks, il aime beaucoup ca. Et il fait encore des inversions encore plus malignes chez Hawks, celle qui est très curieuse amour/argent. L’inversion, vu que c’est du cinéma sonore, parlant, elle intervient aussi chez Hawks il me semble, au niveau de langage noble / argot, où tout à coup la jeune fille d’excellente famille se met à parler l’argot, curieuse inversion du langage haut et du langage bas.

-  Et puis, la plus célèbre des inversions de Hawks, celle alors qui apparaît dans ses westerns avant tout, c’est une inversion, on l’a souvent dit alors tant mieux, c’est l’inversion du dehors et du dedans ; et ça ça fait partie d’un espace très spécial et j’y tiens beaucoup parce que si j’avais à commenter Hawks, grâce à cette inversion de l’espace et ces inversions du dehors et du dedans, que Hawks pour son compte passe d’une forme d’action à l’ autre forme puis de cette forme à la première... Il ne cesse de transformer la forme. Qu’est-ce que ça veut dire une inversion du dedans et du dehors ? C’est très différent d’avec la structure de Ford ; au lieu qu’il y ait un englobant, un grand dehors qui enveloppe le foyer de telle manière que le foyer soit le refuge et que de l’englobant on attende soit les secours, soit les menaces, Hawks fait subir à l’espace une très curieuse transformation, une transformation topologique, je dirais presque. Et le dehors et le dedans ne sont plus tels que le dehors englobe le dedans dans des conditions que je viens de dire à la Ford, mais le dehors et le dedans sont l’un à côté de l’autre. En d’autres termes ce n’est plus le dehors qui est extérieur au-dedans mais ils sont extérieurs l’un à l’autre. Comment il arrive à faire ça ? Techniquement, je crois qu’il y arrive pour une raison simple et sa nature américaine y est pour beaucoup ; c’est un pur fonctionnaliste. Il ne retient que des fonctions, il n’y a pas d’organes chez lui, il n’y a que des fonctions c’est ça qui va lui permettre les inversions fonctionnelles. Comme les fonctions sont détachées de leurs organes, ou de leurs sujets ou de leurs objets, comme c’est un jeu de pures fonctions, il peut faire des inversions fonctionnelles, le dehors est à côté du dedans, le dehors et le dedans sont extérieurs l’un à l’autre et le dehors va prendre la place du dedans et vice-versa.

Il ya un western de Hawks qui fait mon admiration parce que tout est centré sur un prisonnier dans sa cellule or on ne verra jamais le prisonnier, j’exagère, on l’aperçoit une fois. Pourquoi il s’en fout de ça Hawks, evidemment il le fait exprès C’est une très belle image- cinéma, et à ce titre ça doit se commenter comme l’auteur d’une belle page, car il faut le faire ça, tout est centré sur un type dans sa cellule et on ne le voit pas. Alors pourquoi ? Parce que la seule chose qui compte, c’est la fonction- prison. Pas besoin de montrer qui, qu’il y a quelqu’un dedans, ça ne change rien, à la limite. Les églises de Hawks c’est des fonctions, vous n’y verrez jamais un fidèle. Alors, c’est très curieux : ce jeu fonctionnel, qui est très différent de chez Ford où les fonctions doivent toujours être accrochées à des organes, à des organismes. Mais c’est cette abstraction fonctionnaliste qui va lui permettre toutes les inversions, parce qu’avec un autre auteur, il ne suffit pas de se dire : je vais faire des inversions, ça rate si on ne s’en donne pas les moyens. Lui s’en est donné les moyens parce que les inversions étaient son problème, il n’y a que ça qui l’amusait. Et vous verrez dans beaucoup de Hawks, il y a cette inversion dehors/dedans qui se traduit immédiatement sous quelle forme ? tout ce qui est dangereux et inattendu arrivent du dedans et du dehors, on l’a souvent analysé cette forme d’espace très curieuse chez Hawks, du dehors vient l’action prévue, coutumière. Il y a une image que j’aime bien dans "Eldorado" où il y a le shérif joué par Mitchum qui est parfait dans cette scène, le shérif est très sale et on le force à prendre un bain, alors il prend son bain dans un baquet à la western, et puis à ce moment, ça n’arrête plus, tout le monde entre dans la pièce où il prend son bain pour lui apporter du savon. A la dixième fois, il en a marre et c’est très curieux, parce que tout le monde entre dans la pièce où le shérif se baigne, en revanche la rue est déserte. Alors Mitchum dit très bien il prend son air dégoûté, complètement écoeuré et dit « ce n’est pas une place publique ! ». C’est une platitude au niveau du dialogue mais pas au niveau du travail de Hawks je crois. Vous comprenez cela cess d’être une platitude lorsque ça vient illustrer toute une œuvre qui s’est donné précisement pour but d’invertir les valeurs dedans /dehors, masculin/féminin, amour/argent, langage haut/langage bas. C’est son truc à lui.

-  Je dirais que c’est un troisième type de figures, appelons-les, faute de mieux : figures d’inversion. Mais il y aurait d’autres cas, je pense que par exemple l’année dernière, on avait analysé chez certains auteurs quelque chose de très important qui était le rôle et l’introduction d’une puissance de la "répétition" dans l’ image cinématographique chez des auteurs très différents comme Bunuel ou Robbe-Grillet dont on n’avait fort peu parlé, mais là à cet égard on pourrait réintroduire ces images de répétition dans ce troisième type de figures mais en tout cas les figures d’inversion qui sont des mécanismes littéraux de l’image. C’est-à-dire l’image n’est pas prise dans un sens figuré. Et puis suspense le quatrième type, qu’en faire, on a rien à en faire parce que ce sont des figures de pensée, qu’on ne pourra comprendre que bien après. Pourquoi ? parce que pour le moment les trois figures que nous retenons, sont déjà des figures de pensée mais à travers des images-action, ou à travers des images-mouvement.

-  Je dirais que les trois premiers types de figures sont déjà des figures de pensée et donc nous y prépare aux figures de pensée mais ce sont des figures indirectes de pensée. S’il y a, comme nous le pressentons des figures directes de pensée, elles ne pourront surgir pour nous qu’au niveau de l’analyse d’un autre type d’images. Ma colonne donc des figures, qui vient après les deux colonnes reservées aux images-action, je peux mettre en haut : figures ou transformations des formes d’actions. Il y a une colonne première forme d’action, une colonne deuxième forme d’action et je fais donc une nouvelle colonne, transformations-figures ou transformations des formes d’action. `

Et j’ai trois signes heureusement ; trois signes comme d’habitude :
-  deux signes de composition qui indiquent le passage d’une forme d’action à une autre. Ces deux signes de composition je les appelle : représentations théatrales d’une part, et d’autre part les représentations sculpturales ou plastiques ;
-  puis j’ai un signe génétique puisque opérant sans aucune valeur figurative de l’image, opérant dans l’image elle-même prise dans son sens et contenu littéraux , et ce sont des figures d’inversion etc... Je remarque que la figure nous a fait faire un progrès fondamental ; d’une part elle nous permettait de ventiler nos deux formes d’images-action et de passer de l’un à l’autre, et d’autre part la figure nous introduisait déjà à un nouveau type d’image puisqu’elle nous préparait à l’idée d’une forme d’image comportant fondamentalement un "tiers" et ne se contentant pas de la loi du duel propre à l’image-action. Tout comme l’image-pulsion était une transition de l’image-affection à l’image-action, les figures sont maintenant pour nous une transition de l’image-action à quoi ? nous le savons déjà, à la dernière colonne de notre premier temps de classifications, à l’image mentale.

Quelle heure est il ? alors c’est parfait on a des chances de finir un bout aujourd’hui ... Alors, l’image mentale, je la continue avant de vous rappeler que nous avons comme fini une longue partie de ce tableau classificatoire, l’image mentale, je l’ai développé au premier semestre, et je crois l’avoir développé à propos d’Hitchcok. Vous vous rappellez ? ça fait rien on va pas s’appesantir... Vous écoutiez pas ! je ne vous ai pas donné les signes de l’image-mentale ? c’est un grand malheur !

-  je voudrais dire des choses trés simples : la pensée elle était partout Alors, l’image mentale, c’est quoi ? Au-delà de l’image-action, c’est quoi ? Entendons-nous bien, je voudrais dire là des choses simples ; de la pensée on en a vu partout jusqu’à présent : on a défini l’affect comme pure conscience immédiate présente dans toute conscience, il y avait donc de la pensée là. dans l’image-pulsion, l’image-action, il n’y a pas de pensée ! il y a compréhension de la situation par le personnage, l’élaboration de l’action, le choix des moyens etc... ça n’arrête pas de penser. Dans les figures, comme on vient de le voir, toutes les figures sont des figures de pensée même indirectement, donc première question : pourquoi faire une petite case en plus pour l’image mentale ? En vertu de ce qu’on avait dit au premier semestre, à savoir qu’il y a quelque chose de très particulier qui est la relation . pourquoi ? parce qu’une relation qui est le plus haut paradoxe de la philosophie ; qu’est-ce qu’une relation ?

-  Et bien je peux dire d’une relation qu’elle est un objet de pensée en un sens un peu paradoxal parce qu’elle est objet de pensée précisément parce qu’elle existe en dehors de la pensée. Je ne dirais pas d’un concept qu’il est objet de pensée. Je peux même maintenant dire de la relation qu’elle est "objet de la pensée". Un concept, une idée, sont des moyens de pensée ce ne sont pas des objets de la pensée à moins de leur conférer une existence en dehors de la pensée, sinon ce sont des moyens de pensée et pas des objets de pensée. Un objet de pensée ne peut être qu’un quelque chose qui existe hors de la pensée. Une idée est un objet de pensée si vous acceptez, si vous concédez à l’idée une existence hors de la pensée, ce que Platon faisait, ce que beaucoup de gens faisaient. Remarquez à ce moment-là, ça veut dire que l’idée est relation, peu importe pourquoi, mais là ce serait facile de montrer philosophiquement que la relation c’est objet de pensée parce que la relation existe indépendamment de la pensée mais si elle est extérieure à la pensée, pourquoi l’appeler objet de pensée ?

Exactement pour les même raisons que l’objet de perception qui existe indépendamment de ma perception mais ne peut être saisi que par la perception,
-  J’appelle objet de pensée un objet qui existe indépendamment de ma pensée mais ne peut être saisi que par la pensée. Qu’est-ce que c’est ? C’est une relation, seules les relations sont objets de la pensée ; s’il y a une image mentale, ce sera une image d’une relation ou de plusieurs relations. Vous me direz mais les relations étaient déjà dans les autres images. Non, elles n’ étaient pas ou alors elles étaient là en tant qu’enveloppées, bien sûr il y avait des relations qui surgissaient apr exemple tel personnage était le frère d’un autre personnage, c’est une relation ça mais enveloppées dans les exigences des images-perception, des images-affection, des images-action, les relations ne valaient pas par elles-mêmes. -

-  J’appelle "image mentale" une image qui prend pour objet la relation en tant qu’elle vaut pour elle-même. Un tel cinéma peut-il exister ? Vous voyez l’image mentale, ce n’est pas l’image de quelqu’un qui prendrait les airs profonds du penseur.. Parce que filmer un penseur, ça peut sûrement se faire, peut être que c’est ce que Godard essaie de faire dans ses interviews peut-être qu’il n’a pas bien réussi encore...Peu importe. Ce n’est pas ça l’image mentale, c’est le plus simple de la pensée mais c’est compliqué. Y’a-t-il des images des relations ? Est-ce qu’on peut construire un cinéma où il y a des images de relations ? Alors si on me dit encore une fois que l’action est composée de relations, évidement, dans une action vous avez une fin, un moyen, des agents, ça implique tout un paquet de relations ça , relations des moyens à la fin, relations de la fin à l’agent, de l’agent au moyen etc.. mais elles ne valent pas pour elles-mêmes, elles ne valent pas indépendamment de leurs termes, elles sont enveloppées dans leurs termes.

Or quand est-ce que la philosophie a découvert la relation et en a fait son point le plus haut au point que faire de la philosophie c’est se demander qu’est-ce qu’une relation ; elle en a fait son objet le plus haut à partir du moment où elle a pris conscience que les relations en elles-mêmes étaient extérieures à leurs termes, c’est-à-dire n’en dépendaient pas.

Si je dis que Pierre est plus grand que Paul, je ne dis pas la même chose que le ciel est bleu, parce que « plus grand que Paul » n’est pas un attribut qui est contenu dans le sujet "Pierre". C’est la fameuse distinction entre jugement de relation et jugement d’attribution, distinction qui repose sur la prise de conscience de ceci : que les relations sont irréductibles à leurs termes. Toute relation est extérieure à ses termes, Pierre ressemble à Paul, ce n’est ni l’attribut de Pierre, ni l’attribut de Paul c’est entre les deux. Qu’est-ce qu’un "entre les deux" ? A qui appartient un "entre les deux" ? A personne. Soit la philosophie dira quel est son fondement à la relation puisque le fondement de la relation ne peut pas être trouvé dans aucun des termes qu’elle unit ? Ce mystère est proprement insondable... Je dis l’image mentale, je viens juste de fonder la nécéssité mais est-elle possible ? Est ce que c’est possible de construirer une image mentale ? Je dis que l’image mentale est une image de relations, vous pouvez me dire qu’il n’y a pas d’image de relations mais dans ce cas là il n’y pas d’image mentale non plus. Mais supposons qu’il y ait des images mentales. Alors cherchons comme toujours, ce serait quoi ?..Voyez, on s’est donné les conditions, on ne peut les confondre avec des images-action ou des images-affection, on peut leur assigner un caractère très précis : la relation.

-  Et la relation c’est un truc fascinant, ce n’est pas rien, encore une fois c’est un abîme... Qu’est-ce que cette chose qui vient entre deux choses, les unit, ne se laisse réduire à ni à l’une, ni à l’autre et peut disparaître comme elle est venue ? Pierre et Paul se ressemblent...Je tourne la tête et ils ne se ressemblent plus, vous vous rendez compte ? Mr et Mme Smith sont mariés...Je tourne la tête , ça y est, ils ne sont plus mariés et ne l’ont jamais été. Vous reconnaissez un film d’Hichcock : peu importe ! l’image mentale, ça va être ça. Il ne s’agit plus de d’affection de perception, d’action il s’agit de relation. je crois que ce qu’il y a chez Hitchcock ; il a eu tellement fait l’objet de commentaires sur lui, tous excellents qu’on ne sait plus comment se débrouiller ; il y a en gros deux sortes de commentaires sur lui ;
-  ceux qui y voit un très profond métaphysicien, un « platonicien catholique », c’est dans le très beau livre de Robert Chabrol ou bien un psychologue des profondeurs, c’est Touchet et puis il ya ceux qui en ont marre de la métaphysique et qui disent " écoutez lâchez nous un peu, c’est un prodigieux amuseur...Ni les uns, ni les autres ne pensent à quelque chose je crois, c’est que la théorie des relations telle qu’elle s’est constituée de tout temps dans la philosophie et dans la logique, c’est à la fois prodigieusement amusant, ça donne Lewis Carroll et c’est en même temps d’une profondeur sans fond...Alors, il n’y a plus à se battre, c’est tout ce que vous voulez Hitchcock. Même si Hitchcock n’est pas un théoricien des relations, ce n’est pas un philosophe, je dis que c’est lui qui invente l’image des relations et par là, il introduit au cinéma une nouvelle image qui nécessairement n’était que préparée par les autres images. Elle existait, préexistait chez les autres, mais l’image directe des relations ça c’est nouveau. Pas étonnant, il est anglais, la théorie des relations, c’est le truc des Anglais et des Américains, c’est leur affaire. C’est eux qui ont trouvé ça pour embêter les Occidentaux, les Français et les Allemands et leur montrer qu’ils ne comprenaient rien ; ça a fusé partout, ça a animé leur littérature, ça a animé leur logique à partir de Russell, il y a toute une logique des relations et ça a animé leur philosophie, leur métaphysique quand ils consentaient à en faire une...

-  Pour eux les choses c’est des paquets de relations. Et leurs romanciers c’est pareil, leurs personnages, c’est des paquets de relations. Eux, ils ne voient que des entre-deux, ils ne voient jamais un terme ni un autre, ils ne voient que des entre-deux et pas du tout relativement aux deux termes, ils voient les entre-deux pour soi, en soi. Et c’est ça leur affaire, c’est décrire les relations leur affaire. La relation vit pour elle même et elle meurt pour elle-même, c’est une manière de pensée qu’on n’a pas nous ou alors quand on l’a on a l’impression que ça ne va plus dans notre tête, ce qui est la folie d’une nation, peut-être le bon sens le plus plat d’une autre, nous nos idées folles à nous, c’ est la platitude anglaise, et inversement d’ailleurs...

Alors voilà qu’est ce qu’ils font avec leurs relations. C’est un peu comme dans une tapisserie, c’est le truc d’Hitchcock là : dans une tapisserie, vous avez des montants qui vous permettent de constituer ce qu’on appellera une chaîne, dans le cas le plus simple une chaine verticale disons, qui va d’un montant à un autre, et puis vous avez la trame qui passe dessus, dessous ; la trame c’est le mobile, la chaîne c’est l’ immobile et les montants définissent le cadre. Chez Hitchcock, c’est ça, c’est de la tapisserie. L’action chez lui elle existe, tout le monde sait que c’est pour rigoler l’action chez lui, elle est réduite à l’état de trame et ce qui l’intéresse c’est la chaîne c’est pour ça qu’il a du cadrage une conception de tapissier. Il y va y avoir une chaîne de relations et la trame de l’action passe dessus, dessous. Qu’est-ce que c’est la "trame des relations" et comment il va montrer une relation ? Là c’est comme ce que je vous disais pour Hawks, pour être un grand auteur, et ça ne vaut pas seulement pour le cinéma, il faut avoir une idée qui vient d’on ne sait pas où d’une part, et d’autre part, il faut travailler, travailler pour avoir les moyens d’incarner cette envie qui vient dont ne sais pas où et il faut avoir un idée à qui on n’a pas de comptes à demander. Faut avoir une idée et construire les moyens de cette idée. Je disais tout à l’heure dans le cas Hawks, lui ce qui l’intéressait, c’était les inversions. Et si je dis que chez lui, ça cache une homosexualité latente, je ne vois pas ce que j’ai apporté, surtout que ce n’est pas évident.

Il ne s’agit pas de demander des comptes. Il s’agit de dire, à la rigueur moi cette idée-là elle ne m’intéresse pas. Mais quand on a une idée comme ça et chacun de vous doit être comme ça dans son travail, vous avez ce qu’on appelle des thèmes, c’est vos thèmes à vous mais ce n’est pas trop la peine de se demander pourquoi vous avez ce thème-là plutôt qu’un autre parce que vous perdez du temps. Ce qui compte c’est le temps que vous allez mettre à construire vos moyens par rapport à ce thème. Je suppose qu’Hitchcock ce soit un type qui même sans s’en rendre compte, a toujours été fasciné, même à l’école ou de ces lectures ce qu’il a retenu c’est que les relations, c’était de drôles de choses. Et ça l’a amusé. Si vous vous dites jamais à propos d’un phénomène que c’est bizarre, que c’est rigolo, vous ne les trouverez jamais vos sujets de travail. Hitchcock se dit que c’est curieux une relation et qu’il ne faut surtout pas confondre la relation avec tout ce qui ne serait pas une relation. Prenons un exemple classique : quelqu’un est près d’un cadavre, il tient dans la main le couteau ensanglanté, ou bien parce que c’est lui l’assassin, ou bien parce que c’est un pauvre type qui passait par là, qui a retiré le couteau et qui va se retrouver dans une situation très fâcheuse : dans le second cas, il va se retrouver dans une situation très fâcheuse pour une raison simple, il va être pris pour le coupable. Est-ce que j’ai une relation là ? Réponse évidente, non, aucune relation ou du moins état ordinaire, c’est des relations enveloppées dans l’action, aucune relation prise pour elle-même.

Je dirais simplement : un innocent est pris pour le coupable. Pourquoi ce n’est pas une relation ? On a notre critère, tout ça on l’avait vu, on a notre critère très ferme ; c’est parce que dans « un innocent est pris pour le coupable », vous avez à la rigueur 2x2 qui n’a jamais constitué une relation ; vous avez 1x2 qui est l’assassin et le couteau ; vous avez, 1x2 : l’innocent et le couteau ; vous avez 2x2 sous une forme simplement un peu bizarre parce qu’il y a un terme qui intervient dans les deux termes. En d’autres termes vous avez 2x2, vous êtes en plein dans l’image-action, dans le duel dont la forme binaire était la forme même. Vous avez simplement deux relations binaires, celle de l’assassin et du couteau, celle de l’innocent et du couteau. Autrement dit vous n’avez rien, pas de relation ; « un innocentest pris pour le coupable »n’implique aucune relation pourelle-même.

En revanche, nous avons un proposition bizarre, pourquoi est-elle bizarre sinon parce qu’elle a pour but de nous faire comprendre la bizarrerie de la relation : « un coupable fait un crime pour un innocent », un innocent qui dès lors cesse d’être innocent, qu’il le veuille ou pas. Vous reconnaissez une proposition d’Hitchcock ; chez Hitchcock vous n’avez pas des innocents qui sont pris pour des coupables, vous avez bien autre chose. Vous avez des crimes qu’un coupable fait pour un innocent qui dès lors cesse d’être innocent. Je dirais que c’est à ce niveau là qu’Hitchcock essaie de nous faire comprendre la spécificité d’une relation. Il va y avoir alors une relation entre l’innocent et le coupable, relation terrible, terrifiante telle qu’elle va pouvoir développer sa vie indépendante et entraîner les deux personnages jusqu’au bout, sans doute jusqu’à ce qu’il appelle lui-même appelle " vertige".

Je dirais si j’essayais de résumer très vite l’image d’Hitchcock, que l’action n’est plus qu’une trame qui renvoie à la chaîne des relations, l’image d’Hitchcock c’est une image qui montre aux spectateurs les relations avant même que les personnages aient pris conscience de ces relations. »

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La voix de Gilles Deleuze en ligne
L’association Siècle Deleuzien