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32- 22/02/83 - 3

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Deleuze - Cinéma cours 32 - du 22/02/83 - 3 transcription : Lucie Lembrez

Cours 32 du 22/02/83 - 3

Or, si vous reconnaissez un lion dans l’expérience et si vous le distinguez d’une vache, même de loin, c’est bien "ce je ne sais quoi", ce dynamisme spatio-temporel. De loin vous dites - or vous ne voyez pas si elle a des cornes - ou bien, vous vous dites : c’est curieux cette bête elle a des cornes, mais on dirait un lion. Hein ? Elle marche comme un lion. Cela pourrait arriver un lion qui aurait des cornes. Si vous croyez, si vous pensez en termes d’images, vous êtes foutus, vous vous dites, ça a des cornes, je peux y aller. Mais pas du tout, si c’est un lion, c’est un lion hein, il faut le schème, il faut le schème ! Si vous avez pas su manier le schème, vous êtes perdus, hein ? Remarquez que c’est comme ça, la vie, méfiez-vous des gens ! Ah les gens, ils ont l’air très gentils comme ça. Et c’est vrai ce que je dis. C’est vrai, c’est profondément vrai, voyez, c’est de la psychologie scientifique. Ils ont l’air gentils les gens. Ben je vais vous dire, vous en restez à l’image. C’est une question d’image et c’est vrai, ils sont très gentils quant à l’image. Ils ont une bonne image. Oh comme il a l’air doux ; j’en connais des "comme ça". J’en connais, j’en connais. Comme il a l’air doux ou comme elle a l’air doux. Il a l’air doux. Je dis c’est vrai, c’est vrai, du point de vue de l’image : le contour du visage, l’expression, tout ça. Et puis tout d’un coup, il ou elle se lève. Vous vous dites c’est bizarre ! ça va pas avec, ça va pas. Qu’est-ce qui se passe, qu’est-ce que, qu’est-ce que c’est ce geste ? Il ou elle a eu un geste de rapace. Ouïlle ouïlle ouïlle, vous vous dites, c’est autre chose. Il y a des douceurs, le grand Nietzsche le disait déjà hein :

-  il y a des douceurs, il y a des timidités qui cachent une volonté de puissance effrénée. Effarantes les volontés de puissance, mais catastrophiques qui briseront tout, tout ! Alors qu’est-ce que vous avez saisi ? Quand vous saisissez, comme ça, quelque chose qui vous paraît insoluble chez quelqu’un. Vous avez saisi le schème. Et je dis pas que le schème vous donne la vérité, peut-être qu’il y avait beaucoup de vérité dans l’image, peut-être que ce quelqu’un s’efforce tellement d’être doux qu’il va peut-être y arriver. On sait pas. Mais méfiez-vous. Quand vous regardez manger les gens, ça c’est du bon schématisme parce que manger c’est un dynamisme, c’est un dynamisme spatio - temporel. Et vous verrez à quel point, souvent, ça démontre les gens au repos la manière dont ils mangent. Alors c’est des rapports schème / image. C’est très compliqué tout ça. Mais vous voyez, enfin je m’étends, je m’étends, vous voyez ce que je veux dire, c’est très simple, dans tous les cas, on pourraît dire :
-  ce qui fait correspondre directement une image à un concept, c’est-à-dire au concept qui lui correspond quant au contenu, c’est un "schème".

Voilà, j’en ai fini avec le premier caractère de la pensée kantienne, à savoir : "Qu’est-ce que l’exposition directe d’un concept ?" L’exposition directe du concept, c’est l’exposition de l’image qui correspond au concept par l’intermédiaire d’un schème et qui lui correspond quant au contenu, à savoir une image et le concept qui grâce au schème ont le même contenu.
-  Ce triangle que j’ai tracé grâce au schème, c’est en effet, trois droites enfermant un espace.

Voilà. Il me reste peu de temps, vous devez être épuisés, pour dire que selon Kant, les concepts ont une autre présentation possible. Et cette autre présentation, il va l’appeler « présentation indirecte ». Et s’il y a une présentation indirecte, c’est sans doute parce que c’est possible mais c’est aussi parce que c’est nécessaire dans certains cas. Alors pour nous guider, commençons par le nécessaire. Pourquoi nécessaire dans certains cas ? Eh ben pour le moment, vous voyez, je n’ai tenu compte que de
-  « image »,
-  « schème »
-  et « concept ».

Selon Kant, l’image renvoie imaginalement, non peu importe...non ça va pas ça, je retire ça, ça va pas ça... Mais il y a encore autre chose, il y a des concepts spéciaux. - Et pourquoi ils sont spéciaux ? Parce qu’il n’y a aucun objet dans l’expérience qui puisse leur correspondre. Et pourtant, rien ne peut m’empêcher de les former. Vous me direz oh là là ! Rien ne peut m’empêcher de les former et pourtant, rien dans l’expérience ne correspond à de tels concepts. Généralement, ces concepts se distinguent par leur pureté. Ils ont un nom pour les différencier des concepts qui correspondent à un objet dans l’expérience. On vient de voir des concepts qui avaient leur objet dans l’ expérience par l’intermédiaire des schèmes. Et ben ces concepts qui n’ont pas d’objet dans l’expérience, Kant leur donne le nom splendide emprunté à Platon, de « Idée » avec un grand « i ».

-  Une Idée selon Kant, il reprend le mot de Platon, et il lui donne un autre sens, bien que ça coïncide en partie avec ce que Platon voulait dire, une Idée, c’est le concept de quelque chose qui déborde toute expérience possible ou d’un quelque chose qui n’est pas objet d’expérience possible. Vous me direz je peux très bien m’empêcher ! Ben non, selon Kant, là ça peut se discuter. Est-ce que je peux m’empêcher de former de tels concepts ? Il y a des gens qui le pensent. Par exemple, il y a certaines écoles de logique anglaises qui pensent qu’on peut, et que bien plus, on doit. Kant, lui, il pense qu’on ne peut pas. La discussion n’a aucun intérêt, supprimons-la. Mais il est clair que quand je dis - ou il semble clair que - lorsque je dis « Dieu », il s’agisse d’une Idée. Si fort que je vive Dieu. Car même l’expérience mystique ne serait pas une réponse à cela.

-  Dieu est le concept dont l’objet dépasse toute expérience possible. L’infini est le concept dont l’objet dépasse toute expérience possible. J’ai à la rigueur le concept de l’expérience indéfinie, pas une expérience de l’infini. L’infini ne peut pas être produit dans l’expérience. Ce qui peut être produit dans l’expérience grâce à des schèmes, c’est l’indéfini du nombre. Le schème du nombre, c’est quoi ? si on faisait des exercices d’école ? Au Moyen - Age, ils faisaient comme ça vous savez ? Ils faisaient comme ça. En Allemagne ils font comme ça aussi. Le prof il a un grand bâton et puis il dit celui qui doit répondre. C’est une bonne méthode ça. Le schème du nombre, heu...le concept de nombre, alors,...le schème du nombre, enfin...je veux pas tout vous dire mais le schème du nombre, c’est n + 1. Non, c’est pas une définition, c’est pas le concept du nombre ; n + 1, c’est le schème du nombre puisque, c’est la règle d’après laquelle je peux toujours rajouter l’unité qui, elle, n’est pas considérée comme un nombre, au nombre précédant. Bon, alors n + 1, c’est le schème du nombre, c’est la numération. Je peux produire une série indéfinie dans l’expérience. Mais l’infini c’est un concept qui n’a pas son objet dans l’expérience. c’est une Idée. Alors, cherchons ! Kant ajouterait : "le devoir". Kant a écrit un livre splendide ; il a fait trois grands livres : Critique de la raison pure, "Critique de la raison" à propos de la connaissance, "Critique de la raison pratique" à propos de la morale, "Critique du jugement" à propos de l’esthétique et de la vie. Avec ça il pouvait courir, il avait parlé de tout. Eh ben, le devoir. Connaissez-vous un homme, dans l’expérience, qui ai agi par pur devoir ? Je laisse de côté ce que Kant appelle « devoir » puisqu’il en donne une définition extrêmement rigoureuse.

Non, tous les exemples que nous donne l’Histoire, c’est-à-dire, l’expérience de l’Homme, bien sûr, il y a des hommes qui ont agi par devoir, non, qui ont agi compte-tenu du devoir, et qui ont agi conformément au devoir, des hommes qui agissent conformément au devoir, ah ça, il y en a !...Mais des hommes qui agissent "par" devoir, avec comme seul mobile le devoir, ça... C’est-à-dire que ça exclut l’amour, que ça exclut l’intérêt, que ça exclut tout désir, comme le désir de gloire, etc...Peut-être n’en trouverez-vous pas.

-  On dira que le devoir est une Idée : elle n’a pas son objet dans l’expérience. Ou, à votre préférence, son objet déborde de l’expérience. C’est une Idée morale.

Les autres, Dieu, tout ça, c’étaient plutôt des Idées de la raison connaissante. Bon, ben il y a bien d’autres choses dans ce cas là je peux continuer avec les Idées morales. Ce sont des Idées.
-  Tous les concepts moraux sont des Idées. L’innocence ! L’innocence. Il y a-t-il quelqu’un qui soit purement innocent ? Oui, ça peut se dire, mais enfin, c’est douteux ! Une pure innocence, voilà une Idée ! Hein, c’est aussi une Idée morale ! Alors déjà, tout les chrétiens y passent ! Ils ne sont pas innocents, hein ?... Tous les autres, pour les Chrétiens, ils sont pas innocents non plus ! Les autres pour eux-mêmes, innocents, ou bien ils auront pas cette notion, ou bien si ils l’ont, ils conviendront qu’il n’y a pas d’innocent, hein, sinon ils feraient pas de cérémonies d’expiation, et tout ça, hein ? Enfin l’innocence, ben c’est une Idée.

Voilà. Voilà que j’ai des concepts que j’appelle Idées qui ne peuvent pas avoir de présentation directe dans l’expérience. C’est-à-dire, aucune image ne leur correspond quant au contenu. Admirez pourtant que je sais parfaitement ce que je veux dire lorsque je dis « innocence » ! Pour un logicien anglais, je ne peux pas savoir ce que je veux dire ; c’est un mot vide de sens. Enfin, pour certains logiciens anglais. Comme Dieu, comme etc... On avance, hein ?

Et pourtant, il faut une présentation de tels concepts qu’on appelle Idées. Voyez que ces concepts, contrairement à ma première classe de ces concepts, qui étaient objets d’une représentation qui était, non, qui pouvait avoir une présentation directe par l’intermédiaire des schèmes, là, ces Idées ou ces concepts ne peuvent pas avoir de présentation directe. Ils n’ont pas de schèmes. Il n’y a aucune règle de production ou de recognition qui me permettent de produire ou de reconnaître l’infini, Dieu, l’innocence, si elles se présentaient dans la nature. Et en effet, admirez que le fils de Dieu ne fut pas reconnu. En tout, ça marche très bien tout ça, c’est très clair hein ?

Et supposez un innocent complètement innocent, l’idiot de Dostoïevski touche à ça. L’innocence pure, ouais, c’est pas par hasard que chez Dostoïevski vous trouverez une théorie très profonde de l’Idée, avec un grand « i ». Je dis pas qu’il est un platonicien, ni qu’il est kantien, mais je dis que, comme par hasard, il y a toute une théorie de l’Idée chez Dostoïevski, une théorie qui est développée dans un de ses roman qui s’appelle "L’adolescent". Bon, l’idiot de Dostoïevski, cet être innocent, purement innocent, il passerait à côté : on dirait plutôt, il est un peu simple celui- là. Du point de vue de l’expérience et de la présentation d’Idée directe, il aura l’air d’un "idiot". C’est fou à côté de quoi on passe ! Et c’est pas notre faute puisqu’il n’y a pas de schème de production...heu...derecognition ni de production. C’est pas notre faute du tout ! Il n’y avait pas de schème de Jésus ! C’est sa faute ! Comprenez ? On n’y pouvait rien nous ! Il n’y a pas de schème de l’innocent, il n’y a pas de schème du devoir.

Ce sont des concepts qui ne peuvent présenter leur objet qu’indirectement. Qu’est-ce que ça veut dire que représenter leur objet indirectement ? Si le schème est le procédé par lequel le concept présente directement son objet qu’on appellera selon Kant, « symbole » : le procédé par lequel un concept, nécessairement ou non, présente son objet indirectement.

-  Je dis ce que Kant appelle symbole, pour des raisons qui sont les miennes, je l’appelle « figure ». Pour des raisons qui sont les miennes, je vous en ai déjà parlé à propos de Pearce, puisque pour mon compte je réserve « symbole » à quelque chose de tout à fait différent. Et ça, ça n’a aucune importance, c’est une question de terminologie. Donc, heu, mais je respecte pour le moment le texte de Kant, et heu, je dis « symbole ». « Symbole », présentation indirecte d’un concept, qui au besoin pourrait être, voyez, il y a deux cas, ou bien le concept est une Idée, et il ne peut être présenté qu’indirectement, c’est-à-dire symboliquement, ou bien le concept est un concept, et il a une présentation directe, mais il peut aussi avoir une présentation indirecte.

Alors réfléchissons à un « symbole ». Kant, il est, il est formidable pour ça, les exemples qu’il donne...on est, on est un peu éberlués... on se dit : "il faut aller chercher très loin" ! Dans ce texte il donne un exemple. Il dit : « Je compare l’Etat despotique à un moulin à bras ». Peut-être est-ce que vous sentez venir l’attraction de...je mélange pas, je voudrais que vous fassiez vous-mêmes les rencontres - c’est pas des mélanges qu’on fait. Peut-être, vous sentez l’attraction d’ Eiseinstein qui commence à naître. Il dit, il se trouve que ça se ressemble, hein ? Et ça se ressemble, on va voir, « l’Etat despotique et un moulin à bras ». Au contraire, l’Etat constitutionnel ressemble à un organisme. C’est le seul exemple qu’il donnera dans tout ce paragraphe là dans ces quatre / cinq pages admirables sur le symbole. Alors on est quand même à se dire bon, le « moulin à bras » est le symbole de « l’Etat despotique ». Heureusement, si on a tout lu, si on...on aura vu, mais heu...on aura vu, c’est pas sûr, bien avant un passage où il ne parle pas encore du symbole, puisqu’il en a pas dégagé la notion, mais où il dit : « Le lys blanc, la blancheur du lys, signifie l’innocence. ».

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