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31- 01/02/83 - 1

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Gilles Deleuze - Cinéma cours 31 du 01/02/83 - 1 Transcription / Sandra Tomassi

Deleuze : Que nous ne nous voyons plus, hélas pour moi, jusqu’au 22. Je vous rappelle également qu’il me faut au plus tard pour la rentrée du 22, il me faut les petits papiers verts, les petits cartons pour ceux qui veulent cette U.V. Ayant rappelé ces deux choses - j’ai l’aventure de ma semaine, alors, qui m’abat extrèmement - il me manque un mot et je suis sûr que ce mot est très, très facile. Il me faut un mot - alors hier j’ai cherché tout le temps, tout le temps, je vous jure - et puis je me suis dit c’est pas grave que j’allais surement le trouver ce matin, tellement c’etait facile.

Et puis ce matin, rien ! Je suis sûr, je suis pas exigeant ; c’est si l’un de vous avait une idée immédiate et puis sinon on cherchera. Il me faut un mot pour désigner un type de signe très particulier dont on n’a pas encore parlé mais que vous allez tout de suite reconnaître. Chacun de nous vit sous ces signes là. Je dis, ça pourrait être aussi bien pour que votre champ soit vaste - Aussi bien pour désigner les signes de Dieu en théologie, par exemple les signes par lesquels Dieu se manifeste aux prophètes. Ou bien, je suis pas exigeant si il n’y avait pas de mot bien clair pour ça, "les signes du sublime" lorsque devant une vaste tempête, vous dites : Ho ! Ce « Ho ! » est une maniére de reconnaître un signe. "Les signes du sublime", ou bien je me contenterai - alors là, je cherche vraiment dans toutes les directions - de signes de voyance.

Auditrice : Mmm, et ?

Deleuze : Si certains d’entre vous fréquente des voyantes. Rires Deleuze : Vous allez voir la voyante, alors les signes à partir desquels va surgir votre passé, votre présent ou votre avenir.

Auditrice : le cristal !

-  Deleuze : Soit dans le cristal, soit dans autre chose, marc de café tout ça. Voyez, ce serait des signes qui indiqueraient quelque chose qui me dépasse, où je reconnais... peut être que, tiens où il est, peut-être que, je me disais mais j’ai pas eu le temps de verifier, peut-être que dans les histoires de Artaud et de la puissance. Lorsqu’il parlait des pierres car Artaud, c’etait un grand amateur de signes, là, il faisait là avec tous ces malefices et ces envôutements. Il y a peut être chez Artaud, un mot ...

Auditrice : Asymptote !

-  Deleuze : Vous voyez même des signes de l’infini en mathématiques, ça m’irais à la rigueur. Mais est-ce qu’il y a un mot pour les signes de l’infini en mathématique ?

Auditrice : Le fonctionnement de l’asymptote, c’est exactement ça

-  Deleuze : D’accord mais l’asymptote, je pensais aussi à des trucs avec hyperbole.

Auditrice : Bah non, asymptote

-  Deleuze : Non, asymptote, je vais pas dire que c’est un signe. Je peux pas dire de la tempête, tiens, c’est un asymptote !

Auditrice : Bah c’est une asymptote, mais...

-  Deleuze : Il y a pas quelqu’un, des signes de Dieu, enfin quoi !

Auditrice : Il y a l’infini, l’alfa et l’omega

-  Deleuze : Les oracles, non ! Les oracles, c’est pas un signe. L’oracle, il se fait d’après certains signes. Toi, tu dirais des asymptotes, tiens une asymptote !

Anne Querrien : Non, c’est l’asymptote, comme structure. Parce que l’asymptote , c’est à la fois, c’est une tension à l’infini vers... ou attends il y a l’autre machin, exponentiel.

-  Deleuze : Ouais, exponentiel

Anne Querrien : c’est à dire c’est la.... c’est pas commercial, les signes mathématique sont pas commerciaux !

-  Deleuze : Dien garantit sa communication avec le prophète en donnant un signe..

Auditrice : ah, oui !

-  Deleuze : c’est le signe de Dieu

Auditrice : Ba c’est un triangle !

-  Deleuze : Rappelez vous, pous ceux qui connaissent l’ancien testament, Dieu dit à Moïse et voilà un premier signe et si ce premier signe ne suffit pas en voilà un second, c’est le bâton-serpent, et si ce second signe ne suffit pas en voilà un troisiéme, c’est la main blanche du lépreux. Alors comment on appellerait ces groupes de signes ? Vous comprenez si j’ai pas mon ... alors c’est bien on restreint, alors voyez c’est bien un domaine où je peux mettre des choses différentes et ou j’ai besoin d’un terme.

Là, je reprends toujours ma question : en quel cas on a besoin de créer un mot ? Pourquoi est-ce que en philosophie, on crée des mots ? Bah, là je suis forcé. Je veux dire ou bien on trouve un mot courant emprunté soit à la bible, soit aux voyantes - ça m’est égal, moi je n’ai pas de préfèrence - soit aux mathématiques mais si on n’en trouve pas, faut bien en fabriquer un.

Rumeurs

Deleuze : De dire, théosophique ?.. non, parce que je serai très embêté ; il y a bien des signes de dieux mais il y a aussi des signes de la pure nature, la Nature déchainée, une tempête ou le firmament. Alors, bien sûr, on peut dire que c’est en liaison avec Dieu. C’est des signes, si vous voulez, ou bien des signes pour désigner, contrairement, alors vous voyez pourquoi ça m’intéresse ça ? On a beaucoup parler de la qualité et de la puissance. Là, dans ce type de signes que je cherche, il y a qui est proprement "l’inqualifiable" ou quelque chose qui me réduit à l’impuissance. L’innommable, qu’est ce que c’est que le signe de l’innommable ? Sans sens péjoratif, ca peut être aussi bien l’innommable de l’affreux que l’innommable du grandiose.

Auditrice : Mais les deux exemples que tu as donné c’est pas ce que l’on appelle un chiasme. C’est à dire dans la main blanche du lépreux ou bien le bâton du serpent, enfin, ou il y a tension entre deux forces contraires, c’est à dire qui s’annulent, quelque chose comme ça

-  Deleuze : On peut appeler ça les chiasmes.

Auditrice : y a une figure qui s’appelle comme ça le chiasme

-  Deleuze : Ouais, ouais, c’est pas enthousiasment Alors, si une idée vous vient , oui, oui, oui....

Auditeur : inaudible - Deleuze : Le ?

Auditrice : Terrible

-  Deleuze : le terrible, c’est pas un signe ; il y a des signes du terrible, le terrible, c’est une image. Dans notre distinction des images et des signes, il y a des images terribles. Ca oui, le terrible, la terreur, peuvent qualifier un type d’image. Mais il y a des signes du terrible qui rendraient, qui rentreraient dans cette cathégorie de signe.

Auditrice : le chaos

-  Deleuze : le chaos, ouais

Auditrice : rires

-  Deleuze : et bien voilà, vous voyez, faudra chercher, sinon on attendra de trouver le mot, mais...

Auditeur : ....Je pensais à l’abîme

-  Deleuze : de l’abîme.... la même chose... C’est pas un signe. Bon alors, on continue.

Et bien alors je recommence pas, parce que d’abord tout ça est trop épuisant. Vous vous rappellez ou j’en étais à la case où j’avais fini la derniére fois. La case : image-action, premier type Et en effet, on avait trois signes, deux signes de composition, un signe que l’on pouvait appeler de" genèse". Or ça, c’est que l’année derniére, j’etais resté très longtemps là-dessus parce que ça m’intéressait assez. Ca me permettait de définir la Grande Représentation. Et on appellait ça la représentaion, "la grande représentation organique". Et en effet, c’était la grande Représentation qui se présentait sous forme d’une spirale : situation, action, situation modifiée. C’était ce que l’on appellait aussi bien, l’année dernière, "la grande forme SAS’." On va de la situation à une action qui modifie la situation. Mais pour donner une ampleur de cette représentation organique, SAS’, de la situation à l’action et de l’action à la situation modifiée, pour donner une ampleur, il fallait mesurer toutes les étapes necessaires entre la situation et l’action. Je ne dirais pas les étapes nécessaires entre l’action et la situation modifiée, car généralement dans un récit, l’action qui va modifier la situation est tout à fait proche de la fin. Si il y a césure, si l’action représente une césure entre les deux situations, la situation dont on part et la situation à laquelle on arrive, l’action modificatrice est necessairement très proche de S’, de la situation modifiée. En revanche - donc la césure, elle est proche de la fin dans cette première figure de l’image-action. Et en revanche, il y a de longues, longues étapes pour aller de S à A, c’est à dire de la situation dont on part à l’action qui va la modifier.

Pourquoi ? Parce que on l’a vu : pour modifier une situation avec tout ce qu’elle comporte d’ambiance. La situation, c’est à la lettre, elle engage d’abord tout le milieu, à savoir toutes les puissances et les qualités en tant qu’elles étaient incarnées dans un état de choses. Pour remuer tout ça, pour modifier tout ça, Il va falloir un effort immense de la part du héros et ca va être un duel immense puisque son action finalement, l’action modificatrice, on l’a vu, sera un duel, il va falloir un duel immense. Donc il faut que le héros accéde au niveau que la situation exige, pour être égale à la situation à modifier. Et ça ne se fait pas tout seul, et je dis juste : est-ce que ce n’est pas une chose que l’on trouve fondamentalement dans la représentation tragique ?

-  L’action qui modifie la situation doit avoir au moins autant de puissance que la situation à modifier. C’est une action grandiose, il faut que le héros devienne capable d’une telle action. Et le long chemin et les étapes, qui sont comme autant de spires dans la spirale, vont marquer les moments par lesquels passe le héros. Tantôt s’éloignant de l’action à entreprendre, tantôt se rapprochant de l’action à entreprendre et la représentation tragique va être précisement toutes ces étapes organiques par lesquels le héros devient progressivement capable de l’action.

Encore une fois, ce n’est pas qu’il soit médiocre. Le héros médiocre, ça fera partie d’un autre ensemble d’images. Il est grand, il est grand déjà comme par nature, dans ce type d’image-action mais il ne l’est que potentiellement. Ce qui ne nous étonne pas puisque cette image-action du premier type, c’est le probléme de l’actualisation. A savoir comment le milieu lui-même actualise des qualités et des puissances. On ne considére plus les qualités et les puissances en elles-mêmes, on les considère comme actualisées dans un état de chose, donc comment l’état de chose actualise les qualités et les puissances. C’est ça qui définit la Grande Situation. Mais le héros aussi, il est potentiellement capable de l’action mais il faut qu’il le devienne actuellement. Il faut qu’il actualise les qualités et les puissances qui vont le rendre capable de modifier la situation.

D’ou cette espèce de longue épreuve du héros. Et c’est peut-être en s’éloignant de la possibilité de faire l’action qu’il va s’en rapprocher dans un espèce de cheminement que l’on appellera le destin ou la destinée du héros. Et il va passer par des moments de doutes, si grand soit-il, et il lui faudra des aides, des aides pourquoi ? Il lui faudra des alliés pour devenir actuellement capable puisque en lui-même et en temps que héros, il n’était que "potentiellement" capable de l’action.

Et la dernière fois, j’essayais de dire rapidement de quel genre était tous ces intermédiaires. Un américain du nom de Harold Rosenberg dans un livre traduit en français sous le titre "La tradition du nouveau", donnait il me semble, une des meilleures interprétations, enfin dans celles que j’ai lu, une des meilleures interprétations pratiques de Hamlet. Et ça revenait à dire, bien oui, pourquoi est-ce que Hamlet, il est dans la situation de modifier une situation par une action grandiose, l’action grandiose tragique, c’est le meurtre ! Le meurtre du roi usurpateur et de la reine, sa mére. "Cette action est trop grande pour moi". C’est ce que l’on appelle les hésitations d’Hamlet. C’est pas des hésitations, c’est tous les flux et reflux par lesquels il passe, avant d’être devenu capable de l’action, et ça prendra très longtemps. Et je voulais dire, si vous appliquez cela par exemple au cinéma vous trouvez la même structure dans le Western. Avant d’être capable de l’action grandiose, il faut tant, tant, tant de choses. Et je vous disais même dans une structure comme "Yvan le terrible" de Eisenstein, voyez les - comme des césures là aussi, - une fois dit que Yvan le terrible est supposé se proposer l’action grandiose de modifier la situation de la Russie c’est à dire de l’arracher à l’état féodal, pour instaurer un Etat. Il passe par - et c’est pourquoi Eisenstein tient tellement à ce qu’il appelle lui-même "les césures" dans ces films et qu’il définit et qui définissent pour lui le rythme du cinéma. Il passe par deux moments de doute qui évidemment ne sont pas placés du tout par hasard dans l’ensemble, et dont chaque fois il va sortir, devenant de plus en plus proche de l’action grandiose, qui là aussi comme dans toutes représentations tragiques va consister dans un meurtre. Bon , puis je disais, bah, il faut beaucoup d’aide, c’est évident ! En effet, le héros ne peut devenir actuellement capable que s’il s’appuie sur un peuple. Et non seulement, s’il s’appuie sur, s’il s’appuie si vous voulez sur, ce que l’on peut appeller un "groupe fondamental". Et non seulement il doit s’appuyer sur un groupe fondamental mais il doit aussi s’appuyer d’une toute autre maniére : sur ce que l’on appellait un groupe de rencontre. Vous avez toujours ça aussi dans les Westerns, le groupe fondamental, qui est relativement homogéne, qui est par exemple la petite ville et puis le groupe de rencontre qui lui est tout à fait hétéroclite, un tout jeune homme, un vieillard, un alcoolique et puis le héros, et ce groupe de rencontre va agir, lui, va être fonctionnel. Bon, alors tout ça, ça nous donne quel système ? Je dirais que la loi de cette image-action, c’est vraiment, la loi de cette image-action donc SAS’, c’est vraiment un grand écart entre la situation et l’action qu’il va la modifier. Pourquoi un grand écart ? Il faut passer par tous ces intermédiaires, par tout ces moments de doutes, par tout ça. Un grand écart qui n’existe que pour être comblé.

Et la représentation organique, c’est ça. C’est la représentation d’un grand écart, d’une grande différence entre la situation et l’action à venir, l’action à entreprendre, écart qui n’existe que pour être comblé. Bon, alors ça nous donnait quel système ça ? Il n’existe que pour être comblé, il est comblé quand le héros devient égal à l’action. Quand au lieu de dire : "cette action est encore trop grande pour moi", il dit : "je suis mûr pour cette action". Le prophéte, il commence toujours par dire le prophéte, il répond toujours à Dieu : « Ce que tu me demandes est trop grand pour moi, je ne peux pas faire ça, c’est trop grand pour moi. » Il me semble que c’est la formule de ce type de l’image-action tel qu’on la recherche. C’est ça le grand écart, "cette action est trop grande pour moi". Et si l’on revient à Hamlet, qu’est ce qui se passe ? Hamlet fait son voyage en mer, on est déjà très tard dans la piéce, son voyage en mer où le roi, son beau-pére, l’envoie en fait se faire assassiner. Et il déjoue le plan machiavélique du roi et il revient changé, il a fait la mutation, c’est à dire il a actualisé la puissance. L’action qui consistait à venger son pére, à venger le roi défunt, en tuant le roi actuel et en punissant sa propre mére. Voilà que pendant longtemps il sentait que c’était la seule action à faire mais il n’en était pas capable. Il revient du voyage en mer et là, il a changé, il parle plus de la même manière, il est devenu capable de l’action. Voilà, ça c’est une structure, c’est une structure d’image. Et alors, je disais vous voyez tout s’enchaine trés bien parce que nos signes sont exactement ceux-ci, vous vous rappellez : la situation, je dirais qu’elle renvoie à un signe qui est et que l’on appellait, en empruntant mais en le déformant un peu, un mot de Pearce, que l’on appellait le synsigne. Le synsigne que nous nous écrivions, contrairement à Pearce, SYNSIGNE. Le synsigne, c’est les qualités et les puissances en tant qu’actualisées dans un état de chose, c’est à dire constituant une situation. C’est ça un synsigne. C’était le premier signe de composition de l’image-action. Il fallait une situation.
-  Le signe de la situation, c’était le synsigne.

Et puis, à l’autre pôle suivant notre loi du signe bipôlaire, le second signe de composition nous l’appellions le binôme

-  et le binôme, c’était le signe de l’action ; c’était le signe de l’action parce qu’en effet l’action, nous l’avions vu et là on pouvait suivre Pearce qui nous apportait tant de chose. L’action, c’est toujours sous une forme visible ou moins visible, c’est toujours un duel. Dés lors, nous avions bien nos deux signes de composition. Et comme il y avait un grand écart entre la situation de départ, c’est à dire le synsigne, et l’action à faire, c’est à dire le binôme, il fallait que cet écart ne cesse pas d’être comblé. Comblé par toutes les césures, par tous les épisodes, par toutes les instances, je ne dirais même plus que c’était des puissances, par toutes les instances qui sont aussi bien : les sentiments par lesquels le héros passe, y compris le doute, mais qui sont aussi les alliés, le groupe fondamental, le groupe de rencontre, tout ça. Bon, tout ça se distribuait de telle manière. Si je cherchais alors, il me fallait un signe génètique pour faire tenir tout ça ensemble. Un signe génètique qui ne cesse pas de travailler de telle manière qu’arrive le moment où l’action devenue mûre, serait soudée à la situation de telle maniére qu’une nouvelle situation surgirait de l’action.

-  Et c’est cette soudure qui serait le signe génètique, qui ne cesserait si vous voulez, lui - et on l’a vu tout nos signes génètiques sont extrement mobiles - qui ne cesserait de parcourir le chemin qui va du synsigne au binôme et du binôme au nouveau synsigne, c’est à dire à la situation modifiée. Et il ne cesserait chaque fois d’assurer le passage entre la situation et l’action, et en ce sens, il serait bien l’élèment génétique de la relation situation / action.

Et la dernière fois, je terminais là dessus en disant c’est ça. Ce signe génétique il va se manifester comment ? Une perpétuelle mais toujours variable "imprégnation". Le héros s’imprégne de la situation, et par là, il est végétal et végétatif. Ce qui s’imprégne du milieu, ce qui s’imprégne du milieu et lui emprunte des énergies, c’est ce que l’on appelle la plante et le héros est végétal. Il se conduit comme une plante qui s’imbibe de la situation. Sinon, il n’arriverait pas à devenir capable de l’action Et s’étant imbibé de la situation, c’est à dire ayant emmagasiné l’energie, ce qui est le rôle du végètal ou de la plante, il éclate ou il fait éclater l’action.
-  Et ça c’est le pôle animal du héros.

Et je disais, je sais pas si vous vous rappellez, prenez là, c’est très interessant, prenez un manuel d’embryologie quelconque, élémentaire, pour tous débuts de médecine ou de n’importe quoi. Apprenez des choses sur l’oeuf qui est une chose si passionnante. Pourquoi les embryologistes distinguent et comment ils distinguent un pôle végetal et un pôle animal dans l’oeuf ? Et qu’est ce que c’est que cette complémentarité des deux pôles ? Et comment cela établit tout un "potentiel" ? On retrouverait un niveau embryologique. Je veux pas du tout faire ou dire tout ça c’est pareil, je dis là vous auriez un ensemble de notions qui viendraient confirmer la tentative d’analyse que l’on fait à un tout autre niveau. A savoir, le différenciation de l’oeuf à partir de ces deux pôles correspondant exactement à ce que nous nous appellons processus d’actualisation. Et encore une fois, je connais sur la vie, je ne connais peu de textes aussi beaux que celui de Bergson dans "l’évolution créatrice" où il dit voyez : "l’élan vital se différencie dans deux directions. Et l’une donne la plante, et chacune a un inconvénient et un avantage. Une direction, la plante qui emmagasine l’énergie, c’est un énorme avantage, mais le désavantage c’est que pour emmagasiner l’énergie, elle a du sacrifier la mobilité. Elle est immobile et l’autre pôle, l’animal, immense avantage, lui est mobile, il agit, c’est à dire il fait détonner l’explosif. Mais immense inconvénient, il ne sait pas emmagasiner l’énergie. Il lui manque l’equivalent d’une fonction chlorophyllienne. Et il ne peut s’en tirer que d’une manière : en mangeant, en mangeant des plantes qui ont emmagasiné de l’energie, elles ; incapable, incapable, il est le parasite, il est le parasite de la plante. Mais voyez que c’est au prix d’un avantage très considérable qu’il a conquis l’action, qu’il a conquis la mobilité et l’action.

Ba, je dirais là, cette image-action dont on parle elle est comme ça, et notre signe génétique on l’appellait "l’empreinte". Et l’empreinte, c’est le processus continué à travers tous les stades de l’image. Puisque mes deux signes bipôlaires, je voudrais que vous compreniez que c’est relativement minutieux, mes deux signes bipôlaires sont très écartés comme vraiment deux pôles. Mes deux signes de composition polaire : le synsigne, le binôme, et donc le signe de genèse ça va être le signe beaucoup plus souple qui ne cesse de passer d’un pôle à l’autre, donc il va avoir vraiment une fonction génétique par rapport aux signes de composition. C’est à dire qu’il va rendre possible la co-adaptation du synsigne au binôme et du binôme au synsigne. Il faut que le personnage s’imprégne de la situation, et si vous prenez les grands moments dans Hamlet, il faudrait prendre un texte littéraire pour le suivre pas à pas mais là vous pouvez le faire. Les grands moments d’imprégnations de Hamlet, notamment les textes, à mon avis, beaucoup de monologues d’Hamlet sont du type d’une espèce d’imprégnation cosmique. Imprégnation cosmique qui va le rendre précisement capable de l’action détonnante. Bon alors voilà, j’avais donc mes trois signes, voyez,
-  synsignes,
-  binomes,
-  empreinte.

Et je disais et là j’enchaine très vite, puisque c’est des choses qui ont été analysées, que j’avais essayé d’analyser l’année dernière. Ba, c’est normal, si l’image action est un duel c’est pour ça que j’étais forcé de rajouter une case. Donc vous dans le schéma, il fallait faire une nouvelle case. Si l’image action est duel, ba, c’est forcé que pour l’image-affection qui renvoyait à la priméité, ce qui un par soit même, qu’il n’y est eu qu’une case. Et pour l’image-action qui renvoie à la secondéité, c’est très normal qu’il y est deux cases. Donc d’un côté, c’est comme, dans un effort suprême, juste pour que vous rappelliez, il y a tout ce que l’on a vu avant, là, je ne recommence pas.
-  Image-action première forme avec mes trois signes, synsigne, binôme, empreinte. Image-action première forme et nous avons besoin donc d’inserer la nouvelle case d’une image action deuxième forme.

-  Et cette image action deuxième forme, pour ceux qui étaient là l’année dernière, elle fait pas problème puisqu’on l’avait longement analysée, à première vue c’est juste l’inverse. J’ajoute quant à la première forme, c’est quoi tous ce que j’ai dis ? ça j’aurais besoin de cette notion plus tard. C’est la détermination de ce que l’on peut appeler, une "schéma sensorimoteur". Seulement vous voyez à quel point nous sommes loin de la, de la psychologie, d’une psychologie trop rudimentaire. Je veux dire le schéma sensorimoteur, c’est pas l’artc reflexe. C’est pas simplement le circuit qui va d’une excitation à une réponse. Nous nous avons fais quoi ? Et ba, on a romantisé, on a dramatisé le schéma sensorimoteur. Et pourquoi ? Mais parce que c’est comme ça que ça se passe. Je veux dire, c’était nous les réalistes, jamais vous ne vous trouvé dans la vie dans la situation d’une excitation à laquelle vous donnez une réponse, vous vous y trouvez à la rigueur chez le médecin ou en laboratoire. Chez le médecin quand il tape sur votre genoux et que vous êtes sensé, si vous n’êtes pas corrompu organiquement jusqu’au fond.... Rires Deleuze : Vous êtes sensé... lancer votre jambe ! Bon, c’est bien, c’est simple. Bon dans la vie c’est jamais comme ça, je veux dire, il faudrait pas dire dans la vie, on ne fonctionne pas sur des schémas sensorimoteurs, moi je préferais dire le contraire. Mais dans la vie on se cesse pas de fonctionner sur des schémes sensorimoteurs, seulement, le schéma sensorimoteur, c’est exactement le lien d’un synsigne à un binôme par l’intermédiaire du jeu des empreintes. Et on ne cesse pas de vivre comme ça, on ne cesse pas de vivre comme ça. N’importe où ! Imaginez, vous entrez dans une pièce, vous êtes invités. Vous êtes invités, vous êtes invités, chez des gens vous êtes invités ; et chez des gens que vous ne connaissez pas. Et vous allez vous dire, « Ho, il faudrait que je sois brillant. Ma carrière en dépend. ». Alors, bon d’abord, vous vous êtes habillés et tout ça. Mais vous vous doutez pas bien de l’atmosphère qu’il y a chez ces gens là. Vous ne les connaissez pas assez. Alors, vous prenez votre chewingum comme un acteur de l’Actor’s Studio. Vous faites tout pareil, vous faites tout pareil. Vous faites comme Brando... Auditrice : Deleuze : Alors là en effet , votre carriére est brisée, enfin là vous l’adaptez, un peu. Ca consiste en quoi ? ou bien prenez c’est pathétique, je suis arrivé trop tard ce matin, j’étais dans les embouteillages, alors ça, ça m’a enervé. J’arrive, j’entre. Il y a une atmosphére dans une salle. Il y a une atmosphére. Alors je commence par m’imbiber. Et il y a des jours où les signes sont bons. C’est des bons synsignes. Je me dis : Le synsigne est bon ! Y a des jours où le synsigne est étouffant, rarefié, tout ça. Ou vous avez l’air, ou vous avez l’air particulièrement méchants et fourbes... Rires Deleuze : il y a des jours où vous avez l’air souriants, généreux et tout ça. Alors, le personnage, moi, je hume cette atmosphère, quoi, je m’imprégne. Pourquoi ? Parce que c’est pour moi le moment de mon "binôme" hebdomadaire. Rires Deleuze : Faire un cours, c’est un duel. C’est un duel, c’est évident que c’est un duel. Alors un duel qui va prendre plusieurs figures. C’est d’abord, un duel avec le milieu, ça a toutes les figures du duel. Tout ce que je dis sur le grand écart. J’entre, je m’imbibe et je dis "c’est trop grand pour moi". Déjà, c’est trop dur pour moi, vous êtes là, ça part mal donc j’ai donc mon moment de doute. Rires Deleuze : Je me dis, bon, est-ce que je vais me tirer est-ce que je me tire pas ? Alors, on me pousse. Rires Deleuze : Je me dis, bon, ba ça y est on peut pas changer. Et puis, dès que je commence, enfin là c’est un exemple, moi. C’est un duel, c’est un binôme. Alors binôme qui va prendre des figures extrémenet variées, parce que tout y est. Supposons que tout y est. C’est bien comme ça qu’on vit. Bon, bien. Je me trouve dans un groupe fondamental. Le vôtre. Alors dans ce groupe fondamental, tiens, il a une homogenéité relative, toute relative. A savoir que c’est à peu près les mêmes qui se retrouve ici, c’est le public, c’est le même public sur l’échelle d’un an et parfois de deux ans.

Mais j’ai aussi mes groupes de rencontre et c’est très important ça, mes groupes de rencontre qui sont beaucoup plus hétèroclites. Il peut y en avoir un là-bas un autre là-bas, et il me servent - et ils servent à n’importe qui qu’en il est dans la situation - ils servent de points de repéres. Et dans ce groupe de rencontre, j’y ai comme deux sortes d’alliés. Dans le groupe de rencontre, c’est forcément des alliés qui vont me rendre capable, à leur manière, de l’action grandiose qui consiste à faire un cours dans cette salle. Et bien oui, j’ai des alliés hostiles, j’ai des alliés perfides, des alliés bienveillants, mais lesquels et dans tels cas les uns me servent plus que les autres ? J’ai des alliés muets et des alliés bavards, j’ai tout ça. Et ça m’aide et parfois ça m’aide pas parce qu’un allié n’est jamais sûr. il y a toujours un traître possible... Rires A l’intérieur Alors, bon, ca fait toute une série de binômes. Je veux dire, je suis dans une relation de binôme avec l’ensemble du groupe et puis quelqu’un intervient. Supposons, que pour ma douleur, il me fasse une objection, et bien ça devient une espèce de duel. Tout amical, tout affectueux, tout ça !. Il m’envoie une objection, qu’est ce que vous voulez ! Ou bien il m’envoie une question, c’est un autre type de duel. Tout ça, bon, tout ça, bon, etc... Et puis, je veux dire, le schéma sensorimoteur, il faut vraiment, il est constitué par ces trois instances fondamentales et leurs jeux respectifs relatifs : synsigne, binôme, empreinte. Et si je suis en forme, pardon, tout de suite, j’ajoute juste... les moments où je suis en forme, c’est que là, j’ai atteint le stade animal. C’est à dire, une action détonnante. Une action détonnante, alors vous dites, vous vous en sortez en disant : « A tiens, il était en forme pendant deux minutes. ». Lacan c’était prodigieux !

Auditrice : Ah, oui ça !

Deleuze : Alors lui il développait le pôle végétal à un point... à un point intense, mais il en tirait une espèce d’intensité fondamentale. Je l’ai jamais entendu, alors je parle...Si, je l’ai entendu une fois à Lyon, mais c’était pas dans les circonstances de son séminaire, je l’ai jamais entendu dans son séminaire, mais ceux qu’ils l’ont entendu... Moi, on m’a raconté qu’il y avait d’interminables silences où se créait une atmosphère et où tout d’un coup détonnait. Détonnait au sens de détonateur, pas au sens de, au sens de détonateur, détonnait une formule dont Lacan avait le secret et puis ça redevenait végétal. Enfin, voilà... Oui, tu veux dire quelque chose ?

Comtesse : Concernant la spirale SAS’, est-ce que lorsque tu dis que cette spirale, cette inégalité initiale d’un héros avec une situation qui met du temps à être à la hauteur de l’action pour agir et lorsque tu dis que ce héros tragique est celui qui à la fois s’éloigne et se rapproche de l’action dans un mouvement d’oscillation presque...

Deleuze : ou de spirales qui s’éloignent, oui, oui...

Comtesse : Est-ce que ça, ce n’est pas finalement et surtout lorsque tu parles de représentation tragique, est-ce que ce n’est pas déjà une, non pas un représentation tragique, mais une interprétation représentative du tragique parce que il me semble que ce que tu développes là pour l’image-action, ce n’est rien d’autre que ce que définit le héros comme s’éloignant ou se rapprochant d’une action à faire, de son acte, c’est l’interprétation sartrienne de la tragédie c’est à dire quelque chose qui suppose déjà une dramatisation presque hystérique du tragique qui a commencé déjà par exemple avec l’hystérique bien connu qui a inventé la philosophie, a fait naître la philosophie, c’est à dire Socrate. Socrate, il dramatise hystériquement la tragédie grecque, il provoque l’invention de la philosophie, et peut-être dans la philosophie, d’une certaine interprétation que donnera Sartre à la fin de la tragédie, à savoir que le héros tragique, dans par exemple la pièce où il a appliqué cette théorie qui est remarquable c’est "Les mouches" qui est celui qui a son acte à faire et on dirait qu’il est polarisé par devant par cet acte qui se glorifie à la fin. Une sorte de triomphe de l’égalité avec la situation et ça il me semble que c’est, que ça n’a rien à voir avec la tragédie mais c’est simplement une philosophie, une interprétation philosophique, dramatique, hystérique ou transhystérique de la tragédie parce que dans la tragédie précisément le héros finalement il n’agit pas, le héros, dans la tragédie même s’il agit, et on sent que c’est cela le tragique, qu’il est agit par une nécessité ou une fatalité insignifiable, c’est l’insignifiable que quelque soit ce qu’il fait il est déterminé par quelque chose qu’il ne peut pas signifier et que même le spectateur ne peut pas signifier lui-même en dehors de toute crainte et de pitié, c’est l’insignifiable de tout ce qu’il fait. même quelqu’un qui avait un écho de cette dimension du tragique et qui était Roland Barthes. Lorsqu’il a écrit un livre qui a fait un peu scandale, vis à vis des gens complètement, des universitaires complètement bornés de la Sorbonne, c’est à dire lorsqu’il a écrit sur Racine, lorsqu’il disait que même à ce niveau là, le héros tragique, il était en fait enfermé dans une scène où il restait au sein d’une chambre, les deux pôles de la scène étant une chambre et l’action extérieure, là mais lui n’agissait pas. Il n’était rien d’autre que le réceptacle des récits de l’action qu’on lui faisait et il ne passait ni dans l’action ni dans la chambre, il était coincé. Donc, il était dans un état d’immobilité où précisément il n’agissait vraiment pas il était dans cette immobilité et dans le silence sur ce qui provoque cette immobilité et qui est précisément l’insignifiable. Alors quand tu dis par exemple que l’image-action, tu as dis ça à la fin de ton dernier discours, l’image-action si on veut lui trouver un équivalent en psychopathologie, ça serait l’hystérie à partir de l’hystérie. Donc ça colle bien avec ce que tu dis mais c’est pas tellement de la tragédie dont il s’agit...

Deleuze : Tu dis tant de choses, oui, moi je veux bien parce que je ne tenais pas à la tragédie. Je veux dire si j’ai dis le mot c’est parce que je voulais essayer de montrer qu’il y avait un autre pôle aussi de la tragédie qui va venir et sans doute d’ailleurs il n’y a pas seulement deux pôles. Quand tu dis c’est pas de la tragédie moi je serais plus modeste. Je dirais : c’est une des nombreuses structures tragiques ou de la tragédie. Parce que ton argument principal que le héros tragique n’agit pas. D’un certain point de vue, ça peut être très important. Par exemple, je suppose que ton invocation des pages de Barthes, Je suppose que pour toi c’est très important parce que ça t’aide mais dans de tout autres schémas que les miens. Moi, je voudrais dire pourquoi ça n’a pas d’importance pour moi. Si tu consens et c’est pas par hasard que tu n’as retenu de mon schéma à moi que l’intervalle où le héros s’approche, s’éloigne et tu n’as pas tenu compte, bien que tu l’aies compris parfaitement, de ce que pour moi je définissais comme le moment tragique par excellence, à savoir : le héros est devenu capable de l’action. Or, quand le héros est devenu capable de l’action, pour moi aussi bien ça veut absolument dire qu’il est agit ou qu’il agit puisqu’il devient capable de l’action que quand une puissance qui n’était en lui que potentiellement, là, je pourrai reprendre tous les termes que tu viens d’employer, une puissance qui n’était en lui que potentiellement maintenant, s’actualise en lui. A ce moment là, il est capable de l’action. Est-ce que c’est lui qui agit, est-ce que c’est pas lui qui agit ? Je dirais pour moi, le problème ne se pose même pas. Il ne se pose pas. Je comprends que dans d’autres schémas, toi, tu puisses attacher beaucoup d’importance à la différence. Mais moi si je me suis donné un héros dont toute la structure était de ne pas être encore capable en acte de l’action et de le devenir. Au moment où il devient capable de l’action, encore une fois, il n’y a plus aucune différence entre la puissance qui agit le héros et le héros qui est devenu égal à l’action. C’est la même chose. Le héros, c’est la puissance même devenue, devenue actuelle quoi ! Devenue actualisée. Elle ne l’était pas au début, à ce moment là, il était héros. Mais quand il est capable de l’action, tout ce que tu veux, tout ce que tu veux, là je pourrais dire exactement la même chose que toi. Non, mais je comprends que tu puisses, bon, très bien.

Mais j’y tiens parce que je ne tiens pas du tout à réduire la tragédie à ça. Puisque je ne sais même pas. J’accepterai très bien, je tiens beaucoup plus à l’idée que c’est ce que l’on pourrait appeler la représentation organique. Alors, j’ajoutais que cette représentation organique, elle a une structure tragique sous tel et tel aspect. Mais bon, très bien. Et j’insistais encore plus là dessus, des exemples où il n’y a pas de tragédie. Je disais : "Nous ne vivons pas dans des schémas sensori-moteur simples, le schéma sensori-moteur que nous ne cessons de vivre est de ce type là ! Si bien que je passais à mon image-action deuxième type, et pour ceux qui étaient là l’année dernière, je sais pas si vous vous rappelez, c’était très simple. C’était la formule ASA’. Mais ça changeait tout, car il s’agissait de ceci : supposez cette fois-ci la situation, je dirais presque là aussi c’est un schéma sensori-moteur. Mais c’est un schéma sensori-moteur inversé. C’est l’envers du schéma sensori-moteur précèdent, mais pourtant il ne va pas s’agir seulement de retourner. Je dis la situation, je peux même pas dire la situation, cette fois-ci je dirais le processus. Le processus Action, Situation, Nouvelle Action, c’est tout à fait différent que notre formule de tout à l’heure. Ce n’est pas la même image-action. C’est une image-action d’un tout autre type. Et notamment au cinéma encore une fois, vous distinguez, il y a des auteurs, vous ne vous trompez pas. C’est des types d’images-action très différents. Mais dans la littérature aussi. Qu’est-ce qui se passe ? Et bien là, c’est une action qui va dévoiler une situation qui n’est pas donnée. Elle va dévoiler un morceau de situation. Vous êtes dans le noir. Une action à l’aveugle qui va forcer une situation noire à se dévoiler, à montrer un de ses aspects. Et parfois vous êtes dans ce processus. Vous êtes à tout prix, a tout prix, il faut que je fasse quelque chose. Je comprends même pas où j’en suis. C’est plus du tout de l’imprégnation ça. La situation elle vous est....

C’est la formule AS, situation dévoilée par l’action et d’après ce qui est dévoilé de la situation, vous faites une seconde action ASA’. C’est aussi un schéma sensori-moteur. Mais je l’appelle par commodité, "schéma sensori-moteur inversé". C’est plus du tout la grande représentation organique. Vous sentez que c’est une image-action, un type complètement différent et alors on se trouverait, si j’ai raison, on se trouverait- ce que je n’avais pas pu bien faire l’année dernière - devant la même nécessité, ça vaudrait mieux, tout ça c’est des épreuves, si ça marche, on devrait avoir d’une manière relativement simple des signes de composition, qui indiqueraient une bipolarité et puis un signe de genèse.

Vous vous rappelez la formule de la grande action de tout à l’heure. Un écart, un grand écart qui n’existe que pour être comblé. Il est clair que la second image-action renvoie à tout à fait autre chose. Quand je dis : une action dans le noir qui va forcer la situation à se dévoiler. Ce processus ASA’, pour donner raison à Comtesse, je dirais : « Ho ! oui, mais après tout j’avais bien tort d’avoir l’air de dire : c’est ça la représentation tragique à propos de la première image-action. » Car il y a des représentations tragiques qui fonctionnent beaucoup plus proches d’un modèle ASA’. Et il y a des romans qui fonctionnent tantôt sur le premier type d’image-action, tantôt l’autre type d’image-action.

Vous comprenez rien à une situation, je me dis, bien cette tragédie très bizarre, très connue, "Oedipe", c’est pas du tout du type SAS’, alors ça ! C’est beaucoup plus du type ASA’. Oedipe a fait une action, il sait au moins ce qu’il a fait. Il a tué quelqu’un au croisement de deux routes ou de quatre routes, je sais plus. A un croisement de route, il a tué quelqu’un. Action. Il est complétement dans le noir. il y a le devin, l’homme des signes. Tiens, mais quels vont être les signes ? il y a le peuple, d’accord, il y a l’épidémie, il y a une situation très, très obscure. En quoi elle se relie à l’action ? A première vue, rien. Et il va falloir quand même que ça se débrouille un peu. Que peu à peu, comme on dit d’Oedipe souvent dans une espèce d’enquéte, la situation, mais ça se fait très progressivement, montre tel aspect puis tel autre pour éclater. Ce que tu as fait, c’était tuer ton pére, c’était lui qui était au croisement des routes. Là, c’est une grande tragédie typiquement, c’est pour ça qu’elle est même si bizarre. Je maintiendrais peut être une différence avec Comtesse, à cet égard. Pour moi, la tragédie grec serait très de la forme SAS’ et "Oedipe" serait déjà une structure paradoxale très, très curieuse. C’est à dire que je prends à la lettre et c’est un mot très profond sur Oedipe lorsque Nietzsche dit : ’"Oedipe, c’est la seule tragédie sémite des grecs".

La seule tragédie sémite des grecs, ça me paraît un grand mot. Non, ce n’est pas un mouvement, ce n’est pas un processus grec. Enfin, on peut dire ça je veux dire, c’est du côté d’une toute autre atmosphère. C’est une tragédie dite de l’Ancien Testament. C’est pas une tragédie enfin peu importe. Mais je dirais en tout cas "Oedipe", c’est une structure très, très différente. On va de l’action à la situation puis de la situation à l’action. Et bien oui, comment ça s’appelle ça, comme signe ? Vous vous rappelez au moins pour ceux, c’est pas difficile. C’est ce que l’on appelle - et là je peux à la fois emprunter un mot à Peirce et lui donner un tout autre sens que Peirce le faisait. C’est de toute évidence pour nous ce que l’on appellera un "indice." L’action en temps qu’elle amène un bout de situation à s’éclairer ou bien le processus en temps que l’on va d’une action à un aspect dévoilé de la situation, je dirais de l’action qu’elle était un indice.

-  L’indice, c’est cette fois-ci, ce qui dans l’image-action va provoquer le dévoilement ou la compréhension d’une situation qui n’était pas donnée par elle-même. Tandis que dans ma première grande formule de ma représentation organique SAS’, la situation était exposée splendidement pour elle-même. Elle était l’ambiance, elle était la spirale, elle était tout ce que vous voulez, elle valait pour elle-même, elle était le grand cirque qui nous entourait. Tandis que là je vais à l’aveugle. A ce moment là, c’était un synsigne. Mais là, la situation elle n’est pas donnée. C’est ce que je fais qui la force à surgir.

Donc l’indice, je l’appellerais d’une manière tout à fait différente de Peirce. Je dirais, un indice, c’est un élément d’action ou un "équivalent" d’action. J’insiste sur "équivalent", mais déjà vous vous rappelez pour l’image-affection ; j’avais tenu compte non seulement des visages mais aussi de ce qu’il fallait appeler des équivalents de visages. C’est une action ou un équivalent d’action en tant qu’elle dévoile un aspect de la situation, un aspect d’une situation. Voilà un indice. Je dis une action, un équivalent d’action pour prévoir l’objection évidemment immédiate et que : il y a des indices qui sont des choses. Oui, il y a des indices qui sont des choses, mais les indices de toute manière même quand c’est des choses, ce ne sont des choses que dans la mesure où se ne sont des choses qui permettent de reconstituer une action et c’est l’action qui, même à travers sa chosification, c’est l’action qui dévoile la situation, qui dévoile quelque chose de la situation.

-  Donc l’indice, je dirais, l’indice : c’est ce qui va de l’action à une situation qui n’est pas donnée. Qui n’est pas donnée pour quelqu’un. Que ce soit pour celui qui fait l’action, que ce soit pour le spectateur, peu importe. Et un tel indice, c’est à dire un élément d’action ou un équivalent d’action, qui dévoile une situation qui n’est pas donnée, comment allons nous l’appeler ? Et bien c’est un indice polaire, c’est un indice de composition polaire de la seconde image-action - et j’insiste sur la situation n’est pas donnée - on l’appellera donc et elle n’est donnée que pas l’intermédiaire de l’indice. Elle est conclue de l’indice, elle est induite de l’indice. Nous l’appelons donc
-  indice de manque, nous l’appelons indice de manque puisque la situation n’est pas donnée, le situation n’est pas là. Soit parce que tout est noir soit parce qu’elle est déjà passée soit.... pour quelques raisons que ce soient, elle n’est pas donnée. Soit pour des raisons de décence, soit, enfin bref pour tout... peu importe la raison. Il y a toujours un point de vue par rapport auquel, la situation n’est pas donnée. Dés lors, vous direz que cet indice est "elliptique" au premier sens du mot ellipse. Le premier sens du mot ellipse, c’est le "manque" et je peux parler d’un "indice elliptique" dans la mesure où je vais d’une action à une situation qui n’est pas donnée. Et je pourrais dire même que toute mon image-action seconde forme est elliptique tandis que mon image-action première forme était spiralique.

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