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30- 25/01/83 - 1

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Deleuze - Cinéma cours 30 du 25/01/83 - transcription : Eugène Bitende Ntotila.

Je rappelle pour la seconde fois que, c’est le moment venu pour ceux qui veulent l’UV de me remettre le papier qui correspond et que vous devez prendre au secrétariat. Hein ! Car après, ce sera trop tard. Voilà ! Première chose. Enfin vous avez deux, trois semaines quoi. Hein ! N’oubliez pas. Deuxième chose : il n’y a donc pas vacances, mais il y a interruption. Interruption que je souhaite vivement moi, je n’en peux plus et c’est ce tableau qui me tue vous comprenez ! et l’interruption entre les deux semestres va du 5 au 21. Du 5 février au 21, ce qui représente pour nous je ne sais pas quoi ! Personne n’a un petit calendrier ? (si ! il y en a). Le 5 c’est un... (C’est un vendredi je crois) et donc nous avons aujourd’hui, et encore une séance. C’est bien ça me permettrait de finir notre première partie ! Peut-être à moins qu’il arrive des... Et le 21 c’est un ? (c’est un lundi). Donc on reprendrait nous le 22. Donc il y a encore la prochaine fois et puis, pour ceux qui veulent, et puis le 22. Hein ! Voilà ! C’est bien clair. Voilà !

Enfin j’ai une très bonne nouvelle pour vous, ça a fait l’objet de ma semaine, j’ai une case de plus. Heureusement, elle ne, elle ne nous oblige pas à revenir hé, à revenir en arrière. Mais Je pensais bien que ça vous ferait un très grand plaisir. He, oui. Alors vous comprenez moi j’y ai un grand intérêt parce que je vis ce tableau d’images et de signes comme mon testament. Alors, plus je le, plus je l’allonge, plus mes jours sont assurés ce qui n’est pas mal, si bien qu’il faut à tout prix pour des questions personnelles que, j’ajoute des cases, sans arrèt. Mais enfin, j’ai une case de plus parce que, j’ai fait une erreur. Ce n’est pas difficile à comprendre tout va jusque là . Tout va jusque là .

Vous vous rappelez l’image-perception zéro, avec ses trois signes : dicisigne, reume, engramme. Pourquoi est-ce que ça occupe une seule case on l’a vu ! Normalement ça ne devait en occuper aucune. Pour deux raisons puisque c’est le degré zéro et que donc ça part de l’image-mouvement à ce qui prépare les différents types d’images-mouvement. Et d’autre part ça se prolonge sur toutes les autres colonnes. Donc si on l’isole, là, c’est une isolation relativement abstraite. Pour l’image-affection avec ses trois signes : icône de contour, icône de trait, qualisigne, de deconnection ou de vacuité. Ces quatre signes même là, image-affection c’est la priméité, ce qui est "un par soi-même", donc c’est normal que ça n’est qu’une case. Image pulsion, on a vu la dernière fois, les deux types de fétiches : fétiche du bien ou le fétiche du mal et symptôme, c’est un intermédiaire, c’est le passage de l’affection à l’action. C’est normal que là aussi il n’y ait qu’une case. L’image-action qui elle est deux, ce qui est deux par nature et à tous ses niveaux elle est deux par nature. On a vu que c’était toujours deux. Dans tous les sens, dans toutes les directions, dans toutes les manières de la découper, c’était toujours des dualismes ou plutôt des dyades, des duels. Dès lors, c’est très normal qu’il y est deux types d’images-action. Donc il va me falloir deux cases. Et l’année dernière je n’avais pas vu ça, parce que j’avais mis tout dans une même case. Très fâcheux ça. Donc là, je peux dire que ça recule un peu, parce que je dirai là c’est l’image-action, deuxième manière (Il parle en écrivant au tableau). C’était l’image-action grand 1, là c’est l’image-action grand 2 et tous deux sont de la secondéité. Donc là il me faut une autre case. Et puis enfin, ça me fait donc... ça nous fait un déplacement. Et là j’aurai : image-mentale. Mais l’image-mentale c’est de la tiercéité. Si toutes collaient bien, on devrait trouver alors trois colonnes de l’image-mentale. Donc ça va ? Ça fait plein de colonnes en plus ! C’est bien !

Donc pour le moment, j’ai mes trois signes de l’image-perception : dicisigne, reume, engramme, mes quatre signes de l’image-affection, icône et qualisigne, mes trois signes de l’image-pulsion : fétiches - symptômes, et on était dans l’image-action la dernière fois, et on s’était permis des développements, l’un des développements annexes parce que ça correspondait à des choses que je n’avais pas fait l’année dernière, donc à quoi je n’avais pas pensé. Et juste la dernière fois on avait bien fondé les deux signes de composition de l’image-action sous sa première forme de l’image-action grand 1 et ces deux grands signes, je vous rappelais, c’étaient le synsigne et le binôme.

Et vous voyez, finalement, c’est ce que l’année dernière on avait essayé d’appeler la "représentation organique", la "grande représentation organique". La grande représentation organique se présente comme ceci : un englobant, un englobant qui va être le synsigne, puisque l’englobant "actualise", c’est le milieu en tant qu’il actualise plusieurs puissances différentes, par exemple un milieu qui actualise et la terre et le vent, et tel groupe social, et tel autre groupe social et tels animaux, etc. Donc, le milieu en tant qu’il actualise plusieurs puissances, on a vu là pour des raisons, on l’a vu précédemment, il s’incurve autour d’un centre dont il est bien l’englobant, avec toutes les puissances qui l’actualisent, et d’une autre manière, il tend vers quoi ? Hé bien, cet englobant, premier signe de l’image-action, définit une situation par rapport à un centre, c’est-à-dire par rapport à un personnage situé au centre ou dans une région voisine du centre même si c’est de côté peu importe. Il s’incurve autour d’un centre animé, occupé par un personnage, lequel personnage à sa manière subit l’englobant, parcourt l’englobant et réagit à l’englobant. Donc, dans le duel, dans la secondéité de cette image-action qui est deux par elle-même, j’ai un englobant qui incarne des puissances et j’ai, d’autre part, le personnage qui agit, et qui agit de telle manière, il agit en réponse à une situation venue de l’englobant pour modifier cette situation, pour modifier le milieu.

D’où je disais, c’est la structure dont on parlerait de l’année dernière sous la forme SAS’. S : première étape du milieu qui agit sur le personnage, A : action du personnage, S’ : situation modifiée, nouvelle situation. En A qu’est-ce qu’il y a ? Puisque en S, il y a le signe que nous avons qualifié et appelé synsigne. En effet puisque le synsigne c’est encore une fois la situation ou le milieu en tant que ils actualisent une pluralité de puissances. Et en A c’est quoi, je disais en A c’est un autre signe, c’est le binôme. Parce que dans l’image-action, l’action est conçue fondamentalement comme un duel. Soit un duel avec le milieu, soit un duel avec un autre personnage. Et c’est du duel avec le milieu ou avec un autre personnage et généralement les deux à la fois. Le duel avec le milieu passe par l’intermédiaire d’un duel avec l’autre personnage. C’est par, donc, le duel que le personnage agira sur la situation et qu’en sortira une situation modifiée. Et donc, je cherchais quel était le signe de tout duel puisque les duels sont très variés. Encore une fois, duel avec le milieu, duel avec la femme qui se retrouve toujours dans, dans le rôle de l’image-action, duel entre l’homme et la femme, duel avec l’ennemi, duel avec l’ennemi du groupe, duel avec l’ennemi personnel, les duels sont multiples. Donc, il nous fallait un mot pour désigner ce qui était comme le signe d’un duel quelconque c’est...

...je crois que la philosophie ce qu’on fait. Mais il se trouve que tout d’un point de préférence, il me semble plus simple, et plus évident, c’est dans le cinéma mais on peut le faire dans la littérature. Pensez par exemple à ce qu’on a fait la dernière fois sur l’image-pulsion. On a pris des exemples de cinéma par exemple Losey la dernière fois He ben hé ce n’était pas difficile de trouver des exemples de littérature. On aurait pu aussi choisir des exemples de peinture et tout ça, mais enfin on n’en finirait pas. Si on garde comme référence le cinéma, là je dirai dans cette histoire que SAS’ quelque chose qui m’intéresse. Parce que je dirai que ça exprime ou synsigne binôme, en termes compliqués ! C’est une certaine conception de l’image-action. Mais elle implique techniquement des choses très précises. Je veux dire ça va ensemble, une conception de l’image, les moyens techniques de composer l’image, tout ça, ça va ensemble. Et ce que je veux dire là, c’est que, si l’on s’interroge sur un des points les plus importants de l’histoire du cinéma, à savoir, les différents types et les différentes manières dont le montage a été conçu. Là il y a un montage américain, au point que très souvent on fait crédit même aux américains et à Griffith non pas strictement d’avoir inventé le montage, on peut toujours trouver quelque chose avant, mais d’avoir porté le "montage" et d’avoir été le premier grand auteur du cinéma à avoir porté le montage à un certain état de perfection réfléchie, de perfection pensée. En quoi, si j’essaie de dire, en quoi diffère le montage américain de ce qu’on pourra appeler le montage soviétique ? puisque les soviétiques très vite arriveront avec une idée sur le montage telle que le montage est pour eux vraiment l’essence du cinéma, ou le montage français, qui prendra très vite une figure très puissante avec Ganse. Bon on sent bien - ou bien le montage allemand qui prendra avec l’expressionnisme. On sent bien que, il y a, il ya quelque chose là. Comment on définirait le montage américain sans se lancer dans des choses très très compliquées ?

On fait gloire à Griffith d’avoir vraiment, pas systématisé, je ne sais pas mais, de s’être servi, d’avoir érigé à l’étape de principe cinématographique ce qu’on pourrait appeler, là les vocabulaires varient. j’emploie donc un vocabulaire précis c’est à mesure que je m’exprimerai qu’il sera pour vous justifié ou pas. On lui fait gloire d’avoir imposé ou d’avoir su construire un montage dit "alterné". Mais le montage alterné, je finis presque à la limite par définir un montage qu’on appellera le montage américain, même si d’autres l’emploient. Et si les autres l’emploient ce sera dans un autre contexte. Le montage alterné comment je pourrai le définir ? Est-ce que c’est possible de le définir à ce niveau là où nous en sommes exactement ? Oui, il me semble. Si vous comprenez ce que c’est qu’un synsigne, encore une fois c’est le milieu. Le milieu en tant qu’il actualise des puissances diverses. Ces puissanc es diverses sont de deux grandes sortes. Ce peut être des puissances de la nature et ce peut être des puissances de l’homme. Ce peut être des puissances naturelles ou des puissances sociales. Ou bien mieux, c’est toujours les deux à la fois. Et le synsigne, l’englobant comprend déjà tout un entrelacement de puissances naturelles et de puissances sociales. Par exemple, le vent, le vent sur la plaine, sur la plaine maigre, sur la plaine désertique et la dureté du groupe qui habite ce milieu, la violence du groupe qui habite ce milieu. On voit bien que s’entrelace constamment, comme puissance de la nature, et une puissance comme puissance collective de l’homme.

Je dirai que, déjà en ce sens, l’englobant ou le synsigne est profondément marqué de césures. Il y a des césures. Dès lors, il y a objet de montage, puisque c’est dans une succession d’images qui ont des rapports et qui doivent avoir des rapports rythmiques les unes avec les autres que vous allez montrer tel aspect du milieu, c’est-à-dire, le milieu sous telle puissance qui l’actualise. Et par exemple je disais, dans les grandes images de la représentation organique, ce type d’images où nous en sommes, déjà vous avez des césures très importantes qui marquent la séparation des milieux. La terre et le ciel, la terre et le ciel dans les images de Ford, le ciel qui a les deux tiers ou les trois quarts. Très important, c’est un cas de césure, cette fois-ci, de césure spatiale. Donc avec deux puissances, puissance de la terre et puissance du ciel. Mais quand Ford éprouve le besoin et voyez que l’image particulière, une image particulière met déjà en question un montage, ça va de soi ça et Eiseinstein le dira admirablement plus tard. Vous ne pouvez pas penser une image en elle-même déjà indépendamment du montage parce que ce n’est pas par hasard qu’à tel endroit, Ford a besoin d’une image selon lui, dans sa création il a besoin d’une image où le ciel va vraiment manger la terre et quel ciel ? Je veux dire quel ciel, avec des nuages et quels nuages ? Tout ça, bon ! Je dirai, il y a une césure à l’intérieur de l’image entre deux puissances naturelles, mais d’une image à l’autre, une autre image au contraire réduira le ciel au minimum. Il y aura césure cette fois-ci non pas à l’intérieur de l’image, mais césure d’une image à une autre. Et puis il y aura, si je pense au niveau du groupe, je peux dire au niveau des puissances du groupe où j’ai une image d’un intérieur riche, d’une maison riche, je suis chez les riches. Et puis pas tout de suite après, parfois tout de suite après, je suis dans une pauvre maison de pauvres. Vous reconnaissez ça très souvent, les éléments que l’on voit constamment chez Griffith.

Je dirai que là aussi, j’ai une césure qui peut être intérieure à l’image. Si vous supposez que ce qui est rare, la maison pauvre soit plus près et prise dans la même image que le palais des riches, ou sinon d’une image à l’autre. Vous avez donc des césures entre images indépendantes. L’organisation rythmique de ces images "césurées" définira un montage "alterné". Vous voyez pourquoi on appellera "alterné" le passage ou la règle sous laquelle on passe d’une image à une autre. Le montage alterné pour moi, c’est exactement, je dis pour moi parce que les définitions varient beaucoup, mais je dirai c’est exactement la règle rythmique par laquelle on passe d’une image incarnant telle puissance à une image incarnant une autre puissance. Ces images, je peux dire qu’elles sont "parallèles". Une image de la maison riche et une image de la maison pauvre. On parlera en ce sens d’un montage "alterné parallèle".

Je précise ça parce que parfois on donne à montage parallèle un, un tout autre sens, mais enfin, et c’est pour ça que je dis moi je m’occupe de celui que je vous propose. Voilà ! Et d’autre part, si je m’intéresse non plus à l’organisation de l’englobant ou du milieu, mais si je m’intéresse au passage de la situation à l’action, du milieu au duel, pour passer du milieu au duel, il faut beaucoup d’intermédiaires. Je le symbolise ainsi, il faut plusieurs lignes, qui chacune à sa manière, à partir de tel endroit ou de tel aspect du milieu, tende vers le centre A, vers le personnage. Et je pourrai dire que sur ces lignes il y a aussi des césures, césures un peu d’une autre sorte. Je ne peux pas dire les unes sont temporelles : les secondes et les autres sont spatiales. Elles sont toutes spatio-temporelles. Mais ce n’est pas tout à fait le même type de césure. Pourquoi il a distingué ces césures ? C’est parce que le personnage, personnage héroïque principal dont le duel va réagir sur la situation. Ça ne se fait pas tout seul, puis c’est en vertu de l’image-action ! Ce n’est pas qu’il soit faible au contraire il est très fort. Par définition, le héros est fort. Hein ! Mais, ça ne change rien. Il est fort potentiellement. Vous vous rappelez que le problème de l’image-action, c’est un problème d’actualisation. En effet il y a une image-action que quand les qualités et les puissances sont saisies dans leur procès d’actualisation. Donc le héros est potentiellement fort, fort ça veut dire quoi ? Ça veut dire égal à la situation. Je suis un héros lorsque je suis égal à la situation. Bien entendu à la situation grandiose. Pourquoi j’introduis grandiose et comment je définis grandiose ? Par l’englobant.

- L’action est grandiose quand elle doit rétablir ou transformer l’englobant. Quand elle ne porte pas sur l’englobant, ce n’est pas de l’héroïsme. Mais une action qui porte sur l’englobant est par nature une action grandiose, une action héroïque. Le héros en est capable potentiellement, il n’est pas inférieur ! Ce sera un autre type d’image, le héros inférieur c’est à dire là on aurait d’autres signes . He... ce n’est pas, ce n’est pas qu’il soit inférieur le héros. Il est potentiellement égal à la situation. Mais, pour actualiser sa propre grandeur, de même que le milieu avait à actualiser telle ou telle puissance de qualités, le héros a à actualiser des puissances et des qualités qui vont lui permettre de transformer le milieu. Donc le héros aussi est pris dans un processus d’actualisation, c’est même par là qu’il appartient à l’image-action. Et ce processus d’actualisation , il est césuré, il a des moments, il a des moments spatio-temporels.

Je veux dire, il a des césures personnelles, il a des césures collectives, il a plein d’autres césures. Césures collectives : le héros a besoin de quoi ? et qui n’en a pas besoin ? Le héros a besoin d’un peuple. Quand je dis : qui n’a pas besoin ? c’est parce que je pense aux phrases très belles et célèbres de Paul Klee, en tant que peintre qui dit = qu’est ce qui nous manque ? Il nous manque un peuple. Bon il lui manque un peuple, il n’est pas le seul ! He, le peuple c’est avant tout ce qui manque, c’est presque sa définition quoi ! He mais c’est, ouais ! C’est pour ça que la psychanalyse a tort mais elle croit que c’est autre chose que le peuple qui manque. Il n’y a jamais qu’une chose qui a manqué, c’est un peuple ! He parfois il est là enfin je ne sais pas, parfois on dit qu’il est là. He, un peuple manque mais un peuple ne manque peut-être pas après tout peut-être bon ! Peut-être qu’il ne manque pas, bon ! Il faut un peuple. Mais il ne faut pas seulement un peuple, il faut une équipe, ce n’est pas la même chose. Il faut une équipe.

Le western en fait ses meilleurs moments hein ! Il y a le peuple c’est-à-dire la collectivité de fond, qui parfois est une collectivité complètement salope mais là on ne peut pas entrer dans les détails ça ne fait rien, il y a la collectivité de fond et puis il y a le groupe de rencontre, le groupe accidentel qui est généralement composé par un chérif, un vieillard infirme et un alcoolique, mais un alcoolique en voie de redressement. He on vous avait donné le trio de Hawks, Hawks ! Ça c’est le groupe occasionnel, mais il faut l’équipe.

Or Etseinstein en tant que cinéaste soviétique ce n’est pas si clair que ça, ce n’est pas si clair. Il a tout fait pour s’identifier au cinéma soviétique, mais il restait marqué d’une tare indélébile aux yeux, aux yeux de Staline, mais peut-être a des yeux d’une autre nature aussi, à savoir sa complicité très profonde avec le cinéma américain. Je veux dire, a des yeux plus durs que ceux de Staline. Mais quand Vertov considérait Eiseinstein comme un auteur bourgeois, He c’est très intéressant d’essayer de chercher pourquoi. He c’est un drôle de truc. Une longue histoire il me semble. Mais enfin je dis Ezelstein. Vous voyez bien en quel sens il rentre aussi là dedans. Il a l’air en tout cas d’entrer là dedans. Prenez He, prenez un chef-d’œuvre comme d’Ivan le terrible. C’est tout à fait, c’est tout à fait cette structure dont j’essaie de parler de l’image-action, synsigne, icône. Dans Ivan le terrible, il ya Ivan, personnage prodigieux. On ne peut pas dire qu’il est inférieur à l’action. Il est potentiellement égal à l’action, l’action ça consiste en quoi ? c’est la même que chez nous Louis XIV, quoi c’est, c’est la grande action, c’est l’action de faire de la Russie un Etat. Et un Etat ça ne se fait pas sans rien. Donc il s’agit de faire un Etat, c’est-à-dire dans le cas de "Ivan le terrible", de briser les boyards. Alors là on voit que Eiseinstein est soviétique, c’est que les boyards sont une classe, idée qui n’entre jamais dans la tête d’un américain. Mais enfin ça, ça c’est un détail pour le moment. C’est un détail. Il s’agit de briser les boyards. Mais je peux dire alors que le synsigne là se développe avec toutes ses césures. Les boyards, le peuple, le parallèle entre les boyards et le peuple etc.

Il y a les autres césures à savoir, Ivan va passer par deux moments de doute, deux moments de doute terribles sur le mode : est-ce que je suis vraiment capable de cette action héroïque ? briser le monde des boyards, briser le milieu des boyards pour faire un Etat russe ? Il a deux moments de doute qui sont très très beaux, qui sont, qui forment là, des images sublimes. Un premier moment du doute, où il se traine le long du cercueil de l’imperatrice, de sa femme qui vient d’être empoisonnée par la grande boyarde chef, et où il a un moment de doute en disant : est-ce que j’ai raison moi ? Et puis un second moment de doute quand il rappelle son vieil ami devenu moine, et que le moine se conduit d’une manière odieuse en disant : mais, tu n’as pas le droit de toucher aux boyards et que, alors là on voit un grand Ivan le terrible qui se traine en essayant d’attraper un bout de la longue robe du moine là une très très belle scène aussi, et qui traverse un moment de doute. Si bien que des critiques soviétiques à l’époque, ont froidement dit : mais ce n’est pas notre grand Ivan le terrible, c’est-à-dire notre grand Staline. Eiseinstein nous a trompé et c’est une espèce d’Hamlet, Hamlet étant connu pour les moments de doute par lesquels il passe. Il s’il est très vrai, moi il me semble malgré ce qu’on a dit parfois que, Hamlet passe par des moments de doute c’est pourquoi ? C’est parce que Hamlet vit la question qui me parait la question du héros, la question du héros quand il réfléchit le soir le long du cercueil de l’être aimé puisque, il faut bien qu’il soit seul le héros. He, le long du cercueil de l’être aimé, le héros se dit ou près de la fiancée, près de la pauvre Ophélie là le héros se dit : suis-je capable de cette action ? Et là Ivan comme Hamlet se dit : suis-je capable de cette action ? Et il faut quelque chose que, qui lui donne la certitude à nouveau qu’il va être capable de cette action et ça passe par une césure. Ces lignes qui vont de la situation à l’action qui doit être césurée, qui doit passer par des moments et ce n’est pas tout.

Même quand on est Ivan le terrible, il faut trouver des groupes. Alors, il se trouve devant les boyards. Ce n’est pas, Ce n’est pas rien les boyards. C’est puissant vous savez les boyards. He ben, sur quoi il va s’appuyer ? Il ne va pas les liquider tout seul. Alors il ya évidemment une réponse et là aussi la critique soviétique elle ne sera pas contente d’Eiseinstein. C’est la réponse immédiate car contre les boyards on s’appuie sur le peuple. He ben oui on s’appuie sur le peuple. Mais il y a plusieurs manières de s’appuyer sur le peuple. Est-ce que Eiseinstein parce qu’il est vraiment historien là, ne veut pas c’est faire un film à la Staline ? C’est-à-dire, où Ivan aurait découvert le peuple, et se serait identifié au peuple et que le peuple et Ivan, ça n’aurait plus été que la même chose, une seule, seule et même puissance, comme il était dit qu’étaient le peuple soviétique et Staline. Alors quand même Eiseinstein non, c’est, comme il avait assez le sens de l’ histoire ce n’est pas qu’il ne voulait pas faire ce plaisir à Staline il en a fait d’autres, mais he, là il y avait quelque chose qu’il ne pouvait pas faire, c’était présenter Ivan le terrible à son époque comme, comme ayant même cette conception. Si bien que Ivan le terrible est terrible. Il traite le peuple comme un chien, comme un chien. Il lui dit exactement, et il dit au représentant du peuple qui le soutiennent il dit mais hein ! Pas de familiarité hein ! Non mais il y des scènes très très belles où il dit non mais ça va hein ! He quand des hommes du peuple, les représentants du peuple se mettent à parler mal des boyards, Ivan le terrible veut bien que les hommes du peuple coupent la tête aux boyards, il est même très très ça, He, il trouve même des combinaisons tout à fait extraordinaires, pour leur couper la tête, He ça marche très fort ! Mais quand les hommes du peuple se mettent à parler mal des boyards Halte là, il dit non mais, tu oublies, tu t’oublies : tu n’es pour moi et il ya un petit jeune homme du peuple qui est éperdument amoureux de Ivan et admiratif qui manifestement a donné sa vie à Ivan et Ivan est un dieu pour lui, et Ivan lui pose la main sur la tête. Trés belle scène ! Et lui dit :Tu sais que tu n’es que mon instrument. L’autre il en prend un sacré coup ! va pas te prendre ne va pas te prendre pour un ami. Moi, ma vraie race c’est les boyards. Et ça n’empêche pas de couper la tête, tout ce que l’on veut etc. Mais hé en d’autres termes le peuple n’est qu’un groupe de rencontre, il vaut l’alcoolique de Hawks, il vaut le groupe de rencontre. Le groupe fondamental, ça reste, ça reste pour Ivan le terrible le groupe des boyards. He bon tout ça c’est très très, vous comprenez ! Ça fait une espèce de progression dramatique du film, d’histoire très importante.

Mais ce que je veux dire c’est que dans ces lignes, le peuple, puis les boyards, etc. qui vont tendre vers l’action fondamentale, vers le duel. Il y a là aussi un montage alterné. Je passe de, par exemple, une ligne qui montre l’action des boyards contre Ivan à une ligne qui montre l’action du peuple pour aider Ivan. Mais c’est une autre figure que la précédente. Et pourquoi ? Parce que cette fois ci voyez, c’est pour ça que mon schéma l’explique. C’est un montage cette fois ci où les lignes sont comme convergentes. Elles ne sont plus parallèles. Qu’est-ce qui va converger ? Ce qui va converger c’est la tentative par exemple de la boyarde d’empoisonner la femme d’Ivan et la surveillance de l’homme du peuple, la surveillance du moujik qui tente de protéger la femme d’Ivan. Et là vous allez avoir un montage qui est encore un montage alterné, mais qui n’est plus un montage parallèle, qui est ce qu’on appellera un montage "convergent" ou ce qu’on peut appeler un montage convergent ou si vous préférez, concourant. Il est bien connu, et c’est pour ça, sous cet aspect bien que l’autre aspect était complètement déjà chez Griffith. Griffith est célèbre pour certains montages concourants, notamment dans " Naissance d‘une nation", lorsque vous avez alternance non plus entre deux segments parallèles, mais entre deux lignes d’actions concourantes. Par exemple, on se bat dans une maison et d’une toute autre direction, le cavalier arrive au secours des assiégés. Et vous avez alternance entre image de la défense de la maison et image du cavalier qui arrive au secours. Ces images pouvant se précipiter de plus en plus sous forme d’un montage accéléré, mais vous voyez que là, c’est typiquement un exemple, c’est typiquement un exemple pratique. Mais c’est un montage, c’est un exemple de montage alterné mais non plus parallèle, concourant, convergent. Il y a convergence vers un même point que je peux appeler le point A qui est le point du duel, le point du binôme ou du duel. Bien ! Dans "M le maudit" de Lang, là vous avez un montage convergent beaucoup plus exemplaire. Si vous appelez A, "M le maudit", même le criminel, vous avez deux lignes d’actions concourantes et présentées comme concourantes qui convergent vers la capture de M, c’est la ligne de la pègre et la ligne de la police. Et il y a constamment dans le montage de Lang un passage d’une ligne à l’autre et elles vont converger sur la capture de M le maudit.

-  Donc vous voyez que je peux dire : l’image-action implique un véritable montage, et sans doute j’aurais pu le faire là, je le fais maintenant mais, il va de soi que l’image-affection implique un montage aussi. Là je fais une rapide parenthèse pensez ce que ça peut être que, je dirais c’est un montage affectif, il n’y un cas célèbre de film, de montage affectif total. C’est évidemment la Jeanne d’Arc de Dreyer. Il y a bien un montage puisque ce n’est pas rien. Monter les gros plans de figures, une fois dit que ce sont des gros plans coupés où les visages sont toujours coupés et bien mis à tel endroit de l’écran etc. La question du groupage ça va être qu’un rythme va avoir l’ensemble de ces images. Je dirai que, il y a non seulement d’ailleurs un montage mais il y a un cadrage affectif chez Dreyer. Bon ! On aurait pu trouver pour l’image-pulsion il y a aussi des montages très particuliers. Bon là on en est à développer davantage cet exemple. C’est pour que vous sentiez qu’à chaque fois on pouvait faire des développements et vous voyiez cequejeveux dire ? Ce n’est pas, on va trouver ce problème.

Jedis donc juste pour le moment à l’image-action là parce que l’image, elle renvoie toujours à une pluralité d’images. Donc elle renvoie à un problème de montage. Vous ne pouvez pas considérer aucune de ces images comme isolées ou même comme isolables

Comtesse : vous ne pouvez pas dire concernant Ivan le Terrible que le duel avec les boyards que le point de convergence se précise de plus en plus chez Ivan le Terrible ce qu’il veut briser fondamentalement c’est le désir de la mère qui fétichise qui totemise et qui veut utiliser son enfant comme l’instrument de son ambition politique c’est ça le point de convergence, la cassure fantastique d’Eiseinstein et ça ne colle pas du tout avec le peuple...

Deleuze : Hum ! Oui, oui, oui, hum, oui. En effet, tu as raison ! Ce que tu dis expliquerait pourquoi selon Eiseinstein, le peuple n’a peut-être, ne peut avoir que un rôle d’instrument et pourquoi le duel, en effet ce que tu dis, il me semble ça revient à dire, attention il faudrait bien déterminer quel est le duel d’Ivan le terrible, en effet qui et qu’est-ce que ce que le véritable binôme d’Ivan le terrible. Toi tu vas même jusqu’à suggérer que c’est autre chose que le duel avec les boyards. Oui moi je crois que tu as raison ! En effet, tout à fait oui.

Alors, la dernière fois je disais vous comprenez, continuons à développer un peu ça. je disais, il ne faut pas se moquer. Il faut voir, on a trop vite fait de parler de la conception de l’histoire d’Hollywood. Le grand film d’histoire hollywoodien, je trouve que c’est très intéressant quand on se demande quelle conception de l’histoire ils ont. Et vous allez voir pourquoi je fais ce long développement puisque ça s’enchaine complètement. Moi de la même manière que on demande, encore une fois c’est très légitime de demander, de faire une histoire de l’histoire, c’est-à-dire se demander mais voyons, quelle conception de l’histoire il y a chez Michelet ? Surtout que Michelet nous donne beaucoup d’indications là-dessus ! Quelle conception de l’histoire il y a chez les marxistes ? Ils nous donnent aussi beaucoup d’indications. Il y en a qui nous donnent moins d’indications sur leur conception de l’histoire mais ils en ont. Il ne suffit pas, il me semble de dire, mais oui, c’est de l’histoire bourgeoise ou pas bourgeoise. C’est autre chose, ce n’est pas de soi injuste de dire bourgeois ou pas bourgeois, mais il faut quand même aller plus loin quoi ! Alors moi je vous dis, je suis très frappé que Hollywood, il y avait, ils avaient à la belle époque d’Hollywood une de ces conceptions de l’histoire très curieuse. Et vous allez voir encore une fois comment ça s’accroche.

Et je disais bon bien, essayons de voir, puisque essayons de nous servir et je vous demandais de lire deux textes dont l’un je ne vais pas en parler j’ai déjà pris trop de retard, celui de Hegel, et puis, je voudrais parler de celui de Nietzsche.

Et c’est donc ce texte dans les "Considérations intempestives" qui sont elles-mêmes divisées en quatre considérations et je crois que c’est la seconde peu importe, je parle de la considération intitulée "de l’inconvénient et des avantages des études historiques". Et, l’idée de Nietzsche en lui-même il a une idée qui nous intéresse beaucoup, c’est pour cela que je le dis et la thèse générale et pourquoi il déteste l’histoire. Il n’aime pas l’histoire. Il n’aime pas l’histoire pas du tout qu’il aime l’éternel. Lui c’est un homme, C’est un penseur qui n’aime ni l’éternel ni l’histoire, ni le temporel ni l’eternel mais ce qu’il aime c’est autre chose et qu’il appelle lui-même l’intempestif. Parce qu’il pense que les grandes choses, que les grandes et belles choses ne sont jamais ni de l’éternel ni du temporel ni de l’historique. Mais que les grandes choses sont toujours "intempestives" et que la vie ou ce qu’il appelle la vie c’est le processus de l’intempestif. Alors moyennant quoi il dit que l’histoire est utile ? Mais que l’histoire n’est utile que si, loin de s’ériger comme une science, elle se soumet aux exigences de la vie et à ce que la vie attend d’elle. Et là dessus, il va faire, à mon avis, un des plus beaux textes qui soient sur l’histoire. Et il ne cite même pas, il ne cite pas tel ou tel historien et je crois bien que ceux à qui il en a, c’est des historiens très précis de son époque et de son milieu allemand, que ça renvoie assez à l’histoire allemande du 19è siècle. Mais si je le dis, c’est à mesure que je l’ai développé et indiqué là en gros la thèse de Nietzsche et ce qu’il nous raconte. Je vous demande d‘avoir dans l’esprit juste, Il ne s’agit pas du tout pour moi de me servir de, de fausser un texte. Mais en respectant vraiment le texte de Nietzsche, à quel point comme c’est un grand texte, il déborde ce pourquoi il a été fait. Et à quel point il nous donne une vision très aigüe de ce que peut-être les américains cherchaient. Et il n’arrête pas de faire des liaisons historiques, peut-être que c’est pas tout-à-fait par hasard. Car s’il y a eu des gens pour élaborer une espèce de nietzschéisme batard dont il est peu important de savoir si c’était du nietzschéisme bien compris ou mal compris, mais de vivre une espèce de nietzschéisme même en ayant lu Nietzsche mais pas beaucoup, ça passe par la littérature américaine ou anglaise.

Je vois deux grands noms à cet égard de la construction d’un néo nietzschéisme très curieux, c’est Lawrence et London. Et London m’intéresse précisément pour des raisons qu’on va voir. Alors qu’est-ce qu’il nous raconte ? Je prenais ça comme une histoire, il dit : ha oui, il ya trois conceptions. Nous on traduit, on change un petit peu, On dit ce n’est pas trois conceptions en fait c’est trois aspects de la même construction. C’est un changement. On voudrait surement là une nuance. C’est trois aspects de la même conception. Et il dit : il y a d’abord l’histoire monumentale ou la conception monumentale de l’histoire. Qu’est-ce que ça veut dire ? Moi j’aimerais le prendre déjà à la lettre. Et il nous ajoute et il dit : la conception monumentale de l’histoire, il dit d’abord d’une manière un peu mystérieuse pour nous, c’est celle des hommes actifs, actifs. On est bien dans l’image-action. C’est les hommes qui du point de vue de la vie. c’est les grands actifs qui auront besoin d’une conception monumentale de l’histoire. Bon ! Alors prenons, je signalerai quand je reviens à la lettre de Nietzsche. Là je parle du mot : conception monumentale de l’histoire. C’est ça évidemment, c’est bien, c’est bien Hollywood. C’est bien Hollywood... Quand on pense à ce qu’ils ont fait. Je prends deux exemples :
-  la cité de Babylone dans "Intolérance". Et ce qui pour moi est un des sommets du cinéma :
-  Le temple, le temple des philistins dans "Samson et Dalila" de Cécile B de Mille. Le temple, le temple des philistins qui est à la fois, c’est l’impression qu’il nous donne de monumental et de rigolades éperdues c’est, c’était vraiment le moment où il devait s’amuser hein ! C’est bien une espèce de rigolade. C’est bien voilà comme dirait Nietzsche. Bien sur on rit devant le temple des philistins. Mais c’est un rire olympien. Cecile B de Mille l’a su et on croit qu’on se moque de lui mais pas du tout. Mais certains croient qu’ils se moquent de lui et du coté toc de la constitution. Rien du tout. C’est que, à travers l’image monumentale, ce qui s’est suscité, ce qui nait en nous c’est un rire qui est le rire des dieux quoi ! C’est le rire du dieux qui habite le temple, c’est le rire, c’est un rire olympien. He, bon ! Forcément, forcément. Mais quand vous prenez ça vous voyez tout de suite ce que veut dire. C’est l’image même ce n’est pas seulement ce qui est photographié reproduit par l’image. C’est l’image même qui peut être dite monumentale. C’est une image monumentale. Bon l’image monumentale elle peut-être naturelle ou oeuvre des hommes là aussi elle est puissance.

Voyez et je dirai presque l’image monumentale et bien évidemment. C’est le milieu, c’est le grand synsigne, l’image monumentale. C’est l’englobant, le temple est l’englobant. C’est le milieu en tant qu’il actualise des puissances qui sont inséparablement, celles de l’homme et celles de la nature. La lumière mais aussi la piété, la dureté du milieu mais aussi la décadence. Là je parle pour Babylone. Tout ça est formidable . C’est des images, ce sont des images monumentales.

Bon ! D’où vous comprenez bien que c’est pour ça, c’est pour ça que je dirai là il y a un problème de littérature / cinéma. Quand les types étaient lancés à Hollywood dans ce genre de machins, ce qui les intéressait je suppose, c’était vraiment faire des images monumentales. Les scénaristes, ils n’en avaient pas besoin. Ils avaient beaucoup plus besoin de techniciens, c’est-à-dire d’érudits. Car ils allaient très loin, à ce moment là, ils payaient, il payaient très cher. Ce que je crois ce qui a du être encore fait là pour ce film et qui vient un peu tard parce que quand même des formules là par où ne passe plus le cinéma, le cinéma est passé par là. C’est fini. Mais pour la "guerre du feu", bon qu’est-ce qu’ils ont fait ? c’est la vieille méthode, la vieille méthode d’Hollywood au moins. C’est pas d’un scénario qu’ils ont besoin, ce n’est pas d’un scénariste qu’ils ont besoin, ce n’est même pas d’un dialoguiste. He Faulkner il souffrait et je vais expliquer, c’est normal que les grands écrivains qui ont été employés par Hollywood, aient été traités pire que des chiens quoi ! Mais c’était... on leur disait : vas boire de ton coté, fous nous la paix. He tu toucheras ton salaire mais laisse nous tranquilles surtout. Evidemment ils allaient demander à Faulkner un dialogue sur les pharaons. Alors Faulkner il disait d’accord ! mais moi vous savez he...Il avait bu beaucoup, d’abord il arrivait, il disait : mon problème c’est comment un serviteur s’adresse au pharaon ? Qu’est-ce qu’il lui dit ? Est-ce qu’il lui dit pharaon ? Alors on disait Faulkner allez retourne boire dans ton coin fous nous la paix (Deleuze rit). Alors Fitzgérald , vous comprenez ça c’était un suicide car il n’en avait pas besoin. On dit ça anecdotiquement mais c’est important sur les rapports cinéma-littérature. C’est évident que, en revanche, ils avaient énormément besoin de grands architectes, d’archéologues. Ils avaient besoin d’archéologues pour faire au maximum juste. Ils avaient besoin d’archéologie parce que l’archéologie c’est l’image monumentale et que ils ne se lançaient pas comme ça dans...ils avaient beau rigoler. Et Cécile B de Mille a fait à la fois le temple le plus sublime, le plus sublime et le plus grotesque qui soit Si vous avez l’image du temple des philistins dans l’esprit, que Samson va faire s’écrouler c’est, c’est une image tellement belle et tellement comique en même temps He le dieu , le dieu des philistins qui est la caricature je suppose de B de Mille lui-même ou d’un de ses copains qui est une espèce de, de dieu grotesque c’est d’une beauté en même temps. Voilà.

Mais ce n’est pas tout pour l’image monumentale. Nietzsche nous dit, l’image monumentale c’est finalement moins celle du milieu ça, ça n’intéresse pas beaucoup Nietzche, cet aspect archéologique. je dis quand même c’est en plein dans une conception monumentale de l’histoire cet thème archéologique. Encore une fois qui peut être naturel. Les hébreux et le désert et la fameuse image de, encore de cécile B de Mille de la mer qui s’ouvre. C’est une réussite, à la lettre, monumentale je ne dis pas monumentale par métaphore ! C’est une réussite monumentale à la lettre. Je veux dire le monumental peut être naturel. L’ouverture de la mer pour laisser passer les hébreux est typiquement une image monumentale. Alors, ce qui intéresse Nietzsche ce n’est pas ça. C’est que il dit : bon voilà ! Dans une conception monumentale de l’histoire, ce qu’on retient aussi bien en architecture, c’est le grandiose. Et c‘est pour ça que l’homme d’action a besoin d’une conception monumentale. C’est le grandiose, c’est le sublime, aussi bien le sublime de la nature que le sublime de l’homme. C’est vraiment la grandeur des milieux et des actions, si bien que la conception monumentale, qu’est-ce qu’elle fait ? Elle tend à déga...

Donc Nietzsche cligne de l’œil...Il dit : on ne la fait pas. On ne la fait pas. Ça c’est, Tout Ça c’est l’histoire, on ne la leur fait pas. Alors, alors bien, il cligne de l’œil, on ne la leur fait pas. Alors bien, est qu’ ils ont honte ? Ils auraient honte si il y a une chose qu’ils ne savent pas. C’est trouvé beau quelquechose, il faut qu’ils diminuent tout C’est des canailles, c’est ça des canailles. On ne me la fait pas. Je pense par exemple à un critique je dis ça pour que vous compreniez mieux. Un critique il ya plusieurs année à l’université, comme je ne me rappelle pas son nom, un article sur Lewis Carrol, alors pour bien montrer, c’est un ton assez général dans la critique aujourd’hui "on ne la fait pas". Et pour montrer en même temps et c’est plein de bonne volonté, c’est pour montrer que tout le monde est copain quoi !- alors que ce n’est pas vrai que tout le monde soit copain - He, il parle de Lewis Carrol. Il dit : ha oui, alors pour expliquer aux gens, il dit ah oui il avait des drôles de rapports avec des petites filles. Et entre parenthèses pas de doute qu’il mettait sa main dans leurs culottes. Une âme normale vomit en entendant ça. Quelque chose d’écœurant...

Et il croit quoi ce type qui ose écrire ça ? La question n’est passi c’est vrai ou si c’est faux. La question c’est comment est-ce qu’on peut croire, intéressant, intelligent, malin, d’écrire un pareil immondice. Lewis Carroll c’est un génie bien sur. Mais entre nous, il avait ses petites manies. C’est pour vous dire que je n’aurais pas du donner cet exemple parce que j’ai vraiment envie de vomir. Mais, dans beaucoup d’articles vous trouvez ce genre de choses. Manière de faire copain avec ceux dont on parle. Alors on fait copain avec Joyce, on fait copain avec Proust, on fait copain en vue de quoi ? Puisqu’ils sont morts évidemment, ha, c’est curieux ça, c’est les canailles je crois, alors les canailles il ya tant de canailles, vous comprenez ! hé Nietzsche dit évidemment, c’est le contraire, c’est l’idée. Les hommes de l’histoire monumentale c’est de grands actifs qui eux pensent que finalement, tous les moments de l’humanité quels qu’ils soient - sous-entendu aussi bien, je dirai - communiquent. Mais communiquent comment ? Communiquent par les sommets. C’est-à-dire c’est au sommet de leur grandeur que tous les événements communiquent.

-  C’est ça qu’on appellera la vision monumentale de l’histoire selon Nietzsche. C’est très intéressant parce que on n’en est pas à des choses très savantes, je veux dire c’est des manières de vivre l’histoire. Chacun de nous a une manière de vivre l’histoire. Par exemple je me dis moi, comment je vis l’histoire ? Ben, Je lis le texte de Nietzsche avec passion et je me dis, ha bien non je ne la vis pas comme ça. Heureusement je ne la vis pas comme une canaille, non, non, je ne la vis pas comme ça. Je ne me reconnais pas dans ce qu’il dit là, je trouve ça très beau et je vois des gens qui surement conçoivent l’histoire comme ça. Tous les grands moments de l’humanité - alors ils ne prétendent pas faire de la science, vous voyez que Nietzsche n’en est pas - quelles sont les conceptions scientifiques de l’histoire. Il cherche des intuitions vitales qui orientent des conceptions de l’histoire. Il dit voilà : les hommes de l’histoire monumentale ils pensent que tous les grands moments communiquent par le haut, par le sommet. Bon, il dit pourquoi c’est intéressant ? C’est que dès lors il enchaine. Là il va plus loin, il va nous dire quelque chose d’important ! Supposez quelqu’un qui croit vraiment, qui vit comme ça, tous les grands moments communiquent par les sommets, c’est-à-dire, la cité de Babylone, ça peut être des sommets d’horreur ! Ce ne sera jamais une interprétation basse et canaille, mais ça peut être des sommets d’horreur aussi bien que des sommets d’héroïsme. Supposez quelqu’un se dise : l’immense perte de Babylone déchue, voilà un sommet qui me parle, l’écroulement de Babylone. Et puis Il dit : un second sommet auquel je pense tout le temps, c’est Jésus, Jésus et les pharisiens. Il nous dit tiens, pourquoi l’un évoque l’autre ? Mais évidemment c’est que Babylone a été trahie, elle avait sa caste de traitres. Bon, les prêtres sans doute. Elle avait ses prêtres qui ont trahi. Et sans doute elle était trahissable parce que déjà c’était une civilisation amolie, la grande civilisation de Babylone. Second sommet jésus, il a été trahi aussi, quel sommet Jésus, et quelle trahison ! Cette fois aussi tiens ! Par la caste de prêtres. Supposons. Ha ! Quel sommet cela a du être ! Quel sommet cela a du être la persécution ! Pire, l’holocauste des protestants. Ça n’a pas du être rien...dans la saint Barthélémy. Et puis il dit : et là sous mes fenêtres qu’est-ce que ce cet événement immense qui est entrain de se passer à savoir, des flics et même des gens en civil qui tirent sur des ouvriers en grève. Ha, et voilà que ces quatre sommets qui se mettent à communiquer par le haut, quatre sommets d’horreur qui vont être quoi ? Qui vont être quatre images de ce que celui là, un jour inspirer en ce sens appellera l’intolérance. Bon et voilà qu’ il va nous foutre ce film "Intolérance" qui est un film fou par certains cotés. Puisque, qu’est-ce qui va se passer ? Vont être mis en parallèle quoi ? Vont être mis en parallèle des images inoubliables - j’insiste en parallèle - Vont être mis en parallèle de manière inoubliable si vous avez vu le film, quoi ? Et en parallèle court ? Pas en longue distance, en parallèle immédiat, les deux scènes suivantes : la petite babylonienne qui essaye de prévenir à temps les babyloniens que les barbares vont attaquer, et qui a à peu près cent mètres d’avance dans une course de chars éperdue, et cette autre image, d’une voiture, d’une automobile poursuivant à fond de train, un train, puisque dans le train, il y a le gouverneur qui seul est capable de signer la grâce d’un ouvrier qui sinon va y passer.

Et vous avez ce qu’on appelle un montage accéléré qui là aussi fait rire. Je trouve c’est très bien que ce rire, il est réellement comique, mais là aussi c’est du rire monumental, c’est un rire monumental. Vous avez un montage accéléré, des transitions brusques d’une scène à l’autre, dans cette espèce de char qui essaie de devancer les chars barbares, et puis la situation qui plastiquement est la même, de la voiture qui essaie de rejoindre le train et comme de devancer le train. Bon et là vous avez... qu’est-ce que c’est ? C’est typiquement un montage parallèle. C’est un montage alterné parallèle. Bon ! C’est ça. Et alors si je crois en effet, pourquoi ? C’est que l’histoire monumentale dans la mesure où elle repose selon Nietzsche, sur cette croyance : les grandes choses communiquent par leur sommet. Ce sommet, l’aspect par lequel elles opèrent c’est comme à l’infini, c’est comme à l’infini de leur grandeur. En d’autres termes, cette conception monumentale de l’histoire comme dit Nietzsche, va nourrir et favoriser fondamentalement les parallèles et les analogies. Voyez c’est nécessaire. Dès que vous avez une conception monumentale de l’histoire, vous vous lancez dans les parallèles et les analogies d’une civilisation à une autre, puisque toutes les civilisations communiquent par leurs sommets, soit de grandeur, soit d’horreur.

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