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29- 18/01/83 - 1

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Deleuze cinéma cours 29 du 18/01/83 - 1 Transcription : Fariza Mazar

Vous m’avez flanqué des magnétophones, là-dessus, je fais un schéma, comme tout repose sur le schéma, et qu’il ne peut être saisi que par la vidéo, donc, ou bien vous ferez le progrès nécessaire, ou bien il faut que vous reveniez au vieux procédé des notes, ou bien que vous vous endormiez franchement. Et puis j’y tiens beaucoup, parce que plus j’y pense, il m’a donné une peine ce schéma, vous ne pouvez pas vous douter. Maintenant il me satisfait complètement ; alors je n’ai qu’à le faire, le refaire, et puis on le contemple, et puis voilà.

Alors là, aujourd’hui, je voudrais vraiment le continuer ; puis il viendra quand même le moment où j’espère, je le dis chaque fois, mais où ce sera vraiment à vous de dire un peu si ça vous sert, si ça vous sert dans la vie, quoi que, ou bien on verra. Alors aujourd’hui je vais le faire complet, hein, je suppose que vous voyez le point où nous en sommes, je vais le refaire, mais complet, et puis avec des points d’interrogation sur ce qu’on n’a pas fait encore. Et le refaire complet, ça ne va pas changer ce qu’on a vu, mais ça va beaucoup ... si bien que j’ai amené mes craies. Tout ça est inutile, vous pouvez m’arrêter ; ça, il va me gêner, je pourrai le continuer... il y a trop de tableaux ; oui on met ça là apparemment ; oui c’est une idée ; ça, j’ai besoin de ça, c’est juste ; ça c’est juste. Et dans ces maximes, ces deux maximes, vous ne voyez rien ? Et bien évidemment « Non, mais ça va » ! Ça va ça va ; ça peut-être compliqué parce qu’il ne faut pas que je me trompe dans mes bidules ; il m’en faut, voyons : un, deux, ...quatre il m’en faut, hein ?cinq ? Quatre ? On va voir ; « cinq » : zéroité, priméité, intermédiaire, secondeité, tiercéité, ça va alors comme ça ; Bon, ça fait cinq ça ?

Voilà, alors là, ça tombe bien. Il est beaucoup plus, il est beaucoup plus joli que celui de Peirce. Bon ; alors - là j’ai l’image- perception : Zéroité ; - là j’ai l’image -affection : primeité ; - là j’ai l’image- pulsion, passage 1-2,2-1 ; - là, j’ai l’image- action : secondéité ;
-  là j’ai l’image- mentale : tiercéité.

Cela fait cinq. Je reviens pas, l’acquis de la dernière fois c’est : deux signes de composition, deux signes de composition pour l’image- perception : l’un que l’on appelait decisigne ; je souligne puisque c’est un terme emprunté à Peirce, mais je rappelle : nous avons besoin du terme tout en le prenant dans un autre sens.

Deuxième signe :
-  le reume ; signe de composition.
-  Signe de genèse : engrame ; voilà, ça on là vu ; c’est fait. A votre choix, vous voyez bien, s’il y avait des problèmes déjà urgents là-dessus, on pourrait en parler dès maintenant, où bien on garde pour la fin, quand tout sera fini, vos remarques, vos...ou les problèmes,ou les... L’image- affection, on l’a vu aussi ;
-  signe de composition : icône.

Je souligne puisque le terme est dans Peirce. Nous le prenons en un autre sens puisque, icône, c’était pour nous : qualité ou puissance en tant qu’exprimée par un visage ou un équivalent de visage. Nous avions deux pôles :
-  icône de contours,
-  icône de traits.

Et puis, nous avions un signe de genèse, beaucoup plus fin que les affections renvoyant au visage, c’étaient les qualités ou puissances, c’est-à-dire les affects exhibés dans des espaces quelconques et cela nous nous servions, je ne l’avais pas vu la dernière fois, j’avais oublié, mais c’était simple, nous nous servons d’un terme emprunté à Peirce : Qualisigne ; mais là aussi avec notre règle que, nous nous étions permis, toujours, d’emprunter des termes à Peirce en leur donnant un autre sens puisque pour Peirce, un qualisigne c’est un signe tel que c’est la qualité qui fait signe, alors que pour nous, un qualisigne c’est tout à fait autre chose, c’est à dire, c’est une qualité ou une puissance en tant qu’exposée, exhibée dans un espace quelconque.

Voilà ! Et on en était là. Je peux ajouter pour compléter ce que je peux considérer comme acquis, que cet ensemble, c’est l’image- mouvement ; laquelle image- mouvement a donc comme deux couches ; si je la considère ici, je la considère dans sa consistance propre en tant qu’elle renvoie à un plan qui est le sien et qui est le plan d’immanence de toutes les images agissant et réagissant les unes sur les autres, et quand je considère au contraire l’image- mouvement dans sa quadruple variété,non, dans sa...comment on dit ? Heu, quintuple variété, c’est simplement parce que je l’ai rapportée au centre d’indétermination qui est présent sur le plan d’immanence des images -mouvements. Là, je peux faire la même chose, mais, qu’est ce qu’on va mettre là ? Point d’interrogation ! En plus j’ai dit, tout repose sur, chez Peirce, la tiercéité assure la clôture de l’ensemble ; et j’ai dit que pour nous vraisemblablement, la tiercéité n’aura pas ce rôle, et que bien plus s’il y a un passage de un à deux à ce niveau ci, s’il n’y a pas de passage de deux à trois, c’est que trois est sans doute pour nous non pas une clôture de l’ensemble, la tiercéité n’est une clôture de l’ensemble, mais est elle-même un passage à autre chose.

Si bien que, là on se trouve comme pris de court, mais le graphique, le tableau, nous emporte et, nous allons très droit devant, si je n’étais que son apôtre. Alors ce qu’on va faire de ça, mais il y a une chose sûre, c’est que Peirce avait raison d’un certain point de vue : la tiercéité, si c’est une clôture, c’est bien une clôture de l’image- mouvement. Si on découvre une autre case, c’est par là que je parlais d’une espèce de case dans les deux tableaux de Mendeleïev, vous savez, en chimie où il y a des cases vides, et puis il faut, ah oui, il faut, il faudra bien que la nature les remplisse. Là c’est pareil, il va falloir que la nature remplisse ça. La nature, ou le cinéma, ou la littérature ou la peinture, ou n’importe quoi. Simplement je sais que si j’ai une case de ce coté là, ce sera au-delà de l’image- mouvement. Donc, que cette case, elle seule aura droit à ce petit machin, je ne sais plus comment ça s’appelle d’ailleurs, elle seule, ce ne sera plus l’image- mouvement. Là sur la droite . Et donc, ça risque d’être beaucoup plus compliqué ; on peut toujours me dire, il y a aura signe de composition et signe de genèse, d’accord, mais on sera en dehors de l’image-mouvement. Si bien que même en bas, j’ai besoin que, ce qui correspondait à l’image-mouvement en bas là, que je n’ai pas encore déterminé, j’ai besoin que là ça s’arrête. Pour que ça s’arrête, je vais faire comme ça ! Voilà. Faudra justifier la longueur de cette case, faudra justifier ce qu’il y a là haut.

Vous voyez qu’il nous reste à faire, mais pas tellement après tout, il nous reste ça, ça, ça, ça qui ne devrait pas faire de difficulté ; donc là on va être tranquille. Là, faudra être précis ; et puis là, alors ça va être, voilà, regardez bien, on pourrait dire on a fini pour aujourd’hui (rires !).

Bon commençons alors, on poursuit, mais le mieux pour la prochaine fois si on n’a pas tout fini aujourd’hui, pour la prochaine fois il faut que vous gardiez ce schéma. Je le referai à toute allure, si je, il ne faut pas que je le perde. Je dis, l’image-affection, supposons, on la prend à son extrême pointe : qualité- puissance exposée dans un espace quelconque. On a vu ce que c’était, vaguement qu’un espace quelconque avec en effet son double aspect : c’est un qualisigne avec deux pôles du qualisigne : qualisigne de déconnexion, qualisigne de vacuité .L’espace quelconque étant soit un espace déconnecté, soit un espace vidé.

L’image-action, encore une fois, si je dois bien me référer à elle puisque, il faut, pour avoir un point de repère, ça ne ferait pas de difficulté ; on dirait : et bien, l’image-action, elle commence à partir du moment où les qualités et les puissances sont non plus exhibées dans un espace quelconque, c’est-à-dire un espace de déconnection, un espace de vacuité mais sont actualisées dans un espace temps déterminé ; c’est-à-dire dans un espace temps qui se présente comme tel ou tel, qui se présente sous la forme de tel milieu géographiquement et socialement déterminé. Et en fait, une image-action, je ne dis pas qu’elle se réduise à cela, mais elle est étroitement conditionnée par un milieu, pourquoi ? Parce qu’une action c’est une riposte, une réponse à une situation.

Donc l’image-action est inséparable de la situation, et qu’est ce que c’est qu’une situation ? Une situation, c’est un ensemble de qualités-puissances actualisées dans un milieu géographique social, historique ; c’est-à-dire dans un espace temps qui est tel espace temps. Alors, c’est clair, là j’avais qualités-puissances exposées dans un espace quelconque et là j’aurai : qualité-puissance exposé dans un espace temps bien déterminé. Je dirai que l’image- action, c’est le domaine du réalisme ; et le réalisme, ça peut impliquer le rêve, ça peut impliquer la démesure, ça peut impliquer l’outrance, ça peut impliquer tout ce que voulez ; c’est du réalisme uniquement parce que et en tant que ça nous présente les qualités et les puissances quelles qu’elles soient, ça peut être des qualités et des puissances cosmiques : un ouragan, un tremblement de terre, un n’importe quoi.

Ce n’est donc pas seulement le réalisme au sens de quelque chose d’ordinaire, ça peut être complètement extraordinaire ; c’est du réalisme dès le moment où les qualités- puissances sont présentées comme actualisées dans un milieu : ce milieu-ci. Alors, qu’est ce que c’est que mon intermédiaire ?

Bon, et bien l’année dernière, pour ceux que ...et là je ne voudrai même pas reprendre, mais je voudrai ajouter des choses : je disais il y a un drôle de truc qui est, moi ça m’intéressait beaucoup parce que même pour la littérature, je trouve que, a été un très grand moment dans la littérature, le moment de la création de ce qu’on a appelé le naturalisme. Et ce qui me fascinait, c’était qu’elle différence y a- t-il entre le naturalisme et le réalisme ? Et l’année dernière j’essayais de dire ceci (que je rappelle uniquement) : le naturalisme dans tous les domaines, que ce soit, alors dans tous les arts il y a du naturalisme, et bien c’est une chose très très curieuse et très spécifique, très signée par les créateurs du naturalisme ; si vous vous dites, ce sont des auteurs qui considèrent des milieux déterminés, ils sont même célèbres pour avoir une grande puissance de description des milieux.

En ce sens c’est des réalistes, mais « couac » qu’est-ce que c’est le, qu’est-ce qui fait que, c’est aussi autre chose que des réalistes ; C’est que, ils nous présentent, mais avec beaucoup d’art, beaucoup d’habilité, ils nous présentent les milieux déterminés, les milieux réels, comme si il y a un comme si mais du naturalisme, les naturalistes ne se laissent pas prendre au comme si , c’est un comme si, comme si les milieux réels dérivaient de quelque chose de plus profond qui gronde dans leur fonds ; et ce quelque chose de plus profond qui gronde au fond des milieux réels, je ne suis pas forcé de le considérer, je ne suis pas forcé d’être naturaliste ; si je suis naturaliste, je crois que c’est toujours aussi mon but de vous dire trouvez-vous vous-même,si possible trouvez vous dans quelque chose qui n’a pas été fait, mais vous ne vous trouverez dans quelque chose de nouveau qui n’a pas été fait que si vous vous, vous découvrez aussi vos affinités avec ce qui a été fait.

Et bien, vous vous sentirez naturalistes, comme dans votre cœur, dans votre âme, si vous pensez comme ceci, si vous pensez de la manière suivante : si les milieux réels que vous fréquentez vous paraissent très bizarrement comme des milieux dérivés de quelque chose qui gronde en dessous et qu’on appellera comment alors ? Le mot là se justifie, c’est ce j’appelais l’année dernière : des mondes originaires. Vous saisissez des milieux dérivés, mais vous saisissez des milieux réels, mais vous les saisissez comme dérivant d’un monde originaire. Qu’est -ce que c’est ce monde originaire dont le milieu, dont les milieux réels sont sensés dérivés ?est-ce que je peux dire, et bien c’est le monde de l’animal, c’est le monde de la pure nature, d’où naturalisme ? oui et non, oui et non. Je vais dire oui, parce que le riche dans un milieu réel, sera du point de vue naturaliste comme une bête de proie. Le pauvre pour le naturaliste sera aussi peut-être comme une espèce de bête de proie, mais d’une autre sorte, cette fois-ci une hyène. C’est pas à mon idée on sent tout de suite que c’est un monde très noir. Est-ce que ça veut dire que l’homme est compris à partir de l’animal ? Pas du tout ; ça veut dire, et c’est comme ça qu’ils vivent les naturalistes, suivez les bien : la distinction de l’homme et de l’animal ne vaut pour les milieux dérivés, elle ne vaut que dans les milieux réels. Réellement oui, l’homme n’est pas un animal. Mais si l’on considère les milieux réels comme dérivant de mondes originaires, au niveau du monde originaire, la différence ce n’est pas que les hommes soient des animaux, c’est que la différence homme animal n’a pas court.

Comme on dirait, ce n’est pas une distinction pertinente dans les mondes originaires. Et pourquoi ? Parce que c’est un monde sans forme, c’est le monde du fond, ou c’est le monde du sans fond. C’est un monde où il n’y a pas d’actions mais où il y a comme des actes ; et des actes sans forme, des actes qui ne renvoient pas à des sujets formés ; comme au cinéma, vous vous imaginez une espèce de « truc » : est-ce une main ou une griffe qui attrape ? Bon, est-ce une main ou une griffe ? Pas de réponse. Ça aura la forme la meilleure pour obtenir le résultat ; quel résultat ? Arracher le morceau ! Bon, vous me direz : mais ces mondes originaires, ils existent ou ils n’existent pas ? Oui et non ! Il n’y a d’un naturalisme que lorsque vous vous trouvez devant des créateurs, des auteurs qui vous disent à peu près ou qui vous font comprendre à peu près, les deux sont inséparables ; vous ne pouvez pas séparer. Pas question de décrire le monde originaire à côté ou au dessus du milieu dérivé. C’est au fond du milieu réel que vous trouvez le monde originaire ; et l’un est aussi inséparable de l’autre que l’inverse.

Bien plus je dirai, un auteur qui sépare les deux, supposez un auteur qui divise un livre en deux : une partie le monde originaire, une autre partie le milieu dérivé, et qui nous montrerait entre les deux toutes sortes d’époques. Je dis, ça peut être passionnant, ça peut être très beau ; ce n’est pas naturaliste ; ça ne fait rien, ça ne fait rien, il y a autre chose ; dans le cinéma il y a aura bien ça ; un très beau film avec violence, très très violent de Pasolini qui s’appelle « Porcherie », est divisé en deux parties : une partie qui est le monde anthropophagique originaire, une autre partie qui est le milieu porcin, le milieu de cochons, selon Pasolini qui est le milieu réel de la société.

Ce n’est pas du naturalisme pourquoi ? parce qu’un naturaliste, je ne dis pas que ce soit moins bien que du naturalisme, c’est un autre procédé ; enfin, c’est un procédé très poétique propre à Pasolini, mais enfin peu importe, on trouvera en littérature l’équivalent, mais ce n’est pas du naturalisme, un naturaliste ne procéderait jamais comme ça. Pour lui le monde originaire n’est jamais que, au fond du milieu réel ; de même que le milieu réel n’est jamais que dérivé du monde originaire. Et ça se comprend, pourquoi ? Parce que le peu que j’ai dit permet de dire en quoi consiste le monde originaire du point de vue de notre classification. Le monde originaire c’est le monde des pulsions brutes.

Donc, rappelez-vous, je ne peux pas plus les assigner à l’homme qu’à l’animal. Elles ne renvoient pas à des sujets formés. C’est pas des actions, ça ce serait l’image -action, c’est des actes ; c’est des dynamismes ; c’est des énergies pures ; c’est ça des pulsions. Donc le monde originaire, il est fait de quoi ? De pulsions et de morceaux. Pulsions et morceaux. En effet, quel est le corrélat de la pulsion ? On peut appeler pulsion, toute énergie en tant qu’elle s’empare d’un morceau. La pulsion n’a pas d’objet ; ou du moins, l’objet de la pulsion, c’est le morceau. Par morceau, j’entends quoi ? Un bout arraché de quelque chose. La pulsion n’a pas de quelque chose ; elle ne peut se définir que comme le dynamisme qui s’empare d’un morceau. Donc non seulement elle ne renvoie pas à un sujet formé, c’est vraiment d’un terrible que le cinéma de la terreur soit en grande partie naturaliste ; pas tous, pas tous, parce qu’il y a un cinéma de la terreur au niveau de l’image -affection . Mais il y aurait une autre forme du cinéma de la terreur au niveau de l’image- pulsion ; seulement, c’est très très difficile l’image- pulsion. Il faut du génie, il faut du génie ; et puis, il n’y en a pas eu beaucoup, mais je pense que dans le cinéma de la terreur il y en a ; par exemple, un italien Babam, ça c’est du bon cinéma l’image- pulsion.

Mais enfin, pulsion morceau, mais alors vous comprenez tout de suite pourquoi c’est inséparable ; si le monde originaire c’est le monde des pulsions et des morceaux, vous voyez tout de suite pourquoi il n’est pas séparable des milieux réels. Et pourquoi qu’il n’est pas séparable des milieux réels ? Parce que s’il est vrai que ce monde naturaliste se définit par le couple pulsions- morceaux, il n’en reste pas moins que les morceaux d’où voulez-vous qu’ils viennent ? sinon des objets d’un milieu réel ; les morceaux sont arrachés à ce qui dans le milieu réel se présentait comme objet complet ; tout comme les pulsions sont induites des comportements ; elles ne sont jamais saisies directement, ou le sont-elles ?

Enfin d’une part elles ne sont pas saisies directement, parce que elles sont nécessairement induites des comportements. C’est en fonction du couple dans le milieu réel comportement- objet que je vais avoir cette espèce de superposition ou de supposition, puisque c’est en dessous, ou bien ça peut être au- dessus, on va voir ; mais enfin de supposition ou de superposition du monde originaire qui lui se définit par des pulsions et des objets ; pulsions extraites des comportements réels : morceaux arrachés aux objets du réel. Et ça fait un de ces mondes, ça fait un de ces mondes.

Quand Zola dit, vous savez, moi mon procédé c’est noircir. Alors évidement ça a un sens moral. La vie n’est pas gaie, la vie est triste, tout ça c’est déguelasse bon, d’accord ; mais ça un sens pictural dans les phrases de Zola. Il ne s’en cache pas d’ailleurs. Noircir c’est épaissir les traits. Il s’agit d’épaissir les traits du monde réel jusqu’à dégager leurs lignes de convergence dans un au-delà ou dans un fond du monde réel, du milieu réel, fond au-delà qui est le monde originaire. Et alors à ce moment là, si vous m’avez compris, il n’est pas question de dire : le monde originaire a existé ; ce n’est pas un monde archaïque, ou c’est tout ce que vous voulez. C’est un monde archaïque, c’est aussi un monde futuriste, et c’est enfin un monde contemporain. Il ne cesse pas de nous accompagner.

Losey, et l’année dernière je n’en ai pas parlé, donc ça tombe bien parce que je n’y pensais pas, et je dirai pourquoi là je l’invoque, et Losey dit à propos de son Don Giovanni, il le met sous l’exergue d’une phrase de Gramsci qui est très belle ; et Losey dit dans Don Giovanni j’ai voulu montrer ça, entre autres, pas seulement. La phrase de Gramsci c’est : "lorsque l’on est entre un monde qui n’en finit pas de mourir et un autre monde qui n’arrive pas à naître, alors se développent toutes sortes de symptômes morbides". Forme, traduisons ensemble, sans changer la phrase de Gramsci, traduisons pour la mettre dans notre classification ; lorsque nous sommes entre deux milieux : un milieu qui n’arrive pas à en finir, qui n’en finit pas, le vieux milieu qui n’en finit pas et le nouveau milieu qui n’arrive pas encore à naître, alors surgit le monde originaire. Le monde originaire, c’est quoi, c’est le symptôme morbide ; c’est quoi ? C’est cette espèce de rapport terrible à des pulsions et de leurs morceaux. Vous voyez, c’est inséparable des milieux réels.

Donc je peux dire, voilà ce qui confirme que j’ai laissé une case pour ça : le monde originaire ne se confond ni avec l’espace quelconque ni avec le milieu réel. C’est tout à fait autre chose qu’un espace quelconque puisque c’est le fond d’un milieu réel, ce qui n’était pas du tout le cas des espaces quelconques ; et ce n’est pas un milieu réel puisque c’est ce vers quoi les milieux réels se déparent dans certaines conditions qui sont les conditions de la pulsion et de ses morceaux. Ce serait au moins une définition stricte du naturalisme dans sa différence, dans sa différence radicale avec le réalisme. Si bien que je dirai là « alors il me faudrait un autre, heu...pour garder la main, c’est parfait », je dirai si on en reste à ce problème du naturalisme, très vite, je dirai le naturalisme il joue sur quatre coordonnées, quatre coordonnées : pulsion-morceau, monde originaire, comportement- objet, milieu dérivé réel et il assure la circulation entre pulsion et morceau circulation immédiate puisque la pulsion c’est la griffe qui s’empare d’un morceau. Pulsion-comportement, communication immédiate puisque les pulsions brutes sont extraites du comportement. Morceau -objet, circulation immédiate puisque les morceaux sont arrachés aux objets .Et tout ça, c’est un circuit qui est le circuit naturaliste.

Bon, comment expliquer ça ? Là il va se passer des drôles de choses parce que quel est le rapport entre monde originaire et milieu dérivé ? Tout se passe dans le milieu dérivé. Le monde originaire n’a pas d’indépendance. Pourquoi ? Encore une fois, parce que il n’y a pas des morceaux tout faits ni des pulsions toutes faites. Ce n’est pas des idées Platoniciennes, ce n’est pas des trucs de l’éternel. Le monde originaire ne vaut que par la manière dont il travaille dans le monde dérivé, mais justement il le fera regretter au monde dérivé. Car, comment il travaille dans le monde dérivé ? Je dirai il lui impose une ligne, l’année dernière j’avais appelé ça la ligne de la plus grande pente, il l’épuise. Le monde originaire épuise le monde réel dérivé.

Une fois que le milieu est épuisé, il passe à un autre milieu. La pulsion, la pulsion est exhaustive, la pulsion est une chose terrible, elle traverse le milieu, elle arrache partout des morceaux, tous les morceaux qu’elle peut ; et quand le milieu est épuisé, elle passe à un autre milieu.

Bon, alors c’est un monde de terreur ; oui c’est inhumain ; et puis c’est la pente ; du coup, sous la pression du monde originaire, le milieu est dérivé et jeté sur une pente suivant laquelle il va s’épuiser et après le monde originaire devra s’emparer d’un autre milieu.

Bon simplement, qu’est-ce que ce sera ? Je prends un exemple parce que l’année dernière justement c’est celui, j’allais le dire, vous comprenez ça, il y a deux grands naturalistes dans le cinéma, c’est Stroheim et Buñuel , et en effet le monde originaire encore une fois il est passé par un dérivé ; alors ça peut- être quoi ? Le monde originaire ça peut être un marais, mais ça peut être également un palais. La différence en elle-même n’est pas pertinente : ça peut être un étrange palais, ça peut être un marais, ça peut être une forêt vierge, mais ça peut être une forêt vierge tellement artificielle, une forêt vierge de studio, ça peut être un salon.

"L’Ange exterminateur » de Buñuel qui est typiquement un film du monde originaire, milieu dérivé et la manière dont le monde originaire va épuiser le milieu dérivé ; ou bien il y a un film moins connu, peut être pas de certaines d’entre vous, « Susanna »de Buñuel où une fille a épuisé la fille originaire, va épuiser tout un milieu, tout le milieu d’une famille, à savoir tout le monde y passe ; la mère, le père, le fils, le domestique, elle épuise tout. Ce que d’une certaine manière et dans un autre contexte Pasolini l’a fait aussi avec "Théorème" ; et lui justement ce n’était pas du naturalisme ; parce que lui a fait une grosse astuce, il a fait quelque chose de merveilleux à mon avis, tout est merveilleux là dedans, mais en quoi il n’est pas naturaliste ? C’est que chez Buñuel l’épuisement d’un milieu est vraiment un épuisement physique, plus rien ne poussera ; est ce que Pasolini avec sa coquetterie diabolique, il a voulu être mathématicien ?

Si bien que épuisement du milieu par « l’envoyé spécial », c’est un épuisement mathématique au sens où un mathématicien dit : « ma démonstration a épuisé l’ensemble des cas possibles » c’est un épuisement logicomathématique, et pas physique, d’où il appellera ce film : « Théorème ». Ce que Buñuel n’aurait jamais pu faire. Mais enfin, vous voyez tout ce jeu à l’air joli. Je n’avais pas pensé l’année dernière à parler de Losey. Je suis tombé sur un texte et je me suis dit c’est évident. Si vous voyez un peux ce que fait Losey, moi je trouve ça ... plus j’y pense plus je trouve ça sublime. J’ai trouvé déjà son dernier film la « Truite », j’ai trouvé ça ... mais, il n’a pas eu de succès alors, c’est qu’il arrive à un mauvais moment ; ça varie, mais c’est fantastique. C’est le troisième grand nom du naturalisme ; il y en a trois très très grands au niveau du cinéma ; dans la littérature il n’y en pas beaucoup par rapport au cinéma.

Losey, c’est le troisième avec Stroheim et Buñuel ; seulement ce qu’il dit lui-même sur un très beau film de Losey, les Damnés, il dit qu’est-ce qui m’a intéressé dans les Damnés ? Il dit, eh bien voilà, il n’en tire pas de conséquence, il ne fait pas de théorie, il donne juste le schéma dans une interview. Il dit, ce qui m’a intéressé c’est d’abord les Palais de Portland. Les palais de Portland qui sont des paysages sublimes avec des ponts mystères et des oiseaux, et des hélicoptères. Tout ça là haut ; et puis ça descend et en bas il y a ce qu’il appelle lui-même une minable petite station victorienne, une minable petite station balnéaire victorienne.

Bon vous reconnaissez absolument les coordonnées naturalistes. Pour ceux qui ont vu "les Damné"s cela parait un drôle de truc, une espèce de fou qui veut sélectionner et éduquer les enfants radioactifs, c’est dire que le monde originaire, c’est pas de l’archaïque ; c’est un archéo-futurisme ; il y a de l’archaïque et du futurisme, il y a de la mutation ; c’est lorsque l’ancien monde n’est pas encore mort et que le nouveau n’est pas encore né ; il y a ces enfants mutants, l’enfant radioactif ; ils sont prisonniers, élevés démocratiquement pourtant, sur la falaise par cette espèce de fou qu’ils travaillent en liaison avec les camps militaires, il y a des hélicoptères et la falaise est garnie de grands oiseaux, plus sur la falaise une femme, car chez Losey le salut vient toujours par les femmes, il n’y a que les femmes qui ne sont pas pour l’instant seul jeu des pulsions. Elles le montrent d’ailleurs c’est pour ça que le salut vient d’elles, force Losey pour des raisons qui sont les siennes. Le jeu des pulsions pour Losey c’est en gros le jeu homosexuel mâle.

Ah non non ! Il faut bien attendre le salut de quelque chose. Buñuel, Stroheim attendent aussi le salut de quelque chose c’est des auteurs qui posent la question du salut, les naturalistes forcément puisqu’ils ont fait un monde tellement ... la moindre des choses c’est qu’ils répondent aux lecteurs qui dit « on est foutu » ; non on n’est pas foutu, on n’a pas beaucoup de chances de sortir, le naturaliste est quelqu’un pour qui il n’y a pas beaucoup de chances, mais il y a des chances. 

Alors Losey lui, sa réponse, ce n’est pas la même que celle de Buñuel, ce n’est pas la même que celle de Stroheim il est du côté des femmes ; eh bien en effet sur la falaise mais là on ne se trouve pas mal, il y a la femme en tant que créatrice ; c’est la femme sculpteur qui ajoute sur la falaise ces sculptures, ces sculptures très inquiétantes de vie et de mort. L’oiseau à tête d’épingle et aux ailes relooquées. Ça vous fait un sacré ensemble ; ils appellent ça le monde originaire. On voit une minable station victorienne et vous remarquerez que dans tous les filmes de Losey il y a la maison victorienne.

Et qu’est-ce qui est important dans la maison victorienne selon Losey ?il le dit mille fois : l’escalier, c’est l’escalier qui constitue la ligne de plus grande pente. Voilà,alors, le monde originaire, il ne vit que de pulsions brutesetde morceaux. Par exemple, les enfants on va plutôt les lui enlever du milieu dérivé d’en bas.

En bas qu’est-ce qu’il y a ? En bas il y a le milieu dérivé réel, la petite station balnéaire et des comportements ; à savoir, le bas est tenu par un gang à motocyclettes. Tout est en échos. Les guidons et les motocyclettes renvoient aux oiseaux d’en haut. Le chef de gang est copain du fou de la sœur des enfants radioactifs ; si bien que chaque plan pour des spectateurs, l’est tantôt des mots, tantôt des concepts, tantôt des images. Mais vous comprenez les pulsions, quand on dit les pulsions on se dit d’accord les pulsions bon, et puis j’ajoute les pulsion c’est le rapport avec des morceaux, c’est des énergies qui s’emparent de morceaux ; d’accord mais enfin on aimerait bien savoir quels morceaux, quelles pulsions .

Et pour toute la théorie des pulsions, que je trouve très intéressante, on doit faire une liste des pulsions, une classification des pulsions. Et bien d’une certaine manière, non il n’y a pas lieu ; d’une autre manière, il y a lieu. Mais il faut s’attendre à trouver des pulsions bizarres. Car lorsque l’on réclame d’habitude une liste de pulsions originaires, on réclame quoi ? On réclame quelque chose qui serait comme commun à l’homme et à l’animal et qui serait simple. Alors ce qu’on a avant tout c’est la faim, pulsion-conservation de soi et la sexualité ; la faim et la sexualité.

Remarquez, ça va déjà loin. Pas mal. Beaucoup. C’est pas mal parce que ça c’est du bon rapport pulsions- morceaux. La faim et la manière dont elle déchire les morceaux, dont elle déchire un objet. On sait que parmi les naturalistes du cinéma, là c’est Buñuel. La pulsion de la faim, c’est Buñuel. L’arrachement des morceaux par et sous la pulsion de la faim, la vierge au quartier de viande, dont toute la série des images saintes de Buñuel, la vierge au quartier de viande qui est le Missel, et le gosse qui s’approche pour mordre dans le quartier de viande crue, ça c’est une forte image, une forte image des pulsions.

La sexualité là j’en parle pas parce que là c’est du tout fait pour un pro, sexualité évidemment, pulsion-morceau, parfait, qu’est-ce qu’on demande pour avoir un morceau ? une paire de chaussures,Buñuel, Stroheim., pulsion sexuelle, tout ça, on ne demande jamais tout, parce qu’on n’a rien à en faire ; tout, ce n’est pas tout un objet, tout un être, ce n’est pas une pulsion ; on demande une mèche de cheveux, on demande un pied, une chaussure, quelque chose quoi, c’est la pulsion brute ; Bon.
-  Oui ?

Question de l’assistance : - Il y a une scène où Brigitte Bardot demande : « est- ce que tu aimes par exemple mes seins, mes épaules » etc...., et puis il dit « oui, oui... »Et puis à la fin elle lui dit « alors tu aimes tout ? »

-Réponse de Deleuze : oui en effet, mais le film n’a rien à voir en effet avec un film naturaliste. Mais, ça, c’est qu’il y a de l’amour, on peut dire ça, ce n’est pas propre au naturalisme, dès qu’il y de l’amour, il y a élection d’un morceau.

Question : - Qui te dit que dans par exemple « Journal d’une femme de chambre » de Buñuel, qui te dit qu’on peut dire que c’est un monde de pulsions ? C’est le personnage par exemple du père dans « Journal d’une femme de chambre »plus que une pulsion brute, soi- disant brute, c’est plutôt un émoi de désirs pour un objet fétiche, est-il possible ? Et puis la glace, tant justement cette casse c’est le rapport émoi- désirs -fétichisme- glace, glaciation perverse et non pas pulsion brute. Dans la plupart des films de Buñuel, c’est beaucoup moins un monde de pulsions, par exemple surtout après le « Journal d’une femme de chambre » qu’un monde de clochettes et de fantasmes, « Belle de jour », où sont les pulsions brutes là dedans ?

-Réponse : « Belle de jour » je ne le citerai pas dans la période naturaliste de Buñuel. Ecoute, j’ai peur que tu n’aies pas très bien suivi, j’ai peur que tu ne tiennes pas compte de ce que j’ai dit, de ce que j’ai essayé de dire sur le rapport pulsions brutes, comportement organisé. Encore une fois pour moi, les pulsions brutes ne sont jamais abstraites ni séparables de comportements qualifiés dans les milieux réels. Alors si tu tiens compte de ça, je ne sais pas si ta remarque vaut, je n’ai jamais dit, toi tu me fais assez dire chez ces auteurs naturalistes, il y aurait des pulsions brutes valant pour elles-mêmes ; je n’ai jamais dit ça.

-Et lorsque tu me dis « fétiche », moi j’allais en venir là parce que tu précèdes, mais c’est des choses qui vont déjà de soi. Qu’est-ce que j’appelle un morceau ? C’est exactement ce que tu appelles un fétiche. Il va de soi qu’un morceau il n’existe pas indépendamment de ce à quoi il est arraché où de ce à quoi il est supposé faire partie. Quant à la question du fantasme, là je n’introduis pas du tout parce que là je serai peut-être comme toi, je dirai absolument : le fantasme, à supposer que ça existe cette chose là, ça fait partie d’un tout autre type d’images ; ça ne fait pas partie de cette classe là. Alors si tu me dis, ça intervient quand même déjà là, j’en conviens que ça c’est une règle depuis notre début. Il y a des images- actions déjà dans les images- perception etc....

Question de l’assistance : - Moi je voudrai faire une intervention parce que le mot fétiche n’est absolument pas ce qui ce passe. Il est pris comme ça comme si ça allait de soi. Derrière le fétichisme il y a toute une théorie de castrations qui veut dire que quand on désire un fétiche c’est un faux désir, c’est un désir négatif, c’est un désir pervers, moi je ne suis absolument pas sûr que désirer, ce qui se passe dans Buñuel, désirer une chaussure ça puisse être compris dans la sphère du fétichisme, c’est-à-dire du désir qui vaut pour un autre désir.

- Réponse de G. D : Ou alors on serait d’accord en disant nous n’avons plus de raison, là c’est à votre choix, ceux qui y tiennent, ce sera tout à fait comme toi, quand j’emploie, moi je préfère employer le mot fétiche mais débarrassé de toute connotation Freudienne pour la simple raison et j’ai parfaitement le droit puisque ce n’est pas Freud qui invente le mot qui lui prés existe, Freud est une interprétation particulièrement originale et intéressante du fétiche, mais la notion de fétiche a un plein sens tout à fait indépendamment de la psychanalyse. Donc c’est dans ce sens que pour mon compte je l’emploierai. Mais ceux parmi vous qui voudraient y mettre quelque chose de psychanalytique, moi je trouve ça très bien, vous le faites si ça vous convient.

Alors je dis quand même, comprenez, oui ce que j’entends par, j’essaie de dire mieux, une pulsion brute, je reviens à mon histoire Losey, encore une fois ce n’est évidemment pas une pulsion qui serait comme une sorte de pulsion animale, qui serait séparée des milieux qualifiés ; elle est toujours extraite ; mais à quoi vous la reconnaissez ? Il arrive que vous la saisissiez, alors exactement tout comme vous pouvez saisir,il y a des moments privilégiés, vous saisissez le monde originaire qui pointe mais comme dans une brume entre le monde qui n’en finit pas de mourir et le milieu futur qui n’en finit pas d’arriver. Et là, par moment, comme dans un court moment vous avez l’impressions d’un terrible monde originaire où vous dites : c’est ça notre futur.

De la même manière, il y a certaines personnes qui vous donnent l’impression de pulsions brutes. Et je ne veux pas dire parce qu’ils sont animaux, c’est très intelligent en plus, c’est une intelligence implacable, forcément, elle ne cesse de choisir ce morceau, et de prévision du morceau dont elle va s’emparer. La pulsion, elle explore le milieu dérivé en se disant : quel morceau je vais prendre ? Si ce n’ai pas celui-ci ce sera celui-là. Le film « le Vampire », ça a été un tournant du film le Vampire, quand le vampire a cessé d’être dans un rapport de vocation affective avec la victime. C’était la première tradition du film le Vampire. Et quand c’est décidé, une image plus moderne du vampire, alors une image que j’appellerai naturaliste, à savoir, il arrive dans le milieu, bien sûr, il choisit un morceau, par nature le plus exquis, mais si celui-la se dérobe, aucune importance, si celui-là se dérobe ce sera un autre. Si ce n’est pas cette femme là, particulièrement désirable pour un vampire, bien, il prendra la voisine. Là c’est la seconde grande période du film le Vampire...

La pulsion choisit, mais elle s’en fout finalement. Chez Stroheim il faut de toute manière que le milieu soit épuisé, chez Stroheim, bon, il s’agit d’épuiser la pulsion ; par exemple dans « Folie de femme », ce sera la femme du monde, d’accord, d’accord mais c’est aussi la preuve, il faut que la bonne y passe .Et puis, c’est pareil, c’est pas pareil, mais il faut que la pulsion aille jusqu’au bout. Ça aussi vous trouverez ça, vous trouverez des équivalents chez Sade, et puis ce sera la fin....d’un film. Il faut vraiment passer par tous les degrés du milieu, tous les niveaux du milieu, il faut faire une exploration, il faut que la pulsion du monde originaire explore de fond en comble le milieu et le laisse épuisé. Alors il dit à quoi vous reconnaissez les pulsions brutes ? Bien là je reviens à Losey parce que ça m’a frappé, je ne sais plus si j’en avais parlé cette année, la manière dont les acteurs, là j’aurai pas le temps cette année, mais l’année dernière je ne l’avais pas non plus, c’aurait été faire vraiment une classification des types d’acteurs en fonction de tout ça, pour chacun il y a des types d’acteurs, pour chaque case.

Mais chez Losey, il y a quelque chose qui m’apparaît assez louche, même chez Stroheim ou Buñuel, il n’y a pas ça. C’est ce que j’arrive à appeler, ce n’est même pas une violence intériorisée, la violence de l’image- action elle est très grande et c’est une violence toujours en voie d’extériorisation. Il n’y a plus du point de vue des acteurs la méthode pour produire cette violence en voie d’extériorisation, c’est l’actor-studio. L’actor-studio c’est la transplantation de l’acteur qui n’arrête pas d’être en voie d’extériorisation de la réaction violente. C’est pour ça qu’à certains égards ils sont tellement pénibles quand ils ne sont pas de très grands acteurs. Ils n’arrêtent pas de bouger, ils n’arrêtent pas de tiquer que ça va barder, tout ça, que ça va éclater. Mais l’acteur naturaliste ce n’est pas ça, je dirai ce n’est même pas une violence intérieure ; c’est, je trouve comme mot : violence statique ; Ils ont en eux cette violence, et là je crois qu’ils ne peuvent pas l’acquérir. C’est à une race d’hommes...

C’est assez rare que ce qui frappe d’étudier en eux, comme on parle d’une électricité statique, vous savez Quand on parle d’une électricité statique, il y a des gens, des femmes et des hommes qui ont en eux une violence statique. Si bien qu’ils entrent dans une pièce, ils s’assoient, ils ne font rien, et on a le sentiment d’une violence, comme s’il y a un comprimé de violence qui était là. C’est bizarre ; alors ça c’est des acteurs de Losey la violence statique. C’est très très curieux, je n’arrive pas à le dire mieux que ça. C’est donc l’opposé d’une violence -action.

Je ne vois que deux équivalents dans les arts, de ce que Losey a su faire là, grâce, et c’est par là qu’il y avait une espèce d’affinités entre acteurs ; pour ceux qui connaissent, un acteur comme Stanley Becker, c’est le type de l’acteur Losey, et que si vous voyez, pour ceux qui voient la tête et l’attitude et la manière dont se tient ce type, c’est un comprimé de violence statique. Il n’a pas besoin de taper, il est là, il entre on sent, on ne sent pas le génie, ils sont charmants, c’est des hommes extrêmement charmants, mais est-ce qu’ils font peur ? Enfin on n’est pas rassuré. Je disais un des mérites de Delon, ce n’est pas par hasard que lorsque Delon est pris par un grand metteur en scène, quand Losey l’a fait jouer, il a acquis, il me semble que Delon a aussi un peu ça, quand il ne se laisse pas aller à ses...quand il est pris par un grand metteur en scène, par exemple quand il joue pour Losey, là c’est bien un comprimé de violence statique. Bon, mais enfin, je veux dire, qu’est-ce que, c’est donc une violence très différente de la violence- action.

Maintenant j’en viens à mon histoire de pulsions, je dis pulsions sexuelles, pulsions d’alimentation etc.... c’est bien, c’est très utile, c’est vrai tout ça, avec tout ce que vous voulez sur les complications de la pulsion sexuelle, il y aura bien le choix, entendu d’une manière freudienne ou pas freudienne, mais qu’est-ce qu’il y a encore ? moi ce qui m’intéresse chez ces types là et le rapport à la philosophie, c’est que ils vous découvrent des pulsions qui sont bien, qui sont très bien, que c’est, encore une fois, c’est en dehors de la dualité homme- animal. Je prends le cas, qu’est-ce qu’il y a chez Buñuel ? Il y a beaucoup de pulsions, mais il y en a une qui est son affaire à lui. Je veux dire il la diagnostique. Je dis les naturalistes, c’est des médecins ; je pense au mot de Nietzsche « le philosophe doit être médecin de la civilisation » ; et bien c’est le naturaliste qui est médecin de la civilisation. Les naturalistes c’est les grands médecins de la civilisation. Alors ils vont diagnostiquer les pulsions à travers et dans le milieu réel. Et si je prends Buñuel, il y a, je ne crois pas que ce soit la seule ni la dernière, il y a une pulsion qui le fasse vibrer. Il voit le monde comme ça, il voit les milieux réels comme ça. C’est pire, pour lui c’est pire que des gens violents ; il y a pire que la violence ; il y a pire que le mal ; il y a quoi ? Il y a le parasitisme. Le monde est réellement, heu..., le monde originaire qui n’a pas seulement des pulsions femmes et des pulsions sexuelles, mais il ne les affirme qu’a travers une pulsion des pulsions qui suivant Buñuel serait la pulsion du parasitisme. Plus qu’une bête de proie, ce que le monde originaire m’appellerait être, c’est un parasite et on les deux à la fois. Pour Buñuel, on est fondamentalement les deux à la fois. Bête de proie et parasite. Alors c’est un très drôle de monde. Mais pourquoi ? Parce que c’est sa manière de dire, moi vous savez entre les hommes de bien et les hommes de pauvres, non seulement entre les riches et les pauvres, dans le milieu dérivé, entre les riches et les pauvres bien sûr il y a une grande différence ; et puis entre les hommes de bien, là c’était encore du Stroheim, riche /pauvre c’est une catégorie aussi commune à Buñuel et Stroheim.

Buñuel y ajoute une autre catégorie, il n’y a pas seulement riche/ pauvre, il y a homme de bien, homme de mal ; Saint homme et homme démoniaque. Et bien, ça revient au même. Des parasites ; tous des parasites. En quel sens ? Ils restent collés à leurs morceaux, chacun à ses morceaux. Morceaux du diable ou saints morceaux, à savoir reliques. Mauvais morceaux ou bons morceaux ; ils restent collés à leurs morceaux, c’est des parasites. Et l’homme devient, voir Mazarin, une voix diabolique dit au saint homme Mazarin : « tu es aussi inutile que moi, toi le saint homme et moi le diable ». En nous on est les parasites, on accroche des petits -morceaux, c’est ça, c’est la pulsion- parasitisme, c’est ça qui nous mène. Est-ce qu’il y aura un salut ? Et le pauvre, c’est un parasite autant que le riche. Evidemment ce n’est pas une vision très gaie. Chacun prend les morceaux qu’il peut et épuise le milieu. Là c’est bizarre cette vision. Encore une fois je réduis beaucoup parce que le salut, on se dit mais comment sortir de ça quoi ? Et finalement la sexualité et la faim ne seront que deux cas de parasitisme.

Se nourrir c’est être le parasite de quelqu’un ou de quelque chose ; la vache est le parasite de l’herbe, le lion est le parasite de l’antilope, le pauvre est le parasite du milieu, du morceau de viande crue qu’il vient de trouver quelque part ou qu’il vient de voler quelque part, le riche est le parasite du chocolat qu’il est en train de choisir dans une boite etc...., tout ça, bon d’accord. Voilà, voilà une belle pulsion et ça ne veut pas dire qu’elle soit naturelle puisque où on en est elle est originaire au sens que je viens de dire.

Alors si vous voulez sentir et apprécier l’espèce de différence entre deux auteurs, Losey lui, il a son idée et c’est par là qu’il ne doit rien à personne et que lui, et ce n’est pas loin pourtant de l’idée de Buñuel, et c’est tout à fait autre chose, et c’est un tout autre style ; et il le dit formellement, mais ça vaut pour toute son œuvre, il l’a dit formellement quand il faisait des interviews sur « The servant » où là aussi il nous a fait pleinement le schéma naturaliste. Monde originaire et pulsions, milieu dérivé qui est toujours la maison victorienne, l’escalier etc.... Et puis la grande circulation et qu’il a amené manifestement dans un jeu homosexuel mâle avec les femmes comme victimes. Losey il a une très curieuse idée, c’est que la pulsion de fond, encore plus profond que la faim et que la sexualité de la voix. Comme dirait l’autre il avait le parasitisme, la pulsion du parasitisme.

Pour Losey, c’est autre chose, c’est la pulsion de servilité. C’est la pulsion de servilité. Il l’explique très bien, il dit : si on n’a pas compris « The servant » c’est qu’on a cru que c’était l’affaire entre un domestique et un maître, et que c’était la fascination que le domestique exerce sur le maître. Il dit, dans mon esprit c’est pas ça, c’est pas ça. Dans mon esprit ce dont il s’agit c’est de montrer que le domestique est seulement une occasion ; c’est pas parce qu’il est domestique ; parce que, ce que il diagnostique, ce que Losey prétend diagnostiquer dans tous les milieux, c’est une pulsion de servilité. Et il dit, et bien sûr, le domestique est servile avec le maître. Mais il y a une étrange servilité du maître ; servilité par rapport au domestique. Et en effet si vous pensez à la manière, ce sera un bon thème aussi pour Buñuel, si vous pensez à la manière dont les bourgeois se conduisent avec leurs domestiques, il y a une étonnante servilité du maître par rapport au domestique, c’est prodigieux. Bien, bon c’est ça. Et puis servilité de l’amant par rapport à l’aimée ; et puis servilité de l’aimée, et puis servilité, servilité, servilité du patron, servilité enfin servilité partout.

Pulsions de servilité qui entraînent tous les milieux. Il dit ce que j’appelle servilité, ce n’est pas une situation, c’est l’esprit d’un milieu ; et il dit aujourd’hui ben, c’est le monde de la servilité ; c’est son affaire ; en tant que grand médecin de la civilisation, il y avait Buñuel qui diagnostiquait sa pulsion de parasitisme. Losey, ce n’est pas du tout, c’est pas la même chose, c’est un autre monde, il diagnostique sa pulsion de servilité. Alors tout ça devient très intéressant à ce niveau, parce que en effet on voit bien que à ce niveau, c’est créer ; moi j’appelle création, et par là c’est trop évident que dans le cinéma il y a autant de créations. Je vois l’équivalent à la violence statique dont je parlais tout à l’heure, je dis je vois des équivalents dans les autres arts. Bon, en littérature, rendre compte d’une violence statique une violence en actions, j’ai l’air de dire c’est facile, une violence en actions, telle qu’on la trouvera dans l’image- action, c’est pas facile non plus mais c’est autre chose. Une violence statique à mon avis, c’est les grands moments de réussite, surtout qu’il ne faut pas que ça dure longtemps. En effet ça doit surgir entre, ça doit être vu comme... au point qu’on se dit : « est-ce que j’ai bien vu » ? Je vois un cas en peinture, mais il y en a plusieurs, c’est Bacon ; chez Bacon, les personnages de Bacon, ils sont assis, il sont immobiles, rien n’arrive, rien ne se passe, c’est des comprimés de violence statique.

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