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10- 17/02/81 - 1

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DELEUZE - SPINOZA - 17/02/81 - 1 transcription : Marielle Burkhalter

ceux qui entendront rien, vous partez parce que c’est pas ... comme je suis très malade j’ai pas grand chose à dire, voilà ...

-  La dernière fois dans notre effort pour analyser les différentes dimensions de l’individualité, j’avais essayé de développer ce thème précisément de la présence de l’infini dans la philosophie du 17ème siècle, et comment, sous quelle forme se présentait cet infini. C’est un thème très flou, si vous voulez et il me semble que ça vaut vraiment pour la nature de cette pensée au 17ème siècle et je voudrais là presque en tirer des thèmes, des thèmes relativement flous toujours concernant cette conception de l’individu, presque essayer d’ajouter des remarques concrètes pour vous faire sentir cette espèce de conception infinitiste de l’individu. Particulièrement dans le cas de Spinoza, et là peut être justement et c’est ce qui m’intéresse aujourd’hui que Spinoza donne une expression parfaite et comme poussée jusqu’au bout de thèmes épars chez d’autres auteurs du 17ème siècle. Dans toutes ses dimensions, l’individu tel que le présente Spinoza, j’aurai envie de dire trois choses.

-  D’une part, il est rapport, d’autre part, il est puissance, et enfin il est dés lors, mode. Mais un mode très particulier. Un mode qu’on pourrait appeler mode intrinsèque," mode intrinsèque". Et au moins au début d’aujourd’hui, c’est ce que je voudrais expliquer : ces trois thèmes : l’individu, pour fixer des mots en latin parce que c’est des termes qui réapparaissent beaucoup dans les philosophies du Moyen âge, de la Rennaissance, je dirai que l’individu en tant que rapport nous renvoie à tout un plan qui peut être désigné sous le nom de la composition (compositio). Comme si dès lors, tout l’individu étant rapport, il y avait une composition des individus entre eux, et l’individuation n’était pas séparable de ce mouvement de la composition.

-  Deuxième point, il est est puissance (potentiae). Ce serait le second grand concept de l’individualité. Non plus la compositio qui renvoie aux rapports, mais la potentiae. Le troisième étant potentiae, il est quelquechose de très spécial qui recevra le nom en effet chez quelques philosophes du moyen age, qui avait reçu le nom de mode intrinsèque. modus intrinsecus Le modus intrinsecus vous le retrouvez très souvent au moyen âge, dans certaines traditions, sous le nom de gradus. C’est le degré. Le mode intrinsèque ou le degré.
-  C’est donc chacun de ces trois domaines : rapport et composition de rapports, puissance, degré ou mode intrinsèque que je voudrais un peu essayer de définir le plus possible.

-  Je dis d’abord : Voyez bien qu’il y a quelque chose de commun à ces trois thèmes : c’est par là et c’est sous ces trois termes à la fois que l’individu n’est pas substance. S’il est rapport il n’est pas substance parce que la substance concerne un terme et non pas un rapport. La substance elle est comme ils disent au moyen age, le latin est trés commode là : elle est terminus, elle est un terme. S’il est puissance il n’est pas substance non plus parce que ce qui est substance fondamentalement c’est la forme. C’est la forme qui est dite substantielle. Et enfin, s’il est degré il n’est pas substance non plus. pourquoi ? car tout degré renvoie à une qualité qu’elle gradue, tout degré est degré d’une qualité. Or, ce qui détermine une substance c’est une qualité, mais le degré d’une qualité n’est pas substance.

-  Vous voyez que tout ça tourne autour de la même intuition de l’individu comme n’étant pas substance. Je commence par le premier caractère. L’individu est rapport. C’est peut-être une des premières fois, il me semble, dans l’histoire de l’individu que va se dessiner une tentative pour penser le rapport à l’état pur. Mais qu’est-ce que ça veut dire penser le rapport à l’état pur ? Est-il possible, d’une certaine manière, de penser le rapport indépendamment de ses termes ? le rapport à l’état pur serait indépendant de ses termes. Qu’est-ce que ça veut dire un rapport indépendant de ses termes ? Il y avait déjà eu une tentative assez forte chez un grand philosophe de la Renaissance dont on a un peu parlé pour évoquer son nom : à savoir chez Nicolas de Cuses. Dans beaucoup de ses textes que je trouve vraiment très beaux, il y a eu une idée qui tellement sera reprise ensuite. Il me semble que c’est chez lui qu’elle apparaît fondamentalement, à savoir que tout rapport est mesure, seulement que toute mesure, c’est à dire tout rapport plonge dans l’infini. Il s’occupait , le Cardinal de Cuzes il s’occupait beaucoup de la mesure des poids, de la pesée, il a des pages très bizarres en tant que la mesure relative de deux poids renvoie à une mesure absolue, et que la mesure absolue, elle, met toujours en jeu l’infini. C’est le thème qu’il y a une immanence du rapport pur et de l’infini. On entend par rapport pur le rapport séparé de ses termes. Donc c’est pour cela que c’est tellement difficile de penser le rapport indépendamment de ses termes. Ce n’est pas parce que c’est impossible, mais parce que ça met en jeu une immanence mutuelle de l’infini et du rapport.

-  Ou’est ce ça veut dire ça ? comme si à ce moment là on pouvait définir l’intellect, comme la faculté de poser des rapports. Précisément dans l’activité dite intellectuelle il y a une espèce d’infini qui est impliqué. C’est au niveau du rapport que se ferait l’implication de l’infini par l’activité intellectuelle. Qu’est-ce que ça veut dire ça ? Sans doute est ce qu’il faut attendre le 17ème siècle pour trouver un premier statut, je ne dis pas que l’on s’en tiendra là, mais un premier statut du rapport indépendant de ses termes. Car ce que beaucoup de philosophes cherchaient dès la Renaissance, y compris avec les moyens mathématiques dont ils disposaient, ça va être porté à une première perfection au 17ème siècle grâce précisemment au calcul infinitésimal.

-  En quoi, là je voudrais dire des choses très simples qui n’engage absolument rien de vos connaissances en mathématiques, même si vous n’en avez aucune vous vous devez comprendre ceci : Le calcul infinitésimal met en jeu un certain type de rapport. Ma question est quel type de rapport arrive au jour avec le calcul infénisitimal ? et qui sans doute était préssenti avant gràce à des méthodes d’exhaustion qui était comme une préfiguration du calcul infinitésimal. Le rapport auquel le calcul infinitésimal donne un statut solide, en tout cas apparemment solide, c’est ce qu’on appelle un rapport différentiel, et un rapport différentiel est du type dy/dx =, égale quoi on va voir. dy/dx = Comment définir ce rapport dy/dx = ? Encore un fois je ne fais appel à rien , aucune connaissance mathématique donc que tout le monde doit comprendre. Ce qu’on appelle dy c’est une quantité infiniment petite, ou comme ce sera nommé, une quantité évanouissante. Une quantité plus petite que toute quantité donnée ou donnable. Quelle que soit la quantité que vous vous donnez dy, c’est à dire quel ce soit la quantité de y que vous vous donnez, quelque soit la valeur de y considéré, dy sera plus petit que cette valeur si loin que vous alliez. Donc je peux dire dy en tant que quantité évanouissante est strictement égal à zéro par rapport à y. De la même manière dx est strictement égal à zéro par rapport à x. dy est la quantité évanouissante de y, dx est la quantité évanouissante de x. Donc, je peux écrire, et les mathématiciens écrivent dy/dx = 0/0. C’est le rapport différentiel. vous me suivez ? Si j’appelle y une quantité des abscisses, et x une quantité des ordonnées, je dirais que dy=0 par rapport aux abscisses, dx=0 par rapport aux ordonnées. Voilà la question. Là dessus vous comprenez ça, bon trés bien, c’est pas difficile dy/dx = 0 est-ce que c’est égal à zéro ? Évidemment non. dy n’est rien par rapport à y, dx n’est rien par rapport à x, mais dy sur dx ne s’annule pas. Le rapport subsiste et le rapport différentiel se présentera comme la subsistance du rapport quand les termes s’évanouissent. Ils ont trouvé - là c’est très important - ils ont trouvé l’outil mathématique et même quand ils le traitent uniquement comme convention, ils ont fondé la convention mathématique qui leur permet de traiter des rapports indépendamment de leurs termes. Or quelle est cette convention mathématique ? Je résume : c’est l’infiniment petit. Voilà en quoi je peux dire : le rapport pur implique nécessairement l’infini sous la forme de l’infiniment petit car le rapport pur ce sera le rapport différentiel entre quantités infiniment petites. C’est au niveau du rapport différentiel qu’est exprimée à l’état pur, l’immanence réciproque de l’infini et du rapport. si vous comprenez ça vous avez presque tout compris. je dis dy/dx = 0/0 mais 0 ce n’est pas zéro. En effet, ce qui subsiste lorsque y et x s’annulent sous forme dy et dx, ce qui subsiste c’est le rapport dy/dx qui lui, n’est pas rien. Or ce rapport dy/dx, qu’est-ce qu’il désigne ? A quoi est-ce qu’il est égal ?
-  Mettons pour procéder vraiment très simple - mais justement c’est ce que je souhaite. On dira dy/dx égal z, c’est à dire qu’il ne concerne rien de y ni de x, puisque c’est y et x sous forme de quantités évanouissantes. je veux dire quoi ? rapport tout simple. Quand vous avez un rapport dy/dx dégagé à partir du cercle, ce rapport dy/dx = 0/0 ne concerne rien du cercle, mais renvoie à une tangente dite trigonométrique. Peu m’importe, vous n’avez pas besoin de comprendre quoi que ce soit. Vous comprenez juste : dy/dx = z c’est à dire le rapport qui est indépendant de ses termes va désigner un troisième terme et va servir à la mesure et à la détermination d’un troisième terme : la tangente trigonométrique. Je peux dire en ce sens que, voyez, le rapport infini, c’est à dire le rapport entre infiniment petit, renvoie à quelque chose de fini. L’immanence mutuelle de l’infini et du rapport est dans le fini. C’est dans le fini lui-même qu’il y a immanence du rapport et de l’infiniment petit.

-  Pour réunir ces trois termes, le rapport pur, l’infini et le fini, je dirais quoi ? je dirais le rapport différentiel dy/dx tend vers une limite, cette limite c’est z, il tend vers la limite z, c’est à dire la détermination de la tangente trigonométrique. D’accord ? Il faudrait que ce soit très clair. Si vous acceptez On est vraiment dans un noeud de notions d’une extraordinaire richesse. Lorsque, après, les mathématiciens diront : oh non, interpréter le calcul infinitésimal par l’infiniment petit, c’est barbare, que ce n’est pas ça, ils ont rien compris, bien sur ils ont raison d’un certain point de vue, mais c’est tellement mal posé le problème. Le fait est que le 17ème siècle, par son interprétation du calcul infinitésimal, trouve un moyen de souder trois concepts clé, à la fois pour les mathématiques et pour la philosophie.

-  Ces trois concepts clé, ce sont les concepts d’infini, de rapport et de limite. Donc si j’extraie une formule de l’infini du 17ème siècle, je dirais : quelque chose de fini comporte une infinité sous un certain rapport. Cette formule peut paraître toute plate : quelque chose de fini comporte l’infini sous un certain rapport, en fait elle est extraordinairement originale. Elle marque précisément un point d’équilibre de la pensée du 17ème siècle, entre le fini et l’infini, par une théorie nouvelle des rapports. Alors quand ces types ensuite considèrent comme allant de soi que, dans la moindre dimension finie, il y a l’infini ; vous comprenez quand dès lors ils parlent de l’existence de Dieu tout le temps, - mais c’est beaucoup plus intéressant qu’on ne croit -, il ne s’agit finalement pas de Dieu, il s’agit de la richesse de cette implication de concepts : rapport, infini, limite. Voyez ? ce serait mon premier point : En quoi l’individu est-il rapport ?

-  Evidemment l’individu fini Vous allez retrouver au niveau de l’individu fini mais bien sur il y a une limite. Ça n’empêche pas qu’il y ait de l’infini, ça n’empêche pas qu’il y a un rapport et que ce rapport se compose, que les rapports d’un individu se composent avec un autre ; et il y a toujours une limite qui marque la finitude de l’individu, et il y a toujours un infini d’un certain ordre qui est engagé par le rapport. C’est une drôle de vision du monde si vous consentez à en faire une vision du monde. Ils ne pensaient pas seulement comme ça, ils voyaient comme ça. C’était leur goût à eux, c’était leur manière de traiter les choses. Alors vous comprenez pourquoi ce n’est pas par assimilation facile que quand ils voient que les histoires de microscopes se montent, ils y voient une confirmation : le microscope c’est l’instrument à nous donner un pressentiment sensible - là ils ne sont pas idiots- un pressentiment sensible et confus de cette activité de l’infini sous tout rapport fini.

- Et le texte de Pascal sur les infinis qui est un texte extrêmement simple, là aussi c’est un grand mathématicien, mais lorsqu’il essaie de faire comprendre la manière dont ils voient le monde, ils ont pas besoin de tout leur savoir mathématique, les deux se confortent, les deux s’appuie l’un l’autre. Alors Pascal peut faire son texte sur les deux infinis sans aucune référence à quoi que ce soit de mathématique. Il aurait pu le faire en mathématicien, son texte. Il a pas besoin parce qu’il dit des choses extrêmement simples mais extrêmement originales. Et, en effet, l’originalité c’est dans cette manière de souder trois concepts qui à première vue dont le lien ne va pas de soi et puis au 17ème siècle, voilà qu’ils veulent montrer que le lien est nécessaire. encore une fois : rapport , limite, infini. Bon, repos... si vous n’avez pas compris ça je recommence. C’est essentiel, essentiel

-  il faudrait que vous saisissiez que ça fait quand même un drôle de monde. Pour nous, notamment c’est vrai on ne pense plus comme ça. Mais quelle joie ! je crois que l’on ne pense plus exactement comme ça. Nous c’est à force de ne rien savoir en mathématiques qu’on peut comprendre ce que je dis. Eux c’est à force d’en savoir en mathématiques qu’ils arrivaient à comprendre ça. Ca ne veut pas dire que c’est nous qui avons raison. Ce qui a changé évidemment tout un système de mathématiques comme conventions, mais ça n’a changé que si vous comprenez que les mathématiques modernes pointent aussi leurs concepts sur des ensembles de notions, des implications de notions d’un autre type, mais également originales. Voilà dois je recommencer ? devrais je recommencer ?

(suite à une remarque).. ce serait bien ça ce serait un éclaircissement attends laisse moi réfléchir : est que l’on peut dire que la limite c’est à dire le fini est la raison de connaissance et l’infini est la raison d’être, du rapport lui même. Oui ce serait trés clair Oui on dirait la limite vers laquelle tend le rapport c’est la raison de connaître le rapport comme indépendant de ses termes, c’est à dire dx et dy, et l’infini, l’infiniment petit, c’est la raison d’être du rapport ; en effet, c’est la raison d’être de dy/dx. On peut le dire absolument. est ce qu’ils le disent ? attendez oui, ils le disent pas si bien, pas si clairement. Oui Ils le disent forcément : La formule de Descartes : l’infini conçu et pas compris. On ne comprend pas l’infini parce qu’il est incompréhensible, mais on le conçoit. C’est la grande formule de Descartes : on peut le concevoir clairement et distinctement, mais le comprendre c’est autre chose. Donc, on le conçoit, il y a une raison de connaissance de l’infini. Il y a une raison de connaître qui est distincte de la raison d’être. Comprendre, ce serait saisir la raison d’être, mais nous on ne peut pas saisir la raison d’être de l’infini parce que il faudrait être adéquat à Dieu ; or, notre entendement est seulement fini. En revanche, on peut concevoir l’infini, le concevoir clairement et distinctement, donc on a une raison de le connaître. Tout à fait Bien je dis : Il faut vraiment que ce soit limpide parce que mon second point va tellement dépendre de ça que ..

-  Si je me permet d’insister encore une fois. Il faudrait que la philosophie conquiert enfin ses exercices pratiques. Les exercices pratiques en philosophie ce devraient être des expériences de pensée. Les allemands ont formé la notion d’expériences de pensée : ça veut dire à la lettre des expériences que l’on ne peut faire que par la pensée. Cela ne veut pas dire des expériences intérieures ni psychologiques, ce serait très curieux. là ce serait la titre d’un exercice pratique 12 par exemple. Ce serait comme ça que l’on pourrait rétablir les notes en philosophie. Ce serait pour la prochaine fois : construisez un motif, pas une figure parce qu’une figure c’est quelque chose de sensible, construisez un motif quelconque à votre choix qui réunisse les trois thèmes de l’infini du rapport et de la limite au besoin dessinez le. Ce serait une expérience de pensée . Vous ne voulez pas ça ? si vous voulez cette UV, pour la semaine prochaine

Je signale que cette semaine c’est la dernière semaine ou je reçois des petites fiches pour l’ UV est ce que ça y est vraiment ? je n’ai pas besoin de revenir la dessus ? dommage

-  Passons hélas au second point. Voyez comme il s’enchaîne avec le premier car j’ai du évoquer la notion de limite. J’ai du invoquer la notion de limite. En effet, pour rendre compte de l’immanence de l’infini dans le rapport,- encore une fois plus je répète ça plus je me dis, mais en effet c’est très important la thèse selon laquelle il y a une immanence d e l’infini dans le rapport- je reviens à mon premièrement pour vous faite sentir l’importance La logique des rapports, des relations, est une chose fondamentale pour la philosophie, et hélas, la philosophie française ne s’est jamais très intéressée à cet aspect. Mais la logique des relations ça a été une des grandes créations des anglais et des américains. Mais je dirais il y a eu deux stades. Le premier stade est anglo-saxon, c’est la logique des relations telle qu’elle se fait à partir de Russel, à la fin du 19ème siècle, début 20ème. Or, cette logique des relations prétend se fonder sur ceci : l’indépendance du rapport par rapport à ses termes, mais cette indépendance, cette autonomie du rapport par rapport à ses termes se fonde sur des considérations finies. Elles se fondent sur un finitisme. Russel a même une période atomiste pour développer sa logique des relations.

-  Ce que je veux dire : Ce stade avait été préparé par un stade très différent. Je dirais le grand stade classique de la théorie des rapports ce n’est pas comme on dit ; on dit qu’avant ils confondaient logique des relations et logique d’attribution. ils confondaient les deux types de jugement : les jugements de relation (Pierre est plus petit que Paul), et les jugements d’attribution (Pierre est jaune ou blanc ou rouge ), donc ils n’avaient pas conscience des rapports. Ce n’est pas du tout ça. Dans la pensée dite classique, il y a une prise de conscience fondamentale de l’indépendance du rapport par rapport aux relations, seulement cette prise de conscience passe par l’infini. La pensée du rapport en tant que pur rapport ne peut se faire que par référence et par appel à l’infini. C’est là une des grandes originalités du 17ème siècle. Alors je reviens à mon second thème : l’individu est puissance. là je viens de commenter très vaguement , de donner comme le ton de la formule : l’individu est rapport, l’individu n’est pas substance il est rapport mon second terme c’était :

- L’individu n’est pas forme, il est puissance. Pourquoi ça s’enchaîne ? C’est que ce que je viens de dire sur le rapport différentiel 0/0 n’est pas égal à zéro, mais tend vers une limite. je dis immédiatement : considérez que lorsque vous dites ça, lorsque vous lancez le concept très particulier que les mathématiciens plus tard dénonceront Est ce qu’ils avaient raison de le dénoncer ? Est ce que cela ne reste pas un concept philosophique fondamental. Lorsque les philosophes et les mathématiciens du 17ème lancent ce thème de tendre vers une limite. la tension vers une limite, toute cette idée de la tendance au 17ème siècle, que vous retrouvez chez Spinoza au niveau d’un concept spinoziste, celui de conatus. Chaque chose tend à persévérer dans son être. Chaque chose s’efforce. S’efforcer en latin, ça se dit conor, l’effort ou la tendance, le conatus. Voilà que la notion de limite est définie en fonction d’un effort, et la puissance c’est la tendance même ou l’effort même en tant qu’il tend vers une limite. C’est donc, nous nous trouvons devant encore un nouveau concept, je voudrais que vous sentiez à quel point tous ces concepts sont liés du point de vue d’une création conceptuelle. Tendre vers une limite c’est çà la puissance. Concrètement on vivra comme puissance tout ce qui est saisi sous l’aspect de tendre vers une limite.

-  Si la limite est saisie à partir de la notion de puissance, à savoir tendre vers une limite, en termes de calcul infinitésimal tout rudimentaire, de vulgarisation, le polygone qui multiplie ses côtés tend vers une limite qui est la ligne courbe. La limite c’est précisément le moment où la ligne angulaire, à force de multiplier ses côtés,- est ce qu’on peut dire rejoint , non puisque c’est à l’infini- mais tension vers une limite . C’est donc la tension vers une limite qui maintenant implique l’infini. Le polygone, en tant qu’il multiplie ses côtés à l’infini, tend vers le cercle. Je dis et je voudrais presque rêver devant vous exactement comme pour le thème précédent. Quel changement dans la notion de limite ça fait intervenir ? La limite c’était une notion bien connue. On ne parlait pas de tendre vers une limite. La limite c’est un concept philosophique - clé. Toujours dans mon effort pour que notre travail vous serve un peu à voir qu’est ce qui intervient comme création en philosophie, je prends ça à nouveau comme lieu d’une création de concept. Par exemple se fait une véritable mutation du point de vue de la pensée dans la manière de penser un concept. Limite, qu’est-ce que c’était ? Les Grecs ont un mot et je le cite en même temps des mots étrangers parce que c’est très utile parfois dans un texte on le voit écrit en grec ce mot parce qu’il est très important dans la philosophie grecque, c’est "peras". Péras en grec ancien, c’est la limite. Mais qu’est ce qu’ils appellent limite au plus simple. Il y a toutes sortes de théories de la limite et même Platon fera une grande théorie de la limite.Tiens Platon fait une grande théorie de la limite. Il faut s’y interesser.

-  Mon objet vous le voyez bien pour que vous suiviez bien c’est de m’interroger sur cette conception de la limite avant le 17ème siècle qui était evidemment d’une tout autre nature. Or c’est tout simple si compliquée que soit la théorie de Platon, il y a un point que tout le monde peut comprendre qu’est ce qu’ils appellent des limites les géomètres à ce moment là la limite c’est les contours. C’est des points, c’est des termes. Les géomètres. La limite c’est un terme, terminus. Un volume a pour limite des surfaces. Par exemple, un cube est limité par quatre carrés. Six carrés. Quelque chose me gênait : six carrés. Voilà ouf ! Un segment de droite est limité par deux points. Voilà je ne m’aventure pas plus loin. Platon dans un ouvrage très beau qui s’appelle "le Timée" fait une grande théorie des figures et de leurs limites conçues comme contours. Et pourquoi cette conception de la limite comme contour peut être considérée comme à la base de ce qu’on pourrait appeler une certaine forme d’idéalisme ? Suivez moi bien, forcément cela se concilie très bien : La limite c’est le contour de la forme, que la forme soit purement pensée ou qu’elle soit sensible, de toutes manières on appellera limite le contour de la forme, et ça se concilie très bien avec un idéalisme parce que, si la limite c’est le contour de la forme, après tout et à la limite, qu’est-ce que ça peut me faire ce qu’il y a entre les limites ? Que je mette du sable,du bronze ou de la matière pensée, de la matière intelligible, entre mes limites, ce sera toujours un cube, ce sera toujours un cercle.

-  En d’autres termes, l’essence c’est la forme même rapportée à son contour. Je pourrais parler du cercle pur parce qu’il y a un pur contour du cercle. Je pourrais parler d’un cube pur, sans préciser de quoi il s’agit. Et je les nommerais idée du cercle, idée du cube. D’où l’importance de cette conception du peras-contour dans la philosophie de Platon où l’idée ce sera très exactement - très exactement non parce que c’est tellement plus compliqué que ce que je dis, j’en tire un tout petit truc - la forme rapportée à son contour intelligible. En d’autres termes, dans l’idée de la limite-contour, la philosophie grecque trouve une confirmation très fondamentale pour sa propre abstraction. Non pas qu’elle soit plus abstraite qu’une autre philosophie, mais elle voit la justification de l’abstraction, telle qu’elle la conçoit, à savoir l’abstraction des idées.

-  Je viens de dégager la conséquence philosophique de cette idée de la limite - contour. L’individu ce sera dès lors la forme rapportée à son contour. Si je cherche sur quoi s’applique concrètement une telle conception, je dirais, à propos de la peinture par exemple, je dirais que la forme rapportée à son contour, c’est par excellence un monde sensible de type tactile-optique. La forme optique est rapportée, ne serait-ce que par l’oeil, ne serait ce indirectement, à un contour tactile. Alors ça peut être le doigt de l’esprit pur, le contour a forcément une espèce de référence tactile, et si on parle du cercle comme pure idée ou du cube comme pure idée, dans la mesure où on le définit par son contour et on rapporte la forme intelligible à un contour, il y a une référence - si indirecte qu’elle soit -, à une détermination tactile. Il est complètement faux une fois de plus de définir le monde grec comme le monde de la lumière, c’est un monde optique bien sûr, c’est même ça qu’ils ont découvert, ils ont amené en arts, en philosophie une monde optique mais pas du tout un monde optique pur. Le monde optique que la Grèce promeut est déjà suffisamment attesté par le mot dont ils se servent pour parler de l’idée : EIDOS. Eidos c’est un terme qui renvoie à la visualité, qui renvoie au visible. La vue de l’esprit ; mais cette vue de l’esprit n’est pas purement optique. Elle est optique-tactile. Pourquoi ? Parce que la forme visible est rapportée, ne serait-ce qu’indirectement, au contour tactile.

-  Et l’expérience pratique ce n’est pas étonnant que quelqu’un qui réagira contre l’idéalisme platonicien, au nom d’une certaine inspiration technologique, c’est Aristote. Mais si vous considérez Aristote, là la référence tactile du monde optique grec apparaît de toute évidence dans une théorie toute simple qui consiste à dire que la substance, ou du moins les substances sensibles sont un composé de forme et de matière, et c’est la forme qui est l’essentiel. Et la forme est rapportée à son contour, et l’expérience constamment, assez constamment invoquée par Aristote c’est le sculpteur. La statuaire a la plus grande importance dans ce monde optique ; c’est un monde optique mais de sculpture, c’est à dire où la forme optique est déterminée en fonction ne serait ce qu’indirecte d’un contour tactile. Tout se passe comme si la forme visible était impensable hors d’un "moule" tactile. Ça c’est l’équilibre grec. C’est l’équilibre grec tactilo-optique.C’est son équilibre à lui...

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