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18- 12/05/81 - 1

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Gilles Deleuze : La Peinture cours 18 du 12/05/1981 - 1 transcription : Guillaume Damry

Qu’est-ce qui définit au contraire le synthétiseur digital, ou intégré ?

C’est que cette fois le principe de constitution, la constitution du produit sonore, passe par un plan qu’on dira intégré mais il est intégré précisément parce qu’il est distinct.

En effet ce plan distinct implique quoi ? il implique homogénéisation et binarisation, binarisation de ce qu’on appelle les data, homogénéisation et binarisation des données sur un plan distinct intégré, si bien que la production du produit implique, une distinction de niveau : le principe de production ne sera pas sensible pour un produit sensible, il passera par le plan intégré, et le code binaire constitutif de ce plan. Or ça, ça va peut-être nous faire avancer un tout petit peu. C’est que les synthétiseurs digitaux ont une puissance de production, je crois, ils disent, que les synthétiseurs analogiques. Comme si quoi ? Comme si déjà à ce niveau quelque chose nous conviait à ne plus concevoir la différence analogique/digitale comme une opposition, d’une certaine manière il est possible et souhaitable de greffer du codage sur de l’analogique pour augmenter la puissance de l’analogique.

GD : Tu vois quelque chose à ajouter là j’en reste au minimum ?

Intervenant : C’est juste une tout petite chose. C’est les méthodes digitales (...) du temps comptable mathématiques alors que les méthodes analogiques autorisent ce qui est une de leur caractéristique propre, une de leur caractéristiques propres, en plus que celles que tu as énoncées, c’est le temps réel.

GD : en un sens c’est pareil que. C’est la même chose Oui. Ça découle tout droit de l’idée d’un principe de production qui est non moins sensible que le produit dès lors le temps est nécessairement du temps réel, tandis qu’en effet, dans le cas du plan intégré où le plan est distinct en droit, puisque tu as nécessairement du temps différé, puisque un saut, tu ne peux arriver au produit que par une opération de traduction conversion

Intervenant : Pour renforcer ce que tu dis, je ne sais pas si c’était un souhait. Mais le fait de greffer un système de commande digitale sur une matière mettons primaire analogique, ce serait l’idéal comme dans les systèmes les plus performants à l’heure actuelle, c’est-à-dire les seuls système qui existent et qui fonctionnent d’une manière performante en temps réel, sont des systèmes qu’on appelle hybrides, ce sont des systèmes à source analogique et à mode de commandes digitaux.

GD : Voilà on appellera ça une greffe de code sur de l’analogique. Or qui fait la greffe de code en peinture ? Vous sentez tout de suite. C’est le peintre abstrait. C’est le peintre abstrait qui a fait cette chose prodigieuse et c’est pour ça que toute la puissance de la peinture passe par l’abstraction. Et ça veut dire passe... passe. Ça veut pas dire que la peinture est ou doit être abstraite, ça veut dire que l’opération du peintre abstrait consiste bien à faire un greffe de code sur le flux pictural analogique, et que ça donne à la peinture une puissance, si bien qu’en un sens tout peintre passe par l’abstraction, dans son tableau même c’est ça le diagramme. Mais donc on arrive à, on arriverait, vous voyez c’est quelque chose de nouveau qui se profile pour nous. A ne plus opposer spécialement diagramme et code, mais à considérer la possibilité de greffe de code sur les diagrammes.

C’est-à-dire faire l’opération pour ceux qui sont au courant de ça, je dis, je veux pas développer ça, faire l’opération complètement inverse de celle de Pierce. Parce que Pierce lui, il envisage au contraire, des fonctionnements analogiques, c’est-à-dire des fonctionnements de diagramme, au sein des codes. Alors ce serait bien de tourner ça et de faire bon peu importe... Bon ! Deuxième exemple technologique, alors encore plus simple : qu’est-ce qu’on appelle une modulation au niveau de la télé, niveau de tout ça ? Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce c’est le concept de modulation, même dans un dictionnaire là, tout simple ? Le concept de modulation nous dit quoi ? On nous dit la modulation, ben c’est quoi ? C’est une opération qui porte sur une onde. C’est l’état que prend une onde en fonction de quoi ? Onde que l’on appellera « onde porteuse ». Porteuse de quoi ? Et bien, en fonction d’un signal à transmettre. L’onde porteuse va être modulée en fonction du signal à transmettre, vous voyez c’est simple. A la télé vous le voyez tous les jours, une onde porteuse est modulée en fonction d’un signal à transmettre. Hein ? Très bien. Qu’est-ce que ça veut dire alors moduler ? ça veut dire que vous modifiez ou bien la fréquence, ou bien l’amplitude de l’onde, vous connaissez ces deux termes fameux, modulation d’amplitude, modulation de fréquence. Vous modifiez l’amplitude ou la fréquence de l’onde porteuse en fonction du signal. Bon. Le récepteur lui fait quoi ? il démodule. C’est-à-dire il restitue le signal. Je dis si peu, c’est vraiment rudimentaire ce que je dis, mais pourquoi ça m’intéresse ? Parce que, j’ai une espèce d’exemple très schématique de ce que j’appelle la ressemblance produite.

La démodulation c’est une production de ressemblance, vous restituez le signal à l’issue de quoi ? Pas par un transport de similitude, par une modulation c’est-à-dire, en employant des moyens tout différent. Ces moyens tout différent, c’est quoi ? c’est altération de l’amplitude ou de la fréquence de l’onde porteuse. Bien. Mais dans ce cas comprenez j’ai pris l’exemple le plus simple, d’un signal continu. Qu’est-ce qui se passe lorsque le signal est discontinu ou discret, c’est-à-dire comme on dit un signal qui consiste en une série d’impulsions discrètes. Lorsque le signal est fait d’une série d’impulsions discrètes, qu’est-ce qui se passe ? Deux cas. De toute manière dans ce cas là, ou pas encore deux cas, de toute manière vous allez traduire l’onde porteuse, ça ça va être le phénomène nouveau, en une suite d’impulsions périodiques. Donc conversion de l’onde porteuse en une suite d’impulsions périodiques. Et à partir de là 2 cas Premier cas : cette suite d’impulsions périodiques, vous en modifiez soit l’amplitude, l’amplitude d’une impulsion, soit la durée. C’est-à-dire le temps de telle impulsion par apport à telle autre, soit la position qui est vraiment le plus intéressant, c’est-à-dire vous voyez là vous ne modifiez plus la durée d’une impulsion, vous modifiez la position, c’est-à-dire vous la décalez dans le temps. Donc vous modifiez ou bien l’amplitude, ou bien la durée, ou bien la position

-  Ça c’est le premier pas, et c’est ça la modulation. Voyez à quel problème ça répond. C’est que, il s’agit et c’est très important pour nous, de montrer dans quel cas la modulation peut comprendre le discontinu comme tel. Vous pouvez faire une modulation du discontinu et une modulation du discret.

-  Deuxième cas, qui va nous importer encore plus, un procédé encore plus moderne : qui a dû être inventé vers 1900, le code binaire. A savoir code binaire défini par 0-1 : 0 absence de l’impulsion, 1 présence de l’impulsion. Or c’est le système le meilleur. Le groupage des impulsions suivant le code binaire, vous donne quoi ? Ça vous donne exactement l’équivalent de ce qu’on vient de voir tout à l’heure à savoir une véritable greffe de code sur la matière ou le flux analogique. Donc tout va bien, trop bien. J’essaie d’en tirer les conséquences avant que vous... interveniez, si... Je dis dès lors, voilà les résultats de cette longue parenthèse sur le concept de modulation. Au point ou j’en suis le résultat c’est ceci, nos résultats c’est ceci, un concept de modulation qui va du moule à la modulation à proprement parler. En passant par le module commence à prendre forme pour nous. Deuxième résultat, d’un certain point de vue nous considérons la modulation et l’articulation, l’analogique et le digital comme deux déterminations parfaitement opposées. Mais d’un autre point de vue nous pouvons dire que tout langage digital et tout code, plongent au plus profond sur un flux analogique. En d’autres termes que tout code est en fait une greffe de code sur fond analogique ou sur flux analogique.

-  Troisième résultat, l’analogie au sens le plus strict ou au sens esthétique, peut être définie précisément par la modulation. De quelle manière ? Précisément parce que il n’y a pas transport de similitude qualitative dans l’opération esthétique. Opération de type moule, en apparence en tout cas, parce qu’il n’y a pas simplement module, à savoir transport de relation interne, mais il y a modulation à proprement parler, c’est-à-dire production de similitude par des moyens non semblable, par des moyens non ressemblants.

Production de ressemblance par de tout autre moyen, Production de ressemblance par des moyens non semblables. Et c’est ça la présence ; Ce qu’on appelait la présence de la figure.

Si bien que je reviens à ma définition de la peinture - quitte à encore une fois en ajouter une autre - à tant de définitions, mais au moins la nôtre, on la construit dans le cadre de notre problème, donc on est sûr qu’elle nous convient, on n’est pas sûr qu’elle soit juste mais en tout cas elle est pas plus fausse qu’une autre. Et en tout cas c’est celle dont on a besoin puisqu’on l’a fabriquée à l’issue de tout ce qui précède.

Donc je dirais peindre c’est moduler, mais c’est moduler quoi à quoi ? C’est moduler quoi, en fonction de quoi ?

Puisque moduler c’est toujours moduler quelque chose en fonction de quelque chose. C’est moduler sur plan. Bon d’accord. C’est moduler sur plan. Qu’est-ce qu’on module sur plan c’est-à-dire sur une surface ? La toile. Qu’est-ce que c’est l’onde en peinture ? L’onde c’est tout simple. Je sais pas encore bien ce que c’est, parce que là je dirais et/ou, et/ou ? bon c’est quoi ? L’onde, l’onde porteuse c’est la lumière ou la couleur. C’est la lumière et la couleur.
-  Peindre c’est moduler la lumière, c’est moduler la couleur. Eclate le mot de Cézanne « moduler. Or c’est d’autant plus intéressant le mot moduler, tel que l’emploie Cézanne, que il y a des textes où il l’oppose très clairement à quelque chose qui était très connu dans la peinture avant : le modelé. Vous voyez ça nous relance dans la série, mouler, modeler, moduler. Moulage, module, modulation. Cézanne atteint un point de la peinture, est-ce que ça veut dire qu’il aurait été meilleur qu’un autre qui l’aurait précédé ? Non c’est pas comme ça que ça se pose. Mais voilà qu’il se réclame d’une modulation, dans son cas c’est quoi ? Il suffit de voir un Cézanne c’est pas une modulation de la lumière. C’est une modulation de la couleur. Et c’est précisément parce qu’il trouve et parce que Cézanne invente un nouveau régime de la couleur qu’il invoque le concept de modulation. Bon. Et les autres ? Bon. Qu’est-ce qu’ils faisaient ils faisaient pas déjà de la modulation de la couleur. Peut-être que si tout ça il faudra se le demander ou bien modulation de la lumière ? Mais moduler la lumière est-ce que ça a les mêmes règles que moduler la couleur ? Pas sûr.

Dans les notes de Bonnard. De tous les grands peintres, Bonnard est un de ceux qui a le moins parlé. C’est dommage d’ailleurs, parce que toutes ces notes sont.... sont des petites merveilles. Dans les notes de Bonnard on trouve ceci, on trouve la phrase suivante, je cite à peu près exactement : « Avec une seule goutte d’huile, Avec une seule goutte d’huile le Titien faisait un bras d’un bout à l‘autre. Cézanne au contraire, a voulu que tous les tons fussent des tons conscients. » Beau cette phrase, mais, bon ? Qu’est-ce qu’il voulait dire Bonnard ?

Le peintre avec une goutte d’huile d’un seul ton va faire tout un bras. Cézanne il ne fera pas comme ça, Sentez qu’on est déjà en plein dans le cas du continu et du discontinu. Cézanne a voulu que tous les tons fussent des tons conscients. C’est-à-dire il a procédé par juxtaposition de tons.

Il a fait un bras en juxtaposant les tons. Suivant quoi ? Suivant une loi. Une loi de quoi ? Une loi de modulation. Et chez lui c’est donc une modulation, à la lettre, si j’employais les mots technologiques que je viens d’employer, c’est une modulation par impulsions discrètes.

L’autre au contraire, c’est une modulation, c’est quoi ? Avec un seul ton il fait tout le bras, c’est évidemment non pas une modulation de tons qui suppose impulsions discrètes, c’est une modulation de type continuité, qui suppose quoi ? Qui suppose les valeurs et pas les tons.

Toutes les valeurs d’un même ton. Bon. Donc notre problème du continu et du discontinu au niveau de la modulation. Il parfaitement illustré par la remarque de Bonnard sur les ceux manières de peindre un bras. Bon. Ça veut dire quoi ? Moi je dis que, à ce niveau, s’il est vrai que peindre, c’est moduler la lumière ou moduler la couleur ou les deux à la fois, il y aura des types de modulations extrêmement divers. On se trouvera devant un grand problème : ce serait ça peindre. De toute manière, ce serait moduler. D’accord, ce serait moduler, mais moduler alors au sens large : qui comprend aussi bien une sorte de moulage ou une sorte de module ? Ou bien moduler au sens étroit, qui se distingue de tout moulage et de tout module ? On laisse tout ouvert les deux à la fois faudrait dire tantôt, tantôt.

Et enfin dernière question, moduler c’est bien moduler quelque chose, là on a vu la lumière ou la couleur. Mais en fonction de quoi ? Qu’est-ce que c’est ici le signal ? C’est la modulation, c’est en fonction d’un signal, un signal à transmettre. Qu’est-ce que serait le signal ? En d’autres termes quel est le signal de la peinture ? C’est pas le modèle. Le modèle c’est déjà un cas où la modulation se ramène à ; où le temps penche vers le coté moule. Alors si le signal à transmettre c’est pas la même chose que le modèle, le modèle c’est simplement un régime de modulation au sens large. Qu’est-ce que c’est le signal ? Le signal c’est l’espace. Un peintre n’a jamais peint que l’espace, et peut-être le temps aussi mais euh.. il n’a jamais peint que l‘espace-temps un peintre, c’est ça le signal. Le signal à transmettre sur la toile, c’est l’espace. Bon quel espace ? Peut-être que les grands styles de peinture varient d’après et en même temps que les natures d’espace, que les natures d’espace-temps. Un espace-temps à transmettre sur la toile. Bon d’accord. Dès lors je tends ma définition complète.
-  Peindre c’est moduler la lumière ou la couleur ou la lumière et la couleur en fonction d’un signal espace.

Bon il manque encore quelque chose, qu’est-ce ça donne ? qu’est-ce ça donne ? ça donne la figure, ça donne la ressemblance, ça donne cette ressemblance plus profonde que la ressemblance photographique. Cette ressemblance à la chose plus profonde que la chose même. Ça donne cette ressemblance non similaire c’est-à-dire cette ressemblance produite par des moyens différents. Qu’est-ce que c’est que les moyens différents, c’est précisément l’opération de modulation. La modulation de la lumière ou de la couleur en fonction du signal espace va nous donner quoi ? La chose dans sa présence. D’où le thème de la peinture n’est pas même quand elle ressemble à quelque chose, elle n’est, évidemment pas figurative, puisqu’elle est la chose même dans sa présence sur la toile.

-  Là du coup j’ai tous les éléments de ma définition.

Si bien que nous n’avons plus que deux problèmes à considérer, comme ce sera la fin de l’année ce sera parfait. Euh deux problèmes, là deux séries de problèmes :
-  quels sont les grands signaux espaces ? quels sont les grands espaces signaux de la peinture ? Premier problème.
-  Deuxième problème : comment s’opère la modulation en fonction de ces espaces signaux ?

Je veux dire il y a une évidence, c’est que, l’évidence immédiate si vous voulez l’espace signal égyptien, c’est pas la même chose que l’espace signal byzantin. Alors s’il y a en effet une sociologie de la peinture possible, on voit ce qu’elle veut dire pour nous à savoir, c’est la détermination des espaces signaux de la peinture. En rapport avec des groupes ou des civilisations ou des collectivités, on pourra parler en effet comme tout le monde d’un espace renaissance, d’un espace égyptien, d’un espace etc... Et à chaque fois il faudra faire correspondre et trouver les lois de ces correspondances entre : l’espace signal d’un art, d’une période d’art, et les opérations de modulation au sens large. : que ce soit moulage, que ce soit module, ou que ce soit modulation à proprement parler. Vous comprenez ?

Oui il y avait une remarque tout à l’heure, il n’y a plus de remarque ? tant mieux. Tu as une remarque ?

Intervenante : Dans le recherche technologique à l’heure actuelle sur la télévision, on va produire des écrans à cristaux liquides, sur lesquels l’image pourra enfin, la couleur va apparaître de manière discrète point par point et il y aura plus les fibres comme dans la télé actuelle qui produisent des tout petits ... par composition rouge , vert... tantôt noir

GD Est-ce que ça n’impliquera pas des greffes de codes ?

Intervenante : Oui tout à fait c’est-à-dire à ce moment là l’écran devient sensible se greffe sur un flux analogique. Le signal reste codé digitalement, mais l’écran correspond à ce que tu as défini par l’analogie.

GD : Formidable ! Formidable 

Intervenant : comme en littérature qui décrit les publicités comme sorties d’une autre époque. Qui seraient des messages greffés sur des cristaux, je dirais des espèces de martiens... Et qui fonctionnent comme ça qui entrent chez vous et qui répètent incessamment le message.

GD : Quelle belle époque !

Intervenant : Juste un point de confirmation par rapport à ce que tu disais sur les découvertes qui est important. Tu as parlé de regroupement des informations discrètes, je veux dire codées, et c’est à tel point important que dans la théorie de la réforme de la télématique on a donné un nom à ce regroupement d’impulsion, ça s’appelle les paquets.

GD : en français ?

Intervenant : c’est d’autant plus important que ce sont créés des réseaux soit privés soit nationaux de transmission de ces paquets, ce sont des transmissions de données, des transmissions d’impulsions discrètes, et que le réseau national français s’appelle TRANSPAC. National, les sociétés privées n’ont pas le droit de faire ça. Ce n’est pas un réseau inconnu, qui n’est pas encore grand public. Qui fait que de Paris à Lyon ou de Paris à Los Angeles, on peut envoyer un paquet d’informations. Transpac, c’est l’atténuation, la contraction de transmission de paquets ; tout simplement parce que les information sont regroupés en paquet, bien sûr, c’est l’accumulation dont tu parlais, et c’est devenu une notion clé de la télématique.

GD : Formidable alors on peut voler un paquet ? (Rires)

GD : Donc comme il ne nous reste plus que deux choses à faire, nous commençons par la première. La nature des espace-signaux. Et je voudrais commencer tout de suite précisément par un type d’espace. Pas du tout suivre, mais arbitrairement, arbitrairement pour essayer de... mais pensez à ceci c’est que notre point de repère, pour cette étude des espaces c’est toujours le problème le plus important à savoir celui de la modulation. Dès lors ces espaces-signaux je les choisirais en fonction de nos besoins quant à la catégorie de modulation.

Et je dis je voudrais revenir sur chose que j’avais abordée une autre année mais dans un autre but, à savoir : - qu’est-ce que c’est cet espace dans une certaine manière l’art dit occidental part, à savoir qu’est-ce que c’est d’abord que l’espace égyptien ? L’espace égyptien comme exemple d’un espace signal qui inspirera des formes de peinture et de sculptures. Et là je m’appuie toujours sur un auteur qui commence à être un peu connu en France mais pas encore assez, un auteur Viennois, un auteur autrichien, de la seconde moitié du 19e et du début du 20e qui est très important et qui s’appelle Alois Riegl. Parce que c’est lui qui sans doute a apporté beaucoup de choses à l’esthétique. Et qui notamment a centré certaines de ces analyses sur l’espace égyptien. Les œuvres principales de Riegl, je les cite pour que vous voyez un peu le : c’est un livre sur, qui s’intitule "Problème de style’, très beau, où il étudie notamment l’évolution de certains éléments décoratifs. Quand il passe de l’Egypte à la Grèce. Autre livre très très beau : "Le portrait de groupe hollandais’, de Riegl. Enfin son livre qui est considéré comme l’essentiel qui est "Arts et métiers à l’époque du Bas-Empire Romain’. A l’époque du Bas-Empire Arts et Métiers, ou mot à mot art industriel à l’époque du Bas-Empire. Et enfin le seul livre à ma connaissance traduit en français : "Grammaire historique des arts plastiques".

AOr la "Grammaire historique des arts plastiques" vous donne quand même une idée de la pensée de Riegl, bien je voudrais extraire de la "Grammaire historique des arts plastiques" et "Arts et métiers à l’époque romaine tardive, à l’époque du Bas-Empire, un certain nombre de caractères, par quoi qui vont nous lancer pour le reste. Des caractères par quoi Riegl tente de nous dire ce que c’est que l’espace égyptien ; et vous allez voir que ça répond bien à l’idée d’un signal. Bon je distingue plusieurs caractères,
-  premier caractère : tout ça j’emprunte ça, je précise tout ça, j’emprunte ça à Riegl. Premier caractère, une des idées de base de Riegl, c’est que, l’art ça ne se définit jamais par ce qu’on peut faire mais par ce qu’on veut faire. Il y a un vouloir à la base de l’art. Et d’un certain point de vue il maintient là une espèce d’exigence idéaliste. Le matériau, c’est l’idée que le matériau, il se plie toujours à une volonté. Et que il n’est pas question de dire ou d’arriver à dire : l’artiste il savait pas faire ça : il n’y a pas de savoir -faire, du moins pas le savoir faire, il est essentiellement subordonné à ce que Riegl il appelle un vouloir-faire. Cette méthode elle nous convient à la limite là je ne pose pas les problèmes, elle pose énormément de problèmes. Qu’est-ce que c’est que ce vouloir-faire ? qu’est ce que c’est ? qu’est-ce que c’est que cette volonté d’art ? Il emploie le thème d’une volonté d’art. Mais si on accepte ce point de départ mais qu’est-ce qu’ils veulent ? Qu’est-ce qu’il veut l’artiste égyptien ? La réponse est très courte, la réponse de Riegl c’est : l’artiste égyptien, il est comme l’homme égyptien, qu’est-ce qu’il veut ? Il veut extraire l’essence. Quand il nous dit ça c’est déjà important pour nous, parce que voilà quelqu’un qui n’est pas philosophe, et qui nous dit l’artiste égyptien il extrait l’essence, de quoi ? de l’apparence. Pourquoi il voudrait faire ça ? Parce que l’apparence, c’est le changeant, c’est le phénomène variable, le phénomène c’est l’apparence, l’apparence est en tumulte, l’apparence est dangereuse, l’apparence c’est un flux, en extraire l’essence. L’essence éternelle. Simplement l’essence, l’essence éternelle, elle est essence individuelle. Il s’agit de sauver l’individu dans son essence. Donc le soustraire au monde de l’apparence. En quoi ça doit nous intéresser ça ? Nous en tant que nous faisons de la philosophie. Parce que c’est bizarre il y a un décalage curieux, on nous dit d’habitude que ça c’est l’opération des Grecs, je dirais que c’est une remarque de détail mais elle va nous importer pour plus tard. On nous en effet par exemple pensez au texte de Nietzsche quand il définit la Métaphysique et Platon.

On nous dit l’axe fondateur de la métaphysique grecque, ça a été l’opposition de deux mondes : un monde des essences, qui s’abstrait des apparences, la position d’un monde des essences éternelles et calmes. Donc le salut hors des apparences et Nietzsche définit l’entreprise de la Métaphysique grecque par cette distinction de l’essence et de l’apparence et cette extraction de l’essence hors des apparences. Et cet aspect de Nietzsche est repris par Heidegger, c’est curieux, je veux dire qu’est-ce qui est curieux qu’est-ce qui doit nous intéresser ? Qu’après tout Riegl lui, qui s’occupe d’art, il se sert de ces termes, pas du tout pour définir l’art grec, mais pour définir l’art égyptien. Ce serait un coup des Egyptiens, ça fait penser au texte célèbre du Thymée où Platon fait dire à l’égyptien : « Vous autres grecs, ne serez jamais que des enfants par rapport à nous ». Vous autres grecs vous êtes que des enfants, ah tiens. Et si on s’était trompés en définissant le monde grec par la distinction des essences et des apparences, si c’était en fait, une définition meilleure du monde pas du tout grec mais du monde égyptien ? Et en effet qu’est-ce que dit l’Egypte ? Qu’est-ce que dit l’Egypte ? Qu’est-ce ce que dit l’égyptien selon Riegl ? Eh bien il dégage le double qui est appelé le Ka, le Ka K-A , et le double c’est l’essence individuelle, soustraite à l’apparence, soustraite à la mort, etc etc. c’est le double quoi, le double soustrait . Affranchir l’essence individuelle du hasard, et du changement. Or cette essence qu’est-ce qu’elle est ? Cette essence individuelle. Sa loi c’est la clôture. Elle est close, en effet protégée de l’accident, protégée du flux des phénomènes, protégée de la variation, elle est en clôture, c’est l’unité close. L’unité close de l’individu. La clôture c’est quoi ? ben c’est le contour.

-  L’essence individuelle sera définie par le contour qui la clos. Qu’est-ce que c’est ça ? C’est nous dit Riegl, l’abstraction géométrique. La clôture est la ligne géométrique abstraite qui va cerner l’essence individuelle et la soustraire au devenir. Chaque figure, c’est-à-dire chaque contour d’essence individuelle sera isolé. Bon ce serait ça, ce serait cette volonté d’extraire de la nature l’essence. Ce que Riegl mais la traduction donne ‘corriger la nature’, c’est un art qui prétend corriger la nature, jamais, comme dit Riegl, l’art ne se propose d’imiter la nature, seulement il peut se proposer plusieurs choses. Selon Riegl il peut même se proposer trois choses, ou bien corriger la nature, ou bien la spiritualiser, ou bien la recréer. L’art égyptien corrige la nature en extrayant du phénoménal, du devenir, l’essence isolée.

-  Deuxième caractère : si c’est ça la volonté d’art égyptien, extraire l’essence, par quel moyen ? Quel sera le moyen ? Le moyen dit Riegl, c’est la transcription en surface. Ce que l’art égyptien va brandir, pour dégager l’essence individuelle, ça va être la surface plane... conjurer l’accidentel, le changeant, le devenir c’est quoi ? C’est conjurer les rapports dans l’espace en en faisant, en les transformant en rapports planimétriques, c’est-à-dire en rapport sur un plan.
-  Donc la formule de l’art égyptien, ce sera le contour qui isole la forme sur un plan.

Le contour qui isole la forme sur un plan, vous sentez qu’il s’agit bien de l’espace, qu’est-ce que c’est espace planifié ? En effet c’est de la profondeur, c’est des rapports dans l’espace que viennent les variations, que surgissent, les variations, que surgit le devenir, là les rapports libres de l’espace sont conjurés au profit d’une planification de l’espace. Il n’y a plus de rapports, le rapport esthétique, c’est le rapport sur le plan. Donc le contour isole sur le plan la forme ou l’essence individuelle, le contour c’est la ligne géométrique, la figure c’est l’essence individuelle, et le contour isole la figure individuelle sur le plan.

Bon qu’est-ce que ça veut dire ? Comment traduire ça ? tout est devenu tous les rapports sont planifiés. Cela veut dire que pour l’artiste égyptien, la forme et le fond, doivent de toute urgence de toute exigence être sur le même plan. Que la forme et le fond soient également proches, également proches l’un à l’autre et également proches à nous-mêmes.

Donc la formule de l’art égyptien s’enrichit là, également proches et proches à nous-mêmes. C’est sur le même plan qu’on saisira la forme et le fond. Qu’est-ce que c’est ça ? Forme et fond seront proches l’un à l’autre et également proches à nous spectateurs. Qu’est-ce que c’est dès lors tiens ? On le voit bien concrètement ça veut dire quoi ? Concrètement déjà ça veut dire bas relief, l’art égyptien sera essentiellement le bas relief ou des choses équivalentes au bas relief, le bas relief ça s’oppose à quoi ? le bas relief ça s’oppose au haut relief.

Le haut relief comme s’il y avait trois stades : le bas relief, le haut relief et puis et puis quoi ? Le bas relief c’est lorsque le relief se distingue au minimum du fond, à la limite la forme et le fond sont sur le même plan, vous saisissez la forme et le fond sur le même plan. Le haut relief donc pas d’ombre ou très très peu d’ombre, pas de modelé. Pas d’empiètement des figures... ça répond à la volonté d’art égyptienne, pas d’empiètement des figures, prenons cet exemple, pas d’empiètement des figures, presque une loi de l’art égyptien. En effet si les figures sont les essences individuelles isolées dans un contour, l’empiètement des figures serait une faute fondamentale, et pourtant, et en effet si la forme et le fond sont sur le même plan, il n’y a pas d’empiètement des figures, les figures empiètent dans la mesure où les plans sont distingués ; l’empiètement des figures implique déjà un...

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La voix de Gilles Deleuze en ligne
L’association Siècle Deleuzien