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17- 04/05/82 - 1

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Deleuze - Cinéma cours 17 du O4/05/82 - 1 transcription : Fatemeh Malekahmadi

.... Il a tout à fait raison. L’interférence perpétuelle où le cinéma indirect, c’est à dire le présent de la narration renvoie à un présent vivant qui est un évènement quelconque en train de se faire, en train de se faire en fonction de la camera. Qu’est ce que je veux dire ? Je veux dire que quelque soit l’importance de l’intrigue dans un certain cinéma, il y a toujours eu :

- d’une part : un hors-sujet

- d’autre part : un sous-sujet,

sans quoi il n’y aurait pas de cinéma.

Aprés tout, revenons à cette question je n’ai pas du tout le temps et, bon, je supprime cet aspect, j’avais fait juste une allusion ; revenons à cette histoire du cinéma direct.

Si j’avais cherché à appuyer mes formules précédentes : SAS et ASA, sur une étude plus particulière de documentaire, ça s’organisait tout seul, ça s’organisait même trop bien. C’est pour ça qu’on pouvait y renoncer d’avance. J’avais essayé d’expliquer que le documentaire Flaherty, c’était vraiment la grande forme SAS. Et puis, lorsque se forme l’école documentaire anglaise d’avant guerre, on voit très bien, qu’il apparaît, là, une petite forme, ASA qui est très très intéressante où cette fois en effet, c’est une forme ASA puisque, cette fois, c’est en filmant ce qui est présenté comme les "habitus", les comportements de certaines gens d’une classe sociale, qu’on va suggérer la situation d’un moment ou d’une époque ou d’un lieu. Et le documentaire Grearson est vraiment du type ASA. Ce qui est curieux, c’est l’importance de Flaherty, là, ça confirme l’extrême mobilité des grands auteurs qui en même temps, participent aux travaux de ce nouveau documentaire anglais avant la guerre.

Mais pour confirmer tout cet ensemble, je dis lorsque le cinéma direct s’est réclamé - mais on va voir que c’est une idée extrêmement, extrêmement complexe, ce n’est pas du tout facile tout ça - Lorsque le cinéma, après la guerre, s’est reclamé d’une espèce du cinéma direct, se proposant de saisir l’évènement en "train de se faire", je dis là, on en revient exactement où nous en sommes.

-  Qu’est ce que c’est que cette forme qui n’est plus ni SAS ni ASA ? Là, tout le monde reconnaît, je suppose, que je suis en train de parler d’une espèce de stéréotype, de lieu commun sur le cinéma actuel, à savoir : la mise en question de l’intrigue. Bon, la mise en question de l’intrique, la mise en question de l’histoire, mais il faut bien passer par cette stéréotypie là, pour, peut-être, chercher à dégager quelque chose qui serait moins un stéréotype. C’est la fameuse, ce qu’on a appelé : la dédramatisation. La dédramatisation qui signifie, très précisément, que le récit - mais y-a-t-il encore un récit ? - ne va plus suivre le chemin d’une action préexistante, d’une action prévue, d’une intrigue prévue. Pourtant, il y bien un scénario etc. Mais dans une intrigue prévue, qu’est ce que.... C’est moins le fait qu’elle soit imaginaire qu’on peut lui reprocher, ce qu’on peut lui reprocher, dans l’idée d’une intrigue, c’est le fait qu’elle soit préexistante, c’est le fait qu’elle soit préexistante à l’opération proprement cinématographique.

En effet, comment est-qu’on définirait une "intrigue" au cinéma ? Je le définirais par trois caractères : D’une part, une intrigue :
-  c’est un procédé de totalisation, totalisation d’une situation. D’autre part, une intrigue :
-  c’est un procèdé d’orientation vectorielle, orientation des actions et enchaînement de ces actions d’après l’orientation
-  et troisièmement, c’est un processus de sélection qui groupe, qui, à la fois, groupe et sépare les événements et les distribue, hiérarchiquement, en principaux et secondaires.

Donc, encore une fois, ce n’est pas le fait que l’intrigue soit de la fiction qui est troublant, c’est le fait que l’intrigue soit préexistante à l’acte du cinéma. Et si je reprends les trois caractères par lesquels je viens de définir l’intrigue, je dis :
-  premier caractère : totalisation de la situation, ça renvoierait, particulièrement à la formule SAS.
-  Deuxième caractère, orientation vectorielle des actions, ça renvoie, typiquement à la formule ASA.
-  Et sélection qui groupe et sépare les évènements et distribue leur hiérarchie en principaux et secondaires, c’est la communication des deux formes.

La dédramatisation, je reviens à mon thème, ça bien été une constante, une espèce d’idéal constant du cinéma. Et à cet égard, et à cet égard, Jean Mitry, là, a toujours un peu la réaction - il en a tant vu, c’est normal chez lui - bon, tout ça, c’est ... ils exagèrent les petits gars, il dit toujours :" les jeunes, ils exagèrent parce que, tout ça, c’était déjà fait de mon temps". Très difficile de ne pas avoir ces réactions. Mais, quand même, écoutons-le : Il dit : on nous parle de la dédramatisation, c’est-à-dire, de la désintriguation opérée par le néoréalisme italien. Bon, très bien ! Mais, en fin, moi, je vais vous faire sortir des textes.... - Ce qui ennuyeux, déjà, c’est que c’est plutôt des textes que des films- mais il sort des textes très beaux de Delluc qui consistent à nous dire quoi ? Qui consistent à nous dire dans du vrai cinéma l’histoire doit résulter ! Elle ne doit pas préexister. Elle doit résulter des images, elle ne doit pas mener les images.

Et Delluc va jusqu’à parler d’une "poussière de faits" et il énonce le projet d’un film qu’il voulait tourner avec Germaine Dulac : "la fête espagnole". Et il dit : "la fête espagnole", il y a aurait bien un scénario, à savoir, c’est l‘histoire de deux bonhommes qui se battent pour une femme, pour une femme qui, d’ailleurs, en aime un autre. Et, c’est donc un récit. Mais il dit qu’il faudrait arriver à le tourner de telle manière qu’il n’y ait aucune privilège de cette ligne là. Et que cette ligne là n’unisse que des évènements parmi d’autres. C’est-à-dire que cette ligne là ne soit qu’une composante de "la fête espagnole" : Arriver à une poussière de faits. Voyez ! Réclamer le droit et du hors-sujet et du quelque chose est en train de se faire, irréductible au scénario.

Alors, Quoi ? Il a été fait mais il n’a pas été fait comme ça. Hein ! C’est ça qui est très curieux ! Il a été, peut-être fait... si, il y a peut-être des éléments qui vont dans ce sens.

Oui, oui ils l’ont tourné. Oui, Germaine Dulac l’a tourné, la fête espagnole. Alors, je reviens à mon thème, il ne faut pas oublier ce qui dit Mitry. Voilà, j’avance un tout petit peu. Mais, vraiment, je vous demande d’être très très, toujours d’être très très patients.

Moi, je me dis : cette histoire de la dédramatisation, de la rupture avec l’intrigue, d’une nouvelle forme d’image qui ne soit plus aucun nos deux pôles de l’image-action telle qu’on les a vus, précédemment. C’est quelque chose de très important. Seulement, voilà, si on me dit finalement, ça été l’obsession de tout cinéma de tout temps. Je réponds, oui, d’accord ! Mais, d’une part - remarque, qui va de soi - est-ce que ça été réellement fait ? Si jamais, j’avais que ça à dire, je ne serais pas content de moi ! Ce que je veux dire c’est, évidemment, autre chose : à savoir que, même dans la mesure où ça a été fait partiellement, peut-être, ce qu’il y a de nouveau aujourd’hui, c’est que cette dédramatisation, telle que je viens de la définir, cette dédramatisation sert un but et va avoir un effet dont le cinéma préalable, préexistant dont l’ancien cinéma n’avait aucune idée.

Donc quel est ce but ? Sans doute je reviens à mon thème : l’irruption dans un nouveau type d’image, dans un type d’image tout à fait nouveau. Quel type d’image ? Patience ! Je reprends.

Je reprends. Alors ! SAS ne vaut plus. Pourquoi ? Parce qu’il y a bien une situation, mais la situation ne se contracte plus dans une action principale. L’action, à la lettre, l’action ne prend plus, presque au sens de la cuisine quand on dit quelque chose prend. Il y a bien une situation, c’est-à-dire, ce qui est complètement supprimé, c’est cette espèce de forme que je disais forme en sablier ou en coquetier. Vous voyez, le haut qui est en S avec des actions parallèles ou alternées, le nœud de l’action, c’est-à-dire le duel et la situation modifiée.
-  La situation ne prend plus en action, elle ne se contracte plus dans une action principale.

Ça, c’est le premier point. Mais, la petite forme ASA ne vaut pas d’avantage ? Pourquoi ? Parce que dans la petite forme ASA - si vous vous rappelez, ça, il faut que vous vous rappeliez, quand même, un peu les analyses précédentes - dans la petit forme ASA, les actions se prolongeaient et s’enchaînaient. Suivant quoi ? Elles se prolongeaient et s’enchaînaient suivant une situation motrice, c’est à dire engendrant une autre action : ASA prime. Elles s’enchaînaient suivant une situation motrice ou ce que j’ai appelé une ligne du verre. Et ben, voilà maintenant que dans la dédramatisation, le seconde caractère ;
-  le premier caractère, c’était la situation ne prend plus ou ne se contracte plus en action principale.
-  Le seconde caractère, c’est les actions ne s’enchaînent plus suivant une situation motrice ou d’une ligne de force ou d’une ligne de verre. Bon, on avance un peu dans le négatif. Qu’est-ce qui a amené ça, qu’est-ce qui a amené ça après la guerre ? Liquidons, liquidons les points qui ne font pas tellement de problème. Toutes sorte de facteurs ont convergé pour qu’après la guerre s’opère cette espèce de mise en question, l’intrigue, comme éléments préexistant au tournage, au film même.

-  Premier -je le dis très vite- la crise de Hollywood, en quoi c’était très important la crise de Hollywood ? Très important pourquoi ? Un auteur américain le dit, il me semble, très bien. C’est Lumet. Lumet, il dit : "vous comprenez, Hollywood, c’est exactement ce qu’on appelait la ville-compagnie". Une ville-compagnie, vous voyez ce que c’est. Ça existait aussi en France mais moindre. C’est la ville possédée par une entreprise et ça toujours été considéré comme un fantastique moyen de pression du patronat. Lorsque la ville appartient à l’entreprise. Par exemple, Peugeot qui possède une ville où je ne sais pas quoi, lorsque les ouvrières sont logés dans des habitations dont le propriétaire, c’est le patron etc. il dit réfléchissez un peu. Lumet dit - j’aime bien ce texte- il dit, ben, oui, Hollywood, c’est exactement ça. C’est une ville, c’est une ville-compagnie, c’est une ville qu’appartient à la production. Si bien que même du point de vue d’une appréhension de la ville, ça n’allait pas. Pourtant, il y a de grands films hollywoodiens sur la ville. Et il dit quelque chose qu’ils ne pouvaient pas atteindre. Et ce n’est pas par hasard que Lumet est un des membres de ce qu’on appelle, à tort ou à raison, l’école de New York. Il dit : "ce qui est important pour nous, quand l’on fait du cinéma à New York, c’est, précisément, que la ville n’est pas faite pour le cinéma. Et que le cinéma, il ne peut se faire que dans une ville pas faite pour le cinéma". Et il dit, Lumet :" moi, je me sens cinéaste, je me sens, vraiment, autour du cinéma, précisément, parce que New York, c’est une ville avec un port qui n’a rien à voir avec le cinéma, c’est une ville où je vais voir des ballets qui n’ont rien à voir avec le cinéma". Voilà tout ce qu’il dit : ce n’est pas une ville-compagnie.

-  Deuxième élément, cette espèce d’ébranlement, pour ne pas dire plus, du rêve américain. Or j’ai essayé de montrer les dernières fois que les deux formes de l’image-action, SAS et ASA prime correspondaient si bien au rêve américain qu’il ne fallait pas s’étonner que ceux soient les formes du film américain par excellence. Et le rêve américain vous rappelez, il avait deux aspects :
-  L’un correspondant à SAS, l’autre correspondant à ASA, si bien que tout cela était parfaitement harmonieux. Le rêve américain, c’était d’une part, l’idée que l’Amérique était le creuset des minorités, à savoir, le processus vivant par lequel les minorités comme tels constituaient une seule et même nation.

-  Et le seconde aspect du rêve américain, répondant cette fois à ASA, c’était l’idée que la situation bouge mais que le véritable homme américain, c’est toujours trouver ou monter l’habitus ou la réponse aux changements de situation, à moins d’être un perdant, un perdant né. Bon, lorsque les minorités ont pris une conscience, une conscience très particulière après la guerre où ne pouvait plus survivre le thème du creuset fondateur d’une nation, lorsque d’autre part, le thème de : le bon américain, c’est celui qui montre le comportement adéquat à la situation, quelque soit la situation : c’est le milliardaire qui perd son milliardaire et qui redevient milliardaire etc. etc. hein ! Tout cela, c’est tombé, évidement. Tout un mode de récit aussi tombait.

-  Troisième caractère - là, je mélange tout - l’évolution technique dans tous les domaines, à la fois dans le cinéma, du double points de vue sonore et visuelle : cinémascope, synchronisation. Et extérieur au cinéma : La montée des images de toutes sortes, image télé, image... enfin toute la liste des images qui entraînait, aussi bien en négatif qu’en positif, une espèce de crise de l’image. Et sans doute, cette crise de l’image va être très très fondamentale pour nous puisque dans ce qu’il nous reste à faire, c’est ça, c’est ça qu’il va falloir analyser.

-  Petit quatre : l’évolution parallèle d’autres arts et notamment, du roman. La disparition aussi, la mise en question de l’intrigue et du récit dans le roman. Et là, les Américains étaient bien placés. Car, assurément, le plus grand ait fait cette mise en question, et le premier qui a mené et effectué cette mise en question dans un ensemble d’œuvres, c’est Dos Passos. Et Dos Passos, mène cette mise en question, quoi ? avant le cinéma, avant la vue. Là, c’est le cas. Ça ne cesse pas. Tantôt c’est l’un, tantôt c’est l’autre qui est en avance. Mais, en faisant appel à des procédés du cinéma, si bien que les romans de Dos Passos assez célèbres ou du moins sa grande trilogie, USA, sera entrecoupée, les chapitres seront entrecoupés par ce que Dos Passos appelle : actualité, d’une part, d’autre part : biographie, biographie documentaire, D’autre part, enfin : œil de la camera.

On verra, tout à l’heure, en quoi consistait cette mise en question de l’intrigue et du récit chez Dos Passos. Dos Passos, nous, nous l’avons connu en France, en gros le grand public, il a été connu sans doute avant de certain nombre de gens, d’une minorité, mais l’arrivée de Dos Passos en France, c’est fait dans l’espèce d’exaltation de la libération et l’un de ceux qui ont fait connaître au grand public, Dos Passos, c’est Sartre qui, vraiment l’a pris comme une espèce de modèle. Pour Sartre, Dos Passos était le plus grand romancier vivant, le plus grand romancier contemporain. Il a essayé d’appliquer Dos Passos dans ses propres romans, les méthodes de Dos Passos. Evidemment, on ne peut pas, on ne peut pas appliquer.

Mais enfin, nous, ça nous est venu relativement tard. Parce que là je fais, je précise quelque chose. Parce que c’est question faite et nous sera bien utile plus tard. En revanche, en Italie, Dos Passos était connu depuis longtemps, depuis beaucoup plus longtemps. Pourquoi ? Parce que un grand auteur italien, à savoir, Pavèse avait traduit les américains et, notamment, avait traduit Dos Passos. Si bien que lorsqu’on assistera à d’étranges chassé-croisés entre le nouveau cinéma américain et le néoréalisme italien, il faudra tenir compte d’une certaine influence - je ne dis pas que ça a été la seule - d’une certaine influence de Dos passos sur le cinéma italien. C’est parce que le cinéma italien, alors à toute autre manière, exerce une certaine influence fondamentale sur le cinéma américain moderne. Et après tout, s’il y a un film du néoréalisme italien qui raconte ça à sa manière indirecte, c’est "Païsa" de Rossellini. Car "Païsa" de Rossellini, c’est quoi ? C’est une série de rencontres indépendantes, déjà avec une très forte mise en question de l’intrigue, une série de rencontres indépendantes entre un américain et un, ou une, italienne. Or, là, on y retrouve une nouvelle illustration de ce que je disais à propos de "M le maudit" de Lang. Quand on se demande quel est le vrai duel dans un film, quel est le vrai règlement du compte, il faut voir qu’il y a toujours un règlement du compte qui est extérieur au film lui-même mais très intérieur à l’histoire du cinéma. Et que dans Le duel de "M le maudit", il y a extérieur au film et intérieur au cinéma, le duel de Lang vis à vis de l’expressionnisme allemand, c’est à dire son adieu à l’expressionnisme. Et dans le "Païsa" de Rossellini, il y a tous ces duels et toutes ces rencontres entre italien et américain et plus profondément, extérieur au film et intérieur à toute l’histoire du cinéma moyen, il y a la confrontation dans laquelle Rossellini pense être en mesure d’apporter un cinéma qui va rompre avec le cinéma américain d’ancienne façon.

remarque inaudible de Claire Parnet à laquelle Deleuze répond : Oui, oui, oui, il y aurait ça tout le temps, je crois, chez ).

Donc, vous voyez, ce que je dis, c’est donc toutes sortes d’éléments et puis j’en oublie et puis il y a eu la guerre, mais, ça je ne ne vais pas en parler en quoi la guerre..., je ne vais pas en parler maintenant.

Alors, essayons de dire et ben, en quoi consiste alors, je précise, - vous voyez la situation se complique, parce que j’ai déjà fait plusieurs fois allusion au néoréalisme italien. Bon, je fais une parenthèse là-dessus. Et en effet, c’est eux, qui avant tout, ont lancé le thème de la dédramatisation ou suppression ou mise en question de l’intrigue. D’accord, c’est eux mais on le met du coté, on le met du coté pour le moment.

-  Parce que si l’on considère qu’il y a eut répercussion sur le cinéma américain....Ce qu’il me faut, moi, c’est pousser, c’est faire comme si - je fais, pour le moment je fais une espèce d’impasse. J’ai une raison pour le faire, parce que je crois que le néoréalisme italien, sous certains aspects, est allé tellement loin que, précisément, il a déjà franchi, il a déjà dépassé tout ce que j’ai encore à dire. Alors, je suis bien forcé de ne pas en tenir compte pour le moment - si bien que même fictive, je ne m’occupe que d’une continuité dans le cinéma américain, en disant : d’accord, il y a eu l’influence du néoréalisme. En quoi ? bon, on ne sait pas encore... ce n’est pas ça qui m’intéresse.

Ce qui m’intéresse, c’est comment, quelque soit l’influence du néoréalisme sur le cinéma américain, comment ce cinéma américain récent a donc rompu avec les deux formes d’images-action ? Et la rupture se faisant sur les deux thèmes suivant : encore une fois on tient, juste. C’est ça que je veux enfiler dans une continuité fictive. La rupture se faisant en ceci : il n’y a plus de situation capable de se concentrer dans une action principale et d’autre part, il n’y a plus d’enchaînement d’action suivant une situation motrice ou une ligne d’univers. Donc, et là, je ne m’occupe que du cinéma américain.

-  Bien, le premier aspect : en effet, la situation ne prend plus dans une action principale, ne se contracte plus dans une action principale. En d’autres termes - ça revient au même - la situation a cessé d’être collective. Il n’y a plus de totalité collective. Et pourtant, il y a bien une espèce de totalité mais c’est une totalité dispersive. Mais là, je voudrais aller vite parce que je sais, je ne me rends pas compte s’il faut que, si je vais trop vite vous me le dites, je veux bien mais on a tellement à faire. En d’autres termes, la totalité collective, c’était cette totalité qui réunissait tous ses éléments de manière à les tirer dans une action principale. Et ben, dans un certain cinéma c’est fini, dans un certain cinéma américain.

Qu’est-ce qui apparaît ? Il y a pourtant totalité mais à tout nouveau type. Il y encore un récit mais à tout nouveau type. Un récit qu’il faut appeler non plus collectif mais dispersif. Il y a bien une narration, si on y tient. Mais alors, est-ce encore une narration ? C’est une narration dispersive. Il y a bien une totalité. C’est une totalité dispersive. Et après tout, cette idée d’une totalité dispersive, c’était l’ idée fondamentale déjà de Dos Passos.
-  La trilogie USA comportait un premier livre : "le 42ème parallèle". Le sujet, c’était une latitude.
-  Le deuxième tome s’appelait "1919". c’était un moment.
-  Le troisième, s’appelait "la grosse galette", the Big Money.

Bon. Et c’était fait de quoi ce récit ? En quoi c’était un récit dispersif, une totalité dispersive ? C’est qu’il n’y avait plus de personnage principal, il n’y avait plus de personnage secondaire. Parmi les réussites de Dos Passos, ça, ça me paraît quelque chose de très très ...On a eu en France un équivalent, une tentative équivalente, ça a été Jules Romain : "les Hommes de bonne volonté". A mon avis, ça n’a pas marché. Enfin, je ne sais pas, mais, enfin, peu importe. Il y avait une école en France, de poètes et de romanciers, à peu près contemporain de Dos Passos. ils s’appelaient les unanimistes. Une école très très intéressante. Ils ont fait des manifestes. Tout cela est très intéressant. Il faudrait comparer, les Dos Passos et les unanimistes mais enfin on n’a pas le temps.

Donc, qu’est ce qui se passe ? C’est des personnages multiples, plein de personnages. Mais qui viennent en arrière plan et puis s’effacent. Ils tiennent un chapitre, ils seront personnage principal et puis ils vont glisser à l’état du personnage secondaire, dans le chapitre suivant. Et puis entre ces personnages, il y a tantôt des interférences, tantôt pas d’interférence du tout. Les interférences même quand elles sont là, seront réduites au minimum. Un personnage est traité dans un chapitre comme personnage principal et puis, il devient personnage secondaire, c’est à dire : on apprend par le nouveau personnage principal : ah oui, qu’il s’est marié. Puis il ressurgira, mais le voilà qu’il n’est plus marié. Il y a une ellipse, là. Tout ça !

C’est le premier caractère très très simple de la technique Dos Passos. Je dis dans le cinéma, il a fallu attendre un certain temps. Parce que, qui c’est le plus pur ? Le plus pur... Je ne peux pas dire disciple puisqu’il n’applique pas Dos Passos. Qu’est-ce qui retrouve dans le cinéma américain actuel ? Qu’est-ce qui a retrouvé les techniques de Dos Passos au niveau du cinéma et en a fait la réalité cinématographique ? C’est Altman, Altman, c’est ça ! C’est ça. Et l’espèce de...pas seulement chez Altman mais dans tout ce cinéma dont je vais parler, un thème constant. Je veux dire aussi bien chez Lumet que chez Cassavetes et chez Altman très fort, vous avez le thème : il n’y a plus de personnages principaux ni secondaires. En d’autres termes, vous n’introduirez pas dans le récit une hiérarchie quelconque. Un personnage principal, provisoirement principal, le personnage principal, n’est que le premier des personnages secondaires à un moment donné. Le personnage secondaire est lui-même principal, au moins virtuellement, etc. Tout ce thème que vous trouvez, encore une fois pas seulement chez Altman. C’est très important, quant à une négation, c’est très simple, si vous voulez, c’est très simple. Mais, les techniques sont simples. C’est très important du point de vue d’une espèce de critique du récit. Or, le film de Altman, il y en a beaucoup, mais, les deux films, du moins principaux quant à cette technique de la réalité dispersive ou de la totalité dispersive où il n’y a plus ni principal ni secondaire, c’est évidement "Nashville", avec comme sujet, une ville, et n’importe quelle ville, mais la ville d’une certaine musique, on verra pourquoi c’est très très important ça. Et l’autre, plus restreint, un autre grand film d’Altman, "un Mariage" où Altman détaille avec beaucoup de contentement, l’existence de quarante huit personnages, tout en disant vous n’avez aucune raison de considérer celui-ci comme principal par rapport à celui-là qui serait secondaire. Et là, c’est tout le thème d’Altman qui est évidement lié au cinémascope et qui est lié au son synchrone. Il y a les fameuses techniques des huit pistes sonores de Altman de Nashville, en fin toute sortes de choses...je ne développe pas ces... tout ces points. Mais tout le thème d’Altman, arriver à mettre plusieurs mises en scène en une. Ça, c’est la formule de la totalité dispersive. Il emploiera, il emploiera des moyens techniques très variés : tantôt la profondeur du champ, mais ce n’est pas forcé ! La profondeur du champ, elle n’était pas faite spécialement pour ça. Je veux dire que c’est une utilisation très originale de la profondeur de champ, s’en servir pour faire du dispersif. Au contraire, il y a des auteurs qui se servent de la profondeur du champ pour faire de la contraction et pour avoir des effets de la contraction maximale. Et tantôt ce n’est pas la profondeur du champ. Par exemple, Nashville, c’est beaucoup plus de l’aplat, de l’étalement. La profondeur du champ, elle apparaît très fort dans un troisième film qui est " California Split".

Bon, enfin...et je dirais ça, c’est la première définition. Alors introduisons, essayons de faire le concept du mot comme celui-ci. C’est la première détermination de ce qu’il me semble, on peut appeler un "fait divers". On va voir comment il va falloir retrouver toutes sortes de déterminations du fait divers. Je dirais la première détermination du fait divers, de ce qu’on appelle un "fait divers", c’est que c’est un évènement prélevé dans une réalité dispersive.

-  Or, la ville comme réalité dispersive, je crois que vraiment ça impliquait la sortie de Hollywood. Remarquez que ça implique tout ça - sentez déjà comment tous les thèmes s’enchaînent. Ça implique aussi une tout autre appréhension des minorités, les quartiers suivant les minorités, les quartiers de minorités. Là, il ne s’agit plus du tout d’un creuset sur la nation, hein ! sur la nation, la nouvelle manière, manière américaine. Ce n’est plus du tout ça. C’est un vrai... c’est vraiment le récit patchwork. Bon, voilà le premier point, il me semble. Là, je cite Altman parce que c’est celui qui paraît être allé le plus loin mais ce n’est le seul, dans cette espèce du nouveau récit dispersif dont à la limite, on doit se dire, mais encore une fois, est-ce que c’est encore un récit ? Est-ce qu’il y a encore une action ? Ou bien est-ce que cette pulvérisation de l’action, cette poussière de faits, pour reprendre l’expression de Delluc, ça nous amène à quoi ?

Je dis toujours, pour le moment on n’arrive à le définir que négativement. Mais, c’est curieux, parce que vous voyez mon soupçon. C’est que peut-être les Américains n’ont pas pu s’en sortir ou du moins, n’ont pas pu s’en sortir encore. S’il y a - ce qui est l’envers positif de cette démarche, de cet éclatement du récit etc. il est encore pour nous à trouver.

-  Bon, je dis deuxième caractère. Donc, vous chercherez en vain une structure SAS puisqu’en effet, il n’y a plus d’action principale. à la lettre l’action ne prend plus dans une action principale.

Deuxième caractère de ce cinéma. Tandis que la ville dans l’ancien cinéma, je dis bien la ville dans le cinéma de Hollywood , elle est trés fondamentale mais elle est vraiment totalité collective. Si vous prenez la foule de Vidor et la fin de la foule, l’espèce d’éclat de rire, là, le grand éclat de rire dans lequel tout se fond, vous avez l’appréhension de la foule comme totalité collective. Dans un autre film de Vidor, d’ailleurs, il y a une scène où la même expression d’étonnement est sur le visage d’un américain moyen, le visage d’un noir, le visage d’un chinois. C’est vraiment, là, l’idée de la ville-creuset.

(Une remarque inaudible de CP auquel Deleuze répond : Peut-être, peut-être, peut-être. Dans ce cas, c’est un grand précurseur.)

Le deuxième caractère, c’est, cette fois-ci, entreprendre le caractère de la mise en cause directe de ASA, à savoir non seulement, il y a réalité dispersive mais les actions ne s’enchaînent plus suivant une ligne de force, suivant une ligne d’univers. Et ça, c’est très important - si bien que les évènements sont comme flottants. Liés par quoi ? Liés, alors, liés au hasard ? Gardons,pourlemoment,lemothasard,là encore, purement du négatif en apparence. Et ça va nous donner quoi ? Je disais tout à l’heure la totalité dispersive ou totalité dispersive, là, à ce second niveau c’est un peu autre chose mais vous sentez à quel point c’est lié. Et on passera du premier caractère au second, là, dont je parle maintenant, comme tout seul, comme tout naturellement. Ce sera quoi ?

Je dirais cette fois-ci,ce ne sera plus la formule de la réalité dispersive, c’est la formule : la balade. La balade ! La balade, c’est une image-mouvement. Ce n’est pas qu’une image-mouvement. Tiens ! Je retrouve quelque chose que je venais de suggérer, tout à l’heure. La balade a deux sens : la balade, c’est bien se balader oui, d’accord mais c’est aussi le poème de danse, la petite chanson, la ritournelle dansée ! Bon, gardons ça, on va voir, on va voir ce qui se passe. Pour le moment, je prends "balade", oui, c’est la balade, ça veut dire la succession d’évènements qui ne sont plus enchaînés suivant une ligne ou une fibre d’univers, suivant une situation motrice mais qui semble enchaîner au hasard de la balade. Et qu’est-ce que c’est ça ?

( Remarque de Deleuze à quelqu’un : Pas tout de suite, si ça ne fait rien ; c’est pressé, à moins, pas tout de suite, sinon.).

Et qu’est-ce que c’est ça ? Je cite comme ça, mais chacun de vous pourrait avoir une autre liste. Bien entendu, bien plus, je précise. Les évènements sont enchaînés comme au hasard. C’est que la balade a pris un sens particulier. Et qu’elle ne ressemble plus à un voyage à l’Allemande. Elle ne ressemble plus à un itinéraire spirituel, à un voyage sentimental ou à un voyage de formation. Non. Pas du tout, une formation.

Les balades de Wenders gardent encore un aspect, je ne dis pas pour diminuer la nouveauté de Wenders, mais sa nouveauté est manifestement ailleurs. Chez Wenders, il y a bien une tradition allemande par laquelle la balade reste, en effet quelque chose d’initiatique, de formateur, B"" et là, dans le cinéma américain, la balade, rien du tout ! C’est une balade. C’est une balade avec une succession d’enchaînements comme au hasard. Remarquez que là aussi, j’ai multiplié des précautions. Dans la génération Beatnick, la balade, elle est encore formatrice et initiatique. Kerouac et Dieu sait, là, il faudrait pouvoir parler de ça mais il y a trop de chose, l’importance de Kerouac dans le cinéma. Kerouac était un improvisateur fantastique, aussi bien au niveau du cinéma direct qu’à chaque fois qu’il apparaissait sur un écran. C’est prodigieux. Mais chez lui, le thème de la balade reste inséparable d’une espèce de voyage formateur, du voyage initiatique. Je parle donc d’une génération d’après.

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