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11- 02/03/82 - 1
Gilles Deleuze - Cinéma cours 11 du 02/03/82 - 1 transcription : Sabine Mazé Bon... alors j’ai fait... je fais d’abord une rapide mise au point, quant à, quant à la dernière séance. A la dernière séance certains d’entre vous ont bien voulu intervenir mêmetrès, très ... sur des points tout à fait localisés. Or je trouve que pour moi ça a été très riche, parce que... parce que finalement, vous sentez bien que ce qu’on fait ici cette année, à la limite, moi, je souhaiterais, je me contenterais très bien, que ce ne soit qu’une espèce de tentative de classification où on pourrait dire, ah bah voilà, tel type d’image, tel prédominance d’image, tel genre de cinéma, tel style de metteur en scène, etc. . Alors ça permettrait évidemment une méthode, là je commence à réver, une méthode de travail en commun, dont je ne désespère pas d’avance. Car à mesure que l’on avance très lentement, je m’aperçois que ce que je pensais faire en un an, eh bien, c’était de la folie parce que, il me faudra deux, trois ans peut être. Alors l’année prochaine je me disais vous voyez en rêvant, comme ça, l’année prochaine, bon faudra bien que je fasse un cours nouveau parce que, ça me paraît... hein, la moindre des choses. Mais je me dis, je diviserais mes heures en deux : je ferais un cours nouveau pendant une heure ou une heure et demie, et puis l’autre heure, ça consisterait exactement en ceci : si c’était possible qu’on forme un groupe restreint... ça, ça a toujours été mon rêve, mais comme c’est exclu il semble, en vertu de ce qu’est paris 8, de faire des séminaires fermés - ça je trouve ça scandaleux, il faudrait que ce soit de l’auto restriction, quoi, que ce soit... - et où on se contenterait... et où moi uniquement je reprendrais les catégories qu’on aurait essayé de former cette année , et puis, et puis grâce à ceux qui participeraient vraiment activement, on les remanierait, on chercherait des exemples. Moi ça m’a beaucoup frappé que la dernière fois, les exemples que vous m’avez donné de « Regards
caméras », par exemple, pour moi ont changé beaucoup de choses, ça m’a entraîné à distribuer
tout à fait autrement... Et je suis sûr que pour toutes les catégories qu’on a déjà envisagées ce
serait : La répartition des exemples réagirait sur les concepts eux mêmes, alors ça ce serait
très intéressant donc, si on peut déjà l’esquisser, si on peut déjà l’esquisser cette année et puis
on verrait... mais enfin il me semble qu’il y a des possibilités.
Mais enfin donc, on continue parce que je voudrais bien cette fois-ci, cette semaine,
terminer l’image-affection. Et donc, compte tenu de la dernière fois, voilà où nous en
sommes :
Si j’essaie de distinguer les propositions, je dis première proposition - ça c’est comme
une espèce de mise au point - eh bien
C’est tout simple, il y a pas à dire le gros plan c’est un visage grossi, il suffit de dire...parce qu’en plus c’est faux, c’est faux...
Il suffit de dire, le gros plan c’est le visage en tant qu’il a perdu, et en tant qu’il est présenté pour perdre, pour avoir perdu, cette triple fonction :
Notre réponse c’est que, un tel visage exprime... un tel visage exprime un ou des affects, il exprime un ou des affects.
(Court dialogue sur l’origine - allemande ou latine - du mot affect entre G. Deleuze et un étudiant)
L’étudiant (Alain) « T’empiètes sur mon domaine Gilles. C’est de l’allemand, c’est de l’allemand hein ? »
Deleuze « Non, non, non, c’est du latin »
Alain « Il faut l’aider à se décontracter...Gilles »
Regardes un gars de Vincennes salut ! relax Max ! On me censure ici !
Alors... oui... je dis un tel visage qu’est-ce qu’il fait ? Un tel visage ne fait qu’une chose il
exprime un ou des affects. Bien. Mais un ou des affects, ça veut pas dire quelque chose de
général. Comprenez que déjà, on est dans un problème.
Si bien que ce que le visage a répudié dans le gros plan, c’est aussi bien la personnalité de la personne, ou l’individualité de la personne, que l’individualité de l’état de chose. Individualité de l’état de chose qu’on pourrait appeler comment ?
Évidemment parce qu’ils n’expriment pas les mêmes affects de visages gros plan. C’est en ce sens que je disais Marlène Dietrich et Greta Garbo en gros plan, on confond pas. On confond pas, est-ce que c’est bien sûr, c’est parce que elles ont telle et telle personnalité. Que je pousse, à la limite, en fait la personnalité n’est jamais complètement, complètement déposée. Bon. Mais j’ajoute que c’est pas ça qui compte, c’est parce que, à la limite, à la limite - vous apportez la correction vous mêmes -, à la limite, le visage gros plan exprime des affects, parfaitement singuliers. Or, notre question, vous le sentez, ça va pas être forcément facile, c’est :
Alain « J’introduirais un autre terme, celui d’émotivité » Deleuze « D’accord, d’accord » Alain « L’émotivité du...double » GD : La différence ce serait,
Oui ? Oui ? (Question inaudible) Pardonne moi je ne te suis pas bien, tu dis, tu introduis l’idée de sémiotisation, au niveau du visage gros plan... (Précisions de nouveau inaudibles) J’ajoute - je ne sais pas si ça va dans le sens de ce que tu viens de dire -, vous sentez pourquoi j’ai un souci, même abstraitement, parce que tout ça c’est encore une fois des classifications. Pourquoi j’ai tellement de souci de distinguer pour le moment l’affect en tant qu’exprimé par un visage et, en disant ne le confondez pas avec autre chose, l’affect en tant qu’il sera actualisé dans un état de choses. Pourquoi j’ai tellement de souci à faire cette distinction, tout en sachant bien que dans n’importe quel film, il y a les deux états. C’est que seul le premier état pour moi, fait partie de ce qu’on peut appeler comme dans un pôle pur, à la limite, seul le premier état, l’affect en tant qu’exprimé par un visage, renvoie aux images-affections. Quand l’affect, lui - et on verra dans quelles conditions - n’est plus simplement exprimé par un visage mais s’actualise dans un état de choses, on est déjà dans un tout autre domaine. Et vous sentez, je précède ce que je veux dire, ce sera précisément un des pôles fondamentaux de l’image-action. Mais si j’essaie d’abstraire au maximum -tout en sachant qu’un film est nécessairement fait d’images-affections, d’images-perceptions, d’images-actions - si j’essaie de pousser mes pôles d’abstraction le plus loin possible - je dirais évidemment, dès qu’un affect est actualisé, soit dans des pulsions, soit dans des états de choses, on est déjà plus dans le domaine de l’image-affection supposée pure, on est déjà dans un autre domaine qui est le domaine de l’image-action. Ceci dit, tout film ne cesse pas d’enchaîner, et on a vu que c’était un aspect du montage, un aspect du montage très précisément. Par rapport à tel film, les proportions disaient de ces types d’images et même de beaucoup d’autres types qu’on n’a pas vus encore. Donc pour le moment je dis l’image affective telle qu’on arrive à la cerner c’est uniquement le complexe visage-affect, en tant que le visage n’actualise pas un affect - seuls les états de choses actualisent - mais en tant que le visage se contente - gros plan - d’exprimer un affect. Encore une fois, je laisse complètement pour le moment de côté la question : « est-ce que il n’y a pas des images affectives d’une autre nature que les visages gros plan ? » C’est évident que si !
Comment arriver à se taire ? C’est intéressant aussi "se taire". Comment y arriver ? C’est peut être dur mais c’est pas mal... Alors c’est en ce sens que je dis, la question d’entrer dans un groupe sans être mal vu, remarque c’est, on va y arriver...c’est le problème en effet, c’est un peu un des aspects du problème du cinéma de terreur, qui en effet est très fort, le cinéma de terreur c’est un cinéma qui a une forte prévalence d’images affectives, d’images-affections. D’ailleurs il faudra qu’on en parle, mais heu... c’est le problème Frankenstein...mais moi je trouve que ce problème, tu comprends, il ne peux pas être posé si tu ne poses pas en même temps le problème inverse. Moi quand à Laborde je suis avec Félix... A Laborde, je le disais toujours à Félix, et c’est pas que c’était pas trés malin ce que je disais...mais je réclamais qu’il y ait à laborde des moments de silence. Il s’agissait toujours que les gens prennent la parole... Alain « C’est pas possible gilles à Laborde » Deleuze « Mais c’est fondamental que les gens aient des lieux où se taire...c’est fantastique qu’il y ait ça. » Alain « Gilles écoute moi, on avait un club, personne ne parlait, à part les soignants » Deleuze « Oui mais c’est trop, il faut que les soignés et les soignants se taisent. C’est très important ça...comment se retirer d’un groupe ? Les groupes généralement ils ne vous lâchent pas... Alors tu vois, moi quand tu poses ton problème, j’en pose un qui est au moins aussi pathétique : comment sortir, comment se tirer, comment arriver à se taire ? » Alain « C’est une question de volonté Gilles. » Deleuze « Pas du tout, arriver à se taire, ça met en jeu toutes les déterminations sociales, psychologiques, heu...tout, tout, tout ! Arriver à se taire, c’est presque une question de veine maintenant...c’est pas facile, hein, pas facile... » Alain « Gilles tu es capable de te taire, tu es capable de le faire quand même... » Deleuze « Et non, tu vois là non, je suis pas capable ... » Alain « Mais tu es sollicité, tu es l’homme du comité central » Deleuze « Et bah tu vois chacun de nous a appelé l’homme du comité central, chacun de nous a quelqu’un qui viendra lui dire, « aller prend la parole »...c’est pas facile de dire « mais non j’ai rien a dire », arriver à dire « j’ai rien à dire » c’est quelque chose de formidable. » [...] Deleuze : Alors, voilà, « et poursuivant ce triste destin... » Alain « Tu ne répond pas à ma question, alors Gilles... » Deleuze « Ecoutes, je l’ai enrichi d’une question complémentaire... c’est la meilleure réponse...moi je dis que ton problème ne trouvera pas de solution si le mien n’en trouve pas... » [...] Moi sans Félix je suis complétement paumé ? j’espère que lui aussi il donnait la réplique à gilles d’une manière fantastique Alors...bon, je sais plus bien où j’en suis moi... je veux bien moi on arrete.. En France un coup d’état ? [...] Je ne sais plus du tout ce que je disais.... J’essaie de dire très confusément, donc au point où on en est, je viens de faire comme une espèce de résumé de nos acquis. Et je dis bien, si le ou les affects exprimés par le visage, vous voyez on ne s’occupe que de leur état d’expression, pour une fois on sait qu’il va y avoir d’autres niveaux. Tout ça pour dire : ils ont une singularité, il faut essayer de comprendre en quoi consiste cette singularité de l’affect.
Qu’est-ce que c’est ?
Qu’est-ce que c’est l’affect en tant qu’exprimé ? C’est à dire qu’est-ce que c’est que l’entité de
l’affect, ce que j’appelais l’entité, le fantôme ?
Depuis le début finalement, depuis le début de notre analyse de l’image affection, on tourne autour du point suivant :
C’est, on dirait aussi bien une qualité, une qualité, ou une puissance. Une qualité ou une puissance ou une "potentialité".
Dans quelle atmosphère - là je voudrais que vous abandonniez presque la rigueur des notions
pour essayer, comme une espèce de rêverie, on verra bien si ça va, où ça nous mène.
Qualité, puissance, ça veux dire qualité en "elle même", il s’agit pas d’un objet qualifié... objet qualifié
c’est lorsque par exemple quand je dis « ah oui, cette chose, cet objet est rouge, cette table est
blanche... », mais le blanc, le rouge, et toutes sortes d’autres qualités...
ou bien une puissance, une puissance c’est pas du tout la même chose que quelque chose d’actualisé, la puissance elle pourra passer à l’acte.
C’est pas seulement le "rouge" en général, c’est ce rouge-ci, c’est pas seulement "le terrifiant" en général, comme puissance, c’est ce "terrifiant". Alors, est-ce qu’il ne faudrait pas concevoir les choses comme ça, en fait telles que nous les connaissons, telles que nous en faisons l’expérience, les qualités-puissances sont déjà actualisées dans des états de choses et des personnes. Telle personne est terrifiante, tel état de chose est qualifié par du rouge... Il y a donc distribution des qualités et des puissances entre des choses, des personnes, et c’est ça qui constitue un état de chose ici et maintenant. [Interrompu] Les rapports qu’il y a entre des objets et des personnes au sein d’un état de chose, appelons les des connexions réelles, connexions réelles....ça forme un monde de relations et de connexions réelles, relation d’une chose et d’une personne, relation d’une personne et d’une autre chose, etc. Donc vous avez tout ce monde de connexions réelles. Dans ce monde de connexions réelles, des qualités-puissances s’actualisent, d’accord... « Cet état de chose sera dit « rouge », cet état de chose sera dit « terrifiant ». ». Telle personne sera terrifiante, telle personne sera terrifiée. Donc c’est tout cet ensemble que j’appelle l’ensemble des connexions réelles. Je veux dire, il faut en distinguer, comme un autre niveau, mais les deux sont tout à fait immanents, il s’agit pas de mettre dans un ciel, les deux vont se pénétrer complètement. J’en distinguerai le monde des conjonctions virtuelles. Bien, je dis que, le monde des connections virtuelles, les connections réelles, entre choses et personnes d’une part, d’autre part les conjonctions virtuelles entre affects, vont être strictement contemporaines, elles vont se poursuivre en même temps, sur les deux niveaux, les deux niveaux vont tout le temps interférer. Simplement tantôt, il y aura l’accent mis sur une conjonction virtuelle, tantôt l’accent mis sur une connection réelle.
Si bien que en même temps vous avez un monde des connections réelles, qui unissent des personnes et des choses, des personnes et des objets dans un état de chose. Le monde des connections réelles, ce serait exactement l’ensemble des personnes et des objets réunis dans un état de chose.
Mais en même temps que vous avez ce monde, il est non pas doublé, il est pénétré de l’autre monde.
Le monde des conjonctions virtuelles, à savoir les conjonctions virtuelles entre affects purs,
où il n’y a plus ni objet réel, ni personne réelle, mais il n’y a plus que des affects qui se
pénètrent les uns les autres, et c’est cette pénétration d’affects qui va constituer une essence
singulière.
Puissance de quoi ? Puissance de s’enfoncer dans un corps, avant même que Jack L’éventreur sesoit saisi du couteau. Et d’après la nature des choses, d’après la nature des objets, c’estpas les mêmes affects, c’est là que l’on voit à quel point c’est singulier. Je me rappelle une toute autre année où l’on avait parlé des affects de choses et je disais par exemple, l’affect de l’épée, c’est très important pour les films d’aventure ça. L’affect de l’épée c’est pas du tout la même chose que l’affect du sabre. En effet, l’affect de l’épée c’est percer, transpercer, alors que l’affect du sabre, c’est la puissance de taillader. Bon. C’est pas le même affect. Lorsque vous avez au cinéma, là... dans le cinéma de terreur il me semble qu’il y a un type qui a réussit les plus beaux gros plans d’objets. C’est Mario Bava. Dans l’école italienne, ils ont beaucoup, beaucoup réussit de gros plans. Les gros plans d’objets, on dit parfois, on dit parfois que c’est pour détourner l’attention d’un ( ???) trop facile. Je crois pas que ce soit ça, c’est réellement convier l’objet à dégager lui même des affects car il n’y a aucune raison que ce soit seulement les personnes qui en dégagent. Si bien que...comprenez que ce que j’essaie de dire tellement, tellement confusément, ce que j’appelle l’essence singulière, l’entité, c’est la combinaison d’affects qui varient toujours et que le visage gros plan va exprimer d’une certaine manière, un autre aspect de la même entité, de la même entité singulière, de la même essence singulière.
Prenez par exemple, dans un film de terreur : visage épouvanté, visage terrifié, on peut
concevoir trois gros plans. Pourquoi est-ce que souvent ça ne procède pas comme ça,
pourquoi dans le cinéma de terreur, il n’y a pas nécessairement beaucoup de gros plans, ça c’est un
autre problème, j’en reste au cas où il y a le gros plan. Je prends trois gros plans :
Donc à chaque instant c’est comme si j’avais simultanément un monde double,
Et je dis, lorsque vous avez des images où prédominent les conjonctions virtuelles de l’affect sur les connections réelles, encore une fois les conjonctions virtuelles de l’affect comprenant elles-mêmes les objets, mais les objets élevés à l’état de purs affects, à ce moment là vous avez : le gros plan visage, et en même temps on sent que ça déborde la gros plan visage, et comment faire ? Alors attaquons un peu l’exemple même du cinéma de terreur. Tout le monde sait bien et ça a été dit plusieurs fois, il ya comme deux très grandes tendances dans le cinéma de terreur ou d’épouvante, yen a même beaucoup plus mais partons des deux premières. Il y a une tendance mettons...et chacune à eu...et là ça permettrait de poser - de reposer, j’avais posé une fois, mais beaucoup trop vite - ça permettrait de reposer le problème des rapports producteur metteur en scène. Puisque les grandes tendances du cinéma de terreur, me paraissent alors exemplaires en ceci que, chacune d’elles, et yen a pas que deux encore une fois, correspondent à une maison de production différente.
Tout le monde sait qu’il ya une première tendance, qui a été présentée par, avant la guerre, par l’Universal et qui a fait de grands chefs d’oeuvres. Comment la définir ?
Et après quand ça passe en Amérique, quand ça passe en Amérique c’est repris par les très grands américains de l’avant guerre, à savoir James Whale, avec « Frankenstein » en 1931, « La fiancée de Frankenstein » en 1935...bon...le fameux - c’est aussi ça, c’est du pur gothique, c’est, c’est la terreur gothique comme on dit - le fameux « White Zombie » de 1932, de Victor Halperin...bon, même on s’en tient là, pour pas, pour pas augmenter les exemples. (..) Comment on pourrait essayer de définir alors, cette tendance gothique ? Bien c’est tout simple en fonction même de l’expressionnisme ou de ce néo-expressionnisme : je dirais c’est un cinéma, c’est un cinéma de terreur, et pourquoi avoir choisit de privilégier la terreur ? C’est parce qu’évidemment c’est un gros affect, mais tout ce qu’on dit c’est pas du tout que, c’est pas un affect privilégié, il se voit plus, oui ; et puis il a fondé un genre, mais il faudrait aussi imaginer des affects très souriants... Mais enfin dans le cinéma de terreur qu’est-ce qui se passe dans cette tendance gothique, représentée par Whale, tout ça ? En effet il y a des cimetières, c’est toute une scénographie qui est très connue : cimetières sous la lune, les cryptes profondes, les châteaux en hauteur, etc. Eh bien oui, on voit ça. Ca donne parfois des mises en scènes admirables, bien...il s’agit de quoi ? Il s’agit il me semble, dans toute la mise en scène, il s’agit d’une espèce de tentative qui va très, très loin pour subordonner les connections réelles qui ne doivent subsister qu’au minimum, les déformer, à la lettre, les triturer, les prolonger, les déformer pour que elles tendent vers un point de conjonction à l’infini ; Il s’agira de déformer toutes les connections réelles pour les faire tendre vers un point virtuel à l’infini, c’est les fameuses lignes expressionnistes, c’est les fameuses diagonales.
Et alors l’autre tendance, l’autre tendance ça me paraît très, très curieux, c’est l’autre tendance du cinéma d’épouvante. Ce serait une tendance à maison de production là, qui correspond... c’est aussi une tendance qui est "avant guerre", la maison de production ce serait RKO, qui en effet, se présentait comme amenant une toute nouvelle compréhension du film d’épouvante, et je crois que vraiment le grand, le grand metteur en scène de cette tendance c’est Tourneur, c’est Jacques Tourneur. Et Jacques Tourneur insiste énormément là-dessus, et surtout, alors ça a l’air d’être contre ce que je cherche, mais vous allez voir au contraire que ça va tout à fait dans le sens de ce que je cherche...si vous avez la patience d’attendre. C’est pas question de gros plans de choses terrifiantes, rien, non, pas du tout. Il s’agit pas de ça, bien plus, les grandes scènes se passent en ombre, il insistait énormément...pourtant il y avait aussi un rôle des ombres dans l’expressionnisme, mais on verra, c’est pas le même, sûrement. Tout est dans l’ombre, Jacques Tourneur explique beaucoup que ce qu’il veut dans les scènes d’épouvante, c’est que les hommes, les personnages soient en bleu noir, que l’atmosphère soit sombre ou que la scène ne soit vue que par ombres et encore par ombres floues. Par exemple, « Cat People », un des chefs-d’oeuvre de Tourneur, représente l’attaque dans la piscine, l’attaque par la panthère dans la piscine, il la représente uniquement par des ombres extrêmement mobiles ; c’est pas du tout comme l’ombre, vous voyez que l’ombre gothique, elle au contraire, c’est une ombre linéaire, qui précisément, force toutes les connections réelles à épouser une linéarité là, très, très tranchée. Là au contraire c’est un traitement des ombres anti-expressionniste. Et ça correspond à quoi ce goût des ombres chez Jacques Tourneur, où les scènes d’épouvante sont toujours en ombres ? Il a fait aussi là, dans son « L’homme léopard »... « Cat people » c’est 43, 1943, « L’homme léopard » c’est 43, il a fait aussi un film sur les zombies, qui est intitulé en français, enfin en tout cas qui est paru en France sous le titre « Vaudou ». C’est que, là cette fois-ci, c’est comme si les connections réelles étaient conservées...on conservera un maximum de connections réelles, en même temps, les conjonctions virtuelles, les conjonctions monstrueuses, se feront, mais elles se feront sous forme d’ombres, au point que subsiste un doute : est-ce que c’est de l’hallucination ou est-ce que c’est vraiment du surnaturel ? Vous voyez c’est la tendance opposée à la tendance gothique, et bien plus : non seulement il y aura perpétuelle équivoque entre la ligne des conjonctions virtuelles monstrueuses et la ligne des connections réelles subsistantes, mais il y aura perpétuel chassé- croisé et on retournera, on sortira des connections réelles vers les conjonctions d’ombres et des conjonctions d’ombres, on sera renvoyé aux connections réelles. Sous quelle forme ? Par exemple, la sorcière vaudou, eh bien après tout ça n’était que la veuve du missionnaire dans "Vaudou" ou bien l’homme léopard ce n’était qu’un névrosé. Vous voyez perpétuellement on saute d’une ligne à l’autre et on resaute de l’autre ligne à la première. C’est comme une direction tout à fait différente... Alors qu’est-ce que je peux... vous me direz ça suffit pas, il y a bien d’autres choses dans
le film de terreur, oui il y a bien d’autres choses, mais à mon avis, je dis ça parce qu’on ne
pourra, je pourrais essayer de le dire que plus tard, à mon avis ce qui s’est passé de nouveau
après la guerre, et qui est très très important, s’est fait
Conversion à un certain type d’images qui sont des images-action. |
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