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11- 02/03/82 - 1

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Gilles Deleuze - Cinéma cours 11 du 02/03/82 - 1 transcription : Sabine Mazé

Bon... alors j’ai fait... je fais d’abord une rapide mise au point, quant à, quant à la dernière séance.

A la dernière séance certains d’entre vous ont bien voulu intervenir mêmetrès, très ... sur des points tout à fait localisés. Or je trouve que pour moi ça a été très riche, parce que... parce que finalement, vous sentez bien que ce qu’on fait ici cette année, à la limite, moi, je souhaiterais, je me contenterais très bien, que ce ne soit qu’une espèce de tentative de classification où on pourrait dire, ah bah voilà, tel type d’image, tel prédominance d’image, tel genre de cinéma, tel style de metteur en scène, etc. . Alors ça permettrait évidemment une méthode, là je commence à réver, une méthode de travail en commun, dont je ne désespère pas d’avance.

Car à mesure que l’on avance très lentement, je m’aperçois que ce que je pensais faire en un an, eh bien, c’était de la folie parce que, il me faudra deux, trois ans peut être.

Alors l’année prochaine je me disais vous voyez en rêvant, comme ça, l’année prochaine, bon faudra bien que je fasse un cours nouveau parce que, ça me paraît... hein, la moindre des choses. Mais je me dis, je diviserais mes heures en deux : je ferais un cours nouveau pendant une heure ou une heure et demie, et puis l’autre heure, ça consisterait exactement en ceci : si c’était possible qu’on forme un groupe restreint... ça, ça a toujours été mon rêve, mais comme c’est exclu il semble, en vertu de ce qu’est paris 8, de faire des séminaires fermés - ça je trouve ça scandaleux, il faudrait que ce soit de l’auto restriction, quoi, que ce soit... - et où on se contenterait... et où moi uniquement je reprendrais les catégories qu’on aurait essayé de former cette année , et puis, et puis grâce à ceux qui participeraient vraiment activement, on les remanierait, on chercherait des exemples.

Moi ça m’a beaucoup frappé que la dernière fois, les exemples que vous m’avez donné de « Regards caméras », par exemple, pour moi ont changé beaucoup de choses, ça m’a entraîné à distribuer tout à fait autrement... Et je suis sûr que pour toutes les catégories qu’on a déjà envisagées ce serait : La répartition des exemples réagirait sur les concepts eux mêmes, alors ça ce serait très intéressant donc, si on peut déjà l’esquisser, si on peut déjà l’esquisser cette année et puis on verrait... mais enfin il me semble qu’il y a des possibilités. Mais enfin donc, on continue parce que je voudrais bien cette fois-ci, cette semaine, terminer l’image-affection. Et donc, compte tenu de la dernière fois, voilà où nous en sommes : Si j’essaie de distinguer les propositions, je dis première proposition - ça c’est comme une espèce de mise au point - eh bien
-  le gros plan présente le visage en tant que tel, il ne le grossit pas, c’est pas, c’est pas vrai...il ne le grossit pas... il présente le visage en tant que tel. Seulement qu’est-ce que ça veut dire le visage en tant que tel ? Ca veut dire quelque chose de très précis, c’est le visage en tant qu’il a défait sa triple fonction, à savoir :
-  sa fonction individuante,
-  sa fonction socialisante,
-  sa fonction communicante.

C’est tout simple, il y a pas à dire le gros plan c’est un visage grossi, il suffit de dire...parce qu’en plus c’est faux, c’est faux... Il suffit de dire, le gros plan c’est le visage en tant qu’il a perdu, et en tant qu’il est présenté pour perdre, pour avoir perdu, cette triple fonction :
-  de l’individuation,
-  de la socialisation
-  et de la communication.

-  Deuxième proposition : mais dès lors qu’est-ce que c’est un tel visage ? Qu’est-ce que c’est un tel visage, qui n’est plus ... qu’est-ce que c’est un tel visage, merde...heu qu’est ce que c’est un tel visage... qui n’est plus individuel, ni social, ni communiquant ?

Notre réponse c’est que, un tel visage exprime... un tel visage exprime un ou des affects, il exprime un ou des affects. (Court dialogue sur l’origine - allemande ou latine - du mot affect entre G. Deleuze et un étudiant) L’étudiant (Alain) « T’empiètes sur mon domaine Gilles. C’est de l’allemand, c’est de l’allemand hein ? » Deleuze « Non, non, non, c’est du latin » Alain « Il faut l’aider à se décontracter...Gilles »
-  Deleuze « mais non moi il faut m’aider à me contracter au contraire, si je suis décontracté, je, j’ai plus envie de travailler. » Deleuze « eh bah me v’la tout décontracté, j’ai plus rien à dire... »

Regardes un gars de Vincennes salut ! relax Max ! On me censure ici !

-  Laisse moi me contracter un peu !

Alors... oui... je dis un tel visage qu’est-ce qu’il fait ? Un tel visage ne fait qu’une chose il exprime un ou des affects. Bien. Mais un ou des affects, ça veut pas dire quelque chose de général. Comprenez que déjà, on est dans un problème.
-  j’ai dit : c’est le visage en tant qu’il a perdu ses fonctions d’individuation, bon...et pourtant, l’affect qu’exprime un visage gros plan, ou les affects, ce n’est pas n’importe quel affect, un affect ne vaut pas un autre affect. Donc il faut croire qu’il y a une singularité - j’emploie le mot singularité pour qu’il ne recouvre pas l’autre mot que nous venons de répudier
-  il y a une singularité des affects qui ne se confond pas avec l’individualité. De quoi ? Cette individualité que le visage gros plan a précisément perdu. Si bien qu’il est très possible que le visage gros plan soit lui même sans individualité, alors qu’il exprime pourtant des affects en eux mêmes proprement singuliers.
-  En effet la singularité d’un affect, ne se confond ni avec la personnalité d’une personne, ni avec l’individualité d’un état de chose.

Si bien que ce que le visage a répudié dans le gros plan, c’est aussi bien la personnalité de la personne, ou l’individualité de la personne, que l’individualité de l’état de chose. Individualité de l’état de chose qu’on pourrait appeler comment ?
-  L’individualité d’un état de chose...on l’appelle comment ? par exemple, cette salle, avec sa fumée, avec chacun de nous, avec la solitude... on l’appellera comment ? On l’appelle le "ici maintenant".
-  L’individualité d’une personne, on pourra l’appeler, par commodité, on pourra l’appeler...on pourra l’appeler une durée. D’une certaine manière le visage gros plan n’a plus rien à voir, ni avec l’individualité d’un état de chose, ni avec la personnalité d’une personne. En revanche, pourquoi est-ce que ce visage ne se confond pas avec un autre ?

Évidemment parce qu’ils n’expriment pas les mêmes affects de visages gros plan. C’est en ce sens que je disais Marlène Dietrich et Greta Garbo en gros plan, on confond pas. On confond pas, est-ce que c’est bien sûr, c’est parce que elles ont telle et telle personnalité. Que je pousse, à la limite, en fait la personnalité n’est jamais complètement, complètement déposée. Bon. Mais j’ajoute que c’est pas ça qui compte, c’est parce que, à la limite, à la limite - vous apportez la correction vous mêmes -, à la limite, le visage gros plan exprime des affects, parfaitement singuliers.

Or, notre question, vous le sentez, ça va pas être forcément facile, c’est :
-  qu’est-ce qu’il faut appeler "la singularité des affects" en tant qu’elle est complètement différente de l’individualité d’un état de choses ou d’une personne ?

-  Troisième point. Cet affect que le visage gros plan exprime, on l’a vu, il n’existe pas hors de son expression, il n’existe pas hors de son expression. C’est en ce sens, et là je voudrais aussi faire une distinction - tout ça c’est des distinctions, il faut qu’elles fonctionnent pour vous, je veux dire, enfin rien de très rigoureux forcément - Je dirais en ce sens cette fois ci, je voudrais introduire une différence entre affect et pulsion.

Alain « J’introduirais un autre terme, celui d’émotivité »

Deleuze « D’accord, d’accord »

Alain « L’émotivité du...double »

GD : La différence ce serait,
-  c’est que dans l’affect il y aurait comme l’expérience de quelque chose, qui serait comme en soi même flottant... et qui réclamerait de quoi s’incarner. Qu’est ce que je veux dire « de quoi s’incarner » ? On passe tous, vous savez on passe tous, par ces expériences où quelque chose, par exemple dans un lieu, quelque chose flotte - et on dirait un peu comme un esprit qui réclame, qui réclame de s’incarner, de s’incarner dans quoi ? Dans un geste, dans un mot, dans une attitude, ou même dans un visage.

-  La pulsion c’est très différent, la pulsion c’est l’affect en tant qu’il est intériorisé, en tant qu’il est intériorisé dans une conscience ou dans une personne. Il est actualisé, mais l’affect défini comme état flottant qui réclame un quelque chose qu’il exprime, qu’il exprime sans l’actualiser, c’est un état différent. C’est un peu, à la lettre, comme quelque chose d’errant, quelque chose d’errant qui cherche, qui cherche une expression. Ca peut même être quelque chose de tellement insistant ce quelque chose d’illocalisé, qui cherche une expression, que quelqu’un l’assume, quelqu’un l’assume tout d’un coup et l’ensemble des gens se disent, « ah c’est ça, c’est ça ». Par exemple une espèce d’atmosphère, on entre dans une pièce et on se dit : "tiens, il y a de la violence là dedans"...

-  Voilà, c’est ça un affect. Il y a de la violence là dedans, pourtant tout le monde est très calme, tout le monde est sage, tout le monde est tranquille. C’est ce qu’on appelle en un sens "une atmosphère" ce que je suis en train d’essayer d’appeler affect, tout le monde est tranquille, mais ça empêche pas... elle est là. Tout à l’heure ! Et puis ça peut s’exprimer tout d’un coup, ça s’exprime dans un visage, et on dit « ah oui c’est ça », et puis à un autre niveau - c’est pas le même niveau - ça va s’actualiser dans l’état de chose, donc les gens vont commencer à voir. Alors en ce sens, je dis l’affect saisi comme état flottant, avant son actualisation dans un état de chose, en tant qu’il réclame simplement une expression, c’est ça le rapport affect-visage. L’affect est l’exprimé, qui à la lettre n’existe pas, il est comme une pure essence, essence du tragique, essence du comique, essence de ceci de cela. Il n’existe pas hors de son expression, pourtant il s’en distingue, il se distingue de son expression exactement comme l’exprimé se distingue de l’expression. Tout à l’heure .. ; C’est en ce sens que, dans la mesure où c’est un exprimé qui n’existe pas en dehors de son expression, en lui même il est vraiment entité. Ce que j’essayais de dire la dernière fois : il est fantôme, il se distingue de son expression mais pas d’une distinction réelle, son expression c’est le visage. Dès lors c’est le groupe même affect-visage, dans la mesure où l’affect n’existe pas comme état flottant, n’existe pas hors duvisage qui l’exprime, c’est cet ensemble affect-visage qui peut être présenté comme étant l’entité, ou le fantôme.

-  Dernière proposition qui fait le point, c’est que cette entité visage-affect, expression/exprimé, quel est son caractère ? Son caractère fondamental, c’est que, à ce niveau, on a vu : elle est indépendante de son état de chose. Il y a bien expression de l’affect, mais il n’y a pas encore actualisation dans un état de choses, dans un ici/maintenant, et en effet le propre du visage gros plan, on l’a vu, c’est pas du tout de constituer des objets partiels. Le propre du visage gros plan c’est d’extraire ce qu’il présente, à savoir le visage et donc l’affect exprimé, c’est d’extraire le visage et l’affect à toute référence à des coordonnées spatio- temporelles, c’est à dire de toute référence à un ici maintenant.

Oui ? Oui ? (Question inaudible) Pardonne moi je ne te suis pas bien, tu dis, tu introduis l’idée de sémiotisation, au niveau du visage gros plan... (Précisions de nouveau inaudibles)

J’ajoute - je ne sais pas si ça va dans le sens de ce que tu viens de dire -, vous sentez pourquoi j’ai un souci, même abstraitement, parce que tout ça c’est encore une fois des classifications. Pourquoi j’ai tellement de souci de distinguer pour le moment l’affect en tant qu’exprimé par un visage et, en disant ne le confondez pas avec autre chose, l’affect en tant qu’il sera actualisé dans un état de choses. Pourquoi j’ai tellement de souci à faire cette distinction, tout en sachant bien que dans n’importe quel film, il y a les deux états. C’est que seul le premier état pour moi, fait partie de ce qu’on peut appeler comme dans un pôle pur, à la limite, seul le premier état, l’affect en tant qu’exprimé par un visage, renvoie aux images-affections. Quand l’affect, lui - et on verra dans quelles conditions - n’est plus simplement exprimé par un visage mais s’actualise dans un état de choses, on est déjà dans un tout autre domaine. Et vous sentez, je précède ce que je veux dire, ce sera précisément un des pôles fondamentaux de l’image-action.

Mais si j’essaie d’abstraire au maximum -tout en sachant qu’un film est nécessairement fait d’images-affections, d’images-perceptions, d’images-actions - si j’essaie de pousser mes pôles d’abstraction le plus loin possible - je dirais évidemment, dès qu’un affect est actualisé, soit dans des pulsions, soit dans des états de choses, on est déjà plus dans le domaine de l’image-affection supposée pure, on est déjà dans un autre domaine qui est le domaine de l’image-action. Ceci dit, tout film ne cesse pas d’enchaîner, et on a vu que c’était un aspect du montage, un aspect du montage très précisément. Par rapport à tel film, les proportions disaient de ces types d’images et même de beaucoup d’autres types qu’on n’a pas vus encore.

Donc pour le moment je dis l’image affective telle qu’on arrive à la cerner c’est uniquement le complexe visage-affect, en tant que le visage n’actualise pas un affect - seuls les états de choses actualisent - mais en tant que le visage se contente - gros plan - d’exprimer un affect. Encore une fois, je laisse complètement pour le moment de côté la question : « est-ce que il n’y a pas des images affectives d’une autre nature que les visages gros plan ? » C’est évident que si !

-  (Intervention d’Alain) « Il y a un point important, c’est le rapport d’un individu complètement, comme dirait David Cooper, complètement paranoïaque, c’est à dire à côté de lui-même. Donc, moi je ne suis pas d’accord, il ne peut pas y avoir de bagarre dans une atmosphère calfeutrée, calme. Tu entres là dedans, avec toute son agressivité, parce que c’est paranoïaque comme dirait David. Bon, donc si tu sens l’agressivité, elle vient d’où ? C’est ça la question, et je te pose cette question : la question de l’arrivée d’un solitaire dans un groupe. C’est une question que je te pose, c’est un problème qui se pose en france de plus en plus depuis Mai 68. Gilles je plaisante pas. Bon, on arrive dans un groupe, les gens fument du hash, bon tout de suite ils ont tout un cérémonial de refus, de répulsion pour t’en donner du hash. Tu fais partie, comme dirait Devos, des gens moyens... Non mais c’est très important ce que j’essaie de dire, mais j’arrive pas à l’exprimer, il faudrait que Félix soit là. Il comprendrait le processus de la violence retournée contre sois-même... Non, mais, Gilles comment on peut entrer dans un groupe sans se faire rejeter ? [...] C’est ça le problème Gilles comment entrer dans un groupe sans se faire rejeter ? [...] Gilles il faut absolument que tu répondes à cette quesion parce que tu es le seul maître ici à bord. » (Réponse de Deleuze) C’est pas la seule question tu comprends ? c’est pas la seule question parce qu’une question comme celle que tu poses, il me semble qu’on ne peut y répondre que si là aussi, on fait la liste des questions apparemment similaires. Parce que entrer dans un groupe sans être rejeté c’est bien une question, mais sortir d’un groupe sans être battu...c’est aussi une question très importante. Actuellement, par exemple, il est tout le temps question, et ça c’est un peu depuis 68, heu...comment arriver à ce que les gens prennent la parole ? Mais il y a une question non moins pathétique, c’est comment arriver à se taire ? Parce que c’est pas du tout facile, je veux dire - c’est pas simplement parce que j’ai ce métier, où il faut parler - mais dans tous les métiers c’est comme ça.

Comment arriver à se taire ? C’est intéressant aussi "se taire". Comment y arriver ? C’est peut être dur mais c’est pas mal... Alors c’est en ce sens que je dis, la question d’entrer dans un groupe sans être mal vu, remarque c’est, on va y arriver...c’est le problème en effet, c’est un peu un des aspects du problème du cinéma de terreur, qui en effet est très fort, le cinéma de terreur c’est un cinéma qui a une forte prévalence d’images affectives, d’images-affections. D’ailleurs il faudra qu’on en parle, mais heu... c’est le problème Frankenstein...mais moi je trouve que ce problème, tu comprends, il ne peux pas être posé si tu ne poses pas en même temps le problème inverse. Moi quand à Laborde je suis avec Félix... A Laborde, je le disais toujours à Félix, et c’est pas que c’était pas trés malin ce que je disais...mais je réclamais qu’il y ait à laborde des moments de silence. Il s’agissait toujours que les gens prennent la parole... Alain « C’est pas possible gilles à Laborde » Deleuze « Mais c’est fondamental que les gens aient des lieux où se taire...c’est fantastique qu’il y ait ça. » Alain « Gilles écoute moi, on avait un club, personne ne parlait, à part les soignants »

Deleuze « Oui mais c’est trop, il faut que les soignés et les soignants se taisent. C’est très important ça...comment se retirer d’un groupe ? Les groupes généralement ils ne vous lâchent pas... Alors tu vois, moi quand tu poses ton problème, j’en pose un qui est au moins aussi pathétique : comment sortir, comment se tirer, comment arriver à se taire ? » Alain « C’est une question de volonté Gilles. » Deleuze « Pas du tout, arriver à se taire, ça met en jeu toutes les déterminations sociales, psychologiques, heu...tout, tout, tout ! Arriver à se taire, c’est presque une question de veine maintenant...c’est pas facile, hein, pas facile... »

Alain « Gilles tu es capable de te taire, tu es capable de le faire quand même... »

Deleuze « Et non, tu vois là non, je suis pas capable ... »

Alain « Mais tu es sollicité, tu es l’homme du comité central » Deleuze « Et bah tu vois chacun de nous a appelé l’homme du comité central, chacun de nous a quelqu’un qui viendra lui dire, « aller prend la parole »...c’est pas facile de dire « mais non j’ai rien a dire », arriver à dire « j’ai rien à dire » c’est quelque chose de formidable. » [...] Deleuze : Alors, voilà, « et poursuivant ce triste destin... » Alain « Tu ne répond pas à ma question, alors Gilles... » Deleuze « Ecoutes, je l’ai enrichi d’une question complémentaire... c’est la meilleure réponse...moi je dis que ton problème ne trouvera pas de solution si le mien n’en trouve pas... » [...] Moi sans Félix je suis complétement paumé ? j’espère que lui aussi il donnait la réplique à gilles d’une manière fantastique Alors...bon, je sais plus bien où j’en suis moi... je veux bien moi on arrete.. En France un coup d’état ? [...] Je ne sais plus du tout ce que je disais.... J’essaie de dire très confusément, donc au point où on en est, je viens de faire comme une espèce de résumé de nos acquis. Et je dis bien, si le ou les affects exprimés par le visage, vous voyez on ne s’occupe que de leur état d’expression, pour une fois on sait qu’il va y avoir d’autres niveaux.

Tout ça pour dire : ils ont une singularité, il faut essayer de comprendre en quoi consiste cette singularité de l’affect. Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce que c’est l’affect en tant qu’exprimé ? C’est à dire qu’est-ce que c’est que l’entité de l’affect, ce que j’appelais l’entité, le fantôme ? Depuis le début finalement, depuis le début de notre analyse de l’image affection, on tourne autour du point suivant :
-  c’est que l’affect en tant qu’exprimé par le visage c’est quoi ?

C’est, on dirait aussi bien une qualité, une qualité, ou une puissance. Une qualité ou une puissance ou une "potentialité". Dans quelle atmosphère - là je voudrais que vous abandonniez presque la rigueur des notions pour essayer, comme une espèce de rêverie, on verra bien si ça va, où ça nous mène. Qualité, puissance, ça veux dire qualité en "elle même", il s’agit pas d’un objet qualifié... objet qualifié c’est lorsque par exemple quand je dis « ah oui, cette chose, cet objet est rouge, cette table est blanche... », mais le blanc, le rouge, et toutes sortes d’autres qualités... ou bien une puissance, une puissance c’est pas du tout la même chose que quelque chose d’actualisé, la puissance elle pourra passer à l’acte.
-  Mais une puissance c’est aussi une potentialité qui est pas encore actuelle, qui comme telle n’est pas encore actuelle. Voilà que le visage donc serait - quand je parle d’affect, ce serait les qualités-puissances en tant qu’elles ne sont pas encore actualisés, puisque lorsqu’elles s’actualiseront pour une fois ce sera dans des états de choses ou dans des individus ou dans des groupes ; Mais avant - en quelque sorte cet « avant » n’ayant qu’un sens logique - de s’actualiser, il s’exprime ; les qualités-puissances s’expriment et le visage c’est précisément l’expression d’une ou plusieurs qualités-puissances.
-  Mais en quoi consiste alors leur singularité ?

C’est pas seulement le "rouge" en général, c’est ce rouge-ci, c’est pas seulement "le terrifiant" en général, comme puissance, c’est ce "terrifiant". Alors, est-ce qu’il ne faudrait pas concevoir les choses comme ça, en fait telles que nous les connaissons, telles que nous en faisons l’expérience, les qualités-puissances sont déjà actualisées dans des états de choses et des personnes. Telle personne est terrifiante, tel état de chose est qualifié par du rouge... Il y a donc distribution des qualités et des puissances entre des choses, des personnes, et c’est ça qui constitue un état de chose ici et maintenant. [Interrompu]

Les rapports qu’il y a entre des objets et des personnes au sein d’un état de chose, appelons les des connexions réelles, connexions réelles....ça forme un monde de relations et de connexions réelles, relation d’une chose et d’une personne, relation d’une personne et d’une autre chose, etc. Donc vous avez tout ce monde de connexions réelles. Dans ce monde de connexions réelles, des qualités-puissances s’actualisent, d’accord... « Cet état de chose sera dit « rouge », cet état de chose sera dit « terrifiant ». ». Telle personne sera terrifiante, telle personne sera terrifiée. Donc c’est tout cet ensemble que j’appelle l’ensemble des connexions réelles. Je veux dire, il faut en distinguer, comme un autre niveau, mais les deux sont tout à fait immanents, il s’agit pas de mettre dans un ciel, les deux vont se pénétrer complètement. J’en distinguerai le monde des conjonctions virtuelles.

Bien, je dis que, le monde des connections virtuelles, les connections réelles, entre choses et personnes d’une part, d’autre part les conjonctions virtuelles entre affects, vont être strictement contemporaines, elles vont se poursuivre en même temps, sur les deux niveaux, les deux niveaux vont tout le temps interférer. Simplement tantôt, il y aura l’accent mis sur une conjonction virtuelle, tantôt l’accent mis sur une connection réelle.

-  J’essaie de m’expliquer de plus en plus, parce que c’est - je veux dire, c’est pas une idée que je vous propose, c’est une affaire de sentiments. C’est si vous arrivez à sentir comme ça, je le dis parce que je le sens comme ça, il faut que ça marche pour vous, sinon vous laisserez tomber ce point. Je veux dire ceci, c’est un peu comme la trame et la chaîne, je veux dire, là aussi ce sont des distinctions qui sont pas des distinctions réelles. Voilà, je prend un exemple, vous avez quelqu’un de terrifié - c’est pour ça que là, vous voyez poindre mon exemple des films d’horreur - des films d’horreur dont il va bien falloir parler un peu plus. Vous avez quelqu’un de terrifié, je le prend comme personne réelle, c’est le domaine de l’actualité, de l’actualisation, son affect, la terreur qu’il éprouve, est actualisé, dans tout son corps. En tant que cet affect est actualisé, dans une personne réelle ou supposée réelle, il renvoie à quoi ? Il renvoie à un objet, ou une autre personne. Cet autre objet ce sera par exemple, le couteau, qui fait peur, à la personne, ou bien une autre personne, le vampire, qui fait peur à la victime. Entre le vampire, le couteau et la personne terrorisée, vous avez un ensemble de connexions réelles.

-  Bon, prenons l’autre point de vue, mais les deux points de vue sont strictement coexistants. Je ne considère plus la personne en tant qu’elle actualise un état de terreur, qui en tant qu’actualisé est un état "ici maintenant", je prends le visage gros plan de la personne en tant que terrorisée, en tant que terrifiée. Ce n’est plus le stade de l’actualisation, c’est le stade de l’expression, elle exprime un affect de terreur ; Cet affect de terreur, tout à l’heure il renvoyait à un objet capable de le produire, que ce soit le couteau ou le vampire. Mais quand vous le considérez comme, là c’était l’affect actualisé, quand vous le considérez comme affect exprimé, il renvoie pas à l’autre personne ou à l’autre objet, il renvoie à un autre affect, à savoir, le vampire comme affect c’est à dire ce terrifiant là, le couteau comme affect, c’est à dire cette puissance là, puissance de s’enfoncer dans un corps.

Si bien que en même temps vous avez un monde des connections réelles, qui unissent des personnes et des choses, des personnes et des objets dans un état de chose. Le monde des connections réelles, ce serait exactement l’ensemble des personnes et des objets réunis dans un état de chose. Mais en même temps que vous avez ce monde, il est non pas doublé, il est pénétré de l’autre monde. Le monde des conjonctions virtuelles, à savoir les conjonctions virtuelles entre affects purs, où il n’y a plus ni objet réel, ni personne réelle, mais il n’y a plus que des affects qui se pénètrent les uns les autres, et c’est cette pénétration d’affects qui va constituer une essence singulière.
-  Et alors, à ce niveau l’objet ne vaut plus comme objet, à savoir objet de perception, l’objet ne vaut plus que comme affect - la personne ne vaut plus comme personne, c’est à dire comme personne agissante ou ressentante, ayant des pulsions - elle vaut uniquement comme Et, si bien que contrairement à beaucoup de critiques je ne ferai jamais la moindre différence entre, par exemple, les gros plans et les très gros plans, je veux dire entre les gros plans de visage et les très gros plans de détails ou entre les gros plans de visage et les gros plans d’objets. Pourquoi ?

-  Parce que de toute manière quelque soit l’objet du gros plan, l’opération du gros plan consiste en ceci : en extraire un affect pur. Si bien que faire un gros plan d’objet, quand est-ce que ça réussit, quand est-ce que ça rate, c’est pas difficile...enfin c’est très difficile à faire, mais c’est pas difficile à voir pourquoi ça réussit et pourquoi ça rate, on a vu la déjà dernière fois avec des exemples tirés de Eisenstein. Un gros plan de visage ça rate essentiellement lorsque, le gros plan n’arrive pas à défaire, à déconnecter le visage des coordonnés spatio-temporelles, on l’a vu. Un gros plan d’objet ça rate quand quoi ? Quand l’objet reste objet au lieu d’être réduit à un pur affect. C’est très curieux cette réduction par le gros plan de l’objet à un affect objet, c’est pas un affect de moins, il y a trois types d’affects et il y a toujours finalement trois types d’affects et c’est cette communication, cette conjonction virtuelle des trois types d’affects qui va définir l’entité complexe ou l’essence singulière exprimée, qui va définir cet exprimé. Les trois types d’affect c’est quoi ? Je dirais, il y a toujours des affects du type...c’est tellement compliqué...je peux pas dire...c’est par commodité des affects qui, lorsqu’ils s’actualiseront, renverront à une personne.
-  Par exemple, terrifiant, ou terrifié...terrifié.

-  Des affects qui lorsqu’ils s’actualiserons renverrons à une autre personne, le terrifiant cette fois-ci, si le premier était le terrifié.
-  Et troisièmement des affects-choses, des affects-objets. Le couteau, je reprend un exemple dont j’étais partis, les très beaux gros plans de « Loulou », de Pabst, le visage de Jack L’éventreur, avec deux affects successifs : l’horreur, l’horreur qui monte jusqu’à un seuil insupportable, et la résignation.
-  Et, gros plan du couteau, il sait qu’il pourra pas résister ; il va flanquer un coup de couteau à Lou. Mais là, ce qui fait du couteau un gros plan possible, c’est que, c’est le couteau qui est un affect. Je veux dire en effet, qu’il faut qu’il y ait une puissance de l’image suffisante pour que le couteau soit saisi comme puissance.

Puissance de quoi ? Puissance de s’enfoncer dans un corps, avant même que Jack L’éventreur sesoit saisi du couteau. Et d’après la nature des choses, d’après la nature des objets, c’estpas les mêmes affects, c’est là que l’on voit à quel point c’est singulier. Je me rappelle une toute autre année où l’on avait parlé des affects de choses et je disais par exemple, l’affect de l’épée, c’est très important pour les films d’aventure ça.

L’affect de l’épée c’est pas du tout la même chose que l’affect du sabre. En effet, l’affect de l’épée c’est percer, transpercer, alors que l’affect du sabre, c’est la puissance de taillader. Bon. C’est pas le même affect. Lorsque vous avez au cinéma, là... dans le cinéma de terreur il me semble qu’il y a un type qui a réussit les plus beaux gros plans d’objets.

C’est Mario Bava. Dans l’école italienne, ils ont beaucoup, beaucoup réussit de gros plans. Les gros plans d’objets, on dit parfois, on dit parfois que c’est pour détourner l’attention d’un ( ???) trop facile. Je crois pas que ce soit ça, c’est réellement convier l’objet à dégager lui même des affects car il n’y a aucune raison que ce soit seulement les personnes qui en dégagent.

Si bien que...comprenez que ce que j’essaie de dire tellement, tellement confusément, ce que j’appelle l’essence singulière, l’entité, c’est la combinaison d’affects qui varient toujours et que le visage gros plan va exprimer d’une certaine manière, un autre aspect de la même entité, de la même entité singulière, de la même essence singulière. Prenez par exemple, dans un film de terreur : visage épouvanté, visage terrifié, on peut concevoir trois gros plans. Pourquoi est-ce que souvent ça ne procède pas comme ça, pourquoi dans le cinéma de terreur, il n’y a pas nécessairement beaucoup de gros plans, ça c’est un autre problème, j’en reste au cas où il y a le gros plan. Je prends trois gros plans :
-  visage terrifié,
-  visage terrifiant,
-  objet, objet chargé d’affects. Prenez alors l’objet chargé d’affects, ça peut être le crucifix, ça peut être dans le cas du vampire...il est chargé d’un double affect, puisque l’objet va être une sorte de ventilation entre chacun, Si je prend mes trois affects : affect actif, affect passif, affects chose, le terrifié, le terrifiant et l’affect objet, à chaque fois les échanges sont nombreux. Puisque la croix, elle va être n’est-ce pas le signal d’un renversement de la terreur, à ce moment là c’est le vampire qui devient terrifié. Dans le terrifié en tant que purement, dans le visage terrifié en tant que purement exprimé, lorsque la terreur est purement exprimée et pas considérée comme actualisée dans l’état de chose : vous avez un type de conjonction virtuelle, c’est à dire de conspiration entre le terrifié et le terrifiant, qui n’est pas du tout le même que la connection réelle, dans le domaine de l’actualisation entre le personnage qui fait peur et le personnage qui a peur.

Donc à chaque instant c’est comme si j’avais simultanément un monde double,
-  les connections réelles de l’état de chose,
-  les conjonctions virtuelles de l’affect.

Et je dis, lorsque vous avez des images où prédominent les conjonctions virtuelles de l’affect sur les connections réelles, encore une fois les conjonctions virtuelles de l’affect comprenant elles-mêmes les objets, mais les objets élevés à l’état de purs affects, à ce moment là vous avez : le gros plan visage, et en même temps on sent que ça déborde la gros plan visage, et comment faire ? Alors attaquons un peu l’exemple même du cinéma de terreur. Tout le monde sait bien et ça a été dit plusieurs fois, il ya comme deux très grandes tendances dans le cinéma de terreur ou d’épouvante, yen a même beaucoup plus mais partons des deux premières. Il y a une tendance mettons...et chacune à eu...et là ça permettrait de poser - de reposer, j’avais posé une fois, mais beaucoup trop vite - ça permettrait de reposer le problème des rapports producteur metteur en scène.

Puisque les grandes tendances du cinéma de terreur, me paraissent alors exemplaires en ceci que, chacune d’elles, et yen a pas que deux encore une fois, correspondent à une maison de production différente. Tout le monde sait qu’il ya une première tendance, qui a été présentée par, avant la guerre, par l’Universal et qui a fait de grands chefs d’oeuvres. Comment la définir ?
-  C’est une tendance dérivée de l’expressionnisme, et c’est un peu ce que certains auteurs appellent « la tendance gothique », et c’est pas mal puisqu’en effet l’expressionnisme est très lié à un art gothique ou pseudo gothique. Et ça consiste en quoi ? Je dirais c’est assez simple, qu’est-ce que ça représente cette tendance ? Eh bah, ça représente les grands films expressionnistes dans le cinéma de terreur : Wegener, « Le Golem » ; « Nosferatu », Murnau, « Le cabinet des figures de cire »... et après ?

Et après quand ça passe en Amérique, quand ça passe en Amérique c’est repris par les très grands américains de l’avant guerre, à savoir James Whale, avec « Frankenstein » en 1931, « La fiancée de Frankenstein » en 1935...bon...le fameux - c’est aussi ça, c’est du pur gothique, c’est, c’est la terreur gothique comme on dit - le fameux « White Zombie » de 1932, de Victor Halperin...bon, même on s’en tient là, pour pas, pour pas augmenter les exemples. (..) Comment on pourrait essayer de définir alors, cette tendance gothique ? Bien c’est tout simple en fonction même de l’expressionnisme ou de ce néo-expressionnisme : je dirais c’est un cinéma, c’est un cinéma de terreur, et pourquoi avoir choisit de privilégier la terreur ? C’est parce qu’évidemment c’est un gros affect, mais tout ce qu’on dit c’est pas du tout que, c’est pas un affect privilégié, il se voit plus, oui ; et puis il a fondé un genre, mais il faudrait aussi imaginer des affects très souriants... Mais enfin dans le cinéma de terreur qu’est-ce qui se passe dans cette tendance gothique, représentée par Whale, tout ça ? En effet il y a des cimetières, c’est toute une scénographie qui est très connue : cimetières sous la lune, les cryptes profondes, les châteaux en hauteur, etc. Eh bien oui, on voit ça. Ca donne parfois des mises en scènes admirables, bien...il s’agit de quoi ? Il s’agit il me semble, dans toute la mise en scène, il s’agit d’une espèce de tentative qui va très, très loin pour subordonner les connections réelles qui ne doivent subsister qu’au minimum, les déformer, à la lettre, les triturer, les prolonger, les déformer pour que elles tendent vers un point de conjonction à l’infini ; Il s’agira de déformer toutes les connections réelles pour les faire tendre vers un point virtuel à l’infini, c’est les fameuses lignes expressionnistes, c’est les fameuses diagonales.

-  Point de conjonction virtuelle qui sera quoi ? Qui sera précisément la composition des affects, si bien que l’espèce de conjonction des affects, des puissances et des qualités, va valoir au maximum pour elle même, ce qui subsiste des connections réelles n’étant que comme des lignes qui ébauchent et qui doivent être prolongées pour arriver à la seule chose qui compte, c’est à dire ces conjonctions d’affects.
-  Conjonctions d’affects qui vont réunir l’affect passif, l’affect actif je dirais et l’affect témoin, j’appelle affect témoin dans ce cas là l’affect objet. Donc en ce sens les connections réelles vont être complètement écrasées, elles vont être plus qu’écrasées, elles vont être retraitées, elles vont être complètement étirées au besoin, et ça va être les brisures de lignes, ou les déformations linéaires expressionnistes, etc. Dont tout ça, dont les américains ensuite reprennent le secret. Ca c’est la tendance gothique. (...) La terreur monte. Toi tu es un bon vampire.. Salut Alain ! Vous rigolez mais c’est épuisant, c’est tuant Le revoilà ! C’est la panique parce que je me dis... Ouais bon !

Et alors l’autre tendance, l’autre tendance ça me paraît très, très curieux, c’est l’autre tendance du cinéma d’épouvante. Ce serait une tendance à maison de production là, qui correspond... c’est aussi une tendance qui est "avant guerre", la maison de production ce serait RKO, qui en effet, se présentait comme amenant une toute nouvelle compréhension du film d’épouvante, et je crois que vraiment le grand, le grand metteur en scène de cette tendance c’est Tourneur, c’est Jacques Tourneur. Et Jacques Tourneur insiste énormément là-dessus, et surtout, alors ça a l’air d’être contre ce que je cherche, mais vous allez voir au contraire que ça va tout à fait dans le sens de ce que je cherche...si vous avez la patience d’attendre. C’est pas question de gros plans de choses terrifiantes, rien, non, pas du tout. Il s’agit pas de ça, bien plus, les grandes scènes se passent en ombre, il insistait énormément...pourtant il y avait aussi un rôle des ombres dans l’expressionnisme, mais on verra, c’est pas le même, sûrement. Tout est dans l’ombre, Jacques Tourneur explique beaucoup que ce qu’il veut dans les scènes d’épouvante, c’est que les hommes, les personnages soient en bleu noir, que l’atmosphère soit sombre ou que la scène ne soit vue que par ombres et encore par ombres floues. Par exemple, « Cat People », un des chefs-d’oeuvre de Tourneur, représente l’attaque dans la piscine, l’attaque par la panthère dans la piscine, il la représente uniquement par des ombres extrêmement mobiles ; c’est pas du tout comme l’ombre, vous voyez que l’ombre gothique, elle au contraire, c’est une ombre linéaire, qui précisément, force toutes les connections réelles à épouser une linéarité là, très, très tranchée.

Là au contraire c’est un traitement des ombres anti-expressionniste. Et ça correspond à quoi ce goût des ombres chez Jacques Tourneur, où les scènes d’épouvante sont toujours en ombres ? Il a fait aussi là, dans son « L’homme léopard »... « Cat people » c’est 43, 1943, « L’homme léopard » c’est 43, il a fait aussi un film sur les zombies, qui est intitulé en français, enfin en tout cas qui est paru en France sous le titre « Vaudou ». C’est que, là cette fois-ci, c’est comme si les connections réelles étaient conservées...on conservera un maximum de connections réelles, en même temps, les conjonctions virtuelles, les conjonctions monstrueuses, se feront, mais elles se feront sous forme d’ombres, au point que subsiste un doute : est-ce que c’est de l’hallucination ou est-ce que c’est vraiment du surnaturel ? Vous voyez c’est la tendance opposée à la tendance gothique, et bien plus : non seulement il y aura perpétuelle équivoque entre la ligne des conjonctions virtuelles monstrueuses et la ligne des connections réelles subsistantes, mais il y aura perpétuel chassé- croisé et on retournera, on sortira des connections réelles vers les conjonctions d’ombres et des conjonctions d’ombres, on sera renvoyé aux connections réelles. Sous quelle forme ? Par exemple, la sorcière vaudou, eh bien après tout ça n’était que la veuve du missionnaire dans "Vaudou" ou bien l’homme léopard ce n’était qu’un névrosé. Vous voyez perpétuellement on saute d’une ligne à l’autre et on resaute de l’autre ligne à la première. C’est comme une direction tout à fait différente...

Alors qu’est-ce que je peux... vous me direz ça suffit pas, il y a bien d’autres choses dans le film de terreur, oui il y a bien d’autres choses, mais à mon avis, je dis ça parce qu’on ne pourra, je pourrais essayer de le dire que plus tard, à mon avis ce qui s’est passé de nouveau après la guerre, et qui est très très important, s’est fait
-  soit dans la direction gothique,
-  soit dans la direction Tourneur, en apportant quoi de nouveau ? En apportant une conversion, à savoir passage d’un primat des images affections à un primat d’un tout autre type d’images qui est précisément les images qu’on a pas encore étudiées.

Conversion à un certain type d’images qui sont des images-action.

 1- 10/11/81 - 1


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