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27- 21/12/82 - 3

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Gilles Deleuze - Cinéma cours 27 du 27/12/82 - 3 transcription : Franck Baron

Du coup il a obtenu beaucoup plus de signes. Ca finissait fantastique, manifestement son rêve c’était de faire une classification à quatre mille, cinq mille euh ...signes ...Euh ... Alors bon, c’est ce que l’on appelle l’œuvre d’une vie. Mais en même temps il faisait de la logique formelle, il mettait tout ça, il formalisait tout ça, c’est une œuvre très extraordinaire, bon ... Rideau, parce que nous voilà alors devant le problème et là ... Euh nous, je veux dire .. On ne peut pas rivaliser avec un philosophe comme ça, il ne s’agit pas, il s’agit pas du tout de ça. Mais nous ... et c’est pas des objections. Quand j’essaye de vous le dire tout le temps ... Quand vous lisez quelque chose, n’importe quoi par exemple, Il y a des choses qui vous servent et puis vous dîtes : ça c’est pour moi et puis il y a des choses qui ne sont pas pour moi, bon. Quand vous écoutez, quand vous écoutez un cours, il y a des trucs pour vous et des trucs pas pour vous ; ça fait partie des mystères ça. Pourquoi que c’est pour nous, pourquoi que c’est pas nous, personne ne le saura ...Bon, si, peut-être mais il faudrait bien chercher ! c’est, c’est vraiment là le problème de l’affinité des concepts.

Donc moi je ne me permet aucune objection ! quoi c’est apprendre à se taire pour aller plus vite ... Je me dis juste qu’est-ce qui, qu’est-ce qui me va, qu’est qui me va pas là dedans ? Je l’ai déjà dit la dernière fois, c’est je précise juste déjà qu’est-ce qui peut m’arriver, qu’est-ce qui me va pas... Je remarque, et je me dis : et mon Image-perception, et mon Image-perception, il n’y a pas de place pour elle là dedans...

Ce qui me paraît évident, c’est que pour moi ... encore une fois si vous consentez à ce que ce soit pas une objection, il en dit trop et il en dit pas assez. D’un côté il en dit trop parce que pour le moment, moi j’aurais rien à faire de la tiercéité. Evidement c’est gènant parce qu’il dit : « ceux qui ne comprennent pas la tiercéité, ils comprennent rien ... » mais moi j’en aurais à faire pour autre chose de la tiercéité. Mais en revanche, j’aurais rudement besoin d’un ... de quelque chose.

Car en effet c’est effarant quand même ... Là j’peux dire il exagère Peirce ... Parce qu’il se donne, lui, ces trois images, là-haut, priméité, secondéité, tiercéité, il nous dit : « le phanérone ... » c’est-à-dire l’apparaître « est organisé comme ça, et allez vous faire voir ! » Mais c’est pas bien du tout ça ! D’où elles viennent ? ... Qu’est-ce qui va rendre compte de cette triple racine du phanérone ... de cette différenciation du phanérone ? Il ne nous le dit pas ... C’est comme ça parce que c’est comme ça ... Mais moi j’veux pas ! Je voudrais que soit clairement indiqué, et vous voyez pourquoi ...Y aura aucune analyse chez lui du phanérone ... Mais nous ... Alors il a le droit ...Mais nous on est forcé parce que nous on n’est pas parti du phanérone comme ça ... on est parti d’une longue description de l’Image-Moument ou de l’Image-Lumière.

C’est-à-dire notre phanérone à nous, on en a fait une très longue description. Donc notre Image-Mouvement, notre Image-Lumière à nous, elle avait déjà une parfaite consistance. Bien plus : elle s’étalait sur tout un plan d’immanence ! Vous vous rappelez.

D’où nécessité pour nous de rendre compte de la différenciation des images de priméité, de secondéité et même de tiercéité. En d’autres termes, il nous faut quelque chose qui rende compte de cette différenciation. En d’autres termes, une racine de la différenciation. Un, deux, trois. Il nous faut quelque chose qui ne soit déjà plus l’Image-Mouvement, et qui ne soit pas encore ni de la priméité, ni de la secondéité, ni de la tiercéité. Quel autre mot voulez-vous lui donner que « zéroité » ? Donc il faut là une zéroité, qui elle-même aura des signes. Mais alors si on fait ça ... bien plus ... Puis si pour d’autres raisons on est amené à repousser provisoirement la tiercéité ... qu’est-ce que ce sera un signe alors, pour nous ... ? Il faudra évidement que ce soit tout à fait autre chose. Je veux dire ceci,

et c’est ma première remarque : il me semble qu’il n’en dit pas assez ... il n’en dit pas assez ... si je résume ... c’est parce que : il n’y a pas chez lui "d’engendrement", des variétés d’images. Nous il nous faut un degré zéro qui explique comment et pourquoi l’Image-Mouvement donne lieu a de la priméité et de la secondéité. En d’autres termes, il nous faut une zone qui rende compte de la naissance des images spéciales au sein et dans l’univers de l’Image-Mouvement ou de l’Image-Lumière. Or on a vu ... si vous vous rapportez à ce que l’on a fait au tout début de l’année ... on l’a vu ça ... Qu’est-ce qui assure le passage ... de l’Image-Mouvement aux images spéciales ? Et qui donc est à la fois une image spéciale déjà et encore participe au plan de l’Image-Mouvement. C’était précisement l’Image-Perception.

Et pourquoi l’Image-Perception avait-elle ce privilège ? Là il faut le rappeler sinon ça n’a aucun sens ... L’Image-Perception avait ce privilège parce qu’elle participait à un double système ... elle était inséparable d’un double système.
-  Elle participait premièrement : au système des Images-Mouvements qui varient toutes les unes par rapport aux autres sur toutes leurs faces et dans toutes leurs parties et en ce sens toutes les images quelles qu’elles fussent, étaient des perceptions en soi. Et l’atome était une perception en ce sens qu’il était la perception de toutes les actions qu’il subissait et de toutes les actions qu’il opérait sur ce plan d’immanence des Images-Mouvements. Donc je dis que l’Image-Perception, par un de ses pôles renvoyait au monde des Images-Mouvements et de leurs variations universelles.

-  Et d’un autre côté en même temps, l’Image-Mouvement ... l’Image-Perception, la perception, exprimait par son autre pôle le mouvement ... non, le processus par lequel le système des Images-Mouvements allait s’organiser autour d’un centre d’indétermination, c’est-à-dire : où toutes les images allaient varier pour une seule et par rapport à une seule.

Et par rapport à ce second système, je ne disais plus : "toutes les choses sont des perceptions", je disais : « quelqu’un perçoit quelque chose. » Quelqu’un ... un centre d’indétermination, perçoit quelque chose. Les images cessaient d’être en soi, les images devenaient ..., le phanérone cessait d’être en soi ... Il devenait pour quelqu’un, et par rapport à quelqu’un, par rapport à quelqu’un qui percevait, un sujet percevant.

Mais l’Image-Perception ... ne cessait pas d’osciller d’un de ses pôles à l’autre. Exemple évident, que l’année dernière on avait beaucoup analysé à propos du cinéma ... Il suffit que le sujet percevant ... J’ai donc mes deux systèmes ...
-  Premier système : toutes les images varient les unes pour les autres ;
-  deuxième système : les images varient par rapport à une image privilégiée... C’est les deux pôles de l’Image-Perception ... d’accord ? Mais si le sujet privilégié, si le centre privilégié, si l’image privilégiée se met à bouger elle-même, plus elle sera mise en mouvement, plus elle tendra à reconstituer l’universelle variation.

Bon ... très bien ... Alors : l’Image-Perception ne cesse pas d’osciller. C’est pour ça que : je dis qu’elle est présupposée par la priméité et la secondéité ; qu’elle est autre chose que l’Image-Mouvement, et pourtant qu’elle n’est pas encore la priméité. Elle va être ce qui rend possible la priméité et la secondéité. Et en effet : la qualité est qualité et il faudra bien que d’une manière ou d’une autre elle soit perçue. L’action est action mais il faudra bien que d’une certaine manière qu’elle ne soit pas seulement agie mais perçue. Donc l’Image-Perception appliquera ... euh ...accompagnera les images spéciales. Elle sera elle-même une image spéciale. Elle aura un très drôle de rôle : d’un côté elle plonge dans l’Image-Mouvement pure, d’un autre côté elle est déjà une image spéciale, d’un troisième côté elle accompagne les autres images toujours spéciales.

C’est pourquoi pour moi s’impose une zéroité qui renvoie à l’Image-Perception. Donc moi j’aurais en haut, on le verra plus tard : zéroité Image-perception ; priméité Image-affection ; secondéité Image-action. Je laisse de côté pour le moment le problème de la tiercéité. Mais qu’est-ce que je viens de dire ? Je viens d’affirmer que dès l’Image-perception, il y avait un caractère à la fois quoi ? ... un caractère génétique. Il faut bien marquer "l’engendrement", la genèse de chaque image spéciale. Y a donc un aspect génétique. D’un autre côté j’ai remarqué qu’il y avait un aspect "bipolaire" de l’Image-perception. Elle participe à deux systèmes : système de l’universelle variation ; système de la variation relative à un centre privilégié, à une image privilégiée.
-  Bon, pour moi voilà ce que c’est qu’un signe.

Alors on va dire ... bon ... Un signe je dirais ben vous comprenez, un signe : c’est une image spéciale, une image particulière plutôt, une image particulière qui représente un type d’image.
-  Voilà. Un signe c’est une image particulière qui représente un type d’image. J’ai donc pour le moment moi, trois types d’images, je ne tiens toujours pas compte de la tiercéité. J’ai - des Image-perceptions,
-  des Image-affections,
-  des Image-actions.

Je dis un signe c’est une image particulière en tant que elle vaut pour un type d’image. En effet je dirai à ce moment là : « Ah !...c’est de l’Image-affection, c’est une Image-affection », « Ah ! ... c’est une Image-action », « Ah ! ... c’est une Image-perception ». C’est donc une image particulière, c’est essentiel pour moi, qui représente un type d’image... sous quel point de vue ? J’ai pas encore introduit l’histoire des interprétants ... je me la laisse de côté. J’peux plus, j’peux plus. En revanche j’ai deux points qui m’intéressent et peut-être beaucoup plus.
-  Comment une image particulière, de quel point de vue une image particulière peut-elle représenter un type d’image ? En apparence, de deux points de vue, ou peut-être de quatre, ça dépendra, à votre choix, dépend si on résume, si on étend ... De deux points de vue : du point de vue de la composition bipolaire de chaque type d’image. Donc un signe ce sera dans ce cas : "une image particulière qui représente la composition bipolaire du type d’image auquel il renvoie". Evidemment les exemples ... euh...viendront ... les exemples.

Comprenez que ça se complique parce que déjà là en cherchant bien, je peux dire j’aurais au moins trois signes : j’aurais un signe bipolaire, un signe qui met l’accent sur le pôle A, et un signe qui met l’accent sur le pôle B. Ca m’en fera trois, trois par case ... y a pas la course aux nombres, ... c’est très important ça. L’autre aspect ... (blanc sur la cassette audio)

... de ce type ... Là j’en aurais peut-être deux de signes ... parce que pourquoi seulement de la genèse ? Egalement de l’évanouissement ... ça peut-être l’évanouissement du signe euh... du type d’image pardon, pas l’évanouissement du signe ... Le signe sera un signe d’évanouissement ou un signe de genèse du type d’image auquel il renvoie. Parfois, comprenez qu’on ne peut rien décider d’avance ... ça n’a pas l’air mais c’est très très amusant... Parfois je m’apercevrais que le signe d’extinction est nécessairement confondu avec le signe de genèse. Parfois, à ma stupeur, le signe d’extinction sera pas le même que le signe de genèse. Je dirais donc que : par type d’image, j’aurais, si je prends les choses au plus juste, deux signes : un signe de composition, donc bipolaire ... ... et un signe de genèse, un signe génétique. En effet, encore une fois, le signe sera une image qui représentera soit la composition, soit la genèse du type d’image auquel il renvoie.

Donc cette définition n’a rien avoir avec celle de Peirce, et pourtant on va retrouver des signes communs. Si je vais au plus long au contraire, je dirais il y des cas où je peux concevoir cinq signes par type d’image. En effet, le signe de composition divise en trois suivant que les deux pôles sont pris en charge ou l’un plutôt que l’autre. J’aurais donc dans ce cas trois signes de composition. Et puis le signe de genèse se divisera en deux, éventuellement, signe de genèse et signe d’extinction. Donc j’aurais au minimum deux signes par type d’image, zéroité, priméité, secondéité ; au maximum cinq signes par type d’image. Bon ... et alors pourquoi ... pourquoi je laisse de côté, pour le moment la tiercéité ? C’est pourtant ça l’essentiel ... Alors ... c’est, c’est tragique parce qu’il faut que j’aille au secrétariat. Vous tenez encore ou vous ne tenez plus ... parce que si vous ne tenez plus c’est pas la peine de ... C’est je sens qu’il faudrait que je donne un petit exemple euh... ça arrangerait peut-être tout ... mais euh ...

Vous comprenez ... je donne un exemple pour que ... Bon : je prends moi, la secon ... la priméité. Que ceux qui au moins étaient là l’année dernière, y comprendront. Et vous comprendrez pourquoi j’ai besoin des mots de Peirce, pourquoi je ... j’ai le droit d’une certaine manière, de leur donner un autre sens. Pour moi la priméité, c’est l’Image-affection. Et en effet, l’Image-affection c’est la qualité ou la puissance considérée en elle-même, indépendamment d’un état de chose, indépendamment d’un état de chose où elle s’actualiserait. D’accord, ça c’est clair : quand vous prenez une qualité ou une puissance, quand vous considérez une qualité ou une puissance, indépendamment d’un état de chose actuel, existant dans lequel cette qualité s’actualise, à ce moment là vous vous trouvez devant une Image-affection. Je prends un exemple : la frayeur. La frayeur a toujours une cause. Je suis devant un précipice, je suis effrayé ... bon d’accord, la frayeur a toujours une cause, ça empêche pas qu’elle existe comme frayeur indépendamment de sa cause, et vous pouvez la considérer indépendamment de toute cause. En d’autres termes, vous pouvez la considérer, la considérer indépendamment de tout état de chose actuel. Vous me direz ... « il y a toujours un état de chose actuel ... » : d’abord, j’en suis pas sûr, pas tellement évident ... voyez ...vous la considérer comme pure puissance, pure potentialité, ça on l’a vu avec la priméité chez Peirce ... on sait tout ça. Je dirais : voilà une image de priméité. Bon ... alors ... bon ... d’accord ...

Voilà, l’analyse que j’avais essayé de faire l’année dernière sur l’Image-affection, me donnait ceci. Mais une qualité puissance, considérée en elle-même, ça veut dire quoi ? Remarquez là aussi c’est pas du tout des objections. Peirce il s’en contente puisque ça renvoie à une pure conscience immédiate qui n’est jamais donnée. Donc il n’a pas besoin d’autre chose. Moi je me disais j’ai besoin d’autre chose, de le définir purement euh...j’sais pas euh... plus ontologiquement, moins logiquement. Je disais c’est pas difficile : c’est une qualité, c’est une qualité ou une puissance telle qu’elle peut être exprimée par un "visage". Elle n’est pas actualisée dans un état de chose, c’est une qualité puissance en tant qu’exprimée. Bon ... c’est même trop dire : par un visage. C’est une qualité puissance exprimée et pas actualisée.

Bon, mais qu’est-ce que c’est la variable d’expression ? Faut pas aller très loin dans l’analyse pour arriver à dire : et bien, la variable d’expression c’est un visage ou un équivalent de visage, quelque chose qui fait fonction de visage, un pied peut très bien faire fonction de visage, c’est ce que l’on appellera une visagéification, bon très bien ... ou une proposition, une proposition peut faire fonction de visage ... une proposition c’est un visage mental. La proposition est un visage en tant qu’elle exprime. Exprimer n’est que l’une de ses dimensions ... c’est seulement sous cette dimension qu’une proposition est un équivalent de visage.
-  Je dirais donc : il y a un premier signe de l’Image-affection, et le premier signe de l’Image-affection c’est : qualité puissance en tant qu’exprimée ... trois petits points ... en tant qu’exprimée par un visage ou un équivalent de visage ou une proposition. J’appelle ça une : « Icône ». Donc j’ai besoin du même mot que Peirce, le sens est pourtant très différent.
-  Pour moi une « icône » sera une qualité ou une puissance en tant qu’exprimée ... sous entendu si elle est exprimée elle ne peut l’être que par un visage, un équivalent de visage ou une proposition faisant fonction de visage. Voilà le signe de composition de l’Image-affection.

Ah bon ... ? c’est le signe de composition... en effet, c’est pas du tout génétique. C’est de ça qu’est composée l’Image-affection, elle est composée par "l’expression". D’où un soupçon ... mais "l’expression" ou sa variable "l’exprimant" c’est-à-dire le visage, l’équivalent de visage ou la proposition ... Essayons de chercher un peu est-ce qu’y a pas deux pôles... Oui il y a deux pôles ... on l’avait vu, là je récapitule quelque chose pour euh...euh ... même j’espère que ceux qui étaient pas là l’année dernière s’y retrouvent quand même, mais il y a deux pôles.

Et en effet, il y a deux pôles du visage.
-  Le visage peut être considéré comme un contour, que j’appellerais à ce moment là : contour visagéifiant, il est essentiellement exprimant parce qu’il est contour ... c’est son contour qui est expressif. C’est le pôle de la réflexion ... le visage est réflexif ou songeur.
-  Et puis il a un tout autre pôle ... non pas contour visagéifiant mais ensemble de traits, ensemble de traits discontinus : un œil qui luit, un nez qui renifle, une bouche qui s’ouvre et l’on saute de l’un à l’autre. ça je dirais que le visage est pris comme ensemble dynamique, cette fois-ci de : traits de visagéité, et non pas de contours visagéifiants.

Et en effet, j’avais essayé de montrer l’année dernière comment la peinture avait tout à fait ces deux pôles et que l’art du portrait nous présentait tantôt un pôle de contour, une prévalence du contour, du contour visagéifiant, et tantôt une prévalence des traits prélevés sur la masse, avec des sauts de l’œil au nez et caetera... et pas du tout la ligne contour, la grande ligne contour que vous trouvez au XVIème siècle par exemple. Au XVIIème, là le portrait subit une espèce de ... on passe d’un pôle ... tout se passe comme si on passait d’un pôle à l’autre du visage... moi je simplifie beaucoup. Formidable pour moi... je pourrais dire déjà : « les Icônes » qui est pour moi le premier signe de l’Image-affection ... et donc tout va être décalé déjà ... ça va pas être là du tout l’Icône...

ça sera le premier signe de l’Image-affection et je dirais : c’est le signe de composition. Mais à ce titre, il y a deux sortes d’Icônes : les unes ... je pourrais chercher des mots très compliqués mais pour pas, pour pas exagérer, les unes nous les appellerons : icônes de contour ; les autres nous les appellerons : icônes de traits. Bon à charge pour nous ...dans le véritable art des icônes ...Est-ce qu’il n’y aurait pas des équivalences ? ...Est-ce qu’on trouverait pas des icônes de contour et des icônes de traits ... L’histoire des cathédrales ... est-ce qu’il ne faudrait pas de ce point de vue, considérer des choses de sculpture ... et caetera ...

Et puis, et puis, je termine vite cet exemple et puis on s’en tiendra là ... pour que vous alliez plus vite en vacances ...euh... Et puis c’est pas tout quand même ...c’est pas tout forcement. Parce que je me dis ... bon : l’icône c’est un signe de composition, mais en effet, ça me dit rien sur la genèse de l’Image-affection... ça me dit si peu sur la genèse de l’Image-affection, que le visage que ce soit sous forme d’icône de contour ou icône de traits, c’est une grosse unité... c’est une grosse unité. Ca procède en gros hein... C’est à peu près ... Y a une histoire idiote au cinéma vous savez... c’est le fameux effet : coulée de choc, eihn... euh...Y un acteur là qui a la même expression et puis on fait un montage, et cette expression est censée correspondre, une première fois à une femme, alors elle devient « le désir » ; deuxième point à un repas, à de la nourriture alors elle devient « la faim » ; troisième point ... j’sais plus après.

C’est idiot parce que, c’est idiot ... ça ne concerne absolument pas le problème des associations avec un contexte ... y avait pas besoin de faire cette expérience. Il y a longtemps que tous les psychologues et que, et que ... euh ...le gens de bon sens ont remarqué que le visage était un instrument très très peu différencié quant à la l’expression des affections, qu’il dispose de très peu d’expressions ... Il y a longtemps que... je me rappelle dans les romans de Sartre, il y a toujours une métaphore ...euh pas une métaphore, une note qui revient ... ça c’était très signé Sartre, rien ne ressemble plus que de l’envie sexuelle et le besoin de dormir ... pas toujours vrai mais souvent... souvent ...Le désir sexuel et l’envie de dormir ... Ah oui j’ai inversé tiens...euh... Bien, mais en effet toujours finalement comme diraient les matérialistes grossiers, dans toute émotion y a quoi ... ? une décharge d’adrénaline... ça ce sent ... j’peux dire tout au plus que si je considère pas l’état de chose où c’est, c’est forcé, c’est de la grosse expression, c’est de la composition.

Le visage finalement il n’exprime que des affects composés. Pour arriver à des expressions d’affects purs il faut des efforts très particuliers, sinon vous exprimez toujours des affects composés. Là on voit très bien que : l’Image-affection, en tant que signifiée par une icône, c’est-à-dire en tant qu’exprimée par un visage ou un équivalent de visage, elle trouve seulement un signe de composition. L’icône n’est qu’un signe de composition relativement grossier. Il pourra tout au plus accentuer un pôle, accentuer l’autre pôle.

-  Mais la genèse de affects ce serait quoi ? La genèse des affects ... y a quelque chose qui est beaucoup plus fin. Je réclame donc une instance plus fine du visage. Y a quelque chose qui est beaucoup plus fin dans le visage. Un visage ça peut toujours mentir, ça peut toujours, tout ça, ça peut toujours, ... y a quelque chose de beaucoup plus différentiel ... Quelque chose qui serait peut-être la "genèse des affections". L’élément génétique, l’élément différentiel ... c’est quoi ? C’est ... pour le moment ... c’est certains lieux ou certains types d’espaces où là les affects sont beaucoup plus fins. Au point que ces espaces sont même des répertoires, sont même des conservatoires d’affects encore inconnus. On a l’impression que ... on est pénétré par des affects qui viennent d’un autre monde. Bon le cinéma, et j’en parlais l’année dernière parce que le cinéma il en a beaucoup joué ...Attention, c’est pas des espaces-temps déterminés, puisque les espaces temps déterminés, ils font partie de la secondéité, ils font partie de l’Image-action. Non je n’ai pas le droit de me contredire à point là. Ce ne sont donc pas des espaces temps actualisés ... comment on appellera ça ? ... L’année dernière, c’est l’un d’entre vous qui avait proposé ce mot, qu’on appellerait ça des « espaces quelconques », ce qui ne veut pas dire des espaces universels en tout temps, en tout lieu. Ce qui veut dire des espaces qui n’ont pas d’autres fonctions que : exhiber des affects ; exhiber des qualités ou des puissances pures. Par exemple : l’espace des ombres de l’expressionisme allemand, voilà un espace quelconque. Autre exemple d’espace quelconque : des espaces dans lesquels on ne s’oriente pas, c’est-à-dire, c’est pas qu’on ne s’oriente pas, ce sont des espaces dans lesquels les parties de cet espace ne sont pas orientées les unes par rapport aux autres. C’est des espaces sans raccord ou au contraire, ça revient au même, où chaque partie est unie à d’autre par une multiplicité de rapports possibles. Par toute sorte de raccords possibles, où les raccords ne sont pas déterminés de manière univoque. Ce sont des espaces, donc à la lettre : déconnectés. La connexion d’une partie à une autre peut se faire de mille façons. En mathématiques, en géométrie on connaît bien ça, c’est même ce qui apparaît dans la géométrie riemanienne où les voisinages n’ont pas de coordination univoque et la connexion de deux voisinages peut se faire d’une infinité de manières.

Bon, je dis, la qualité puissance, un premier mode en elle-même, indépendamment de son actualité, indépendamment de son actualisation, une qualité puissance pure a deux modes ... pas d’existence ... Deux modes d’apparaître. Elle peut apparaître en tant qu’exprimée par un visage ou un équivalent de visage, on l’a vu ; et elle peut apparaître en tant qu’exhibée par ou dans un espace quelconque. Je dirais, l’espace quelconque, beaucoup plus fin, c’est la véritable genèse, c’est le véritable élément génétique des affects. C’est dans les espaces quelconque que les affects naissent, se forment. C’est ensuite seulement qu’ils seront cueillis par un visage. Vous lâchez un visage dans un espace quelconque : vous avez un film de terreur. Bon ... alors, bien, ça me donne quoi ? Je dis : Image-affection, priméité, c’est-à-dire qualité puissance à l’état pur.
-  Premier signe : signe de composition. Je l’appelle « Icône ».
-  Deuxième signe : des espaces quelconques qui exhibent, des espaces quelconques qui exhibent la qualité ou la puissance pure.
-  C’est ça que j’appelle : « Qualisigne ». Je dirais l’Image-affection a deux signes : l’Icône et le Qualisigne, au plus court. Au plus long, elle a quatre signes : l’icône de contour, l’icône de traits qui correspondent aux deux grands pôles du signe de composition. Et du côté des espaces, des Qualisignes ...

Encore une fois, j’appelle Qualisigne un espace quelconque en tant qu’il ne fait rien d’autre qu’exhiber une qualité ou une puissance pure. De ce point de vue, il y a deux types d’espaces ... quelconques : il y a les espaces désorientés ou déconnectés qui se définissent ainsi : pas de raccord, ou du moins pas de raccord univoque d’une partie à une autre ; mais y a aussi un autre type d’espace, l’espace vide ou vidé, un autre type d’espace quelconque, l’espace vide ou vidé.
-  Je dirais que le premier est un signe de naissance,
-  le second un signe d’extinction.

Bon, je prends là pour que ce soit très clair, des trucs de cinéma eihn...j’y reviens très vite. Pour mes quatre signes. Un gros plan visage, on l’avait vu l’année dernière, il a ses deux pôles. Il y a des gros plans visages qui euh...sont centrés sur le contour, souvent, pas exclusivement, souvent par exemple chez Griffith : y a le gros plan visage qui est presque exclusivement fondé sur le trait, c’est beaucoup plus le gros plan Eisenstein. Là je trouve bien mes deux signes, mes deux icônes, le gros plan étant l’icône cinématographique. Pour les espaces quelconques, c’est très fréquent aussi, et ça déborde le film de terreur, je citais l’espace d’ombre de l’expressionnisme lorsque l’ombre noie les contours, noie les tas de choses, et caetera. C’est évident, mais d’une manière plus moderne la recherche sur les espaces chez les grands auteurs de cinéma est déjà fantastique depuis longtemps. Je prends les exemples : les espaces déconnectés ou vraiment, précisément c’est tout ce que l’on appelle par exemple le problème des faux raccords ou pas de raccord du tout... Euh ... rendre ... minimiser les raccords d’un lieu au lieu voisin, c’est le propre de quoi ? Un des plus grands, mais un des premiers, c’est Bresson. Espaces déconnectés parce que précisément il veut obtenir par là des espaces à valeur tactile, qui deviennent des espaces visuellement quelconques, des espaces complètement déconnectés. Par exemple "Le pickpocket" est un chef-d’œuvre, mais déjà "Le procès de Jeanne d’Arc" où vous trouvez la cellule qui n’est jamais prise en plan d’ensemble mais qui est prise, toujours là, en succession d’angles fermés sans connexion ou avec des connexions équivoques.

Donc je dirais, Bresson est un grand cas. Mais, mais dans tout le cinéma contemporain... c’était une recherche très très passionnante sur ces espaces déconnectés que vous trouvez par exemple complètement dans le néo-réalisme italien, pensez à "La forteresse de Païsa", par exemple de Rosselini, c’est euh... bon ... euh...que vous trouvez complètement dans l’école de New-York au cinéma, pour moi un des plus grands de l’école de New-York c’est évidement Cassavetes, or Cassavetes a multiplier les espaces quelconques, alors les espaces déconnectés où on comprend absolument pas comment un type passe du lieu au lieu même voisin, où y a là un type de faux raccord, c’est un génie du faux raccord. Bon ... La nouvelle vague française j’en parle pas, les espaces déconnectés de Godard, alors c’est euh... c’est célèbre tout ça bon ...euh... là y auraient toutes sortes de recherches qu’on avait esquissés l’année dernière. Mais les espaces vides vous les trouvez également c’est célèbre, c’est célèbre, y a pas tellement ... deux, y a trois génies ... y a tant de génies de partout... mais il me vient immédiatement trois noms à l’esprit : les espaces vides de Straubb ; les espaces vides, moi c’est celui qui m’intéresserait le plus de tous, les espaces vides d’Antonioni, les plans vides d’Antonioni vous savez lorsque y ... après que les choses se soient passées ... après que, après l’actualisation, après l’événement, nous flanque l’espace vidé, par exemple pensez à la fin de "Profession reporter", la caméra reste un moment sur l’espace qui est complètement vidé. Splendide, splendide, c’est un beau cas d’espace vidé. Et alors, pas du tout dépotentialisé, mais qui au contraire n’existe plus que par ses potentiels affectifs. Et le, celui que ... J’aurais du commencer par lui, parce que historiquement il a du être le premier, évidement Ozu, Ozu, les champs vides de Ozu sont aussi une valeur alors ... une valeur très intense, affective, intense et où là c’est tellement minutieux, et ses champs vides contrairement à ceux d’Antonioni, sont volontairement, tellement insignifiants que s’y fait alors vraiment l’élément génétique de l’affection.

Je résume ceci : vous voyez, et c’est tout ça que je voudrais systématiser à la rentrée. Non seulement on aurait une tout autre ...c’était pour donner un exemple, pour moi cet exemple on l’aura ... Là j’aurais par exemple dans un tableau d’une toute autre nature - on verra - j’aurai : Image-affection priméité ; et puis j’aurai en haut, là : signe de composition ce qui me donnerait « Icône » ici ; et puis là : signe génétique, ce qui me donnerait : « Qualisigne ». Et puis j’aurai mes deux signes de composition, « Icône de trait » et « icône de contour », et puis j’aurai mes deux euh... « Qualisignes » : « Qualisigne de déconnexion » et « Qualisigne de vacuité ». Ce serait aussi joli, ce serait bien, voyez ... Là j’en aurais quatre dans ce cas là ... y aurait des cas où j’en aurais que deux ... parce que surtout il faut pas que ça marche avec une loi, faut que ça change à chaque fois hein ... alors ça j’ai absolument besoin que pour la rentrée euh... ceux qui n’auront pas été dégouté complètement euh ... vraiment se rappellent ça ...et surtout se rappellent le tableau de Peirce. Très bonnes vacances.

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