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26- 14/12/82 - 3

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cours 26 du 14/12/82 - 3 Deleuze Cinéma transcription : Viara Coleva Georgieva et Clara Guislain -

-  Les relations naturelles sont,les processus par lesquels je passe d’une partie distincte à une autre partie distincte. Les relations abstraites sont des ensembles ou des paquets de relations indépendamment de leur terme, qui expriment, dont chaque zone, chaque région exprime ou est un aspect d’un tout qui change. Bon ...Et pour moi, c’est ça le sens. Si bien que je peux dire alors, je reviens à Peirce, vous devez plus en pouvoir mais j’aurais besoin que... oui et puis ça fait rien. Et ben oui, vous voyez Peirce, c’est très bien, il nous dit : la tiercéité c’est quoi ? La tiercéité c’est quoi ? C’est la loi. D’accord. C’est la relation. D’accord. C’est les sens. D’accord. Puis, c’est encore une fois, si je maintiens la distinction relation naturelle /relation philosophique, ou mieux, la distinction : relation concrète/ relation abstraite : les relations abstraites, c’est les sens. Donc, la tiercéité se définira. Et en effet, elle n’est ni une expression comme la priméité, ni une position-opposition comme la secondéité, mais bien une interprétation. Et l’interprétation se fait, je dis juste suivant deux voies : la constitution, l’interprétation et tantôt, la constitution d’une série brève, ouverte, mais brève, suivant des relations naturelles. Et tantôt, la constitution d’une figure à niveaux, ou si vous préférez... heu...on ne peut pas dire d’un ensemble, mais d’un tout. D’un tout à niveaux et à régions : par lesquels passe un seul et même objet. On dirait là qu’il y a deux types d’interprétations. Et comme dit Bergson très bien, les deux, ces deux figures, et je dirais la même chose de mes deux types d’interprétation : elles ne cessent pas de se mélanger, on ne cesse pas de les mélanger l’une a l’autre. Concrètement, on ne cesse pas mélanger. Voila donc - j’en ai plus pour longtemps- Car je vous proposerai juste des exercices rapides pour finir.

-  Et donc, les trois types d’images de Peirce : priméité, secondéité, tiercéité. Et bien... Je vais finir par deux remarques. Première remarque : On est loin d’avoir fini, puisque là-dessus il va falloir passer à l’étude des signes. Ca c’est uniquement les types d’images. Mais nous savons et attendons de Peirce qu’il nous montre comment les images vont devenir des signes. A mon avis, on a tout pour le comprendre très facilement. Mais je le remets à la prochaine fois. En revanche, je vois tout de suite ce qui pour nous un drame, une catastrophe. C’est que nous aussi on avait trois types d’images, hein, nous aussi on avait obtenu trois types d’images. Même qu’on les avait appelées : image-perception, image-action, image-affection. Et bien la catastrophe c’est que ça ne se correspond pas, il y a le drame. L’image-affection : elle répond exactement a la priméité, l’image-action : elle répond exactement à la secondéité, mais sa tiercéité moi j’en ai rien à faire pour le moment. Et il y a rien chez lui qui réponde à ce que j’essayais de définir comme l’image-perception... Vous vous rendez compte de drame ? Car enfin la tiercéité , c’est pas l’image-perception, c’est le mental, c’est la pensée. Ca il est formel, et puis c’est évident ! Il n’a même pas besoin de le dire. Donc, on va avoir des problèmes d’ajustement...Et puis faut pas ajuster, il va falloir essayer de comprendre pourquoi cette différence cruelle. Mais, donc, ça c’est pour la prochaine fois. Et ça ne peut se faire qu’au moment où on aura comprit ce que c’est que les signes pour lui et ce que c’est que les signes pour nous. C’est sûrement là qu’il va y avoir une... heu...Bon tant-pis. C’est pas grave tout ça.

-  Mais, je voudrais juste finir en rattachant à ce que je faisais l’année dernière sur le cinéma. Prenons des exercices juste pour confirmer quand même la richesse de ces trois notions, et vous voyez d’après ce que j’ai dit en quel sens il peut dire, mais Hegel, vous comprenez, il ne supporte pas Hegel, Peirce. Mais il dit, la dialectique, ça n’a jamais été qu’une trahison, une manière de ne rien comprendre au 1, 2,3, à la priméité, à la secondéité, à la tiercéité. En effet, la dialectique, c’est l’opération qui substitue à la secondéité de la secondéité dégénérée, et à la tiercéité de la tiercéité dégénérée. C’est très curieux, comme manière, il ne supporte pas Hegel. Je ne suis pas sûr, qu’il l’ait lu d’ailleurs. Mais, ça fait rien, ça n’a pas d’importance. Il a lui même quelque chose à dire, donc ce n’est pas grave non plus.

-  Mais mais mais, revenons à nos histoires de cinéma de l’année dernière. Il y a un truc que je n’avais pas fait à ce moment là parce que je n’y pensais pas. Voila, je dis : si on prenait ces trois catégories de Peirce comme types d’images et on essaierait de faire des exercices pratiques. Alors, premier exercice pratique : le burlesque. Le burlesque, l’année dernière je m’étais lancé dans un truc ... j’avais essayé de dire, qu’est ce que c’était pour moi la différence entre un sujet classique, qu’est ce que c’était pour moi la différence entre Chaplin et Buster Keaton. Mais je pense aux autres. Je n’avais pas parlé des autres. Et je prends un exercice simple : Qu’est ce qui est « un » ? Qu’est -ce c’est le burlesque de la priméité ? On peut y aller, on fait comme ça des petits ...Si Peirce vivait encore, il serait, ho par oui, après ça, après tout ... Mais enfin, bon.

-  Petit exercice. Le burlesque de la priméité, je dirais, c’est... je sais plus son nom, alors ça... le fameux burlesque... Landon ? Landon c’est ça. En effet c’est l’affect à l’état pur, l’affect lunaire et puéril. Et je n’analyse pas. Mais il est fondamentalement « un », c’est la priméité. Je ne tiens pas compte de Keaton ni de Chaplin, parce qu’ils ne rentrent pas à mon avis dans ces catégories là. Deux- il suffise que je dise qui c’est, le burlesque du duel, c’est Laurel et Hardy. Seulement, ce qui est très important, ce que je voudrais...j’ai pris exemple uniquement pour vous faire comprendre ça. Laurel et Hardy, c’est le burlesque génial de l’image-action ou de la secondéité. Et en effet ils sont dans des rapports de duel avec tout le monde. Duel avec le monde, duel avec les autres, duel l’un avec l’autre. Et comme ce sont des burlesques, ils ont découverts le non-sens propre à la secondéité. Le non-sens propre à la secondéité, c’est développer dans le temps les simultanéités du duel. Le duel doit être simultané, d’accord. Laurel et Hardy en font la découverte sublime, d’un duel distribué et distendu dans le temps ; ça veut dire que je te donne un coup de poing dans l’œil alors que tu ne fais rien, et puis moi à mon tour j’attends et je reçois un grand coup de poing dans l’œil ou dans le nez etc. C’est des sources comiques de Laurel et Hardy et qui n’existent que chez eux, sauf chez ceux qui l’ont copié. Mais c’est eux qui ont inventé ça : temporaliser le duel alors que le duel implique une simultanéité quelconque. Mais, ce qui m’importe plus, c’est un truc que Peirce a très bien vu : c’est que lorsque il y a un, il y a « un ». Mais lorsqu’il y a deux dans la secondéité, il y a nécessairement un des deux qui reprend à son compte le « un » de la priméité. Tous les deux, hein, vous me suivez ? Tous les deux forment la secondéité, c’est-à-dire le duel. Mais l’un des deux va reprendre au sein de la secondéité la priméité, c’est-à-dire que l’un des deux va être la priméité de la secondéité- vous ressentez à quel point les schémas de Peirce sont compliqués- et l’autre va être la secondéité de la secondéité. Et, c’est évident que la priméité de la secondéité, c’est Laurel. Et c’est lui le représentant des affects. C’est lui le représentant de toutes les potentialités. Hardy, c’est l’homme d’action, qui veut agir et qui empêche Laurel d’agir, qui n’y tient pas. Lui c’est la secondéité de la secondéité. Et va se passer l’aventure, alors là la seconde source de burlesque chez Laurel et Hardy : c’est que l’homme d’action, qui est vraiment Hardy, ce n’est pas que ce soit un faux homme d’action, ne cesse pas de rater. Il ne cesse pas de rater parce qu’il est tellement homme d’action que il a laissé le domaine des qualités à Laurel qui, lui, est le représentant de la priméité. Donc, le gros Hardy, il ne peut que se heurter à des états de choses dans leur matérialité brute. Alors, il a trouvé le moyen les surmonter. Et au contraire Laurel qui a gardé les qualités sans les incarner dans des états de choses, à ce moment là, c’est comme si les états de choses n’existaient pas pour lui. Si bien que lui, il passe sans même le voir dans un ruisseau et Hardy le suit et, bizarrement, s’écroule. Il a beau avoir mis ses pieds dans le même endroit, il y a pour lui un gros trou.

-  Mais, mais, ce qui m’intéresse là dedans c’est que, dans votre jeu de la secondéité il y a nécessairement une priméité de la secondéité, et une secondéité de la secondéité. Si bien que, si j’essaie de faire l’analyse, alors pour les Marx, qui sont la tiercéité à l’état pur- à mon avis ils l’ont même introduit volontairement- ça donne quoi ? Je ne suis pas sûr que Groucho il n’a pas eu peur tu vois. L’un est aussi rigolo que l’autre. Si je faisais une espèce de schéma, ça a été souvent fait la répartition des trois... Mais là voila. Faudrait au moins qu’on ait des armes pour essayer de la faire ou de la refaire. je n’ai pas besoin de dire que Les trois il faut les prendre ensemble. Il faut prendre le tissu de relations indépendamment même des termes, je dirais c’est la zone de sens des frères Marx ça. Et puis, les trois termes : Harpo, Chico, Groucho. Il n’y a pas de problèmes pour Harpo, je dirais qu’il est la priméité de la tiercéité. C’est lui, en effet, qui est à la fois le représentant des affects célestes, la harpe, et des pulsions infernales comme : voracité, sexualité, destruction etc. Il est l’un dans l’autre. Mais entre les affects et les pulsions, on verra les différences, c’est vraiment le régime de la priméité. Bon, alors je trouve que Chico, on ne parle pas assez dans ce cas. Il est très important, c’est le seul qui soit l’homme d’action. C’est lui qui constamment protège, soit Harpo, soit l’amoureux de service, C’est celui qui se présente toujours comme le garde de corps .Son piano est un mode d’action, contrairement à la harpe qui elle, est vraiment un instrument des affects. Et puis tout son comportement va être quoi ? Il va avoir un rapport privilégié avec Harpo, comme si les deux premiers types d’images (et ça ça m’importe l’image -affection, l’image-action, Harpo-Chico) avaient une relation directe, tandis que, pas dans tous mais dans la plupart des Marx, Groucho, il arrive d’ailleurs. Les deux ils se connaissent déjà, et Groucho, il vient du dehors. Voila, c’est vraiment un autre domaine Groucho. Et puis s’en suit la danse infernale des trois, ils vont s’arranger, tout ça, mais enfin, entre Harpo et Chico, qu’est-ce qui se passe de l’un à l’autre ? Si vous consentez à ce que je suppose, le rôle d’Harpo c’est de fournir vraiment des matières-qualités, des qualités matérielles. Il n’agit pas Harpo, il assure la fourniture qualitative. De son immense imperméable il sort des choses que lui, Harpo, ne considère pas comme des objets, mais comme des qualités ou comme des puissances, des potentialités. Et il les sort, et les sort quand Chico les lui réclame, et c’est Chico qui va en faire des moyens d’action. Si bien que entre Harpo et Chico vous allez avoir un double rapport, qui va faire jour à chaque fois et qui va être déjà alors du point de vue de tiercéité. .. Je veux dire Harpo c’est, pour parler barbare, c’est la priméité de la tiercéité. Chico, c’est la secondéité de la tiercéité. N’empêche que, tous les deux sont de la tiercéité. Qu’est-ce qui va le montrer ? Premier schéma de Chico à Harpo : Chico lance un mot avec un accent très savant, tantôt c’est un accent italien impossible, tantôt c’est un accent yidish... comme dans un que j’ai revu récemment, un accent très très complexe. ( inaudible) Il y a le grand moment où Chico résume tout dans une sorte de bredouillage, et il sort de son imperméable une lampe électrique pour chercher la lampe électrique de l’autre. Qu’est-que c’est ça de votre point de vue ? On est en plein dans l’interprétation. L’interprétation qui va de Chico à Harpo, c’est : Chico lance un mot et Harpo doit le traduire dans l’objet correspondant. Le non-sens c’est quoi ? C’est que c’est toujours l’objet le moins correspondant. C’est un non-sens au niveau du mot. Et c’est le premier type de non-sens des Marx. Le non-sens comme lexical, c’est le non-sens au niveau du mot. Mais c’est déjà l’interprétation. Je dirais que c’est des relations non naturelles, mais au sens des relations naturelles. C’est des relations naturelles volontairement dégénérées. Dans l’autre sens, de Harpo à Chico, c’est exactement le chemin inverse, qui est également célèbre. C’est le fameux langage gestuel de Harpo, et cette fois c’est Chico qui doit interpréter. Ce n’est plus un mot auquel l’autre doit faire correspondre un objet, mais c’est une mimique à laquelle Chico cette fois doit faire correspondre une proposition.

-  Deux, second type de non-sens chez les Marx, c’est le non-sens propositionnel, mais le non-sens propositionnel c’est encore une perversion des relations naturelles. Relations naturelles contenues dans le langage gestuel. C’est typiquement un ensemble de relations dites graduelles. Mais Groucho, lui c’est la tiercéité de la tiercéité. Ca ne veut évidemment pas dire qu’il est meilleur que les autres, non ça, pas de tout, enfin il est peut-être déterminant, et c’est en effet l’homme de foi. Ca se voit que c’est l’homme du discours, de la parole, mais c’est l’homme du mental. Et de quoi il joue ? Qu’est-ce qu’il fait ? C’est quel non-sens ? C’est l’homme des relations abstraites. Quelle que soit un terme et un autre terme, il trouvera la relation. La relation philosophique qui s’établie. En revanche devant toute relation naturelle, il reste comme ça. Un exemple, dans un film aussi, que j’ai revu récemment, on lui présente une photo, qui dévoile l’assassin. Il dit : « Mais c’est les yeux de Monsieur machin ( Deleuze ne se souvient plus du nom), c’est les yeux de Monsieur machin, c’est son nez, c’est sa bouche mais qui est-ce que ça peut bien être ? » Il est complètement perdu dans la relation naturelle. En revanche la relation, la relation abstraite, la relation philosophique, alors là, il en jongle et il devient quoi ? Ce n’est plus le mot comme de Chico à Harpo, ce n’est plus la proposition comme de Harpo à Chico, de lui à lui et de lui à tous, c’est le maitre de raisonnement, le maitre du syllogisme. Et tout culmine, donc mépris absolu pour les relations naturelles, constamment appel au non-sens supérieur, c’est-à-dire au non-sens pur, au non-sens logique, qui culmine dans les syllogismes ou dans les raisonnements de Groucho. Je vous rappelle, qui ne s’en rappelle pas, c’est chaque matin lorsqu’il prend le pouls, le pouls de Harpo, il prend pouls et il regarde sa montre et il dit : « Ou bien cet homme est mort ou bien ma montre est arrêtée » C’est le syllogisme disjonctif. C’est une merveille ce syllogisme disjonctif. On ne peut pas l’égaler.

-  Enfin pour finir, on pourrait faire - et l’année dernière j’avais essayé un peu, c’est pour faire des liens- On prendrait également ces trois catégories, priméité, secondéité, tiercéité, et on envisagerait les types d’acteurs. On fait une typologie des acteurs. Cette typologie d’acteurs évidemment en fonction des metteurs en scène qui les font jouer. Je dis pas toujours, pas toujours, je dis qui c’est les acteurs ? On verrait là beaucoup mieux, et en plus il y a les passages constants. Je le dis très vite, car on a vu, on a vu des choses là dessus. Ce sont les acteurs de la priméité, qui s’affirment comme tels, les acteurs de l’affect, de l’expression. Vous savez, les expressionnistes, c’est les grands acteurs de la priméité. Entre la priméité et le secondéité, il me semble qu’il y a un drôle de truc dont j’avais essayé de parler l’année dernière. Ce que j’essayais d’appeler le naturalisme, où ce n’est plus l’image-affection, c’est quelque chose d’un peu plus spécial, c’est l’image- pulsion. L’image-pulsion ce n’est pas la même chose, mais de toute manière c’est avant l’image-action, si bien qu’on peut les regrouper. Mais c’est immense. Ce n’est pas la même chose que l’image-affection, image-pulsion. C’est un type d’acteur qui vous reconnaissez à... je n’arrive pas à trouver d’autre mot que celui de violence statique, comme on parle d’’electricité statique. Ils entrent dans une pièce, ils ne font rien. Je ne vois d’équivalent qu’en littérature, dans le Journal de voleur de Genet, une très courte page hélas trop courte, où Genet décrit la main de l’un de ces petits gars, et il la décrit immobile, au repos. Et il explique la violence formidable qu’il y a dans cette main au repos, bien plus grande que lorsque le type s’agite, et fait brutalité. Cette main posée sur la table qui est comme un comprimé de violence. Vous avez des gens comme ça. Alors chez les acteurs ça fascine... et tous les grands cinéastes naturalistes ont employé évidemment des acteurs qui étaient un peu doués pour ça. Peu importe que soit des... souvent c’est des grands acteurs. Je pense à un des plus grands cinéastes de la pulsion. L’année dernière j’en avais étudié deux qui étaient Stroheim et Buñuel. Bon... Mais Stroheim en tant qu’acteur. C’est typiquement un acteur naturaliste. Ce que j’appelle l’acteur naturaliste c’est l’homme de la violence au repos. C’est l’homme de la violence statique. Et il y en a un qui pour moi les dépasse tous, qui me flanque une peur quand je le vois entrer là, sur un écran. Sa seule présence, il ne fait rien, il ne dit rien, il regarde, et je m’effondre dans mon fauteuil. C’est Stanley Baker, qui est l’acteur de Losey. Losey est aussi un des plus grands cinéastes de la pulsion qui soit. Stanley Baker donne l’impression de brutalité, de violence, de violence absolument déchainée au moment même où il est comme ça, il ne fait rien. C’est un type de jeu, je ne crois pas que ce soit simplement leur nature. Les acteurs de Losey, Bogart, qui a mon avis n’était pas doué pour ça, c’est complètement Losey qui l’a formé à ça, à ce type de violence très particulier.

-  Il y a beaucoup des femmes parmi les actrices américaines qui ont atteint une espèce de degré de la crise-pulsion. C’est plus facile peut-être pour une femme que pour un homme. La femme est plus facilement dans l’imagination, porteuse de pulsions élémentaires. Mais ce n’est pas toutes les actrices américaines. Moi j’y mettrais Ava Gardner. C’est toutes les actrices qui sont anti-« Actors studio », c’est les grandes actrices naturalistes, et... j’y mettrais, heu... Ava Gardner, Jennifer Jones ... et pour moi, la dernière de ce genre a été pour moi il me semble Marilyn Monroe, qui contrairement a ce qu’on dit, il me semble, n’a pas du tout un jeu « actors-studio », un jeu complètement complètement différent.

-  Si je continuais comme ça, ça serait ensuite les acteurs réalistes. Ca s’est les acteurs de la secondéité. L’année dernière j’en ai beaucoup parlé parce que les acteurs réalistes c’est ce qui me parais... c’est l’acteur américain typique. C’est-à-dire, c’est l’acteur de la secondéité, à savoir : action du milieu sur lui/ réaction sur le milieu. S’imbiber de l’influence reçue et puis... « lating out », violence dynamique. C’est une violence complètement différente de la violence naturaliste. Complètement différente du point de vue du jeu de l’acteur, de la mise en scène aussi. Je ne suis pas très enthousiaste de l’Actors -studio, alors quand c’est très très bien ça donne Brando, mais comme dit Hitchcock, ils ne restent pas en place ces types là, il n’y a pas moyen, tantôt ils s’imbibent, tantôt ils cassent tout, il n’y a pas de moyen qu’ils restent tranquilles, d’avoir un visage neutre. C’est que j’essayais de vous dire l’année dernière, d’un coté, c’est des acteurs-végétaux, de l’une autre coté c’est des acteurs-animaux. Ils s’imprègnent de l’atmosphère et puis ils font exploser leur réaction, leur réaction est une explosion d’un discontinu. Alors c’est toute l’école, c’est tous les types qui sont passés par l’Actors-studio, vous les connaissez de Brando, à Newman. Ils y sont tous passés. Et ce n’est pas que l’Actors-studio les ai formé, c’est que à mon avis c’était, c’était la tendance naturelle de l’acteur américain. Le cinéma américain est profondément un cinéma de la secondéité, un cinéma de l’image-action. Bon, alors la tiercéité ce serait très compliqué... J’ouvre une parenthèse : peu importe la qualité de l’acteur, c’est encore une fois tout le monde sait quand il est expliqué par un metteur en scène il change. Ce qui veut dire qu’il n’ y pas des acteurs qui parlent eux mêmes ont un talent immense talent mais hélas l’inverse est vrai aussi les acteurs sans aucun talent, sont très bons avec un grand metteur en scène. Il est beaucoup plus violent quand il ne fait rien avec sa tête, avec sa manière de se tenir. Il est beaucoup plus violent quand il ne fait rien que quand il se met à tirer des coups de revolver ou courir, il aurait intérêt à ne rien faire du tout, parce là il a une espèce de violence, une violence effarante. Vous rendez compte, être entre Stanley Baker et Delon ? Les acteurs de la tiercéité, ça ce n’est pas rien, il faudrait avoir des idées en ce sens. D’abord ça se complique parce qu’encore une fois on retrouverait le même thème, il y a une priméité de la tiercéité, il y a une secondéité de la tiercéité, et puis il y a une tiercéité de la tiercéité. Alors moi je dirais par exemple, priméité de la tiercéité, ça, c’est les acteurs de Bresson, c’est-à-dire les non-acteurs de Bresson. Parce que Bresson c’est vraiment l’affect en un sens très spécial, c’est l’affect lyrique, c’est pas l’affect expressionniste. C’est à dire que c’est la part de l’événement qui ne se laisse pas effectuer par l’état de choses, c’est la part de l’événement qui déborde sa propre actualisation, c’est ce qu’on a vu la dernière fois, c’est complètement il me semble, c’est cette dimension de l’événement vertical. Seulement, c’est pas du tout de l’expressionnisme. Pourquoi ce n’est pas du tout de l’expressionisme ? C’est une opération tout autre par laquelle la priméité est réfléchie, elle ne cesse pas d’être réfléchie dans une tiercéité, d’où cette conception très curieuse de l’acteur chez Bresson qui n’a rien à voir avec la distanciation de Brecht, pas du tout. Et cette manière dont il les fait parler, qui est précisément la parole de l’acteur et le ton qu’a l’acteur consiste précisément à introduire tout l’ensemble de la tiercéité et porter les affects à un niveau supérieur, c’est-à-dire encore plus loin de leur effectuation. C’est très très très compliqué. Et puis toute une série alors, il faudrait chercher comme ça, on en trouverait plein d’autres... Voila donc exactement d’autres types d’acteurs. Chez les acteurs récents il y a quelque chose qui s’est passé il me semble. Il faudrait aussi se demander dans quel cas, pour quel type d’image ai-je besoin d’un non-acteur ou d’acteurs si vous préférez non-professionnels. Pour quel genre d’image ? Il y a évidemment des types d’images qui ne peuvent être portées et représentées que par les gens directement concernés. Je veux dire que c’est pas parce que c’est du cinéma direct, ce sera cinéma direct par ce que c’est ce type d’images là.

-  Enfin, j’en suis donc exactement à ceci. Qu’est ce que, comment est-ce que Peirce va passer de ces trois types d’images aux signes et à quels signes ? Et, deuxième question, et nous alors qu’est-ce que on vient là dedans ? C’est ça qu’il faudrait que je fasse la prochaine fois.

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