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26- 14/12/82 - 2

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Gilles Deleuze - Cinéma cours 26 du 14/12/82 - 2 transcription : Pimentel Elen Brandao Relecture-correction : Emmanuel Péhau

... C’est ce lien de la relation avec le devenir. Je prends la ressemblance parce que - mais ça vaut pour toutes les relations - parce que ça me frappe beaucoup. On dit - moi j’ai jamais pu le remarquer, malgré tous mes efforts, mais on dit - on dit que c’est vrai - que un tout nouveau-né ressemble, à sa naissance, à son père, mère ou quelqu’un, quoi. Et puis que ça s’atténue. Quitte à ce qu’ensuite, dans la vieillesse, se retrouvent, alors, des ressemblances étonnantes, que - qui, à la lettre, ont été mises entre parenthèses, oubliées pendant tant - tant d’années. On se dit tout d’un coup : « oh, mais c’est sa mère tout craché ». Pendant... Comme si la vieillesse restaurait des ressemblances qui n’avaient été que très, très atténuées. Moi, je crois que c’est pas possible de penser la relation sans la penser comme en devenir toujours possible.

Bon. Mais on verra à quoi ça me sert, cette remarque. Je dis juste - et je retiens ça - et c’étaient les deux points fondamentaux de la théorie de Hume - des relations - les deux points, c’étaient :
-  Premier point : les relations sont extérieures à leur terme.
-  Deuxième point : et pourtant, une relation ne peut pas changer sans que l’un des deux termes - ou les deux - ne change.

« A ressemble à B » : relation extérieure à ses termes. « A cesse de ressembler à B » : la relation a changé. Mais il a fallu que le concept de A change, que A change - ou B. Hein. Or, c’est avec ces deux machins, là, avec ces deux propositions de base que Hume était amené à essayer de se débrouiller. Bon...

Alors, essayons, nous, là - je - je sais plus - de... Je donne pas des comptes rendus de théories, parce qu’on n’en finirait pas, je donne des - comme des prémisses, pour que vous ayez un ensemble sur ce problème des relations tellement difficile.

Donc je dis : changeons de point. Vous allez voir que tout ça....

Un certain nombre d’auteurs très différents tournent autour d’une idée. C’est que y’a deux sortes de relations - ou qu’y’a deux sens du mot « relation »...

Je cite - et d’abord, Hume... Tiens, c’est intéressant ça, la manière dont il définit... Au début de son grand livre Traité de la nature humaine, au chapitre des relations, voilà ce qu’il nous dit : le mot « relation » - elles sont toujours extérieures à leurs termes, hein, quelque qu’elles soient, ça c’est acquis - mais il nous dit, là-dessus : le mot « relation » est communément employé en deux sens notablement différents. Tantôt il sert à marquer la qualité par où deux idées sont liées entre elles dans l’imagination et par où l’une introduit l’autre.

Qu’est ce qu’il veut dire ? Ce sera bien connu sous le nom de « association des idées ». A savoir : l’image de quelque chose qui m’est donné éveille en moi l’image de quelque chose qui n’est pas donné.

Voilà, c’est ça le premier sens de « relation ». La relation, c’est l’opération par laquelle l’esprit passe de l’image de quelque chose qui est donné à l’image de quelque chose qui n’est pas donné. Et, vous remarquerez, il y passe d’après une loi. En effet, il y passe pas n’importe comment.

Je vois une photo, je dis : « c’est la photo de Pierre » et je pense à Pierre, qui actuellement est en Amérique, ou, euh... etc. Bon. La photo m’est donnée ; je passe de l’image qui m’est donnée à l’image de quelque chose qui ne m’est pas donné, à savoir l’image de Pierre en Amérique, d’après une relation qui est la relation de ressemblance : « La photo ressemble à Pierre. » Hein...

Donc, voyez, le premier sens du mot « relation », c’est : le processus par lequel une image donnée évoque ou conduit à une autre image non donnée.

Eh ben, ces relations, nous dit Hume - il les appelle « naturelles ». Ce sont des relations naturelles. Elles forment bien une activité, - là, retenez tout ce qu’il dit, parce que c’est important - elles forment bien une activité, mais, en un sens, ça se fait tout seul. C’est une activité comme « automatique ». Je passe de la photo de Pierre à la pensée de Pierre, de la perception de la photo à la pensée de Pierre. Je me dis : « tiens qu’est-ce qu’il fait en ce moment ? » ça c’est tout simple. C’est des relations naturelles. Elles obéissent à des lois - qui en marquent quoi ? Notamment qui en marquent les limites.

Je veux dire, ça s’épuise assez vite, hein. ça c’est très, très important, et Hume, il en parle beaucoup, là. Il dit : la nature humaine, ben, elle se fatigue vite, hein. Il faut que les choses, il faut que les relations soient très étroites - bien entendu extérieures - très étroites entre les termes pour que l’idée de l’un introduise l’autre.

Par exemple, si c’est une ressemblance très vague, ça marche pas. Hein... Par exemple, c’est - je vois une photo de quelqu’un et je me dis : « Oh tiens, ça me rappelle un tableau - un tableau que j’ai vu, y’a longtemps. Mais quel était ce tableau ? de qui il était ? où je l’ai vu ? » ça marche plus du tout. ça marche plus... ça peut marcher. J’ai un coup, là. « Ah oui, c’était... je l’ai vu en telle année, à tel endroit ! Oh, qu’est-ce qu’ils se ressemblent ! » Je vois une femme dans la rue, je me dis : « tiens, mais je l’ai vue quelque part, mais dans un musée. Ha ! La Joconde, c’est la Joconde ! C’est la Joconde qui passe... épatant. » Mais le plus souvent je me dis : « Oh, lala, elle me fait penser à... Celle-là elle sort d’une peinture, mais - qui ? Quoi ? Un flamand, un peintre flamand... (Vous allez voir pourquoi j’ai besoin de tout cet exemple.) Un peintre flamand, oui, oui, oui, mais lequel ? Celui-là ? Non, non, non, non, ça doit pas être celui-là. Alors c’est qui ? » Puis ça peut venir, ou ça ne vient pas, mais là c’est pas une relation naturelle. Pourquoi ? Parce que c’est une ressemblance distendue, lointaine.

Vous passez facilement, suivant une relation naturelle, de la photo de Pierre à l’idée de Pierre, mais vous passez pas facilement lorsque les choses n’ont qu’une ressemblance lointaine. Je veux dire : les relations naturelles ont pour propre de s’épuiser vite, c’est-à-dire de former des séries, étant entendu des séries courtes. Ah bon, ben... Voilà.

Les relations -je résume - les relations naturelles seraient des relations par lesquelles une idée ou une image en introduit naturellement une autre, suivant une règle ou une loi, constituant par là une série d’images qui s’épuise assez rapidement. Tous les termes sont importants. Voilà le domaine des relations naturelles...

Autre exemple - pour vous rassurer tout de suite -, je dirai quand même pas, euh - naturellement, je dirai pas, euh, « L’arc de triomphe est plus grand qu’une puce ». Pas de relation naturelle, là-dedans. En revanche, de quelque chose qui est un peu plus grand qu’une puce, là, j’aurais tendance à dire « y’a une relation naturelle ». Je dis, par exemple : « ah tiens, qu’est-ce que c’est que ça qui est sur ma main ? C’est une puce, ça ? Euh... Non, c’est trop grand. Trop grand... Hein ? C’est pas une puce. » Alors, l’angoisse me prend, je me dis : « qu’est ce que ça peut être ? qu’est- ce que c’est ce truc là ? » Hein ? Euh... Bon. Là, y’a relation naturelle... Ça empêche pas que je peux comparer l’arc de triomphe à une puce. Bon. D’accord. Donc il peut y avoir une relation entre l’arc de triomphe et une puce. D’accord. Ce sera pas une relation naturelle.

Donc, vous voyez, une relation naturelle, c’est donc le processus par lequel une image en introduit une autre suivant une règle constitutive d’une série brève. On peut pas dire mieux.

Hume continue : mais « relation » se dit en un tout autre sens. Voyez, tantôt il sert à marquer (le mot « relation » sert à marquer) la qualité par laquelle une idée en introduit une autre (voilà, c’était notre premier cas, les relations naturelles), tantôt la circonstance - tantôt la relation signifie la circonstance par laquelle, même lorsque deux idées sont unies arbitrairement dans la fantaisie (exactement l’arc de triomphe et la puce) - la circonstance par laquelle même lorsque deux idées sont unies arbitrairement dans la fantaisie (je traduis : même lorsque deux idées n’ont pas de relation naturelle l’une avec l’autre) - donc, c’est la circonstance par laquelle même lorsque deux idées ou deux images n’ont pas de relation naturelle, nous pouvons juger bon de les comparer. Y’a une raison pour laquelle je les compare...

Je prends un exemple. Bon. Je suis là dans une pièce et puis, euh, j’ai besoin d’écrire, et je voudrais écrire sur une table. Mais y’a pas de table. Bon. Alors, il peut m’arriver une chose : je pense à une table que j’ai vue dans la pièce à côté. Je vais dans la pièce à côté et je m’installe. Je dirais : relation naturelle. L’image de la table manquante a évoqué en moi l’image d’une autre table qui lui ressemble, et qui est à côté. C’est une relation naturelle. Une image en a introduit une autre, dans une série relativement courte. J’ai pas de table, y’en a pas dans la pièce a coté, ou je veux rester dans cette pièce, je regarde partout. Y’a pas de relation naturelle, rien qui ressemble à une table. J’aperçois, verticale, une planche à repasser pliée. Je me dis « merde, voilà je... c’est ce qu’il me faut... je vais en faire une table. »

Bon, vous me direz, y’a moins de différence qu’entre « arc de triomphe » et « puce ». D’accord... Mais y’a quand même une grande différence entre une table et une planche à repasser. C’est rare, c’est pas d’après une relation naturelle que « table » me ferait penser à « planche à repasser ». Ou alors il faudrait un intermédiaire. Faudrait un intermédiaire constitutif d’une série courte compacte. A savoir : je vois ma table ; j’y ai surpris quelqu’un qui ,au lieu d’être à ma table, aurait du repasser. Alors j’ai une liaison table-planche à repasser, une relation naturelle. Mais là, je suis dans la pièce, je cherche une table, y’a pas de table, je vois la planche à repasser verticale, je me dis : « ça y est ». Bon, qu’est ce que j’ai fait ? J’ai pas fait une relation, j’ai pas suivi une relation naturelle. A prendre le texte de Hume à la lettre, j’ai été en proie à une circonstance particulière, où même lors de l’union - à savoir mon besoin d’écrire, la circonstance particulière, qui a fait que même lors de l’union arbitraire de deux idées dans la fantaisie (la table et la planche à repasser, la table horizontale, qui n’était pas là, et la planche à repasser pliée, verticale), nous pouvons juger bon de les comparer. La relation, c’est alors la raison de la comparaison entre deux idées, si étrangères soient elles l’une à l’autre. C’est-à-dire : même si elles n’ont pas de relations naturelles. Et en un sens, je pourrais trouver les mêmes choses comme exemples de relations naturelles et de relations autres, pas naturelles.

Ces relations pas naturelles, comment est-ce qu’on va les appeler ? Hume les appellera « relations philosophiques ». Relations philosophiques... Ce qui veut pas dire que c’est un usage que les philosophes en font, hein, ça veut pas dire qu’elles sont réservées aux philosophes, non, il veut dire qu’elles sont pas naturelles. Il veut dire peut-être qu’elles sont abstraites, et que les autres sont concrètes, mais gardons ça pour plus tard. Mais, voyez, concrètes ou abstraites, naturelles ou philosophiques, elles sont toujours extérieures à leurs termes. ça, ça change pas. Mais y’a quand même deux types de relations. Je dirais que les relations philosophiques sont des relations, qui, elles, au lieu de former une série courte déterminée par une loi, qu’est-ce qu’elles font ? Elles forment un ensemble, en droit illimité, renvoyant à un sens.

Bon... Voilà. Distinction, donc, relations naturelles/relations philosophiques, qui va avoir la plus grande importance.

Husserl distinguera bien plus tard - qui pourtant a pour Hume un rapport à la fois de fascination, mais c’est son ennemi... Or Husserl, sans rien dire - mais peut être qu’il ne s’en est pas aperçu -, dans son premier livre qui s’appelle Philosophie de l’arithmétique, propose une différence entre ce qu’il appelle les « relations primaires » et les « liens psychiques ». Il définit les relations primaires par des conjonctions continues, et les liens psychiques par des actes de l’esprit qui constituent un ensemble indépendamment des conjonctions continues entre leurs parties, entre leurs éléments.

Bon, là j’ai pas le temps de développer, ce serait infini, mais... C’est curieux, voilà que l’anti-Hume retrouve une distinction qui appartient fondamentalement à Hume. Parce qu’à mon avis - je développe pas, mais cette distinction de Husserl correspond mot à mot à la distinction de Hume. Bon.

Et enfin - dernier point -, je retrouve Bergson, sur un nouveau point, dont j’ai jusqu’à maintenant pas du tout parlé, et qui me parait très extraordinaire. Donc, Bergson va distinguer, dans deux textes, l’un le chapitre - non, surtout dans un texte sur « l’effort », un article intitulé L’effort intellectuel ou quelque chose comme ça, dans un recueil d’articles : L’énergie spirituelle. Et il nous dit : « il y a deux manières dont procède l’esprit ». Et ça, ça me parait très, très important, et vous allez comprendre pourquoi. Bien.

Voilà : « l’esprit peut procéder de deux façons ». Là, je... On oublie tout, hein, on oublie tout ce qui précède. On repart à zéro avec Bergson. J’aimerais vous persuader que, finalement, bien plus que les contradictions entre philosophes, il y a ces trucs prodigieux qui sont des rencontres. Ils se copient pas, ils se recopient pas, mais - entre philosophes qui, pourtant, sont d’écoles, si vous voulez - au sens « réaliste », « idéaliste », « empiriste », tout ce que vous voulez - d’écoles absolument différentes, mais bien plus que leurs différences, il y a ces prodigieux échos comme ces appels de l’un à l’autre.

Ecoutez ce que dit Bergson. Il nous dit : ben, vous savez, oui, il y a une manière, il y a une activité de l’esprit qui finalement, à la limite, se fait sans effort. Il dit, lui, « automatiquement ». Et finalement, c’est l’association des idées. Et il le définit comme ça, très rapidement, il le caractérise comme ça : « l’esprit passe d’un objet à un autre sur le même plan horizontal ».

On peut pas mieux dire : ça se fait tout seul, suivant une série. L’esprit - ça se fait tout seul, automatiquement - l’esprit passe d’un objet à un autre, sous-entendu d’une image d’objet à une autre image d’objet, l’esprit passe d’un objet à un autre sur un même plan horizontal. Je retiens l’idée « diversité d’objets »- il y a plusieurs objets. Deuxième point : sur le même plan - horizontal. Troisième point : constituant une série. Je dirais, c’est le statut des relations naturelles, que, pour mon compte, j’appelle - c’est vraiment pas un changement important - j’appelle plutôt « concrètes ». Elles sont extérieures à leurs termes, d’accord, oui. Et puis, nous dit Bergson, y’a une toute autre activité de l’esprit - bien plus difficile, parce que la tendance de la psychologie, il nous dit, c’est toujours de ramener à ce schéma le plus facile. Vous voyez, ce schéma le plus facile, si j’en fais le dessin... C’est ça. C’est ça... Un plan horizontal (c’est pas la même chose que mon ancien plan des images-mouvement, hein, là, c’est tout à fait autre chose)... Et puis, sur ce plan horizontal, pluralité de termes... L’esprit passe d’un terme donné à un qui n’était pas donné, qui devient donné, qui, étant donné, va nous faire passer à un troisième, etc. ... Un, deux, trois, quatre... Bon. C’est simple, ce schéma où tout est...

Bergson dit : voilà, on vit beaucoup comme ça.

Alors : la photo de Pierre (premier terme qui m’est donné) ; je pense à Pierre ; je pense à l’Amérique, où est Pierre.

Là, c’était un rapport de ressemblance, là, c’est un rapport de continuité... Je pense à... A vrai dire, je sais pas. Je sais pas... N’importe quoi, quoi... Vous pouvez - on peut compléter, quoi, c’est... Voilà.

Il y a un tout autre cas, dit Bergson. Qu’est-ce que c’est, ce cas ? Ben, c’est précisément lorsque l’esprit n’opère plus automatiquement.

ça se complique...

J’entends quelqu’un parler. Voilà le premier cas. J’entends quelqu’un parler... En quoi qu’c’est une pas activité automatique ? Ben, c’est... Je cherche...

ça peut être : « passe-moi le sel ». Alors, à ce moment là, à la rigueur, j’ai mal entendu, je lui fais répéter, mais ce serait de ce type-là. Mais j’entends quelqu’un faire un discours. Je me dis - si j’écoute, je me dis : « mais qu’est-ce qu’il raconte, mais qu’est-ce qu’il veut dire ? » Je cherche ce qu’il veut dire. Je cherche ce qu’il veut dire... Ou bien je vois quelqu’un, et - je reprends mon exemple - il me rappelle quelqu’un, quelque chose - mais quoi ? « où je l’ai vu, celui-là ? oh... je suis sûr de l’avoir vu, mais où ? » Je cherche cette fois-ci un souvenir.

Remarquez que, en effet, notre tentation, ce serait de ramener ce deuxième cas, dont nous ne savons pas encore la nature, au premier. Mais ça donnerait quoi ? On va voir tout de suite si ça marche.

J’ai la perception de quelqu’un. Ce serait ça, mon terme 1. Et elle éveillerait en moi un souvenir : terme 2. Simplement, y’aurait une espèce de blocage dans la relation naturelle, qui ferait que j’aurais de la peine à évoquer le souvenir. On peut toujours essayer de dire ça.

Dans mon autre exemple, je me demande « qu’est-ce qu’il veut dire ? ». Ben, ma perception, ce serait quoi ? La perception sonore des mots. Le 1, ce serait la perception sonore des mots et elle éveillerait plus ou moins les idées auxquelles les mots sont censés correspondre.

Voyez que dans cette interprétation, je ramène, je réduis mon second cas au premier.

Eh ben, Bergson dit : il suffit de parler de réduction pour sentir que ça marche pas. Que l’effort de compréhension - ou l’effort d’interprétation - n’est pas de ce type là. ça peut pas marcher. C’est pas ça...

Je peux le dire. On peut toujours tout dire... On peut dire « mais si, c’est le même cas, y’a qu’un cas, il n’y a que les relations naturelles... » Ben non, dit Bergson ; il dit : moi j’ai l’impression que c’est pas comme ça que ça marche. Et pour une raison simple, vous allez voir...

Mettez vous dans la situation de quelqu’un qui cherche - soit un souvenir, soit à comprendre ce que dit quelqu’un qu’il est en train d’écouter : « mais qu’est-ce qu’il veut dire celui-là ? ». Ou bien, troisième possibilité, que je préfère, parce qu’elle est peut être plus éclairante : j’écoute un discours dans une langue qui ne m’est pas totalement inconnue - parce que là y’aurait pas de problème - et qui en même temps m’est mal connue, et j’essaye de comprendre. Voyez... Ça mélange un peu les deux exemples précédents parce qu’alors je fais appel à des souvenirs : qu’est-ce que veut dire tel mot que j’ai cru, etc. ...

Mais qu’est-ce qui caractérise tous ces cas ?

C’est, lorsque quelqu’un - lorsque j’écoute quelqu’un - c’est ça le vrai critère de distinction entre mon premier cas et le second - lorsque j’écoute quelqu’un parler et que je me dis « qu’est-ce qu’il veut dire ? », j’essaye de saisir le sens, donc. J’essaye de saisir le sens... Mais y’a pas du tout deux termes. J’ai pas d’abord une perception complète des mots qu’il dit, et puis le sens. Quand je comprends le sens - le sens - mettons, pour le moment, les idées qui correspondent aux mots -, eh ben, j’ai pas d’un côté une perception des mots, valant pour elle-même, et qui éveillerait, par relation naturelle, les idées qui correspondent aux mots. Jamais personne a compris comme ça ! Quand vous essayez de comprendre - ou quand vous comprenez -ce que je dis, vous faites une opération complètement différente ! Vous saisissez pas les mots pour eux-mêmes qui vous mèneraient aux idées pour elles-mêmes. Bien plus ! Bien plus... Que vous compreniez ou que vous ne compreniez pas, vous saisissez - là ça change rien - vous saisissez un mot sur quatre. Comme dans la lecture, c’est bien connu, on lit pas tous les mots. Les mots, c’est comme des poteaux indicateurs. Puis on complète. Ça dépend, d’après ce qu’on lit... Là, le journal, on le lit vite, c’est-à-dire on prend quelques mots, comme poteaux indicateurs. Evidemment. Mais on a une perception incomplète. A partir de quoi, qu’est-ce qui va se passer ?

De même, quand je me dis, en regardant quelqu’un, « mais celui-là, à qui il ressemble ? Où est-ce que le l’ai vu ? », j’ai pas une perception complète. Par définition. Sous l’angle dans lequel le je le vois, au contraire, j’ai une perception incomplète, puisque je me dis « merde, où je l’ai vu celui là ? ». Je voulais uniquement montrer que, de toute évidence, le deuxième cas étant irréductible au premier - puisque dans le premier cas, au contraire, j’allais d’une image complète à une autre image complète, qui n’était pas la même. Donc, il semble impossible de réduire le deuxième cas au premier.

Alors Bergson nous propose pour le deuxième cas un schéma - pas facile, parce que c’est.... Il l’emploie très souvent, avec des drôles de mots. Il dit : dans le second cas, ce que vous percevez, que ce soient les mots - les mots que vous percevez très incomplètement, puisqu’encore une fois vous pouvez pas dire « j’ai compris » parce que vous saisissez chaque mot de - que je dis, : c’est pas ça comprendre. Et pour comprendre vous attendez pas que j’aie fini ma phrase. C’est même pour ça que... Et puis à certains moments vous lâchez et à certains moments vous reprenez pied, c’est comme ça qu’on comprend.

Bon, alors, qu’est-ce qui va se passer ?

De même, quand je cherche la ressemblance, j’ai une perception incomplète, qui me sert de quoi ? De signal - je disais : oui, à peu près, de signal . Voilà.

A partir de ce qui m’est donné - et qui est un donné incomplet, contrairement à mon premier cas, où je partais d’une donnée complète - à partir des données incomplètes du second cas, Bergson emploie tout le temps : « J’opère un saut ».

Voilà. C’est mon plan, là... Voyez, le - mon plan horizontal, il est là. Là, j’ai mon terme, mon terme incomplet : les mots que vous m’entendez dire, ou bien la perception incomplète que vous avez de quelqu’un dont vous vous dites « à qui diable peut il ressembler ? ». « Je saute », dit Bergson.

Il saute... Bon. Il saute dans quoi ? Dans l’exemple du souvenir, il nous dit - et l’expression sera très souvent reprise... C’est très curieux, parce que, Bergson, si vous le connaissez un peu, c’est pas un type qui saute, hein. Je veux dire, c’est pas son genre. Non, je dis là des bêtises. C’est très curieux, le mot, c’est pour ça qu’il est important. On s’attendrait à Bergson de tout (sic) sauf à ce qu’il saute. [Rires] Il glisse, il coule, il explose, c’est ses trucs ça. L’élan vital qui explose ; la durée qui coule, s’écoule... Bon. Mais sauter, en revanche, quelqu’un comme Kierkegaard, il cesse pas de sauter. Lui, il saute, c’est son - c’est son activité mentale, c’est le philosophe du saut. Bon. [Rires]

Voilà que Bergson, il se met à sauter. Et il le dira avec insistance, tant dans Matière et mémoire, chapitre II, que dans L’évolution - que dans cet article de L’énergie spirituelle. Alors, c’est très, très curieux.

Et il saute où ?

Dans le cas de la mémoire, il nous dit : « Je m’installe dans une région du passé ». C’est pas un souvenir, hein, surtout, puisqu’il l’a pas le souvenir. Il le cherche, le souvenir. « Je m’installe dans une région du passé » - approximative. D’un bond... Alors, comprenez - parce qu’on aura tout ça à retrouver, quand on parlera du temps. Y’aurait des régions du passé qui précèdent les souvenirs...

« Je m’installe dans une région du passé ». C’est-à-dire : une vague intuition. « Euh ... ah, oui... est ce que c’était pas ? ... » « est ce que », point d’interrogation ! « Ou bien... de toutes manières, il y a longtemps... ça, ce type, là, c’était pas récemment que je l’ai vu. Et non seulement c’était pas récemment, mais c’était pas à Paris. » C’est ça, ce qu’il appelle « j’ai fait un saut » : « je m’installe dans une région du passé », « j’ai sauté ». Il dit ça, il dit : « je me place d’emblée ». Quand il ne dit pas « je saute », il dit « je me place d’emblée dans une région du passé ».

Mais alors, voilà que le passé a des régions. Evidemment, vous comprenez ce que ça veut dire et ce qu’il a derrière la tête : le passé ne détruit pas, le passé conserve. Hein... Le passé est un - finalement, c’est sa grande idée : le passé est un conservatoire... Euh... Ce à quoi il veut s’opposer absolument, c’est à l’idée d’une destruction par le temps. Le temps, c’est pas du tout le processus de la destruction, le temps c’est le processus de la conservation infinie. C’est son idée à lui, il a des raisons de penser ça. Mais enfin, c’est pas du tout, euh... Les choses disparaissent pas dans le temps. Au contraire. Au contraire...

Bien... Eyh ben, une région... Y’en aurait d’autres. Plus récentes, par exemple. Plus proches du lieu où je suis. Mais je fais une espèce de pari, quoi. Je m’installe dans une région du passé - y’en a au-dessus, tout ça... Et puis - j’attends ? Non : je fouille cette région. Et - ou bien ça rate, ou bien ça marche.

ça rate - en effet, il se peut que j’aie tapé dans une mauvaise région. Rien ne vient répondre à mon saut. J’ai sauté, là, dans une région du passé... Rien ne vient. Alors, je peux essayer une autre région. Je me dis : « ben non, c’est pas ça. » Une autre région...

C’est bien comme ça qu’on fait, c’est une splendide description, il me semble.

Donc, supposons que là je dis : « ah ben oui, ben ... là... sur ce plan... sur ce plan... là, y’a quelque chose qui répond ». Et, de cette région pure, de cette région du passé pur, qu’est-ce qui va descendre, alors ? Va descendre, pour s’incarner dans une image, un souvenir...

[Interruption de la bande.]

(...) et l’essence incarnée dans une image-souvenir...

Et alors, je dirai : « ah oui, ce type que je viens de voir, je l’ai vu vers telle année à tel endroit », ou bien « ben oui, c’était un copain de classe » - si j’ai su m’installer (sauter) au bon niveau du passé, dans la bonne région du passé...

C’est étonnant , cette... C’est ça l’interprétation. Il faut que vous sautiez...

Et si on revient à l’autre exemple, alors... La parole que vous essayez de comprendre de quelqu’un... Ben, là aussi, encore une fois... Les mots que vous entendez, c’est comme des lambeaux incomplets ; c’est donné, mais c’est donné comme des lambeaux incomplets. Et vous, ce que vous faites quand vous essayez de comprendre - et vous le voyez tout de suite, dès que vous craquez. Dès que vous craquez, c’est-à-dire : dès que vous commencez à vous endormir, dès que vous lâchez... Vous retombez dans le premier schéma.

Alors, euh... Je dis : Bergson, euh... Alors ça donne, comme deuxième terme... Oh merde, il en a déjà parlé ! [rires]

Ou bien vous lâchez complètement, vous faites des associations d’idées. Je dis, euh, « relations », alors, vous, vous enchaînez : relations d’amour, relations d’affaires, relations, etc. Bon, à ce moment-là, vous avez renoncé à comprendre. Vous prenez un repos, une récréation. [rires]

Quand vous essayez vraiment de comprendre, vous partez de mes mots, que vous saisissez comme des réalités incomplètes - pour vous... Et vous vous installez - vous sautez. Vous faites le saut. Vous vous placez d’emblée dans une région, qu’on n’appellera plus du passé (mais peut être que ça revient au même), vous vous installez dans une région du sens.

Et, en effet, quelqu’un entrerait maintenant, hein, dans la salle, supposez. Quelqu’un entre... Il se dit - ça arrive - « de quoi il parle, celui là ? ». Alors, il écoute un peu. « Est-ce que c’est un cours, euh, de droit commercial ? » [Rires] Oh oui, ça, il peut tomber sur un exemple de droit que je donnerais. Il se dit : « ah ben, c’est un cours de droit » Voyez : il s’installe - s’il veut écouter, s’il est... - il s’installe immédiatement dans une région de sens : « les relations juridiques »... Quoi, les relations juridiques ? Je définirais cette relation de sens par « les relations juridiques tout court », « l’ensemble des relations juridiques en général ». Et puis, il écoute un peu mieux, et il se dit « oh ben, ça peut pas être ça quand même ». Quelque chose va pas, c’est-à-dire « je suis pas installé au bon niveau de sens, ça doit pas être du droit qu’il fait, ce type là. » Alors, il fait des schémas : « est-ce que ça serait pas des mathématiques ? ». Une autre région. Il se dit : « oh ben, non... » Parce que rien ne descend de cette région de sens où il s’est installé. Il se dit « qu’est-ce que ça peut être ce truc là ? »Alors,quoi ? Ben, il y a - les bons jours, il trouve, les mauvais jours, euh... Prenez mon cas douloureux. Je me mets à déconner, tout à l’heure, sur le fameux auteur anglais. Qu’est ce que j’ai fait, là, hein ? Quelle, euh... Evidemment, moi, euh, mettons, j’ai confondu deux niveaux très peu ...

[Une étudiante : « T’as mal sauté. »]

J’ai mal sauté, ouais, j’ai mal sauté...

Qu’est-ce que c’est, ne pas comprendre quelqu’un, quelque chose ? C’est mal sauter. C’est rater les sauts. Vous vous installez dans une région... C’est comme oublier - pas comprendre... Pas du tout que l’un se ramène à l’autre, mais, de même que le passé avait des régions en soi qui précédaient le souvenir, et qui rendaient sans doute possible la descente des souvenirs, le sens a des régions en soi qui précèdent les idées, c’est-à-dire la compréhension, l’interprétation.

Et si vous ne vous installez pas, si vous ne sautez pas dans la région du sens où votre problème a sa réponse, vous ne résoudrez jamais rien de ce qui vous intéresse le plus.

Et qu’est ce que les gens font, quand ils, euh... Avoir un problème vécu, c’est même tout à fait pareil. Problème, s’il est vécu ou pas - y’en a qui ont des solutions, y’en a qui en ont pas, mais, d’où ça vient l’absence de solution ? Qu’est ce qu’on cesse pas de faire ? On s’installe dans des régions de sens qui correspondent pas à votre problème. C’est pas là - c’est pas là que vous aviez les éléments de solution. Pas de veine, ça sera pour une autre fois ! Hein ? C’est vrai, y’a jamais de problème sans solution. Moi, je suis - il faut être très optimiste, il faut se dire « j’ai pas su trouver la région de sens où le problème, il aurait trouvé les éléments de sa solution. »

Alors, une discipline aussi admirable que la psychanalyse, qu’est-ce qu’elle fait ?[Rires] C’est très simple... Elle a trouvé le niveau de sens. [Une étudiante : « Une fois pour toutes. »] Hein ? Finalement, y’en a qu’un, y’a qu’un niveau de sens pour tous les problèmes. Et elle nous invite à sauter à ce niveau de sens. Alors, il parait que parfois ça résout le problème, d’autres fois il semble que ça ne le résolve pas. En tous cas, il est certain que c’est une région qui met très longtemps à être explorée, puisque les problèmes durent très très longtemps ! Alors, euh... [Rires] C’est pareil, tout ça, c’est pareil...

Alors, moi je crois plutôt qu’il y a - qu’il y a pas une grille, qu’il y a pas, finalement, une région de sens de toutes les régions. C’est pas possible. Et que y’a une multiplicité, mais alors...

Faisons maintenant le schéma qui se distingue. Bergson nous dira : tout à l’heure, j’avais un plan horizontal, avec plusieurs objets différents, et j’allais d’un objet à un autre objet suivant une série courte. Quelle est la formule de l’autre, là, du saut ? Je dirais cette fois-ci : un ensemble, si vous préférez, un volume, un volume vertical, ou un même objet - ou il n’y a qu’un seul et même objet, qui passe par des niveaux ou des régions différentes. Ça s’oppose terme à terme. Un volume vertical qui comporte une infinité de régions ou de niveaux par lesquels un seul et même objet passe.

En effet, qu’est-ce qu’il veut dire ? Il va de soi que si je prends l’exemple, là, où on est : vous m’écoutez, vous comprenez, mais, comme on dit, y’en a pas un qui comprend de la même façon parce que y’en a pas deux qui s’installent exactement dans la même région du sens - dans la même région de sens. Evidemment. Evidemment...

Alors, si vous avez compris ce second schéma bergsonien, qu’est ce qu’on va retrouver, comme par magie ? La seconde figure, c’est : un volume vertical où un seul et même objet traverse des zones, des régions, des niveaux différents. Il suffit que...

Voilà. J’ai retrouvé mon cône...

Voyez, dès lors... Si vous voulez... Hélas, ma figure, elle est de plus en plus confuse, alors je la refais. On va retrouver exactement la grande figure, donc, à laquelle on était arrivés, mais on la retrouve, vraiment, à partir d’un tout autre problème. A savoir : vous vous rappelez, j’avais un plan de coupe vertical où se faisaient tous les mouvements - actions, réactions, etc. Avec des centres d’indétermination : S... Et puis je disais : y’a quelque chose - alors, on savait pas bien ce que c’était - qui vient s’insérer en S. Un cône, qui serait le devenir... Et là, ce serait le devenir qui change, et là ce serait le plan des images mouvement, et le plan des images-mouvement viendrait toujours s- le cône viendrait toujours s’insérer à sa pointe dans le plan des images mouvements.

Maintenant, qu’est-ce qu’il se passe ? Alors, mon premier cas, vous le situez au niveau de B. C’est la manière dont S, à partir d’une chose, à partir d’une image, évoque une autre image. Plan horizontal, constitution d’une série, par laquelle S passe de A à B, sur le même plan horizontal.

Là, au contraire, j’essaye de comprendre, ou je cherche un souvenir que... Je saute dans le cône... Je saute dans le cône, mais quoi ? Eh oui, maintenant on peut ajouter : le cône a nécessairement des niveaux, des régions, qui sont comme des coupes du cône. Et là, Bergson ne conçoit que des coupes parallèles à la base. Evidemment, nous, dans notre entrain bergsonien, on dira : non, il peut y avoir des positions telles que il y ait des coupes tout à fait différentes. C’est-à-dire, nous on tiendrait beaucoup plus compte de la théorie des coniques, où le cône peut être coupé par des plans, par des coupes qui sont pas seulement parallèles. Donc, ça se compliquerait encore. Pour une théorie des images, ce serait très important...

Et alors...

Donc, je cherche un souvenir - ou je cherche à comprendre - et je saute dans une région - ou dans une zone... A la lettre, c’est toute une philosophie des niveaux, c’est toute une philosophie, oui, des régions d’être, des... Je m’installe. Et c’est là - sans passer d’ailleurs par les autres niveaux : si j’ai choisi le bon niveau, je repasse pas par les autres niveaux, mais c’est là que soit l’idée (émanant de la région de sens), soit le souvenir (émanant de la région du passé), va venir s’incarner.

[Une étudiant : « Vous trouvez pas que ça rend vraiment curieux notre plan des relations naturelles ? ça lui fout un drôle de tremblement ? Surtout si on va des sections... »]

Là ? Ha ben, ça va les foutre en l’air. Ben, évidemment ! ça va... Ou bien... Oh,ça va, ça va... Alors, comprenez, en effet - il comprend très bien, je crois...

Là c’était le domaine des relations naturelles. Mais dans l’autre cas, chaque région sera quoi ? Chaque zone de sens, ce sera, à la lettre, un paquet de relations abstraites. Un paquet de relations abstraites... Des ressemblances sans que je sache qui se ressemble. Ce sera une zone... L’ensemble des relations juridiques - indépendamment des termes entre lesquelles elles s’établissent, l’ensemble des comparaisons esthétiques, etc. Tout ça, ce seront des zones.

Elles sont pas préfigurées, elles attendent pas mon saut, c’est plutôt, plutôt... Oui, elles attendent mon saut, c’est-à-dire : c’est en même temps que je saute que j’opère une coupe dans ce cône et que je m’installe alors dans tel domaine de relations.

Je dirais : ce sont des relations abstraites. Et ces ensembles de relations abstraites définissent quoi ? Ce qu’on appelle le sens, c’est-à-dire telle zone du sens, ou ce qu’on appellera le passé, telle région du passé. Si bien que, comme tout à l’heure, j’aurai une distinction entre les relations dites naturelles ou concrètes d’une part, et d’autre part, les relations abstraites.

Alors ce que je veux dire, c’est... Voilà, c’est tout ce que je veux dire.

Je reviens à Peirce pour en tirer une conclusion. Moi, à mon avis, vous comprenez, ce qui empoisonne le problème des relations, c’est que on se rend pas assez compte, encore une fois, que les relations sont des variables. A savoir que toute relation est inséparable de son changement possible. Encore une fois, personne ne ressemble à quelqu’un sans risquer de cesser de lui ressembler. Et inversement il n’y a pas d’absence de ressemblance sans le risque que les deux termes deviennent ressemblants. En d’autres termes, les relations abstraites sont inséparables d’un tout qui change et qui ne cesse pas de changer, tandis que les relations concrètes s’établissent entre des parties distinctes.

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