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25- 07/12/82 - 3

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Deleuze - cinéma : 07/12/82 - 3 transcription : Julie Alfonsi

Peirce dirait : "c’est le domaine de la secondéité". Blanchot dirait : "c’est la part de l’évènement qui se laisse épuiser par son actualisation". Et puis il y a un autre axe, je vais mettre événement ici, il y a un autre axe, vertical. Et où évidemment Péguy voyait l’exemple typique dans les généalogies, dans les généalogies à la fois hugolesques, chez Victor Hugo, et surtout de la Bible. "Et Untel engendre Untel qui engendre Untel qui engendre Untel" : et c’était le secret de la litanie. "Et Untel engendre Untel qui engendre Untel qui engendre Untel" : c’étaient les générations. On dira que les générations c’est du côté des états de choses. Non les générations historiques, mais non pas la génération biblique qui nous met - de quelque génération que nous soyons selon Péguy - voyez que là l’histoire de la foi revient...mais c’est pas ça qui m’importe. Pourquoi en effet je dirais pas...si j’étais pieux, si j’étais religieux, si j’étais catholique ou si j’étais chrétien, je dirais - c’est pas difficile : "la trinité c’est la foi, c’est la foi. La conscience immédiate qui n’est jamais donnée, toujours enveloppée dans toute conscience médiate, c’est la foi" - très bien. On pourrait l’appeler la croyance.

Bon, moi je suis très prêt à dire "mais oui c’est la foi", simplement la foi ça n’a aucun rapport avec Dieu, non, y’en a qui voient un rapport avec Dieu, très bien, alors vaut mieux employer un autre mot que foi parce que ça prête à équivoque. On a dit "conscience immédiate telle qu’elle est comprise", mais après tout un mot plus court ferait peut être un bon effet, alors on dirait : "ben c’est ça la foi". Car cette histoire de génération - alors pour un homme religieux, par exemple qui croit à la Bible : "et Adam a engendré qui a engendré qui a engendré qui a engendré", c’est pas une succession dans le temps - ça ce serait l’aspect état de choses, puisque c’est au contraire chaque génération, si dérivée, si lointaine soit-elle, qui est dans un rapport immédiat.

-  Et c’est ça le sens de la litanie qui est dans un rapport immédiat avec le premier homme - dès lors avec Jésus. Dans la litanie des générations ça a l’air d’être de la succession temporelle, c’est à dire une succession d’état de choses, mais pas du tout. C’est l’autre part de l’évènement, à savoir de quelque génération que vous soyez dans l’ordre du temps, vous êtes dans un rapport immédiat - avec Adam, avec le Christ, avec le péché, avec la...vous voyez...qu’est-ce que c’est le mot juste après le Chrit pour nous sauver du péché...non ça...c’est non...le rachat oui y’a un autre mot que le rachat...la rédemption !

Voilà ! Tiens il faut que ce soit un japonais qui le dise, c’est formidable ça...oh fantastique ça...à la télé il aurait tout gagné ! (rires)

Bon, vous comprenez, non non non...alors...alors (rires)...est-ce que vous comprenez pourquoi Péguy... Alors oui j’ai pas fini, l’autre aspect de l’évènement c’est...je remonte verticalement dans l’évènement. Et qu’est-ce qu’il nous dit Péguy dans une page splendide ? Qu’est-ce qu’il va nous dire dans cette remontée verticale qui est représentée par les générations bibliques, où à chaque fois est affirmé l’immédiat à travers les médiations ? Il nous dit - celle-là je la lis parce que sinon vous croiriez que j’invente, aïe aïe j’ai pas...si j’lai notée...il nous dit - et là aussi c’est du bon style Péguy. Il dit voilà, "y’a des choses très curieuses", il dit, je résume le contexte, il dit "y’a des choses qui nous arrivent", par exemple des évènements extraordinaires, très importants, la guerre, ou...je sais pas...une sale situation où je me suis mis, ou une très bonne situation qui m’arrive, je tombe amoureux, je suis plus amoureux - enfin des choses comme ça. Et puis y’a des périodes toutes plates, rien n’arrive. Et Péguy il dit "c’est quand même bizarre, parce que c’est généralement dans les périodes où rien n’arrive que se font les vrais changements". Et vous vous réveillez un matin, et ce qui faisait problème - ça arrive pas tous les jours - , et ce qui faisait problème, fait plus du tout problème. Et vous vous dites "mais quoi, qu’est-ce qui me prenait à trouver ça important, mais quelle importance ça a tout ça ?".

En 68, beaucoup de gens ont eu cette conversion collective, ce virement : "mais ça allait pas ma tête, quoi, qu’est-ce que, je trouvais important ceci cela, mais quelle importance ça avait ?". Oh il se passait des choses en 68, mais incomparables avec ce qui se passait dans les gens, c’était très bizarre - alors tantôt c’était le pire, tantôt c’était pas mal. Et tout d’un coup nous sentons que nous ne sommes plus les mêmes forçats. Rien ne survient, rien ne survient, il n’y a rien eu. Et tout d’un coup nous sentons que nous ne sommes plus les mêmes forçats. Il n’y a rien eu. Et un problème dont on ne voyait pas la fin, un problème sans issue, un problème où tout un monde était à heurter, était à heurter, tout d’un coup n’existe plus, et on se demande de quoi on parlait.

C’est qu’au lieu de recevoir une solution, ordinaire, une solution que l’on trouve, ce problème, cette difficulté, cette impossibilité, vient de passer par un point de résolution pour ainsi dire physique. Au lieu de recevoir une solution, c’est à dire d’un état de choses, d’une modification d’un état de choses dont on a vu qu’elle faisait partie de la secondéité, on aurait modifié l’état de choses pour résoudre le problème - et ben là c’est pas ça. Au lieu de recevoir une solution ordinaire, une solution que l’on trouve, ce problème, cette difficulté, cette impossibilité, vient de passer par un point de résolution pour ainsi dire physique, point. Par un point de crise, point. Et c’est qu’en même temps le monde entier est passé par un point de crise pour ainsi dire physique, point. Il y a des points critiques de l’évènement, comme il y a des points critiques de température, des points de fusion, de congélation, d’ébullition, de condensation, de coagulation, de cristallisation, et même il y a dans l’évènement de ces états de surfusion, des points de surfusion - tous ces termes qui sont empruntés à la physique - et même il y a dans l’évènement de ces états de surfusion qui ne se précipitent, qui ne se cristallisent, qui ne se déterminent que par l’introduction d’un fragment d’un évènement futur.

Et en effet, ça arrive très souvent, une difficulté dans laquelle vous pataugiez depuis des années : il faudra un évènement futur, qui opère comme un point de surfusion pour la résoudre complètement, c’est à dire faire qu’à la lettre elle n’existe même plus. Donc vous avez votre axe de l’évènement, votre axe vertical. Je force pas le texte de Péguy, comment il définit l’axe vertical où vous remontez dans l’évènement, vous remontez pas le cours des évènements, vous remontez comme à l’intérieur de l’évènement. Comment il est défini ? Par de pures singularités. En effet qu’est-ce que les physiciens appellent des singularités ? Les singularités c’est la longue liste que Péguy nous a donnée : points de fusion, points de cristallisation, points de surfusion, points de coagulation et cetera et cetera. Bon, ça c’est la part de l’évènement, l’évènement comme ensemble de singularités, je dirais aussi bien alors - du coup je mélange tout, l’évènement comme coup de dés.

-  Qu’est-ce que c’est qu’un coup de dés ? C’est une répartition de singularités, en appelant singularités les points qui sont sur chaque face du dé. Tout évènement est un coup de dés, dans quelle face ? - dans cette face. Un coup de dés ben oui, c’est une répartition de singularités. Remonter dans l’évènement, non pas remonter le cours des évènements : c’est remonter l’évènement vers, ou c’est découvrir dans l’évènement cette part qui ne se laisse pas épuiser par sa propre actualisation. C’est à dire c’est découvrir la qualité pure, ou je pourrais dire maintenant aussi bien la puissance pure, la potentialité. La qualité pure, la puissance pure : c’est un pur potentiel. La qualité singulière, la puissance singulière qui est à l’oeuvre dans l’évènement. C’est cela l’affect, c’est cela la priméité. Et en effet, on peut dire la priméité c’est la qualité maintenant ou la potentialité. C’est la qualité ou la puissance, en tant qu’elle est considérée comme, en tant qu’elle est considérée indépendamment de son effectuation, de son actualisation dans un état de choses quelconque.

A ce titre, je me résume, c’est "la part de l’évènement qui ne se laisse pas accomplir par son actualisation". Tout évènement comporte une telle part : tout évènement c’est le même événement, mais sous un aspect il est priméité, sous l’autre aspect il est secondéité. L’évènement saisi comme "actualisation de puissance et de qualité dans un état de choses" : c’est son aspect secondéité. L’évènement saisi dans sa part, "dans la part de lui-même qui déborde toute actualisation" : c’est l’affect ou la priméité de l’évènement. Si bien que les trois caractères de la priméité, comme on a vu l’équivoque et la difficulté du terme de conscience, je ne dirai plus en finissant ce que je disais au début, au lieu de dire 
-  "qualité, possibilité, pure conscience" comme disait Pierce, je dis - mais ça revient strictement au même :
-  "qualité pure, potentialité pure, évènement".

Evènement dans sa part - et vous voyez ce que, pourquoi Péguy avait, j’ai oublié de le dire en passant, avait besoin du concept de internel, c’est à dire cette espèce d’éternité qui n’existe ou qui n’est possible qu’à l’intérieur du temps : l’internel c’est la coordonnée verticale de l’évènement. C’est pas hors du temps, c’est dans le temps.

Mais c’est cette part du temps qui ne se laisse pas actualiser, juste une seconde. Donc, à votre choix, vous direz la priméité c’est "qualité-possibilité-pure-conscience", ou bien vous direz c’est "qualité-potentialité-évènement". Et on se trouve devant un statut précis de ce qu’on peut appeler l’image-affection. Je dirais que l’image-affection c’est exactement une image de priméité. Le coupant du couteau me paraît le meilleur exemple d’une image-affection. Qu’est ce qui nous reste ? Il nous reste évidemment les images dites de tiercéité - et qu’est-ce que c’est que la tiercéité ? Il nous restera à dire, ben oui, est-ce que ça nous va, ou est-ce qu’il faut corriger ce shéma ? En tout cas au point où on en est, moi pour mon compte, vous verrez vous-mêmes, je n’éprouve aucun besoin d’apporter le moindre changement à priméité et secondéité. Parce que ça correspond exactement à mes images-affection, et mes images-action.

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