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14- 23/03/82 - 1

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Gilles Deleuze - Cinéma - cours 14 du 23/03/82 - 1 transcription : Eugène Bitende NTOTILA

Nous sommes en vacances. Mais je voudrais savoir ah hé KASH, tu viens me voir quand j’irai au secrétariat. Tu viens avec moi hein ? Tu me suis quand j’irai au secrétariat hein ! Ha ! Et ce qu’il faut savoir, c’est quand est-ce qu’on rentre. Réponse des étudiants : le 13 avril. C’est un mardi ? Ho ho ho, vous êtes sûrs hein ! On rentre mardi.

Voilà ! Alors, on rentre le...On rentre le 20 ? (Réponse d’une étudiante : le 13). Oui, pour vous bien avant. Mais... Mais ce n’est pas le 13. Le 13 c’est un... C’est le mardi de Pâques, le 13... Non, je vais me renseigner au secrétariat tout à l’heure. Toi, tu parles sur l’école maternelle oui ? (Rire des étudiants). Est ce que c’est la même chose ! Peut-être d’ailleurs. Bon !alors, on ne sait pas quand on rentre, mais on sait quand on part hein !

He bien alors, continuons à progresser à toute allure. Voilà ! Vous voyez où nous en sommes. Nous avons déjà... Nous avons déjà entamé l’analyse de l’image-action.

Et, nous avons vu la dernière fois, uniquement un premier niveau de l’image-action. Et sans doute, tout ce que je peux dire pour résumer, c’est que ce niveau, il est extrêmement profond. Non pas, certes, par l’analyse que nous en avons faite, mais par sa situation. C’est comme une espèce de niveau qu’on pourrait appeler (oui), un niveau de fond, de fond d’où sort l’action. Ou un niveau (mais le mot n’est pas bon), un niveau archéologique, puisqu’il consiste en quoi ? On l’a vu, il s’agit bien de présenter dans l’image des états de choses parfaitement déterminés, ce qui est la condition de l’image-action, on a vu ça, des états de choses actuels et déterminés.

Mais ce niveau le plus profond consiste à extraire des états de choses historico-géographiques, ici et maintenant, des milieux précis.
-  Extraire de ces milieux comme des mondes originaires où se débattent pour constituer l’action, où se débattent les pulsions et les objets. Et je disais, ce cinéma ou ces images, ces images-actions, de pulsions et d’objets qui s’épousent suivant la plus grande pente, au sein d’un monde originaire qu’elles décrivent , qu’elles sont censées décrire, de deux manières très différentes et j’ai essayé d’expliquer en quoi c’était deux manières différentes, de deux manières différentes - c’est un cinéma assez prodigieux que tout le monde connaît plus ou moins à savoir - c’est l’entreprise de Stroheim et c’est l’entreprise de Bunuel. Bon ! Et, quelqu’un, quelqu’un ici avait fait une remarque, car j’avais dit, un peu imprudemment, mais quand même que c’était quand même les deux grands hommes de cinéma.

Et que, en effet, affrontée par l’image, cette espèce d’aventure de la pulsion et de son objet, en même temps qu’on extrait dès lors - les deux opérations vont ensemble -, en même temps qu’on extrait des milieux déterminés, autant de mondes originaires : monde de la faim, monde de la sexualité, monde de l’argent, etc., etc., monde des pulsions. Hé bien, cette opération, elle avait été comme réussie, elle avait été comme réussie, fondamentalement réussie deux fois, sous les deux formes différentes, du naturalisme (à la) Stroheim et du naturalisme ou surnaturalisme (à la) Bunuel. Et en effet, ce niveau le plus profond de l’image-action, nous l’avions qualifié pour plus de commodité, nous avions dit, c’est le naturalisme.

Or, quelqu’un faisait remarquer que, après tout, il y avait peut-être quand-même une descendance du cinéma. Et on pourrait penser à certaines formes du cinéma, du néo-cinéma de terreur. Par exemple encore une fois, chez un auteur qui n’est pas... qui n’est pas médiocre, chez Bava, il y a des... il y a des reprises d’une espèce de cinéma de pulsion très fort, mais c’est quand-même secondaire. Et quelqu’un, la dernière fois me disait : mais, il faudrait voir parce que quand même... Mais, je crois qu’elle n’est pas là aujourd’hui. Enfin, je ne la vois pas. Si ! Si ! Si ! Et, il faudrait voir si chez un cinéaste qui, je crois que ce n’est pas...ce n’est pas l’offenser que de dire qu’il n’a pas le génie de Bunuel ou de Stroheim, mais, qui est quand même important, chez Ferreri, « si chez Ferreri actuellement il n y a pas une espèce de reprise de ce projet sans qu’il imite du tout ni Stroheim ni Bunuel... ».

Et moi, je réagis à cette remarque avant que, si vous le vouliez bien, vous ne disiez quelque chose vous. Je réagis en effet, si vous prenez un film relativement récent de Ferreri comme Rêve de singe - c’est ça ? Ça s’appelle Rêve de singe ? - Comme Rêve de singe (ha), il y a quelque chose quand même dans ce film, moi, il m’avait assez frappé. Et d’après...d’après votre remarque, je me disais en effet, c’est bien ça, car si vous voulez, si j’essaie d’extraire la formule, mais c’est bien autre chose que la formule, vous corrigez de vous-mêmes. Si j’essaie d’extraire une espèce de structure de Rêve de singe, c’est quoi ? Il y a un état de choses historico-géographique, parfaitement déterminés, il y a vraiment un milieu. Mais en même temps, comme de ce milieu déterminé, est extrait la puissance d’un monde originaire. Et c’est les images très insolites de l’énorme cadavre de King Kong, occupant le terrain vague d’un grand ensemble...dans mon souvenir. Là, vous avez bien c’est... C’est là, c’est un procédé, à la limite un peu surréaliste qui permet cette extraction du monde originaire. Mais donc, vous avez le monde originaire dont on ne peut même pas dire que, il double l’état de choses déterminé. Non, ce n’est pas...ce n’est pas...il ne vient pas là en doublure. Il est comme extrait, il est immanent. C’est le monde originaire qui est au fond de cet état de choses là. Et, sur fond là de l’immense cadavre de King Kong occupant, encore une fois, le champ vague d’un grand ensemble, qu’est-ce qui se passe ?

Il va y avoir l’aventure d’une pulsion, avec tout ce qu’il y a de violent dans une pulsion. Pulsion paradoxale puisqu’il s’agit de la pulsion maternelle chez un homme. Pulsion maternelle chez un homme qui va prendre pour objet quoi ? Un petit singe. Et cette histoire un peu grotesque comme ça, va en effet faire une espèce... et va emprunter le principe - alors toujours de la plus grande pente - où la pulsion et son objet s’épousent dans une espèce de pente qui leur est commune ou suivant une pente qui leur est commune. Et en effet, il me semble que "Rêve de singe" répond assez à cette formule de la violence, de la pulsion et de son objet. Voilà en quel sens, moi, je prendrais - mais vous avez sans doute des choses à ajouter à cet égard. .(Intervient alors une question).

(En réponse à la question :) Oui, mais, on est tous d’accord sur ceci... (Hé), pardon de vous interrompre. On est tous d’accord sur ceci : nos goûts ou nos...nos goûts (He), n’entrent pas en ligne de compte. (La question continue). . Mais ça ne fait rien ! Que ça ne vous blesse pas (hein !), ça fait rien puisque on cherche des concepts. Alors qu’est-ce que ça peut faire que ça vous plaise ou pas ? Est-ce que vous avez la même réaction un peu de dégout avec Stroheim ? (réponse de l’étudiante : non). Là ça vous va ? Hein ! Vous voyez comme c’est curieux hein ! Curieux. Hé oui, mais oui, mais c’est bien toujours comme ça hein ! Alors, je ne veux pas dire que ce soit insignifiant ce domaine. Ça, ça me va. Cette forme de cinéma, ça me va. Telle autre, mais d’un autre point de vue, ça n’a pas d’importance quant à nous. J’insiste beaucoup que dans tout ce qu’on fait là, il n’y a aucun jugement de valeur, c’est-à-dire la seule chose et le seul jugement de valeur c’est que... tout ce que, tous les exemples que je donne sont des exemples que je suppose, moi, avoir une certaine importance quant au cinéma. Donc, encore une fois, en effet Ferreri n’est pas... Alors, si vous voulez, moi je crois que je vous proposerai l’idée que ce qui vous dégoute, ce n’est pas spécialement cette violence de la pulsion et de son objet. C’est que chez Ferreri, il y a bien quelque chose qui grince, c’est-à-dire, il y a quelque chose quand même de construit. Il ya quelque chose de construit et qu’on sent construit, alors que...alors que chez Stroheim ou même chez Bunuel aussi parfois, pas dans le mauvais Bunuel, il y a très...là c’est très construit. Mais dans le bon Bunuel ou partout chez Stroheim, c’est absolument pas construit. Il ya cette lutte rude de la pulsion et de son objet. Je vous disais ça vous dégoute, et ça parce que vous êtes...n’y voyez aucune ironie, c’est que vous êtes trop, vous êtes comme Visconti. Vous aimez Visconti ? (Réponse de l’étudiante).

Alors ! C’est bien ce que je disais la dernière fois. Prenez un type comme Visconti, moi je crois que ça va toujours travailler, Visconti : arriver à faire un cinéma de la pulsion et de l’objet. Aussi la nourriture chez Visconti est très très important. Très important tout ça. Mais, bien plus, je me souviens d’un texte, alors, on est dans le dialogue, et c’est très important le dialogue pour nous. He bien !, un moment du débat où le curé explique le monde des riches. Il dit : le monde des riches, vous savez, très bizarre ! Là le curé est complètement abruti, tout d’un coup, parle à des gens du peuple, qui est l’esclave du... eh baron, là, je ne sais plus, du... c’est le baron, mais bon enfin, enfin l’esclave du guépard. (He) Son curé personnel, et qui se met à parler à des gens du peuple. Il dit : "vous ne comprenez pas les riches, vous les co... (et ça c’est du vrai Visconti). Alors, vous ne comprenez pas les riches parce que, ils ne vivent pas dans un monde que le seigneur a créé. Ils ne vivent pas dans un monde créé par Dieu. Ils vivent dans un monde qu’ils ont créé eux-mêmes. Si bien que ce qui est très important pour vous, pour eux, n’a aucune importance. Et ce qui vous parait insignifiant, est au contraire pour eux, question de vie ou de mort.

En effet, c’est une période agitée socialement, mais le guépard qui..., il sait bien que tout ça, ça n’a aucune importance pour le monde des riches, aucune importance. En revanche, importance fondamentale, faire son pique-nique, un pique-nique en effet admirable, image pur Visconti, Le pique-nique est formidable, bon, et le monde des riches, voyez là, il y a (hé)...

*** *** ***

(Eh) Stroheim, il avait droit à avoir des prétentions à l’aristocratie, personne ne le prenait au sérieux. De toute façon, il n’était pas un aristocrate Stroheim. Il n’était pas vulgaire, mais personne ne vo... (He), c’était un violent, c’était un violent. Visconti lui, il sera empêché toujours de réaliser ses rêves de faire un cinéma des pulsions. Et il le fera, et ce film là est quand-même beaucoup plus aristocratique. Il fera un cinéma du temps. Tandis que chez Stroheim, et c’est ça qui indique le cinéma des pulsions. C’est pour cela qu’il ne réalisera jamais un cinéma des pulsions, tandis que Stroheim, lui, il le fait. Et moi, je crois, je vous le disais, je crois que c’est faux de le citer toujours comme s’il n’était pas toujours dans l’histoire du cinéma. Stroheim va être quand même un grand cinéaste du temps. Chez lui, si le temps était violence, le temps était violence, mais ce n’est pas toujours vrai, et quand il y a une violence du temps, c’est parce que le temps est subordonné aux pulsions. Le temps c’est le déroulement de la pulsion. Mais lui, ce n’est pas du tout un cinéaste qui appréhende les phénomènes du temps, ou le temps comme phénomène pur. Ça c’est un cinéaste,... c’est, c’est un type...c’est un type de cinéaste très très très spécial, qui se refugie derrière les images de temps. Et encore une fois, il croit que ça vaut mieux. He. Bon. Mais, vous voyez donc qu’on n’a ajouté juste que le seul cas Ferreri dans la descendance possible...bon. Voilà, premier niveau terminé.

-  Et nous entrons maintenant dans un second niveau d’image-action. Et ce second niveau, je précise tout de suite, que c’est sans doute là, non pas du tout que ça s’identifie, non pas du tout que ce cinéma là couvre le second niveau. On verra qu’il y a mille autres exemples de ce second niveau. C’est là qu’on trouvera ce qu’on peut appeler, je ne sais pas, le cinéma américain par excellence, à ce second niveau de l’image-action. Et vous comprenez que si je le présente comme un second niveau, c’est que, il ne s’agit plus de pulsions et d’objets. Il ne s’agit plus de mondes originaires. Il ne s’agit plus de symptômes au sens qu’aussi bien Stroheim que bunuel pouvaient se dire de véritables "médecins de la civilisation".

Mais, il va s’agir de quoi ? Alors, on retombe dans un domaine - vous sentez que tout va changer. Par exemple, si l’on découvre une violence dans ce cinéma, de second...dans ce second niveau, ce sera une forme de violence tout à fait différente de la violence que l’on vient de voir chez Stroheim ou chez Bunuel. Donc, il va falloir changer toutes nos catégories pour trouver de nouvelles catégories pour analyser ce second niveau.

En effet, ce second niveau, comment le présenter ? En un sens, il a l’air assez simple. Hé ben, il part d’un état de choses déterminé. Vous voyez ! Il ne s’installe plus dans le monde originaire découvert à travers et dans les états de choses. Lui, il prend l’état de choses déterminé pour ce qu’il est, c’est-à-dire, pour la manière dont il se présente, pour la manière dont il apparaît. Et cet état de choses déterminé a des coordonnées spatio-temporelles. Il consiste en quoi cet état de choses déterminé ? Alors, on revient à des choses qu’on a dé... qu’on connaît déjà, donc, relativement simples. Et ben, nous savons ce que c’est un état de choses déterminé à coordonnées spatio-temporelles : c’est les qualités-puissances qu’on a analysées précédemment.
-  Les qualités-puissances saisies en tant qu’elles sont actualisées. L’état de choses, c’est l’actualisation des qualités-puissances, et les qualités-puissances en tant qu’elles sont actualisées dans un état de choses constituent quoi ? Un milieu. Ils constituent un milieu.

Or, la nature peut être un tel milieu et à ce titre, avoir une grande puissance. Ça n’empêche pas que le milieu est toujours un monde dérivé. Ce n’est pas un monde originaire. Et la puissance que la nature peut avoir dans ce milieu, c’est la puissance dérivée de la nature. Si les qualités-puissances en elles-mêmes nous les nommions, en nous servant de la terminologie de Peirce, des callisignes, les qualités-puissances effectuées et actualisées dans un état de choses constituant un milieu, nous les appelons, conformément au vocabulaire de Peirce, nous les appelons des synsignes.

Je dirai, nous ne sommes plus dans le monde du naturalisme - je vous dis ça pour essayer de fixer des concepts -, nous sommes dans ce qu’il faudrait bien appeler un monde du réalisme dont le premier aspect c’est le milieu comme monde dérivé. Mais, ce milieu comme monde dérivé, en même temps, il forme par rapport à un personnage ou à des personnages, il forme une situation.
-  En d’autres termes, le milieu c’est un ensemble de circonstances ambiantes et influentes, influant sur un personnage par rapport auquel il se manifeste comme situation. Et le personnage lui-même, le personnage lui-même, il ne se définit plus par des pulsions. De même que nous ne sommes plus dans les mondes originaires, le personnage n’est plus mené par les pulsions. Finalement, dans le naturalisme, on a vu, les vrais personnages, c’était les pulsions elles-mêmes.

Là, nous avons au contraire un personnage d’un tout autre type dans le réalisme. Il va se définir comment ? Il va se définir par ceci que, en tant que personnage, il réagit. Il réagit à la situation ou il agit sur le milieu. En d’autres termes, il va se définir par son comportement, par sa manière d’être, en entendant par comportement, l’ensemble des actions qui réagissent sur la situation ou sur le milieu. Ce comportement, pourquoi ça ne se sent pas tout de suite ? J’ai l’air là, de vouloir raffiner à tout prix. J’ai besoin d’un nom technique. Mais, on ne comprendra la nécessité de ce nom technique que plus tard.

Donc, nous pouvons l’appeler, en empruntant un terme latin, « habitus ». L’ « habitus » c’est quoi en effet ? C’est vraiment d’où est dérivée, notre habitude. Mais en fait, l’habitude n’est que un cas particulier de l’ « habitus », et c’est pour ça que j’ai besoin d’un nom plus barbare, plus barbare du latin... (He), alors, « Habitus » c’est quoi ? C’est la manière d’être en tant qu’elle réagit sur une situation ou sur un milieu. C’est le comportement. Et nous ne sommes plus..., là on voit bien que nous ne sommes plus dans le monde originaire des pulsions. C’est que la pulsion n’apparaît plus comme telle. Elle ne va plus apparaître que sous des formes dérivées elles-mêmes. De même que le milieu est un monde dérivé, la pulsion ne va apparaître elle-même dans le personnage que sous une forme dérivée, à savoir, soit sous la forme d’émotion, soit sous la forme de mobile, mobile et émotion étant simplement les pulsions en tant que rapportées à des comportements, étant les pulsions en tant que traitées comme simples variables du comportement, comme simples variables de l’« habitus ».

Je dirai donc, ce cinéma, cette image-action, elle est très simple. Vous y reconnaissez... C’est peut-être un peu plus clair maintenant. On va passer à des exemples qui vont rendre ça lumineux bien sur, vous y reconnaissez peut-être une formule que j’avais lancée d’avance, que j’avais proposée d’avance, à savoir, c’est la formule de l’image-action qu’on pourrait symboliser par SAS’. SAS’ : S : milieu - situation. S c’est le milieu en tant qu’il s’organise en situation par rapport à un personnage ou à de personnages ; A c’est le comportement ou l’action ou l’ « habitus » (ça s’écrit avec « h » habitus hein !). C’est l’action. Mais l’action réagit sur la situation et sur le milieu ; S’ c’est la situation modifiée. C’est ça le second niveau de l’image-action. Si l’image-action, conformément à la terminologie que nous empruntons à Peirce, c’est le domaine de la secondéité sous la forme très sommaire due (au fait que) dans toute action il y a deux, nous voyons que ce niveau de l’image-action présente deux secondéités.

-  Première secondéité, et c’est ça qui va constituer l’ensemble de l’image-action. Première secondéité, c’est celle du synsigne ou du milieu lui-même en tant que monde dérivé. En quoi est-ce de la secondéité ? En ceci : des qualités-puissances s’actualisent dans un état de choses. Il y a là deux termes : les qualités-puissances et l’état de choses qui l’actualise. Ces deux termes sont quand même assez difficiles à distinguer, si bien que je dirai que ça c’est une secondéité introductive.

-  Deuxième secondéité : le personnage agit. Et en agissant, en se comportant, réagit sur la situation. Là nous avons une véritable secondéité. Sous quelle forme ? Action - modification de la situation. Ou plus profondément, cette seconde secondéité c’est quoi ? C’est, de fait on l’a vu et, on l’a vu et c’est pour ça que l’analyse de Peirce nous sert. On l’a vu : toute action implique réaction, tout effort implique résistance. Et le comportement ne peut être conçu finalement que sous quelle forme ? Sous la forme d’un duel. Et c’est ça la vraie secondéité de l’image-action. Il s’agira nécessairement d’un duel. Soit duel avec le milieu, soit duel avec un élément du milieu, soit duel avec quelqu’un d’autre.

Déjà, nous pouvons être inquiets ou bien satisfaits, mais nous pressentons que la forme du duel couvre toute forme de choses, et que vous le retrouverez chaque fois qu’il y a comportement. Chaque fois qu’il y a comportement, un duel est inscrit dans le comportement. Il va ventiler les émotions et les mobiles du comportement. Or, ça toujours conformément au vocabulaire de Peirce, c’est le domaine non plus du synsigne, mais le domaine de l’indice. Quand deux éléments sont dans un rapport d’action et de réaction, l’un est l’indice de l’autre. La résistance est l’indice de l’effort, et l’effort est l’indice de la résistance. Je dirai donc, les deux secondéités de l’image-action dans ce sens réaliste, c’est celle du synsigne et celle de l’indice.

Si je résume, je dirai :
-  première secondéité de l’image-action : le milieu lance un défi. Le milieu lance un défi à un ou plusieurs personnages. Et par là même, le milieu en tant qu’il lance un défi à un ou plusieurs personnages, il constitue une "situation", situation de ces personnages.
-  Deuxième secondéité : le personnage réagit et c’est le rapport effort - résistance, ou si vous préférez, c’est l’indice du duel. C’est l’indice du duel. Et, c’est bien forcé, et c’est conforme à son génie que le cinéma, nous présente un certain nombre de ses œuvres sous cette forme de ce schéma SAS. En effet, son génie est de considérer des situations et des actions. Comme on dit ou comme le disait, dans son livre sur le roman américain, où elle comparait beaucoup le roman américain et le cinéma, Claude Edmonde Manni ben oui, au cinéma on ne saisit pas les émotions indépendamment des comportements ! En tout cas Soit d’une certaine manière elle se trompait. En tout cas, le cinéma dont elle parlait, comme vous sentez déjà que, il va occuper beaucoup le cinéma américain, toute une forme de cinéma va de la situation au comportement, du milieu-situation au comportement réaction, c’est-à-dire, on va du synsigne à l’indice. On va du milieu au duel. Ce sera un cinéma du comportement qui répond à quelle formule ? Eh bien, on vient de le voir, SAS’ qu’on peut faire varier. On peut dire il y a deux extrémités, parce que, il y aura deux films. Ça c’est la formule développée SAS’ : situation de départ - action sous forme de duel - situation modifiée.

Mais, vous pouvez avoir une formule courte SA : situation de départ - action qui réagit sur la situation et fin du film. On ne vous montre même pas en quoi la situation est modifiée. Il n’y a pas besoin, parce que cela va tellement de soi. Ou bien alors une forme, une forme qui peut arriver, mais évidemment en sent que ce n’est pas forcément les films les plus gais SAS. A la fin, ça recommence. Ça n’a rien changé. Ici, ce qui est important, parce que, entre S’ de la fin et le S de la fin, vous pouvez avoir des variations minuscules. Ça peut être un S’ tellement voisin du S de départ et pourtant un peu différent. Je vois des films. La situation est à peine modifiée en pire ou en bien. On verra tout ça tout à l’heure, mais c’est vous dire que déjà cette formule n’est pas du tout une formule figée.

Et pour que ce soit plus compréhensible, cherchons toujours à...à forcer, car je voudrais que vous reteniez cette année, ceux qui suivent au moins ceci que des efforts pour fixer une terminologie font pleinement partie du travail. Et encore une fois, chaque fois que l’on n’a pas de mots à notre disposition, il faut arriver à en créer un. Chaque fois qu’un mot est en notre disposition, il faut s’en servir et en faire une catégorie. Je me dis, cette forme de action, d’image-action, ou si vous préférez, là à ce niveau, ça revient au même degré de récit cinématographique. Comment l’appeler SAS’ ? Pour des raisons qui nous échappent encore, je vais l’appeler, en empruntant ce terme à un auteur qui l’a appliqué à propos de "M. le maudit" de Lang : la grande forme. Grande forme, sous entendue, la grande forme de récit. Oui, ça nous engage déjà dans l’avenir, parce que, si ce terme est justifié, grande forme, pour désigner l’image-action qui procède par SAS’, ça nous laisse déjà prévoir que, on ne va peut-être pas s’arrêter là, qu’il y aura un troisième niveau au moins, et que le troisième niveau sera celui de "la petite forme". La petite forme, bon (He). Mais pourquoi alors on sera forcé de justifier grand et petit, hein ! Mais on va tout doucement.

Et alors donnons, pour que ce soit simple, un exemple qui regroupe tout ce que je viens de dire. Un exemple de cinéma grande forme SAS’. Il s’agit, car le nom est difficile à prononcer, d’un film de 1927 intitulé "Le vent", d’un grand suédois Sjöström (intermède sur le nom). "Le vent" de 1927 de l’auteur que je viens de...d’indiquer, eh bien ça s’écrit, si ça s’écrit dans mon souvenir, eh bien je n’ai pas noté : Sjöström, trés important puisque ça doit nous intéresser, fait partie de grands, de ce qu’on souvent appellé (là il y a une équivoque, il y a une ambiguïté du cinéma de grands), de ce qu’on a appelé...de ce qu’on appelle tantôt l’impressionnisme suédois, tantôt l’expressionnisme suédois. Je préfère l’expressionnisme suédois que l’on qualifie aussi dans beaucoup d’histoires du cinéma par la magie blanche par opposition à la magie noire de l’expressionnisme allemand. Et, en effet, ceci nous ferait sentir ce que c’est l’expressionnisme suédois. Ça n’a rien à voir avec l’expressionnisme allemand, même s’il y a eu des mélanges.

Car, voilà (hé), je résume. Ce n’est même pas le scénario. Voilà ce que nous présente Le vent. Le vent est un film tardif, n’est-ce pas ? Puisque, il a déjà émigré, l’auteur susnommé, il a déjà émigré en Amérique. Mais, il fait là un film comme il en faisait, il avait fait par exemple en Suède un film admirable, un grand classique qui s’appelle Les Proscrits, qui était tout à fait sur le même type. Et je prends Le vent parce que c’est à l’état tellement pur de la formule SAS’. C’est ceci : c’est dans les grandes plaines d’Amérique, que je ne sais plus (He) dans quelle région de l’Amérique. Je n’ai pas noté, ça fait rien, voyez vos histoires du cinéma. Peu importe. Dans les grandes plaines d’Amérique, battues par le vent, le vent souffle. Je commente : le vent souffle. D’accord. Mais ça n’est plus le vent comme callisigne, ça n’est pas le vent comme qualité-puissance. C’est le vent en tant qu’actualisé dans une prairie américaine. Dans un monde de prairies américaines, avec des cowboys et tout ça, avec du sable, avec... C’est vraiment un état de choses déterminé. Le vent là est saisi comme actualisé. Et ce monde est rude, c’est-à-dire la situation est dure pour ceux qui habitent ce milieu, violents et...et rudes cowboys, marchands de bestiaux. C’est un monde très violent, très dur. C’est un monde de l’ouest, le vent dans la prairie. Bon ! Je dirai, le vent c’est le synsigne. Et là-dessus, dans ce monde violent et dur, arrive une jeune orpheline qui, elle, vient du sud, là où il n’y a pas de vent, et elle est accueillie... elle est accueillie. C’est une lointaine famille, elle n’a plus personne et elle est accueillie avec violence et brutalité. Elle est accueillie par le jeune cowboy très brutal et par les parents du jeune cowboy, terribles les parents, terribles. Le vent. Et elle ne peut pas se faire vent. Elle ne peut pas se faire au cowboy non plus, mais elle ne peut pas se... non plus. En d’autres termes, elle n’a pas l’« habitus », une fille du sud, et elle souffre infiniment. Elle se fait rudoyer de partout, partout, partout.

Bon, là-dessus, elle ne peut pas résister ! Elle est forcée d’épouser le cowboy. Mais par une espèce de dignité, voyez la naissance d’un... Bon, j’introduis là une notion un peu nouvelle :un premier duel. La situation pour jeune fille dans le vent, dans la prairie, n’ayant pas l’« habitus »...situation produit un duel. Duel. Premier duel, avec le jeune cowboy qui l’épouse quasiment de force, et elle réagit dans le duel. La pauvre elle, est bien incapable, pour le moment, de réagir sur le milieu, on va voir. Mais, elle fait ce qu’elle peut, elle réagit, elle se refuse à lui. Et le duel est incertain. C’est un très très beau film. Je fais l’idiot, mais, un très très beau film, admirable. Le duel est incertain, parce que, il l’aime avec ses manières très rudes. Parfois des hommes très rudes et très grossiers conçoivent un amour très pur. Hé ben, c’est le cas. Ce rude cowboy l’aime vraiment. Il ne sait pas l’exprimer, mais enfin, c’est comme ça, ça arrive. Alors, elle se refuse à lui. Donc ils sont comme ça, dans cet état de duel.

Il y a le marchand de bestiaux qui arrive un jour, quand le cowboy n’est pas là. Il y a des scènes sublimes, admirables tentatives de viol, qui font partie de grandes images de cinéma. Le viol dans le cinéma c’est très curieux... dans ... Pour ceux qui ont vu ce film, rappelez-vous les images fantastiques de viol dans "Eldorado" de l’herbier hein ! Mais c’est un autre type d’images chez l’herbier. Mais là, ça fait partie de très très grandes images de cinéma. Bon, et elle...On ne sait pas très bien si le viol a eu lieu ou pas. Moi, jepensequ’iln’a pas eu lieu. Et, pour des raisons finalement discutables. Et, elle le tue, elle le tue. Hé bien, moment aigü où le duel. Voyez ! Le duel s’est déjà déplacé (He !). Premier duel avec le cowboy mari, issue incertaine ; deuxième duel avec le marchand de bestiaux, là, issue radicale, elle le tue ; troisième duel : ou cette fois-ci, le duel se déplace. Ça va être le premier duel de la fille avec le milieu. Splendides images là, de toute beauté, où elle essaie de l’enterrer. Ce n’est pas bien d’enterrer quelqu’un quand il y a du vent. Et dans un terrain sableux ... Terrible ça, vous comprenez ? Bien sur qu’elle l’enterre, mais le vent qui souffle le déterre. Une merveille du cinéma. Le vent qui souffle déterre ce type là. La pauvre, elle ne sait plus que faire ? Elle court, elle enterre et le vent défait tout ça..., elle fait tout ça, il y a un vent qui fait ça. Ça ne va pas. Et, heureusement, le rude cowboy rentre. et lui dit tout. A nouveau, le duel déplacé. Mais là, remarque particulièrement importante, le moment où le duel a été réellement un affrontement avec le milieu. Bon ! Et le mari comprend tout. Il lui dit : tu as bien fait, tu as bien fait, un salaud ce type là, tu as bien fait.

Et là elle commence à comprendre que le cowboy l’aime vraiment. Elle va aimer le cowboy : résolution du premier duel. Alors, le cowboy, il enterre bien parce que lui il est fort, lui il connaît le vent, donc il a l’« habitus », il enterre bien le type. Et, image finale. Là aussi très très beau, très très belles images où elle sort, moi je.., elle sort, elle sort dans la prairie. Qu’est-ce qui s’est passé ? La situation est modifiée. Elle est réconciliée avec le vent, elle est réconciliée avec le vent. Et on voit des images admirables, elle qui se tient dans le vent, où le vent est devenu une puissance, une qualité-puissance amie. ...Jo...ce film. Très beau film.

Je dis, là je n’ai pas besoin de commenter. Vous reconnaissez pleinement la structure SAS’. Simplement, cet exemple me sert à indiquer que A n’est pas un terme simple, puisque dans la rubrique A, vous allez mettre tous les duels successifs, soit entre personnages, soit par personnage avec le milieu, tous les comportements qui peuvent se mettre sous la forme effort-résistance, ou tous les indices qui tendent à avoir et à opérer une réaction sur le milieu et à la situation, et sur la situation imposée par le milieu.

Bon, alors, je dis et je voudrais que vous compreniez pourquoi je fais ça. Les genres soit les genres au cinéma, c’est très peu important. En tout cas, je ne crois pas, mais ça je pourrai le dire que au troisième semestre, ou dans un an, dans deux ans, dans trois ans, mais je ne crois pas du tout à l’idée de code appliqué au cinéma. Et les genres là j’en ai besoin ! Parce que je me dis, si on a découvert une formule d’images-actions sous la forme SAS’, montrons au moins comment ça traverse tous les genres, mais ça ne les épuise pas. Donc, je dirai en quoi ça traverse des genres très différents, cette formule SAS’. Qu’est-ce que je pourrai mettre sous cette formule SAS’ dans le cinéma classique le plus connu ?

J’y mettrai d’abord une grande école documentaire : Flaherty. Et là, je dis juste quelques mots. Vous sentez que tout ça, ça n’a d’intérêt que si dans l’avenir et quand on découvrira d’autres formules d’images-actions, à ce moment là, on pourra comparer à l’intérieur même d’un même genre, ce qui répond à telle formule et ce qui répond à telle autre formule. C’est pour ça que j’en ai besoin là de mon petit tableau actuel. Flaherty, moi, je crois que dans le cinéma c’est exactement donc il est mieux qu’un disciple, c’est le correspondant de ce que dans l’histoire et la philosophie de l’histoire a fait un écrivain, un anglais qui s’appelait Toynbee. Et Toynbee avait une idée assez simple, mais riche et bien, qui est très belle, sur les civilisations. Il ne cesse d’expliquer ceci : eh bien vous comprenez, le milieu lance un défi à l’homme. C’est la théorie du défi chez Toynbee. Il tenait beaucoup à cette notion de défi. Le milieu lance un défi à l’homme. Seulement, il y a trois cas, ou il y a deux cas. Il y a deux grands cas :

-  premier cas : le milieu lance un défi à l’homme, mais l’homme... mais ce défi est assez modéré, c’est-à-dire le milieu a assez de ressources, pour que l’homme réagisse sur le milieu, c’est-à-dire triomphe du défi, et n’y mette pas toutes ses forces, ait un reste de force, justement pour créer un nouveau milieu, c’est-à-dire que la réaction au milieu ne soit pas suffisamment épuisante pour que l’homme ne puisse pas recréer le milieu. Alors ça, cette situation où le défi n’est pas épuisant et où l’homme, en réagissant au milieu, recrée un autre milieu qui lui convient, c’est les grandes civilisations évolutives.

-  Mais, le deuxième cas réunit les deux autres figures : ou bien le milieu est si favorable, si accueillant. Il fait si beau et tout est là, que l’homme n’est convié à aucun duel par le milieu. Le milieu ne lance pas de véritable défi. L’homme n’entre donc pas dans une relation de duel avec le milieu. Il n’a pas besoin de réagir. C’est trop beau, c’est le paradis. Mais il n’y en a pas beaucoup comme ça, des iles, certaines iles... vous voyez ! Ou bien, le défi est tellement fort, tellement violent que toutes les forces de l’homme sont investies dans l’entreprise de survivre. Donc sa seule réaction se réduit à survivre. Il ne peut pas modifier le milieu. Le milieu est tellement dur. Le défi que lui impose le milieu est tellement fort que l’homme ne peut que subsister, survivre dans un tel milieu. Et Toynbee donne des exemples : les nomades du désert et les esquimaux de la glace. Et c’est des civilisations au besoin admirables, d’accord, mais, c’est des civilisations bloquées, puisque ça ne peut être que des civilisations de survivance.

Vous me direz c’est simple, c’est un peu simple comme schéma tout ça. S’il vous arrive de lire Toynbee, vous allez dire : c’est assez puissant, c’est un historien lyrique ce qui se passe, c’est une vision de civilisation. A partir de là, c’est... c’est des idées qui nous conviennent très bien. Le défi que lance le milieu est le duel que l’homme entretient avec le milieu. Or, si je prends Flaherty, qu’est-ce qu’on voit ? SAS’ ou SAS dans le cas d’une civilisation bloquante, dans le cas d’une civilisation non évolutive parce que l’homme ne peut qu’y survivre, vous aurez typiquement SAS. Vous n’aurez pas SAS’. L’on ne peut pas véritablement modifier le milieu ! Il ne peut que s’en tirer dans ce milieu là. Il ne peut que s’accrocher au milieu. Sans doute a-t-il des raisons de s’accrocher au milieu. Mais ça ne peut pas être une civilisation dite progressiste, progressive. Le milieu est trop dur. Or le premier très grand documentaire de Flaherty, il est bien célèbre, c’est Nanouk. Et, que Nanouk réponde à cette structure SAS. A quel point sc’est visible puisque les premières images de Nanouk sont les images d’ensemble du paysage avec la côte, les glaces, la brume et les images suivantes, ça va être les duels de Nanouk, et vous avez absolument ces duels, qui n’ont qu’un objet : que finalement Nanouk et sa famille survivent. Bien sûr, il y a des moments de joie, il ya des moments...bien sûr je résume trop, mais... Mais c’est vraiment la structure dure SAS que Flaherty sait manier et vous devinez la splendeur des images qu’il peut y avoir dans cette structure tout comme dans Le vent le mauvais récit que j’en faisais, pouvait bien laisser pressentir la beauté de ces images et de cette structure de récit, Nanouk est un cas célèbre de documentaire puisqu’il a une impotance fondamentale dans l’histoire du cinéma. Donc il y a, je dirai alors en termes techniques, l’exposé du synsigne, du milieu-situation dans les premières images, puis on passe aux duels, à savoir :

Premier duel : Nanouk construit son igloo. Là, il y a vraiment un duel avec le milieu et pas avec le milieu en général. Et puis, il y a les fameuses séquences qui font tant parler, et à juste titre dans les histoires du cinéma : le duel avec le phoque dans les glaces. Le trou dans la glace et la pêche aux phoques, qui vraiment est un duel à l’état pur, puisque vous avez la catégorie indicielle de l’action et de la réaction, de l’effort et de la résistance. Nanouk qui tire un peu, le phoque qui tire, etc., tous les gestes de Nanouk, en réponse à la défense du phoque, etc. qui sont des images sublimes. Et puis, vous avez la grande chasse, vous avez etc., vous avez toutes sortes de duels et qui indiquent comment... comment quoi ? Comment la famille Nanouk survit dans ce milieu qui lance un défi surhumain, qui lance un défi incomparable. Si bien que je vois que ça va trop de soi (avec) une grande cohérence, lorsqu’ensuite Flaherty fait Moana, qui, lui répond à l’autre cas de milieu stagnant, c’est-à-dire un milieu tellement favorable des iles, que la situation est stagnante.

Là, le milieu ne lance aucun défi. Bon, le milieu ne lance aucun défi, les choses, intéressantes, et c’est toute la structure de Moana. Là aussi, il a la structure réduite du type SAS. A ce moment là, il faut que l’homme s’impose un défi, sinon il ne survivrait même pas comme l’impose le milieu. Il faut qu’il s’impose un défi. Et ça, Flaherty le montre admirablement. C’est presque là du coup...c’est presque nietchéen d’ailleurs les images. Il va s’imposer l’épreuve de la douleur, ce qui v a faire le grand moment de Moana. C’est comme si l’homme prenait la place de la nature, lorsque la nature ne lance pas à l’homme un défi suffisant. Vous voyez ! C’est une conception très lyrique de la civilisation. Et ça va être l’épreuve sous forme de duel, l’épreuve du tatouage. Un tatouage particulièrement douloureux, qui va être le signe sous lequel l’habitant de l’ile devient véritablement un homme, c’est-à-dire qu’il faut substituer quelque chose, une épreuve, à l’absence de défi lancé par la nature.

Mais donc là, vous avez aussi cette structure SAS ...où le duel prend une autre forme, puisqu’il prend la figure de tatouage. Peut-être est ce que vous comprenez dès lors, pourquoi Flaherty dans toute son œuvre allait susciter cette espèce d’opposition. Et là encore, il ne s’agit pas de dire les autres avaient raison ou Flaherty. Mais comment Flaherty allait être traité d’auteur d’une espèce de robinsonnade, ou bien d’idéalisme, de chantre de civilisations en train de disparaître sans s’occuper des raisons pour lesquelles elles disparaissaient ? Et pourquoi ceux qui travaillaient avec Flaherty allaient susciter une école de documentaires tout à fait différente et comprise d’une autre manière ? « Tout à fait différente ou comprise d’une autre manière » ça veut dire quoi ? Mais oui, c’est tout simple ! Elle emprunterait une toute forme de récit, sans doute elle ne serait pas du type SAS. Elle serait d’un autre type, elle emprunterait une autre forme. Laquelle ? On ne peut pas le dire pour le moment hein !
-  Donc on tient, premier pôle là : le documentaire.

-  Deuxième genre (je vais très vite) : le film social. L’exemple typique : "La foule" de Vidor qui est aussi un classique (1928), ce qui est tout à fait la formule SAS, alors là c’est un SAS très dur. Situation du pauvre type avec le grand panoramique sur la ville, et puis, on va chercher dans la ville le building où travaille le type, dans le mouvement de la caméra continu, et puis l’étage où il est, et puis le bureau, la pièce, et puis le bureau dans la pièce, etc. Vous avez donc un passage de S au personnage, de la situation d’ensemble au personnage très très fort, du milieu au personnage, et puis toute la vie médiocre du pauvre type. Et puis donc, dans le premier mouvement de SA, il a été pris à partir de la foule et individué, et puis dans tout le reste il va se reconfondre avec la foule, puis ça se termine par une séance au cirque, où le type rigole, prend un moment de détente. Mais, ça se confond avec le rire collectif de tous les gens. Vous avez une pure structure SAS.

Je dirai aussi structure SAS, le premier western...le premier western, c’est-à-dire leur...

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