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12- 17/03/81 - 1

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transcription Yaëlle Tannau Cours 12 du 17/03/81 - 1

Vous voulez pas fermer la porte ? Vous voulez pas fermer les fenêtres ? Ben si, on entend rien.

Ce doit être notre dernière séance sur Spinoza, à moins que vous n’ayez des questions. En tout cas, il faudrait qu’aujourd’hui ce qui vous soucie, si des choses vous soucient, vous me le disiez, vous interveniez le plus possible. Et alors, je voudrais aujourd’hui qu’on fasse deux choses : - Que l’on termine, non pas la conception spinoziste de l’individualité, parce que là il me semble que l’on est resté assez longtemps sur cette conception, mais que l’on en tire les conséquences concernant un point, une formule, une formule assez célèbre de Spinoza, qui est la suivante : "Nous expérimentons, nous sentons et nous expérimentons - il ne dit pas : nous pensons - c’est des mots très chargés : sentir et expérimenter - que nous sommes éternels." Qu’est-ce que c’est que cette célèbre éternité spinoziste ? Bon.

- Et puis enfin, il nous est tout à fait nécessaire de tirer des conséquences sur ce qui devait être le thème implicite de toutes ces séances, à savoir, eh bien quel rapport finalement entre un ontologie et une éthique ? une fois dit que ce rapport, il intéresse la philosophie pour elle même, mais le fait est que ce rapport, il n’a été fondé et développé que par Spinoza. Au point que quelqu’un qui viendrait nous dire : "Eh bien moi, mon projet, ce serait de faire une éthique qui serait comme le correlat d’une ontologie, c’est à dire d’une théorie de l’être", et bien on pourrait l’arrêter et dire très bien, on peut dire dans cette voie des choses très très nouvelles, mais c’est une voie qui est spinoziste, c’est une voie signée "Spinoza".

Bon. Vous vous rappelez, et je fais ce rappel pas du tout pour revenir sur ces points, mais pour les estimer acquis, vous vous rappelez les trois dimensions de l’individualité.

-  Première dimension : J’ai une infinité de parties extensives - bien plus, si vous vous rappelez plus précisément - j’ai une infinité d’ensembles infinis de parties extensives ou extérieures les unes aux autres. Je suis composé à l’infini.

-  Deuxième dimension : Ces ensembles infinis de parties extensives extérieures les unes aux autres, m’appartiennent, mais elles m’apppartiennent sous des rapports caractéristiques. Rapports de mouvement et de repos, dont la dernière fois j’ai essayé de dire quelle était la nature.

-  Troisième dimension : Ces rapports caractéristiques ne font qu’exprimer un degré de puissance qui constitue mon essence, mon essence à moi, c’est à dire une essence singulière.

Donc les trois dimensions,
-  c’est les parties extensives exterieures les unes aux autres qui m’appartiennent,
-  les rapports sous lesquels ces parties m’appartiennent,
-  et l’essence comme degré, gradus ou modus, l’essence singulière qui s’exprime dans ces rapports.

Or, Spinoza ne le dit jamais, parce qu’il n’a pas besoin de le dire. Mais nous, lecteurs, on est bien forcés de constater une curieuse harmonie entre quoi et quoi ? Entre ces trois dimensions de l’individualité, et ce qu’il appelle à une tout autre occasion, les trois genres de connaissances.

Vous vous rappelez les trois genres de connaissances, en effet ? Et vous allez voir le strict parallélisme entre les trois dimensions de l’individualité comme telle et les trois genres de connaissances. Mais qu’il y ait un tel parallélisme entre les deux, doit déjà nous amener à certaines conclusions. Je veux dire, ce n’est pas une chose qu’il ait besoin de dire - j’insiste parce que je voudrais aussi que vous en tiriez des règles pour la lecture de tout philosophe - il ne va pas dire "remarquez", ce n’est pas à lui d’expliquer. Encore une fois moi j’insiste beaucoup, on ne peut pas faire deux choses à la fois. On ne peut pas à la fois dire quelque chose et expliquer ce qu’on dit. C’est pour ca que les choses c’est très difficiles. C’est pas Spinoza qui a expliqué ce que dit Spinoza, Spinoza il a à faire mieux, il a à dire quelque chose. Alors expliquer ce que dit Spinoza ça va pas mal, mais enfin ça va pas loin, ça ne peut pas aller très loin. C’est pour cela que l’histoire de la philosophie doit être extrêmement modeste, quoi. Alors il ne va pas nous dire, remarquez hein, vous voyez bien que mes trois genres de connaissances et puis les trois dimensions de l’individu, ça se correspond, c’est pas à lui de le dire. Mais nous, dans notre tâche modeste, c’est bien à nous de le dire. Et en effet en quel sens ça se correspond ?

Vous vous rappelez que le premier genre de connaissance, c’est l’ensemble des idées inadéquates. C’est à dire des affections passives et des affects passions qui découlent des idées inadéquates. C’est l’ensemble des signes, idées confuses, inadéquates, et les passions, les affects qui découlent de ces affections. Il faut vous rappeler tout ça parce que, ça c’est de l’acquis des dernières fois. Or, sous quelles conditions, qu’est-ce qui fait que, à partir du moment où nous existons, nous sommes non seulement voués à des idées inadéquates et à des passions, mais nous sommes comme condamnés ? Et même à première vue, comdamnés à n’avoir que des idées inadéquates et des affects passifs ou des passions. Qu’est-ce qui fait notre triste situation ? Comprenez que c’est bien évident - je ne voudrais pas pousser trop en détail là, je voudrais juste que vous sentiez, préssentiez - c’est avant tout en tant que nous avons des parties extensives.

- En tant que nous avons des parties extensives nous sommes condamnés aux idées inadéquates. Pourquoi ? Parce que, quel est le régime des parties extensives ? Encore une fois elles sont extérieures les unes aux autres. Elles vont par infinités. Les deux à la fois. Les corps les plus simples, qui sont les parties ultimes, vous vous rappelez, les corps les plus simples ils n’ont pas d’intériorité. Ils sont toujours déterminés du dehors. Ca veut dire quoi ? Par choc. Par choc d’une autre partie. Sous quelles formes, est-ce qu’elle se rencontrent avec choc ? Sous la forme la plus simple, à savoir que constamment elles ne cessent pas de changer de rapport. Puisque c’est toujours sous un rapport que les parties m’appartiennent ou ne m’appartiennent pas. Des parties de mon corps quittent mon corps, là prennent un autre rapport, le rapport de l’arsenic, le rapport de n’importe quoi, le rapport du moustique quand il pique, le rapport... Moi je ne cesse pas d’intégrer des parties sous mes rapports, quand je mange par exemple, eh bien quand je mange il y a des parties extensives que je m’approprie, ça veut dire quoi s’approprier des parties ? S’approprier des parties ca veut dire, faire qu’elles quittent le rapport précédent qu’elles effectuaient pour prendre un nouveau rapport, ce nouveau rapport étant un de mes rapports à moi. A savoir avec de la viande je fais de la chair à moi. Quelle horreur ! Enfin il faut bien vivre, cela ne cesse pas d’être comme ca, des chocs et des appropriations de parties, des transformations de rapports, des compositions à l’infini, etc. Bon.

Or ce régime des parties extérieures les unes aux autres qui ne cessent de réagir, en même temps que les ensembles infinis dans lesquels elles entrent ne cessent de varier.
-  C’est précisément ce régime de l’idée inadéquate, des perceptions confuses, et des affects passifs, et des affects-passions qui en découlent.

En d’autres termes c’est parce que je suis composé d’un ensemble, d’une infinité d’ensembles infinis de parties extensives, extérieures les unes aux autres, que je ne cesse pas d’avoir des perceptions des choses extérieures, des perceptions de moi même, des perceptions de moi même dans mes rapports avec les choses extérieures, des perceptions des choses extérieures en rapport avec moi même, et c’est tout ca qui constitue le monde des signes. Lorsque je dis : à ça c’est bon, à ça c’est mauvais, qu’est-ce que c’est que ces signes du bon et du mauvais ? Ces signes inadéquats signifient simplement : "ah ben oui, je rencontre à l’extérieur des parties qui conviennent avec mes propres parties sous leurs rapports". Mauvais, je rencontre, je fais des rencontres exterieures également, avec des parties qui ne me conviennent pas, sous le rapport sous lequel elles sont.

Vous voyez donc que tout ce domaine des ensembles infinis de parties extérieures les unes aux autres correspond exactement au premier genre de connaissance.
-  C’est parce que je suis composé d’une infinité de parties extrinsèques que j’ai des perceptions inadéquates. Si bien que tout le premier genre de connaissance correspond à cette première dimension de l’individualité. or on a vu précisément que le problème des genres de connaissances était très bien lancé par la question spinoziste, à savoir : eh bien en sens on croirait que nous sommes condamnés à l’inadéquat, au premier genre. Dès lors comment expliquer la chance que nous avons de sortir de ce monde confus, de ce monde inadéquat, de ce premier genre de connaissance ?

La réponse de Spinoza c"est que : oui, il y a un second genre de connaissance. Mais comment est-ce qu’il le définit, le second genre de connaissance ? Dans "l’Ethique", c’est très frappant.
-  La connaissance du second genre, c’est la connaissance des rapports. De leur composition et de leur décomposition. On ne peut pas dire mieux que le second genre de connaissance correspond à la seconde dimension de l’individualité. Puisqu’en effet des parties extrinsèques, elles sont non seulement extrinsèques, les unes par rapport aux autres mais elles sont extrinsèques radicalement, absolument extrinsèques. Qu’est-ce que ca veut donc dire que des parties extrinsèques m’appartiennent ? On l’a vu mille fois. Ca ne veut dire qu’une chose chez Spinoza, à savoir que ces parties sont déterminées toujours du dehors, à entrer sous tel ou tel rapport. Sous tel ou tel rapport qui me caractérise, moi. Et encore une fois qu’est-ce que ca veut dire mourir ? Mourir, cela ne veut dire qu’une chose, c’est que les parties qui m’appartenaient sous tel ou tel rapport sont déterminées du dehors à entrer sous un autre rapport qui ne me caractérise pas. Mais qui caractérise autre chose.

-  Le premier genre de connaissance c’est donc : la connaissance des effets de rencontres ou des effets d’actions et d’interactions, des parties extrinsèques les unes sur les autres. Oui, on ne peut pas le définir mieux, c’est très clair là, très clair. Les effets définis par, les effets causés par le choc ou la rencontre des parties extérieures, les unes avec les autres, définit tout le premier genre de connaissance. En effet, ma perception naturelle, c’est un effet. Des chocs et heurts entre parties extérieures qu’il compose et parties exterieures qui composent d’autres formes.

-  Mais le second genre de connaissance c’est un tout autre genre de connaissance. C’est la connaissance des rapports qu’il compose et des rapports qui composent les autres choses. Voyez, c’est plus les effets des rencontres entre parties, c’est la connaissance des rapports. A savoir la manière dont mes rapports caractéristiques se composent avec d’autres et dont mes rapports caractéristiques et d’autres rapports se décomposent. Or là c’est une connaissance adéquate. Et en effet, elle ne peut être qu’adéquate cette connaissance. Tandis que la connaissance qui se contentait de recueillir pourquoi, puisque c’est une connaissance qui s’élève à la compréhension des causes. En effet, un rapport quelconque est une raison. Un rapport quelconque, c’est la raison sous laquelle une infinité de parties extensives appartiennent à tel corps plutôt qu’à tel autre.

Dès lors le second genre de connaissance - simplement j’insiste sur ceci, c’est que c’est pas du tout une connaissance abstraite, comme j’ai essayé de le dire. Si vous en faites une connaissance abstraite c’est tout Spinoza qui s’écroule. Alors evidemment le tort des commentaires c’est qu’on cherche toujours, on dit toujours ah ben oui, c’est les mathématiques, mais non c’est pas les mathématiques. Ca n’a rien à voir avec les mathématiques, simplement les mathématiques sont un cas particulier. Les mathématiques peuvent êtres définis en effet comme une théorie des rapports. Alors là d’accord, oui les mathématiques c’est une section du second genre de connaissance. C’est une théorie des rapports et des proportions. Voyez Euclide. Bon, c’est une théorie des rapports et des proportions à ce moment là, les mathématiques font partie du second genre.

Mais penser que le second genre soit un type de connaissance mathématique, c’est une bêtise abominable puisqu’à ce moment là, tout Spinoza devient abstrait. On ne règle pas sa vie sur les mathématiques, faut pas exagérer. Tandis qu’il s’agit bien là de problèmes de vie. C’est pour ça que je vous rappelle, je prenais comme exemple, parce que cela me paraît infiniment plus spinoziste que la géométrie ou les mathématiques ou même la théorie Euclidienne des proportions, je prenais comme exemple : Ben oui, qu’est que ça veut dire : la connaissance adéquate du second genre c’est au niveau de apprendre à nager quoi "Ah je sais nager". Personne ne peut nier que savoir nager c’est une conquête d’existence, c’est fondamental, vous comprenez moi je conquiers un élément, ca va pas de soi, conquérir un élément. C’est nager, c’est voler, voila tout ça c’est formidable. Bon qu’est-ce que ca veut dire ? Ben c’est tout simple, pas savoir nager c’est quoi ? c’est vraiment être à la merci de la rencontre avec une vague. Alors vous avez l’ensemble infini des molécules d’eau qui composent la vague, ça compose une vague et je dis c’est une vague parce que, ces corps les plus simples que j’appelle molécules - en fait c’est pas les plus simples - il faudrait aller encore plus loin que les molécules d’eau. Les molécules d’eau elles appartiennent déjà à un corps, le corps aquatique, le corps de l’océan, le corps etc, ou le corps de l’étang, de tel étang.

-  Bien alors c’est quoi la connaissance du premier genre ? Eh bien allez, j’y vais, je me lance, je suis dans le premier genre de connaissance. Je me lance, je barbote, comme on dit. Qu’est-ce que ca veut dire barboter ? Barboter c’est tout simple, ça indique bien, on voit bien que c’est des rapports extrinsèques. Tantôt la vague me gifle, et tantôt elle m’emporte. Ca c’est des effets de choc. C’est des effets de choc, à savoir, je ne connais rien aux rapports qui se composent ou qui se décomposent, je reçoit les effets de parties extrinsèques. Les parties qui m’appartiennent à moi, sont secouées, recoivent un effet de choc des parties qui appartiennent à la vague. Et alors tantôt je rigole et tantôt je pleurniche, suivant que la vague me fait rire ou m’assomme, je suis dans les affects-passion. "Ah maman la vague m’a battu". Bon. "Ah maman la vague m’a battu", cri que nous ne cesseront pas d’avoir tant que nous seront dans le premier genre de connaissance, puisqu’on ne cessera pas de dire : "Ah, la table m’a fait du mal" et ça revient exactement au même de dire : l’autre m’a fait du mal. Pas du tout parce que la table est inanimée, Spinoza il est tellement plus malin que ce qu’on a pu dire après. C’est pas parce que la table est inanimée qu’on doit pas dire "elle m’a fait du mal". C’est aussi bête de dire "Pierre m’a fait du mal" que de dire "la pierre m’a fait du mal". Ou la vague m’a fait du mal. C’est du même niveau, c’est le premier genre, ça. Bien. Vous me suivez ?

-  Alors, au contraire je sais nager, ça veut pas dire forcément que j’ai une connaissance mathématique ou physique, scientifique du mouvement de la vague, ça veut dire que j’ai un savoir faire. Un savoir faire étonnant, c’est à dire qui une espèce de sens du rythme. La rythmicité. Qu’est-ce que ça veut dire le rythme ? Ca veut dire que mes rapports caractéristiques je sais les composer directement avec les rapports de la vague. ça se passe plus entre la vague et moi, c’est à dire ça se passe plus entre les parties extensives, les parties mouillées de la vague, et les parties de mon corps, ça se passe entre les rapports. Les rapports qui composent la vague, bon, les rapports qui composent mon corps, et mon habileté, lorsque je sais nager, à présenter mon corps sous des rapports qui se composent directement avec les rapports de la vague. Alors c’est : Je plonge au bon moment, je ressort au bon moment, j’évite la vague qui approche ou au contraire je m’en sers, etc. Tout cet art de la composition des rapports.

Et je disais c’est la même chose, je cherche des exemples précisément qui ne sont pas mahématiques, puisque, encore une fois les mathématiques ce n’est qu’un secteur de ça. Il faudrait dire, les mathématiques, c’est la théorie formelle du second genre de connaissance et pas le second genre de connaissance. je dis c’est la même chose au niveau des amours. Ben oui, les vagues ou les amours c’est pareil. Dans un amour du premier genre, bon, vous êtes perpetuellement dans ce régime des rencontres entre parties extrinsèques. Dans ce qu’on appelle un "grand amour", "La Dame aux Camélias", qu’est-ce que c’est beau ! eh ben, là, vous avez une composition de rapports. "La Dame aux Camélias" c’est le premier genre de connaissance, mais dans le second genre, là vous avez une composition des rapports les uns avec les autres. Vous n’êtes plus au régime des idées inadéquates : à savoir l’effet d’une partie sur les miennes. L’effet d’une partie exterieure ou l’effet d’un corps exterieur sur le mien. Là vous atteignez un domaine beaucoup plus profond qui est : la composition des rapports caractéristiques d’un corps avec les rapports caractéristiques d’un autre corps. Et cette espèce de souplesse ou de rythme qui fait qu’on peut vous présenter votre corps et dès lors votre âme aussi, vous présenter votre âme ou votre corps sous le rapport qui se compose le plus directement avec le rapport de l’autre. Vous sentez bien que c’est un étrange bonheur. Eh bien voila, c’est le second genre de connaissance.

-  Et le troisième genre de connaissance, et pourquoi est-ce qu’il y a un troisième genre de connaissance ? Parce que les rapports, ben c’est pas les essences, Spinoza nous dit. Le troisième genre de connaissance ou la connaissance intuitive, c’est quoi ? ça dépasse les rapports et leur composition et leur décomposition. C’est la connaissance des essences. Ca va plus loin que les rapports, puisque ça atteint l’essence qui s’exprime dans les rapports, l’essence dont les rapports dépendent. En effet si des rapports sont les miens, si des rapports me caractérisent, c’est parce qu’ils expriment mon essence. Et mon essence c’est quoi ? c’est un degré de puissance. Ben la connaissance du troisième genre c’est la connaissance, que ce degré de puissance prend de soi même et prend des autres degrés de puissance. Cette fois-ci c’est une connaissance des essences singulières. Le deuxième, et à plus forte raison le troisième genre de connaissance, sont parfaitement adéquats.

Donc vous voyez bien qu’il y a une correspondance entre genres de connaissances et dimensions de l’individualité, qui veut dire quoi, finalement, cette coincidence ?
-  Cela veut dire que les genres de connaissances sont plus que des genres de connaissances, ce sont des modes d’existence. Ce sont des manières de vivre.

Mais pourquoi est-ce que c’est des manières de vivre ? Ca devient difficile parce qu’enfin, tout individu est composé des trois dimensions à la fois. C’est là qu’on va trouver comme un dernier problème.

Vous, moi, n’importe qui, n’importe quel individu a les trois dimensions à la fois. Alors qu’est-ce qu’on peut faire pour s’en tirer ? Chaque individu a les trois dimensions à la fois, d’accord. Voilà exactement le problème : chaque individu a les trois dimensions à la fois, et pourtant il y a des individus qui ne sortiront jamais du premier genre de connaissance. Ils n’arriveront pas à s’élever au deuxième ou au troisième. Ils n’arriveront jamais à former ce que Spinoza appelle une "notion commune", une notion commune étant précisément je vous le rappelle "l’idée d’un rapport". L’idée d’un rapport caractéristique. A plus forte raison, ils n’auront jamais une connaissance de leur essence singulière, ni des autres essences singulières. Comment expliquer ça ? C’est pas du tout automatique, chaque individu a les trois dimensions, mais attention, il n’a pas par là même les trois genres de connaissance, il peut très bien en rester au premier. Comment expliquer ce dernier point ?

-  Prenons la question autrement. Quand est-ce qu’il y a des oppositions ? Par exemple, on peut se haïr, il arrive qu’on se haïsse. La haine, cette espèce d’opposition d’un mode existant d’un individu à un autre individu, c’est quoi ? Comment expliquer la haine ? Voila un premier texte de Spinoza : "livre IV" de "L’Ethique", l’axiome qui est au début du livre IV. Il va nous gêner beaucoup en apparence, cet axiome. Et Spinoza il ne s’explique pas beaucoup là-dessus.

Axiome : "Il n’est aucune chose singulière - c’est à dire aucun individu - Il n’est aucune chose singulière dans la nature, qu’il n’y en ait une autre plus puissante et plus forte." Jusque là ça va. Il n’y a pas de dernière puissance. Parce que la dernière puissance c’est la nature toute entière. Donc il n’y a pas de dernière puissance dans la nature. Une chose étant donnée, elle se définit par un degré de puissance. Et bien il y a toujours un degré de puissance supérieur. On a vu qu’il y avait une infinité de degrés de puissance. L’infini étant toujours en acte, chez Spinoza, est toujours donné actuellement, est toujours donné en acte, un degré de puissance plus grand que le plus grand degré de puissance que je puisse concevoir. Donc jusque là ce ne serait pas gênant, cet axiome. Mais il ajoute : "Il n’est aucune chose singulière dans la nature qu’il n’y en ait une autre plus puissante et plus forte, mais, étant donnée une chose quelconque, il y en a une autre, plus puissante qui peut détruire la première." Là ça doit nous gêner ce texte. Pourquoi ? Parce que la seconde phrase apporte une précision inattendue.

-  La première phrase nous dit : "Une chose étant donnée, elle se définit par sa puissance". Mais un degré de puissance étant donné, c’est à dire une chose dans son essence, le degré de puissance c’est l’essence d’une chose, bien, il y en a toujours une plus puissante. D’accord, ca va ça. On comprend.

-  Seconde phrase, il ajoute, attention : "Par la chose plus puissante, la première chose peut toujours être détruite". C’est très embêtant ça. Pourquoi ? Du coup on se dit : Ah ben j’ai rien compris, qu’est-ce qui va se passer ? Il a l’air de nous dire qu’une essence peut être détruite par l’essence plus puissante. Alors à ce moment là il n’y a plus de troisième genre de connaissance. Il n’y a même plus de second genre de connaissance. Parce que une destruction, c’est quoi ? C’est evidemment l’effet d’une essence sur une autre. Si une essence peut être détruite par l’essence plus puissante, par l’essence de degré supérieur, c’est la catastrophe, tout le spinozisme s’écroule. On est ramené aux effets, on est ramené au premier genre. Il ne peut plus y avoir de connaissance des essences. comment est-ce qu’il y aurait une connaissance adéquate des essences, si les essences sont dans des rapports tels que l’une détruit l’autre ?

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