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20- 25/05/82 -1
Gilles deleuze : cours du 25/05/82 - 1 transcription : LI-TING HUNG Deuxièmement : La semaine prochaine, je ne sais pas ou nous pourrons nous voir car cette salle sera prise, je crois pour réfection et adaptation au cinéma à laquelle elle appartient. Donc je vais essayer de me renseigner si j’ai une salle tout à l’heure à la recréation et puis si je le sais pas, je mettrais un papier sur la porte la semaine prochaine là où je serai. Alors ça sera peut être une petite salle mais comme la prochaine fois ça sera la dernière fois, vous viendrez peu nombreux si bien qu’une petite salle suffira. IL faut que je finisse parce que le cinéma ... Dans l’enchaînement je crois que George Comtesse souhaite faire une intervention. G. Comtesse :Je voudrais intervenir sur les quatre contraintes....concernant le nouveau roman, les quatre propositions sur le nouveau roman et la correspondance possible mais aussi problématique avec le cinéma. Les quatre propositions étant les suivantes à savoir :
J’aborderai plutôt les trois premiers points, et ceci en rapport essentiellement, beaucoup moins avec les textes théoriques de Robbe-Grillet mais avec justement l’écriture de Robbe-Grillet dans les quatre premiers nouveaux romans de Robbe-Grillet. Parce que, il ne me semble pas qu’il y ait une coïncidence totale entre ce que ce que Robbe-Grillet appelle la subjectivité totale et puis ce qu’il écrit. Par exemple jadis quelqu’un comme Ricardou faisait remarquer très justement qu’il y avait un décalage entre le fait de fiction chez Robbe-Grillet et le fait théorique. Il me semble que quelqu’un qui a analysé les romans de Robbe-Grillet comme Bruce Morissette est quelqu’un qui a laissé justement ce thème de la subjectivité totale chez Robbe-Grillet et qui a fait apparaître au contraire dans le texte de Robbe-Grillet, ce qu’il appelle un je, un je néant. Et le jeu néant, c’est complètement diffèrent et ça c’est un premier point - d’une subjectivité totale. Parce que ce "je néant" ça n’est pas rempli ni par une substance antécédente qu’il exprimerait ni par un être qui serait l’origine d’une création possible. Le "je néant" c’est, au contraire, un je qui est vide et de l’être et de la substance et de la subjectivité et du temps. Par exemple, le problème qui était soulevé concernant le problème du temps, la conclusion auquelle aboutie justement Bruce Morissette dans l’analyse des romans de Robbe-Grillet c’est qu’il dit qu’il y a une "structure temporelle impossible" c’est à dire qu’il y a peut être une autre temporalité mais ça n’appartient pas du tout à la structure temporelle traditionnelle qui est une temporalité de la répétition et c’est ce ne cesse d’affirmer Robbe-Grillet. Ça c’est un premier point. Deuxièmement : Le je néant dont il est question et qui défait la subjectivité totale justement, c’est le croisement de deux choses : C’est le croisement d’un regard mais qui n’est pas d’emblée le regard optique. C’est plutôt chez Robbe-Grillet une sorte de regard de l’immobilité et du poids du silence et le "je néant" G. Deleuze :on s’entend plus ! Comtesse - c’est le croisement à la fois du regard de l’immobilité et de la voix narrative du silence. C’est à dire c’est un regard qui isole bien les éléments fragmentaires mais au fur et à mesure que les regards isolent cet élément, la voix elle même, la voix narrative, la voix qui ressasse cet élément, ne cesse en même temps, justement, de les gommer, de les intégrer et finalement de les dissoudre. Autrement dit, il ne s’agit jamais pour le regard optique chez Robbe-Grillet et même dans une sorte de précision extrême de la description topographique, géométrique, architecturale - il ne s’agit jamais pour le regard optique de donner à voir quelque chose ou de donner à voir, par exemple, l’intolérable, parce que d’une certaine façon c’est le regard optique qui est lui même l’intolérable pour justement, le romancier. Et que le regard optique ne donne pas à voir quelque chose, c’est pas un regard qui signifie l’espace par le "je", qui signifie même le "je" par l’espace parce que la voix narrative c’est une voix qui ne cesse de vider, justement, ce dont le regard semblait se remplir. Donc il n’y a pas chez Robbe-Grillet, contrairement à ce qu’auraient pu dire certains commentateurs littéraires, de promotion de l’espace et pas d’avantage d’expression romanesque de l’espace, mais un "vide" de l’espace aussi bien qu’un "vide" du temps. Autrement dit, loin que la description optique donne à voir, elle s’avère bien plutôt, dans le Nouveau Roman de Robbe-Grillet en tout cas une illusion optique sans avenir. Sans avenir car justement le regard optique ne cesse de mépriser illusoirement. Et c’est ça qui contribue son illusion, sa maitrise illusoire, le regard optique ne cesse de mépriser le regard fasciné, le regard ébloui de l’immobilité silencieuse qui apparaît par exemple dans le film de Robbe-Grillet par le personnage, le protagoniste avec son "" momifié, cadavérique dès le début du film ou bien dans "la nuit dernière à Marienbad" lorsque le "" rencontre le grall et lui dit : "vous avez peur, vous restez figée, fermée, absente". Autrement dit, c’est par rapport à cette immobilité, le " je" dont il est question. Il n’est pas mobile par rapport à un espace immobile.
Ou bien il n’est pas immobile par rapport à un espace mobile car justement cette immobilité, est le ressort de "l’illusion du mouvement dans l’espace". Le mouvement, autrement dit, qui ne cesse de conjurer l’immobilité ou le piétinement de la réclusion.
C’est pourquoi, par exemple, dans les Gommes, dans le premier texte de Robbe-Grillet, la marche volontaire, la marche assurée de Balard dans la ville qui est une marche circulaire dans l’espace, ça veut dire qu’il ne cesse de retourner au point de départ et ceci parce que cette marche - et c’est ça l’illusion du mouvement dans l’espace - parce que cette marche a voulu s’arracher violemment et initialement à l’immobilité du regard pour effectuer justement un déplacement mobile dans l’espace immobile d’alignement ou d’enfilade des maisons de briques.
Par exemple le texte de Robbe-Grillet, il est très ironique là dessus, il écrit : « c’est bien lui qui s’avance, c’est à son propre corps qu’appartient le mouvement, non à la toile de fond que déplacerait un machiniste, c’est volontairement qu’il marche vers un avenir inévitable et parfait. Plus il multiplie son assurance... ».
Je terminerai en disant, que finalement, l’espace décrit chez Robbe-Grillet ou l’espace imaginaire, l’espace du fantasme, l’espace composé avec des brides d’espace perçus par exemple, ou un télescopage ou un vieillissement de l’espace perçu, une sur imposition de l’espace perçu ; et bien, soit l’espace décrit soit l’espace imaginaire ou fantasme, ne cesse de - à la fois de déformer et de différer l’espace romanesque comme espace labyrinthique de la répétition qu’il cherchera à effectuer avec Alain Resnais dans "la nuit dernière a Marienbad" l’espace labyrinthique de la répétition c’est à dire la répétition du regard fasciné et ébloui de l’immobilité silencieuse, de sorte que l’espace du protagoniste - auquel on reste très souvent lorsque l’on parle des romans de Robbe-Grillet - et bien ne coïncide pas forcement, justement, avec l’espace romanesque du romancier. Il y a un décalage qui n’est certainement pas du tout une coïncidence. Toutefois on peut dire : si la répétition se répète dans tout espace et dans tout espace qui ne cesse d’excéder ou de déborder l’espace labyrinthique romanesque, cet espace labyrinthique lui même, il diffère de l’espace même de la répétition. C’est à dire l’espace du "je" du langage comme espace d’une différence qui fait qu’il y a quelque chose comme le regard qui se répète. Autrement dire il y a l’espace de langage ou un espace de jeu de langage qui amène, et je terminerai par une citation de Bruce Morissette qui dit dans une analyse qui me parait assez admirable du roman de Robbe-Grillet, qui dit que finalement :" il n’y à même plus ni de "je néant", ni même de "il".... au sens, par exemple ou Kafka réintroduire le « il » et le « on » contre Joyce ou Proust. Il n’y a même plus de je néant ou de « il » mais il y a simplement le je et le « il » qui finissent par disparaître, et se confondent, justement, dans un texte, dans le texte qui cherche, justement, une coïncidence avec l’espace le "je" du langage". ....Dans les émissions, c’est un troisième Robbe Grillet Gilles Deleuze : La, c’est ton intervention je trouve très intéressante. Une question juste tu as fais allusion à des films en même temps. Mais la, dans ce que tu viens dire en centrant sur les romans de Robbe-Grillet selon toi, tu le dirais tel quel du cinéma aussi ? § Ha non !!! § Non ? Comtesse : Non car il y de nombreux textes de Robbe-Grillet où il marque le décalage où il ne dit absolument pas pareil. On décrit un roman et c’est absolument pas pareil, quand je travaille avec Resnais ou que je fais d’immortel homme qui ment, etc. Et, par exemple il insiste sur ceci, dans ses romans, "les protagonistes sont des gens absolument muets et séparés. Et la voix de l’écrivain n’est absolument pas une voix parlante" . Par exemple l’image n’est absolument pas la même chose non plus bien sûr il y a peut-être dans l’espace de l’écrivain, il y a peut-être une correspondance possible. Au niveau de l’opération méme, soit scripturale, soit l’opération de tournage ou filmique, il ya différence. Gilles Deleuze : D’accord. Je crois que l’une des bases que - je sors de ce que vient de dire Comtesse. Une de base de tout ça, pas pour expliquer Robbe-Grillet, mais c’est un film que j’ai très envie voir mais qui est je crois assez difficile à voir, c’est le film de Becket. Il y en a parmi vous qui ont vu le film de Becket ? Le film avec Bester Keaton ? Tu l’as vu ?. Là je sens qu’il y a ..il y a une source qui serait très très importante. Ça doit être possible de le voir ce film. Il dure pas très longtemps, non ? Gilles Deleuze -
Mais si j’éprouve le besoin de revenir à notre tout début, c’est parce que, en effet, notre espèce de cercle là est en train de se boucler. Et il est en train de se boucler de deux manières, suivant deux voies. Et on se trouve actuellement, acheminé à la fois le long de ces deux voies. Ou on devrait cheminer suivant ces deux voies. 19’ Vous voulez fermer la porte ? Depuis le début, quand on s’est proposé de faire une espèce de classification de l’image-mouvement et de ses différents cas, on avait un pressentiment. C’était que l’image-mouvement n’était pas le seul type d’image cinématographique. Bien plus, on tenait notre hypothèse bergsonienne. C’est ça que j’appelle la première voie. Notre hypothèse bergsonienne c’était : "l’image-mouvement est la coupe ou la perspective temporelle. De quoi ? D’une durée. Disons alors, essayons : "L’image-mouvement est la coupe ou la perspective temporelle d’une image-temps". D’une image-temps ! Seulement, bon, maintenant que l’on a un peu bouclé notre analyse de l’image-mouvement, on se trouve en effet - et si il y a plusieurs voies c’est parce que il y a sûrement plusieurs manières - dont l’image-mouvement nous expulse d’elle même et nous fait tendre vers cette autre image. C’est même pas que ce soit une image immobile, elle pourrait être immobile cette autre image, mais pas nécessairement. Ce qui compte ce n’est pas qu’elle soit le contraire de l’image-mouvement, ce qui compte c’est qu’elle soit d’une autre nature de toutes les façons. C’est à dire qu’elle ne se laisse pas rendre compte en termes d’image-mouvement. Et en effet si l’image-mouvement est la coupe d’une image-temps plus profonde, il faudra dire de cette image-temps par exemple elle est le véritable volume, que elle est "volumineuse". Non seulement, donc, qu’elle a une profondeur, mais qu’elle est temporelle, l’image-temps ! Mais qu’est ce que ça veut dire « image-temps » ? Cela implique pour nous encore une fois," le temps ne peut dégager de soi-même une image, que si il ne s’en tient pas à la forme de la succession qui au contraire renvoie tout à fait à une succession d’images-mouvement". C’est à dire à une forme de la succession, même si cette forme de la succession comporte des accélérations, des ralentis, des déplacements, des flash back, etc. Alors cette image-temps qui serait en rapport avec l’image-mouvement mais de telle manière que l’image-mouvement en quelque sorte serait une pancarte pour la designer et qu’il faudrait passer de l’image-mouvement à cette image-temps plus profonde, si nous savons que nous ne pouvons pas la réduire à une succession d’images. Ça veut dire pour nous que d’une certaine manière elle est bien "image" elle même, c’est pas une succession d’images. Mais qu’est ce que ça veut dire "elle est image pour elle-même" ?
Je reprends la formule : "l’image-mouvement est la coupe ou la perspective temporelle d’une durée".
On avait vu ce que ça voulait dire selon BERGSON.
Cette durée, c’est ce qui change à chaque instant. C’est ce qui ne cesse pas de changer et varier, c’est à dire c’est une totalité, mais le propre de la totalité c’est d’être Ouvert.
Cette conception qui nous avait parue très intéressante du Tout Ouvert. Et en effet l’image-temps, après tout, est ce que ça ne serait pas le Tout du film ?
Ou ce que EISENSTEIN, dès le début, ne cessait pas d’appeler l’Idée, l’Idée avec un grand I.
D’accord, mais alors ce n’est pas une image particulière, ce n’est pas un type d’image si c’est le Tout ? Et bien si, aussi !
Et pour le moment on suit. On est bien forcé de suivre tant bien que mal. Il faudra arranger. Il faut maintenir les deux.
Faut pas se hâter et dire : on est dans une contradiction. Je pense à un auteur dans un tout autre domaine, un auteur de littérature : PROUST. PROUST dans un des derniers tomes, dans la dernière partie, « le temps retrouvé » passe de longues et longues pages à dire : à la fois dans mon livre " la Recherche". Il y a un Tout...". il y a un Tout ! Et c’est vrai c’est un Tout ! Seulement c’est un Tout très spécial parce qu’il est lui même une partie à côté des autres parties. Bon alors....c’est un Tout très spécial d’autant plus spécial qu’après tout un Tout, à première vue, ça n’a pas de parties lui même, puisqu’il est le Tout des parties Ça n’a pas de parties lui même et ça ne l’empêche pas d’avoir des "aspects". C’est un Tout sous tel ou tel aspect. Et non seulement c’est un Tout sous tel ou tel aspect mais, en même temps, il faut dire aussi qu’il est une partie à côté des autres parties. Bon, alors cherchons. On a vu une première direction, là, dans cette voie. Lorsque que j’invoquais mais il ne faut pas s’y fixer trop, lorsque je disais, j’invoquais très vite la profondeur de champ. C’est un type d’images. Bien. C’est un type d’images à côté d’autres images. Chez WELLS par exemple les images à profondeur de champ sont à côté d’ images-mouvement sans profondeur de champ. Et pourtant d’une certaine manière c’est vrai aussi que ces images à profondeur de champ ont une certaine vocation de totalisation ouverte, sont des Tout ouverts sous tel ou tel aspect.
Et il est vrai enfin que ces images à profondeur de champ nous ont parus très bizarrement, avoir deux fonctions par quoi elles sont fondamentalement des images-temps. C’est à dire qu’elles ne se contentent pas d’introduire le volume dans l’image mais elles introduisent une quatrième dimension -qu’est le temps sous la double forme du temps : le temps contraction - on l’a vu - et la forme qui parait presque le contraire, à savoir la nappe ou le circuit.
Le temps nappe ou circuit.
Et il m’avait semblé que ça correspondait, mais tout à fait, aux deux formes principales de la mémoire Bergsonienne :
Mais quand je dis il ne faut pas s’attacher trop à la profondeur de champ parce que dire : « la profondeur de champ : c’est ça l’image-temps » non, non, non ! Ça peut être ça, mais il n’y a pas besoin de cette technique là. Bien plus. Il y a de très grands cinéastes qui ont à faire avec le Temps et qui n’utilisent jamais ou presque jamais la profondeur de champ. Citons par exemple FELLINI. Chez « VISCONTI » son appréhension fondamentale du temps et de la temporalité cinématographique, est indépendant de la profondeur de champ. Tout ça donc...il ne faut pas dire pour avoir une image-temps il faut passer par la profondeur de champs. Non. On peut. On peut se servir de la profondeur de champ pour obtenir
Lorsque vous voyez, je pose dans cette première voie, à ce premier niveau : Un rapport que je peux présenter aussi bien comme étant le rapport image-mouvement / image-temps, que je peux présenter aussi comme étant image-mouvement - Idée avec un grand « i » c’est à dire : Tout. Il s’agit de quoi finalement ? Il s’agit de ce qui a été pour nous le problème ultime. Et c’est bien de l’aborder à la fin, tout à fait à la fin de l’année comme le problème qui était le nôtre depuis le début. A savoir il s’agit de - évidement, et c’est pour ça que je m’étais lancé dans ce sujet - il s’agit du rapport de l’image cinématographique avec la pensée. Et il s’agit de la question : Est ce que le cinéaste est capable - même en droit, je ne cherche pas : est ce qu’il a réussi ? - est ce qu’il est en droit de nous apporter une nouvelle façon de penser, c’est à dire, est ce qu’il est en droit, à la fois, de nous présenter, en tant que Cinéma, la pensée d’une nouvelle manière, et du même coup - c’est inséparable - de nous faire penser d’une nouvelle manière ? Est ce qu’il y a un rapport spécifique de l’image-cinéma avec la Pensée ? Alors ça c’était en effet notre problème. Et vous sentez que si je découvre un lien nécessaire entre une image-mouvement et soit, je peux dire maintenant, soit l’image-temps, soit l’Idée cinématographique avec un grand « i » qui est à la fois un Tout du film mais aussi un type d’image à côté des autres. Si je trouve ça, j’aurai réglé, pour moi en tout en cas, la question de ce qu’il est en est d’un rapport image cinématographique / Pensée. Et je pense là, à un texte qui m’avait beaucoup frappé d ALEXANDRE ASTRUC, là aussi à propos de la profondeur de champ, mais il faut évidement l’affecter de relativité.
Là, tout ce que je viens de dire c’est pour dire finalement la profondeur de champ c’est une astuce technique très importante. Il faut pas s’en servir évidement, s’en servir arbitrairement ça n’a pas de sens.
Seuls ont droit de s’en servir ceux qui ont quelque chose à en tirer, de cette technique là. Mais si on ne se sert pas de cette technique là il y en a pleins d’autres. De toute manière rien ne se réduit à un problème technique.
Mais je pense à ce texte d’ALEXANDRE ASTRUC, quand il disait les images à profondeur de champ tel qu’elles apparaissent chez JEAN RENOIR par exemple avant ‘’Wells’’ et puis telles qu’elles seront portées par Wells à un certain niveau magistral.
Et bien ces images ont beaucoup changé, dit-il, quant à la fonction de la Pensée au cinéma.
Et là j’aime bien ce texte car il reste très mystérieux, il ne développe pas beaucoup,
Et en effet, les premiers types de cinéma - je pense au texte de EPSTEIN quand il pose la question quel est le rapport entre le cinéma et la pensée ? - il tourne toujours autour de l’idée que ce rapport c’est que : le cinéma lance une pensée extrêmement puissante de type métaphorique. Et Astruc dit : ‘’Avec la profondeur de champ, la pensée cesse de fonctionner comme métaphore par rapport au cinéma et elle devient - et là ça devient assez mystérieux mais le texte est très beau - elle devient "théorème". Elle devient théorème, on passe d’un statut de la Pensée à ... et qu’est ce qu’il veut dire ? On ne sait pas très bien parce qu’il explique, il dit voila : "l’impression que donne la profondeur de champ c’est quoi " ? C’est comme si, dit il, et il parle là de certaines images à profondeur de champ de RENOIR - "c’est comme si la caméra s’enfonçait comme un chasse neige". "C’est comme si la caméra s’enfonçait comme un chasse neige et dès lors, des deux côtés, à droite et à gauche, chassait quelque chose". Oui, "chassait" ce qui a cessé de valoir dans l’image, une espèce d’avancée temporelle - vous voyez c’est ça qui est déjà très intéressant - une espèce d’avancée temporelle ou progressivement, à mesure que l’on croirait que la caméra s’enfonce. Elle chasse à droite et à gauche sur les deux bords de l’écran. Il y a une image bien postérieure au texte d’Astruc mais que je trouve très belle dans le film de Fassbinder .....le film ..."Lily Marlene". C’est ça ? Ça s’appelle comme ça ? ...Lily Marlene. Pour ceux qui l’ont vu je dis vite pour que vous compreniez, c’est une illustration même de ce que Alexandre Astruc appelle l’opération "chasse neige". Il y a une bagarre qui éclate dans le fond du café, il y a des gens qui se battent. Et là, il y a une profondeur de champ, ils se battent vraiment au fond et il y a grande profondeur de champ. Et il y a des gens comme effarouchés, les clients qui ont peur, les clients du café qui ont peur de cette bagarre. Et ils s’enfuient, par rapport au spectateur, ils s’enfuient par le devant. Par le premier plan, par l’avant plan. Voyez, si bien qu’on a l’impression que on est exactement dans la situation de quelqu’un qui entrerait dans le café et qui est repoussé par les types qui en sortent, apeurés, pendant que la bagarre se déroule dans le fond. Et là il y a une très très belle image, une image typique pour manuel de profondeur de champ où on voit très bien, comment la caméra fait office de chasse neige, on croirait que c’est elle qui élimine les comparses devenus inutiles et les types qui fuient, qui fuient en avant plan. Très belle image "chasse neige". Alors ce serait ça l’espèce de voie "théorématique" au lieu de la voie "métaphorique". Si bien qu’a la limite, on pourrait dire : les images-mouvements si il y avait que des images-mouvement, est ce qu’on ne serait pas ramené par exemple, à ce sur quoi insistait l’école française de Gansdk de Epstein, etc. C’est à dire fondamentalement "une pensée métaphore". Alors que là, peut être, quand on dégage un autre type d’image que l’image-mouvement apparaît quelque chose de diffèrent, c’est à dire la possibilité d’une pensée...bon pour le moment prenons les termes d’Astruc, "d’une pensée théorématique".
Deuxième voie qui va nous conduire au même résultat : Je viens de montrer que l’image-mouvement en tant que telle et parce qu’elle est une coupe ou une perspective temporelle, nous renvoyait à un autre type d’image. Je dis notre deuxième voie, ce serait celle sur laquelle on a tant insisté les dernières fois, et je la résume ici, c’est cette fois ci comme une mise entre parenthèses, une mise en question de l’image-mouvement qui à plus forte raison va nous ouvrir sur un autre type d’image. Sur l’autre type d’image. Je dis cette fois c’est la mise en question de l’image-mouvementquinous ouvre directement. La première voie, je dirais, ce serait une voie indirecte.Là, la mise en question de l’image-mouvement et particulièrement de l’image-action parmi les images-mouvement, la mise en question de l’image-action nous met directement en rapport avec une image d’un autre type que je peux appeler image-temps, image-pensée ou idée cinématographique. Et c’est une autre voix et on a vu que d’une certaine manière, c’était une voix empruntée par certaines tendances du cinéma contemporain. C’est à dire, je rappelle, puisque là on est resté longtemps la dessus, aussi bien le néo-réalismeitalien que la nouvelle vague française, que l’école américaine dite de New York. Et que ça nous intéressait beaucoup puisque cette fois ci, c’était comme une suspension del’image sensori-motrice. Suspension de l’image sensori-motrice au profit dequelque chose qui se dégage et qui serait une image "sensorielle", entre guillemets," pure". Image sensorielle pure, c’est à dire ce que j’appelais l’image optique ou l’image sonore pure. C’est cette image sensorielle pure, détachée ou du moins déphasée de sa motricité normale qui se met en rapport avec l’autre type d’image. Aïe ! Si bien qu’à ce niveau cet autre type, j’attends maintenant, puisque, si vous reprenez notre hypothèse, qu’elle soit bonne ou mauvaise on en est plus là - s’il est vrai que l’image optique pure - c’est à dire ce que j’appelle maintenant, il n’y a pas de raison de donner un tel privilège à l’optique, ça va aussi pour le sonore, à partir du moment ou il y a synchrone - ça vaut aussi ce que n’avait pas le néo-réalisme italien entre parenthèses - il y a donc eu des progrès techniques là aussi mais ça nous est égal. Si l’image sensorielle pure a coupé - je dis coupé par commodité, vous mettez les nuances - a coupé son prolongement moteur classique, traditionnel, dès lors elle est de nature à nous mettre directement en rapport avec l’autre type d’images - toujours - que nous sommes en train de chercher et que nous appelons image-temps, image pensée et qui est à la fois, encore une fois, un type d’image particulier et en même temps le Tout des images du film. Le Tout sous tel ou tel aspect. Et c’est bien parce que c’est toujours le Tout du film sous tel ou tel aspect que je pourrais dire c’est à la fois le Tout. Mais attention, c’est aussi un type d image spécial à coté des autres. Et qu’est ce que ça voudra dire ? Et bien ça voudrait dire et bien j’en suis là et c’est la que commence le nouveau de ce que j’ai à dire. Et bien oui ! Il faut, puisque nos images optiques, sonores, sensorielles pures ne sont plus en rapport avec la motricité traditionnelle. Motricité traditionnelle, c’est l’image-action, telle qu’on l’a vu, l’image-action dans les formes SAS ou ASA. Puisque l’image sensorielle dite pure n’est plus en rapport avec l’image-mouvement, elle entre en rapport ou elle va pouvoir, ça va être sa puissance, d’entrer en rapport et de nous faire entrer en rapport avec l’autre type d’image. Bon, c’est à dire encore une fois, avec le Tout. Mais ce Tout c’est aussi une partie. J’appellerais ça, c’est ce Tout, ces Tout, ces aspects de Tout, qui sont aussi une partie à côté des autres, c’est à dire, encore une fois, cet autre type d’image que l’image-mouvement. Vous me permettez de l’appeler « mode ». Pourquoi ce mot de « mode » ? Parce que « mode » est là un terme commode pour designer le terme "ultime" de cet autre type d’image dont on a vu que ce terme ultime, c’était la Pensée. Je dirais qu’il y a autant de modes de la pensée qu’il y a d’aspects du Tout ou d’images particulières d’un autre type que l’image-mouvement. Donc, le rôle - c’est abstrait mais je crois que cet abstrait-là vous permet peut être mieux de suivre ce que je vais avoir à dire - Je dis juste que les images sensorielles pures ne trouvent plus leur prolongement dans la motricité de l’image-action, mais vont maintenant se prolonger dans des modes qui seront donc, des images-pensées. Mais peut-être qu’il y aura beaucoup de modes, mais ils auront en commun ces modes d’être des modes de la pensée. D’où ma question, avec quoi, l’image sensorielle pure - dont j’ai fait l’hypothèse dont j’ai essayé de fonder l’hypothèse toutes les séances précédentes - avec quoi, avec quels modes principaux, l’image sensorielle pure est-elle en rapport ? Et bien, je crois que jusqu’à maintenant, et ma liste n’est évidement pas exhaustive, elle est en rapport avec quatre grands modes. Elle est en rapport avec quatre grands modes. Et là, je résume ce qui nous reste à faire, mais ça pourrait nous prendre un trimestre, ça nous prendra juste ces deux fois là, et puis adieu. Quatre grandes modes. Mais encore une fois, il y en a cinq, six, petit « n » et puis on attend un nouveau cinéaste qui en trouvera d’autres. Moi je fais un recensement comme ça. Et déjà dans un mode je groupe des gens tellement différents. Je dirais que le premier mode je l’appelle par commodité "mode imaginaire" et il renvoie à un certain type d’image que j’aimerai appeler dans la classification des signes qu’on résumera la prochaine fois, j’appellerai ça des scènes. Des scènes ! Comme une scènes de théâtre, des scènes. Donc le premier grand mode ça serait le mode imaginaire et si je veux..... |
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