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11- 10/03/81 - 2
Gilles Deleuze Spinoza Cours 11 du 10/03/81- 2 transcription : Fatemeh Malekahmadi Mais les fractions, dans leur irréductibilité aux nombres entiers, ne sont pas des nombres, c’est des complexes de nombres entiers. C’est des complexes de nombres entiers. Bon. Donc, déjà, la fraction fait surgir une sorte d’indépendance du rapport par rapport à ses termes. Dans cette question très importante d’une logique des rapports, tout le point de départ d’une logique des rapports, c’est évidemment : en quel sens y a t-il une consistance du rapport indépendamment de ses termes ? Le nombre fractionnaire me donnerait, déjà, comme une espèce de première approximation, mais, ça n’empêche pas que dans le rapport fractionnaire, les termes doivent être encore spécifiés. Les termes doivent être spécifiés, c’est-à-dire que vous pouvez toujours écrire, par exemple, 2 sur 3, mais le rapport est entre deux termes : 2 et 3. Il est irréductible à ces termes puisque lui-même n’est pas un nombre mais un complexe de nombres ; mais les termes doivent être spécifiés, les termes doivent être donnés. Dans une fraction, le rapport est comme indépendant de ses termes, oui ! Mais les termes doivent être donnés. Un pas de plus. Quand je tiens un rapport algébrique du type x / y, cette fois-ci, je n’ai pas des termes donnés, j’ai deux variables. J’ai des variables.
En d’autres termes, quand les termes s’évanouissent, le rapport subsiste.
Cette fois-ci, les termes entre lesquels le rapport s’établit ne sont ni déterminés ni même déterminables.
Pour en rester au plus simple, il n’y a besoin de rien comprendre, je peux donc écrire dy / dx = z. Qu’est-ce que ça veut dire, ça ? Voyez que le rapport, tel qu’il subsiste lorsque ses termes s’évanouissent, va renvoyer à un troisième terme, z. C’est intéressant ; ça devrait être très intéressant : c’est à partir de là qu’une logique des relations est possible. Qu’est-ce que ça veut dire, ça ? On dira de z que c’est la limite du rapport différentiel. En d’autres termes le rapport différentiel tend vers une limite. Lorsque les termes du rapport s’évanouissent, x et y, et deviennent dy et dx, lorsque les termes du rapport s’évanouissent, le rapport subsiste parce qu’il tend vers une limite : z. Lorsque le rapport s’établit entre termes infiniment petits, il ne s’annule pas en même temps que ses termes, il tend vers une limite. C’est la base du calcul différentiel tel qu’il est compris ou interprété au XVIIème siècle. Dès lors vous comprenez, évidemment, pourquoi cette interprétation du calcul différentiel ne fait qu’un avec la compréhension d’un infini actuel, c’est à dire avec l’idée de quantités infiniment petites de termes évanescents. Dès lors, moi, ma réponse à la question : mais qu’est ce que c’est, au juste, ce dont Spinoza nous parle lorsqu’il parle de rapports de mouvement et de repos, de proportions de mouvement et de repos, et dit : des infiniment petits, une collection infinie d’infiniment petits appartiennent à tel individu sous tel rapport de mouvement et de repos, qu’est-ce que c’est ce rapport ? Je ne pourrais pas dire, comme Guéroult, que c’est une vibration qui assimile l’individu à un pendule, c’est un rapport différentiel.
Et en effet, si vous reprenez la lettre de Spinoza dont je me suis beaucoup servi sur le sang et les deux composantes du sang, le chyle et la lymphe, ça revient à nous dire quoi ? Ça revient à nous dire qu’il y a des corpuscules de chyle, ou bien plus, le chyle c’est un ensemble infini de corps très simples. La lymphe, c’est un autre ensemble infini de corps très simples. Qu’est-ce qui distingue les deux ensembles infinis ? C’est le rapport différentiel. Vous avez, cette fois-ci, un dy / dx qui est : les parties infiniment petites de chyle sur les parties infiniment petites de lymphe, et ce rapport différentiel tend vers une limite, à savoir le sang, à savoir, le chyle et la lymphe composent le sang. Bon, si c’était ça, on pourrait dire pourquoi les ensembles infinis se distinguent ?C’est que les ensembles infinis de corps très simples n’existent pas indépendamment de rapports différentiels qu’ils effectuent. Donc, c’est, par abstraction, que j’ai commencé par parler d’eux. Mais, ils existent forcément, ils existent, forcément, sous tel ou tel rapport variable ; ils ne peuvent pas exister indépendamment d’un rapport, puisque la notion même de terme infiniment petit ou de quantité évanescente ne peut pas se définir indépendamment d’un rapport différentiel. Encore une fois, dx, ça n’a aucun sens, par rapport à x et dy, ça n’a aucun sens par rapport à y, seul a un sens le rapport dx / dy (dx/dy). C’est dire que les infiniment petits n’existent pas indépendamment du rapport différentiel. Bon. Dès lors qu’est-ce qui me permet de distinguer un ensemble infini d’un autre ensemble infini ? Je dirais que les ensembles infinis ont des puissances différentes et ce qui apparaît de toute évidence dans cette pensée de l’infini actuel, c’est l’idée de puissance d’un ensemble. Alors, je ne veux pas dire du tout... Comprenez-moi, je ne veux pas dire du tout, ça serait abominable de vouloir me faire dire qu’ils ont prévu des choses qui concernent très étroitement la théorie des ensembles dans les mathématiques du début du XXème siècle, je ne veux pas dire ça du tout. Je veux dire que dans leur conception, qui s’oppose absolument aux mathématiques modernes, qui est complètement différente, qui n’a rien à voir avec les mathématiques modernes, dans leur conception de l’infiniment petit et du calcul différentiel interprété dans la perspective de l’infiniment petit, ils dégagent nécessairement, et ça ce n’est pas propre à Leibniz, c’est vrai aussi de Spinoza, c’est vrai aussi de Malebranche, tous ces philosophes de la seconde moitié du XVIIème siècle, dégagent l‘idée des ensembles infinis qui se distinguent, non pas par leurs nombres, un ensemble infini par définition, il ne peut pas se distinguer d’une autre ensemble infini par le nombre de ses parties ; puisque tout ensemble infini excède tout nombre assignable de parties ; donc, du point de vue du nombre des parties, il ne peut pas y en avoir un qui ait un plus grand nombre de parties qu’un autre. Tous ces ensembles sont infinis. Donc sous quel aspect se distinguent-ils ? Pourquoi est ce que je peux dire : tel ensemble infini et non pas tel autre ?
Je peux le dire, c’est tout simple : parce que les ensembles infinis se définissant comme infinis sous tels ou tels rapports différentiels.
C’est pour ça que, avec les réserves que j’ai dites tout à l’heure, pour mon compte, la réponse que je donnerais à : qu’est-ce que ce rapport de mouvement et de repos que Spinoza comme caractéristique de l’individu ? c’est-à-dire comme définition de la seconde couche de l’individu, je dirais que, non, ce n’est pas exactement une manière de vibrer, peut-être qu’on pourrait réunir les deux points de vue, je n’en sais rien, mais, c’est un rapport différentiel et c’est le rapport différentiel qui définit la puissance. Dès lors, vous comprenez la situation, si vous vous-rappelez que les infiniment petits reçoivent, constamment, des influences du dehors, ils passent leur temps à être en rapport avec les autres collections d’infiniment petits. Supposez qu’une collection d’infiniment petits soit déterminée du dehors à prendre un autre rapport que celui sous lequel elle m’appartient ; Qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire : je meurs ! Ça veut dire : je meurs ! En effet, l’ensemble infini qui m’appartenait sous tel rapport qui me caractérise, sous mon rapport caractéristique, cet ensemble infini va prendre un autre rapport sous l’influence de causes extérieures. Reprenez l’exemple du poison qui décompose le sang : sous l’action de l’arsenic, les particules infiniment petites qui composent mon sang, qui composent mon sang sous tel rapport, vont être déterminées à entrer sous un autre rapport. Dès lors, cet ensemble infini va entrer dans la composition d’un autre corps, ce ne sera plus le mien : je meurs ! Vous comprenez ? Bon. Si c’était vrai out ça, si c’était vrai ? Il nous manque encore quelque chose, parce que ce rapport, il vient d’où ce rapport ? Vous voyez que j’ai progressé, mais il me faut mes trois couches. Je ne peux pas m’en tirer autrement. Il me faut mes trois couches parce que je ne peux pas m’en tirer autrement. Je commence par dire : je suis composé d’une infinité de parties évanescentes et infiniment petites. Bon. Mais attention, ces parties m’appartiennent, elles me composent sous un certain rapport qui me caractérise. Mais, ce rapport qui me caractérise, ce rapport différentiel ou bien plus, cette sommation, pas une addition, mais, cette espèce d’intégration de rapports différentiels, puisqu’en fait il y a une infinité de rapports différentiels qui me composent : mon sang, mes os, ma chair, tout ça renvoie à toutes sortes de systèmes de rapports différentiels.
Qu’est-ce qui fait que, moi, je sois caractérisé par tel rapport ou tel ensemble de rapports ? Dernière couche de l’individu, réponse de Spinoza : c’est que, les rapports caractéristiques qui me constituent, c’est-à-dire qui font que les ensembles infinis qui vérifient ces rapports, qui effectuent ces rapports qui m’appartiennent, les rapports caractéristiques expriment quelque chose. Ils expriment quelque chose qui est mon essence singulière. Là, Spinoza le dit très ferme : les rapports de mouvement et de repos ne font qu’exprimer une essence singulière. Ça veut dire qu’aucun de nous n’a les mêmes rapports, bien entendu, mais ce n’est pas le rapport qui a le dernier mot. C’est quoi ? Est-ce que, là, on ne pourra pas rejoindre quelque chose de l’hypothèse de Guéroult ? Dernière question : il y a donc une dernière couche de l’individu, ˆ savoir, l’individu est une essence singulière. Vous voyez dès lors quelle formule je peux donner de l’individu : chaque individu est une essence singulière, laquelle essence singulière s’exprime dans des rapports caractéristiques de types rapports différentiels, et sous ces rapports différentiels des collections infinies d’infiniment petits appartiennent à l’individu. D’où une dernière question : qu’est-ce que c’est, cette essence singulière ? Est-ce que là, on ne pourra pas trouver, à ce niveau, si bien qu’il faudrait, juste, dire que Guéroult, à la rigueur, s’est trompé de niveau, à ce niveau quelque chose d’équivalent à l’idée de vibration ?
Qu’est-ce que c’est une essence singulière ?
Mais si on commence par le plus simple, je dirais : exister c’est avoir une infinité de parties extensives, de parties extrinsèques, avoir une infinité de parties extrinsèques infiniment petites, qui m’appartiennent sous un certain rapport. Tant que j’ai, en effet, des parties extensives qui m’appartiennent sous un certain rapport, des parties infiniment petites qui m’appartiennent, je peux dire : j’existe. Quand je meurs, encore une fois, là, il faut bien cerner les concepts spinozistes, quand je meurs, qu’est-ce qui se passe ? Mourir ça veut dire ça, exactement ceci, ça veut dire : les parties qui m’appartiennent cessent de m’appartenir. Pourquoi ? On a vu qu’elles ne m’appartiennent que dans la mesure où elles effectuent un rapport, rapport qui me caractérise. Je meurs lorsque les parties qui m’appartiennent ou qui m’appartenaient sont déterminées à rentrer sous un autre rapport qui caractérise un autre corps : je nourrirais les vers ! "Je nourrirais les vers", cela veut dire : les parties qui me composent entrent sous un autre rapport : je suis mangé par les vers. Mes corpuscules, à moi, qui passent sous le rapport des vers. Bon ! Ça peut arriver ; Ou bien les corpuscules qui me composent, précisément, elles effectuent un autre rapport conforme au rapport de l’arsenic : on m’a empoisonné ! Ah, Bon. Voyez qu’en un sens c’est très grave, pour Spinoza, mais c’est pas bien grave, pour Spinoza. Parce que, enfin, je peux dire que la mort, elle concerne quoi ? On peut dire d’avance, avant de savoir ce que c’est que ce qu’il appelle une essence, la mort concerne essentiellement une dimension fondamentale de l’individu, mais une seule dimension, à savoir l’appartenance des parties à une essence. Mais, elle ne concerne ni le rapport sous lequel les parties m’appartiennent, ni l’essence. Pourquoi ? Vous avez vu que le rapport caractéristique, le rapport différentiel, ou les rapports différentiels qui me caractérisent, ils sont indépendants en eux-mêmes, ils sont indépendants des termes puisque les termes sont infiniment petits, et que le rapport, lui, au contraire, a une valeur finie : dy /dx = z. Bon, alors, c’est bien vrai que mon rapport ou mes rapports cessent d’être effectués quand je meurs, il n’y a plus de parties qui effectuent. Pourquoi ? Parce que les parties se sont mises à effectuer d’autres rapports. Bien. Mais, premièrement, il y a une vérité éternelle du rapport, en d’autres termes il y a une consistance du rapport même quand il n’est pas effectué par des parties actuelles, il y a une actualité du rapport, même quand il cesse d’être effectué. Ce qui disparaît avec la mort, c’est l’effectuation du rapport, ce n’est pas le rapport lui-même.
En d’autres termes, et le rapport et l’essence seront dit "éternels" ou du moins, avoir une espèce d’éternité ; espèce d’éternité ne veut pas dire, du tout, une éternité métaphorique ; C’est un type d’éternité très précis, à savoir : espèce d’éternité chez Spinoza ça a toujours signifié ce qui est éternel en vertu de sa cause et non pas en vertu de soi-même ; Donc l’essence singulière et les rapports caractéristiques dans lesquels cette essence s’exprime sont éternels, tandis que ce qui est transitoire, et ce qui définit mon existence, c’est uniquement, le temps durant lequel des parties extensives infiniment petites m’appartiennent, c’est à dire effectuent le rapport. Mais, alors, voilà, donc, qu’il faut dire que mon essence existe quand moi je n’existe pas encore ou quand je n’existe plus. En d’autres termes, il y a une existence de l’essence qui ne se confond pas avec l’existence de l’individu dont l’essence est l’essence. Il y a une existence de l’essence singulière qui ne se confond pas avec l’existence de l’individu dont l’essence est l’essence.
C’est très important parce que vous voyez où tend Spinoza, et tout son système est fondé, avant tout, là-dessus : c’est un système dans lequel tout ce qui est réel. Jamais, jamais n’est porté aussi loin une telle négation de la catégorie de possibilité.
Là, il va beaucoup plus loin que les autres au XVIIème siècle, là, je pense à Leibniz. Chez Leibniz, vous avez une idée d’après laquelle les essences c’est des possibilités logiques. Par exemple, il y a une essence d’Adam, il y a une essence de Pierre, il y a une essence de Paul, et c’est des possibles.
Tant que Pierre, Paul, etc., n’existent pas, on ne peut définir l’essence que comme un possible, que comme quelque chose de possible. Simplement, Leibniz sera forcé, dès lors, de rendre compte de ceci : comment est-ce que le possible peu rendre compte, peut intégrer en soi la possibilité d’exister, comme s’il fallait grever la catégorie de possible d’une espèce de tendance à l’existence ?
Et, en effet, Leibniz développe une théorie très très curieuse, avec un mot qui est commun à Leibniz et à Spinoza, le mot de conatus : tendance ;
Mais qui, justement, vont prendre chez Spinoza et chez Leibniz deux sens absolument différents.
Il n’y a que du réel. En d’autres termes, l‘essence ce n’est pas une possibilité logique, l’essence c’est une réalité physique. C’est une réalité physique, qu’est-ce que ça peut vouloir dire ? En d’autres termes, l’essence de Paul, une fois que Paul est mort, et bien elle reste une réalité physique. C’est un être réel. Donc il faudrait les distinguer comme deux être réels : l’être de l’existence et l’être de l’essence de Paul. Bien plus, il faudrait distinguer comme deux existences : l’existence de Paul et l’existence de l’essence de Paul. L’existence de l’essence de Paul, elle est éternelle, alors que l’existence de Paul, elle est transitoire, mortelle, etc. Voyez, au point où on en est, si c’est bien ça, un thème très important de Spinoza, c’est, mais qu’est-ce que ça va être cette réalité physique de l’essence ? Les essences ne peuvent pas être des possibilités logiques, si c’était des possibilités logiques, elles ne seraient rien : Elles doivent être des réalités physiques. Mais, attention, ces réalités physiques ne se confondent pas avec la réalité physique de l’existence. Qu’est-ce que la réalité physique de l’essence ? Spinoza se trouve prit dans un problème qui est très très compliqué, mais tellement bien, là. Je voudrais que ce soit limpide tout ça, je ne sais pas comment faire. (Deleuze demande l’heure ; On lui répond qu’il est onze heures et trente cinq. Deleuze demande qu’on lui prévient lorsqu’il est midi ). Voilà, voilà, Spinoza nous dit, tout à l’heure, je dirais quand et où, il nous dit ça ; il nous dit, dans un très joli texte, il nous dit : imaginez un mur blanc. Un mur tout blanc. Il n’y a rien dessus. Puis vous arrivez avec un crayon, vous faites un bonhomme, et puis à côté vous dessinez un autre bonhomme. Voilà que vos deux bonhommes existent. Ils existent en tant que quoi ? Ils existent en tant que vous les avez tracé. Deux figures existent sur le mur blanc. Ces deux figures vous pouvez les appeler Pierre et Paul. Tant que rien n’est tracé sur le mur blanc, est-ce que quelque chose existe qui serait distinct du mur blanc ? Réponse de Spinoza, là, très curieuse : Non, a proprement parler, rien n’existe ! Sur le mur blanc rien n’existe tant que vous n’avez pas tracé les figures. Vous me direz que ce n’est pas compliqué, ça. Ce n’est pas compliqué. C’est un bien joli exemple parce que j’en aurai besoin toute la prochaine fois. A partir de maintenant, je n’ai plus qu’à commenter ce texte de Spinoza. Or, où se trouve ce texte ? Ce texte se trouve dans l’œuvre de jeunesse de Spinoza, l’œuvre qu’il n’a pas écrit lui-même, c’est des notes d’auditeur, connu sous le titre de "Court traité". Le Court traité. Vous voyez pourquoi cet exemple est important. Le mur blanc, c’est quelque chose d’équivalent à ce que Spinoza appelle l’attribut. L’attribut, l’étendue. La question revient à dire : mais qu’est-ce qu’il y a dans l’étendue ? Dans l’étendue il y a l’étendue, le mur blanc égal mur blanc, étendue égal étendue ! Mais vous pouvez dire : des corps existe dans l’étendue. Oui, des corps existent dans l’étendue. D’accord. Qu’est-ce que c’est que l’existence des corps dans l’étendue ? L’existence des corps dans l’étendue, c’est lorsque effectivement ces corps sont tracés. Qu’est-ce que ça veut dire, effectivement tracé ? On a vu sa réponse, la réponse très stricte de Spinoza : c’est lorsqu’une infinité de parties infiniment petites est déterminée à appartenir au corps. Le corps est tracé. Il y a une figure. Ce que Spinoza appellera mode de l’attribut, c’est une telle figure. Donc, les corps sont dans l’étendue exactement comme les figures tracées sur le mur blanc, et je peux distinguer une figure d’une autre figure, en disant précisément : telles parties appartiennent à telle figure, attention, telle autre partie, il peut y avoir des franges communes, mais qu’est-ce que ça peut faire, ça ? Ça veut dire qu’il y aura un rapport commun entre les deux corps, oui, ça c’est possible, mais je distinguerais les corps existants. En dehors de ça, est-ce que je peux distinguer quelque chose ? Il se trouve que le texte du Court traité, de jeunesse de Spinoza, semble dire : finalement c’est impossible de distinguer quelque chose en dehors des modes existants, en dehors des figures. Si vous n’avez pas tracé de figure, vous ne pouvez pas distinguer quelque chose sur le mur blanc. Le mur blanc est uniformément blanc. Pardon de m’appesantir, c’est vraiment, parce que c’est un moment essentiel dans la pensée de Spinoza. Et pourtant, déjà dans le Court traité, il nous dit : "Les essences sont singulières, c’est-à-dire il y a une essence de Pierre et de Paul qui ne se confond pas avec Pierre et Paul existants". Or, si les essences sont singulières, il faut bien distinguer quelque chose sur le mur blanc sans que les figures soient nécessairement tracées. Bien plus, si je saute à son oeuvre définitive, "l’Ethique", je vois que dans le Livre II, proposition 7, 8 etc. Spinoza retrouve ce problème. Il dit, très bizarrement : les modes existent dans l’attribut comme de deux façons ; ils existent d’une part en tant qu’ils sont compris ou contenus dans l’attribut et d’autre part en tant qu’on dit qu’ils durent. Deux existences : existence durante, existence immanente. Là, je prends la lettre du texte. Les modes existent de deux manières, à savoir : les modes existants existent en tant qu’ils sont dits durer, et les essences de modes existent en tant qu’elles sont contenues dan l’attribut. Bien. ça se complique parce que les essences de mode sont, encore une fois, et là c’est confirmé par tous les textes de l’Ethique, sont des essences singulières, c’est-à-dire que l’une ne se confond pas avec l’essence de l’autre, l’une ne se confond pas avec l’autre, bon ! Très bien. Mais alors, comment est-ce qu’elles se distinguent dans l’attribut, les unes des autres. Spinoza affirme qu’elles se distinguent, et puis là il nous abandonne. Est-ce qu’il nous abandonne vraiment, ce n’est pas possible ! Une chose comme ça ce n’est pas imaginable. Il ne nous dit pas ; d’accord. Il donne un exemple, il nous donne un exemple géométrique, précisément, qui revient à dire : est-ce qu’une figure a un certain mode d’existence alors qu’elle n’est pas tracée ? Et ce qu’une figure existe dans l’étendue alors qu’elle n’est pas tracée en extension ? Tout le texte semble dire : oui, et tout le texte semble dire : complétez de vous-même. Et c’est normal, peut-être qu’il nous donne tous les éléments de réponse. A compléter de nous-mêmes. Alors, bon, Il faut ! On n’a pas le choix ! Ou bien on renonce à être spinoziste. Ce n’est pas mal non plus. Ou bien, il faut bien compléter de soi-même. Comment est-ce qu’on pourrait compléter de nous-mêmes ? C’est pour ça que je plaide comme je le disais au début de l’année, on complète de soi-même, d’une part avec son cœur, d’autre part avec ce qu’on sait. Le mur blanc ! Pourquoi parle t-il du mur blanc ? Qu’est-ce que c’est cette histoire de mur blanc ? Après tout, les exemples en philosophie, c’estunpeu aussi comme des clins d’œil. Vous me direz : alors que faire si on ne comprend pas le clin d’œil ? Pas grave. Pas grave du tout ! On passe à côté de mille choses. On fait avec ce qu’on a, on fait avec ce qu’on sait. Mur Blanc. Mais après tout, j’essaie de compléter avec mon cœur avant de compléter avec du savoir. Faisons appel à notre cœur. Je tiens d’un côté mon mur blanc, d’un autre côté mes dessins sur le mur blanc. J’ai dessiné sur le mur. Et ma question est ceci : est-ce que je peux distinguer sur le mur blanc des choses indépendamment de figures dessinées, est-ce que je peux faire des distinctions qui ne soient pas des distinctions entre figures ? Là, c’est comme un exercice pratique, il n’y a besoin de rien savoir. Simplement, je dis : vous lirez bien Spinoza, si vous arrivez à ce problème ou à un problème équivalent. Il faut le lire suffisamment littéralement pour vous dire : eh, bien oui, c’est ça le problème qu’il nous pose, et sa besogne à lui -ce pour cela qu’il ne va pas plus loin- c’est de poser si précisément le problème que -c’est même un cadeau qu’il nous fait dans sa générosité infinie- c’est poser tellement bien le problème, il nous le fait poser si précisément qu’évidemment, on se dise, la réponse c’est celle-ci, et on aura l’impression d’avoir trouvé la réponse. Il n’y a que les grands auteurs qui vous donnent cette impression. Vous savez ! Ils s’arrêtent juste quand tout est fini, mais non, il y a un tout petit bout qu’ils n’ont pas dit. On est forcé de le trouver et on se dit : qu’est-ce que je suis bien, qu’est-ce que je suis fort, j’ai trouvé ; car au moment où je viens de poser la question comme ceci : est-ce quelque chose peut se distinguer sur le mur blanc, indépendamment des figures dessinées ? C’est évident que j’ai la réponse, déjà. Et que nous répondons tous en cœur, nous répondons : eh bien, oui, il y a un autre mode de distinction. Il y a un autre mode de distinction ; qui est quoi ? C’est que le blanc a des degrés. Et je peux faire varier les degrés du blanc. Un degré de blanc se distingue d’un autre degré de blanc d’une toute autre façon qu’une figure sur le mur blanc se distingue d’une autre figure sur le mur blanc. En d’autres termes le blanc a, dirait-on en latin, on utilise toutes les langues pour essayer de mieux comprendre, même les langues qu’on ne connaît pas, quoi ! (rires), le blanc a des distinctions de gradus, il y a des degrés, et les degrés ne se confondent pas avec des figures. Vous direz : tel degré de blanc, au sens de tel degré de lumière. Un degré de lumière, un degré de blanc, ce n’est pas une figure. Et pourtant deux degrés se distinguent, deux degrés ne se distinguent pas comme deux figures dans l’espace. Je dirais des figures qu’elles se distinguent extrinsèquement, compte tenu de leurs parties communes. Je dirais des degrés que c’est un tout autre type de distinction, qu’il y a une distinction intrinsèque. Qu’est-ce que c’est ? |
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