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11- 10/03/81 - 3

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GILLES DELEUZE - Spinoza - Cours du 10/03/81- 3 transcription : Malekahmadi Fatemeh

Du coup, alors, je n’ai même plus besoin ; C’est un hasard. Chacun opère avec ce qu’il sait. Je me dis : ha, ce n’est pas tellement étonnant que Spinoza, Qu’est-ce que c’est, le clin d’œil du point de vue du savoir ?
-  On a commencé avec notre cœur en disant : oui, ça ne peut être que ça : Il y a une distinction des degrés qui ne se confond pas avec la distinction des figures. La lumière a des degrés, et la distinction des degrés de lumière ne se confond pas avec la distinction des figures dans la lumière. Vous me direz que tout ça, c’est enfantin ; mais ce n’est pas enfantin quand on essaie d’en faire des concepts philosophiques. Oui, c’est enfantin, et ça ne l’est pas. C’est bien.

-  Alors, qu’est-ce que c’est cette histoire, il y a des distinctions intrinsèques ! Bon, essayons de progresser, d’un point de vue de terminologie. Il faut faire du groupement terminologique.
-  Mon mur blanc, le blanc du mur blanc, je l’appellerais : qualité.
-  La détermination des figures sur le mur blanc, je l’appellerais : grandeur ou longueur. Je dirais pourquoi j’emploie ce mot en apparence bizarre de "longueur". Grandeur ou longueur ou quantité extensive.

-  La quantité extensive, c’est, en effet, la quantité qui est composée de parties. Vous vous-rappelez le mode existant, moi existant, ça se définit précisément par l’infinité de parties qui m’appartiennent. Qu’est-ce qu’il y a d’autre que de la qualité, le blanc, et la quantité extensive, grandeur ou longueur ? il y a les degrés. Il y a les degrés qui sont quoi ? qu’on appelle, en général, les quantités "intensives", et qui en fait sont aussi différentes de la qualité que de la quantité intensive.
-  Ce sont des degrés ou intensités.

Or, voilà qu’un philosophe du Moyen âge qui a beaucoup de génie - c’est là, que je fais appel juste à un tout petit peu de savoir.- il s’appelle Duns Scott, il fait appel au mur blanc, - C’est le même exemple. Est-ce que Spinoza a lu Duns Scott [cela n’a] aucun intérêt, parce que je ne suis pas sûr du tout que ce soit Duns Scott qui invente cet exemple. C’est un exemple qui traîne dans tout le Moyen âge, dans tout un groupe de théories du Moyen âge. Le mur blanc, ouais, il disait : La qualité, le blanc, a une infinité de modes intrinsèques. Il écrivait en latin : modus intrinsecus. Et Duns Scott, là, lui, innove, invente une théorie des modes intrinsèques.
-  Une qualité a une infinité de modes intrinsèques.
-  Modus intrinsecus, qu’est-ce que c’est ça ?

Et il disait : le blanc a une infinité de modes intrinsèques, c’est les intensités du blanc. Comprenez : blanc égal lumière dans l’exemple. Une infinité d’intensités lumineuses. Il ajoutait ceci, et remarquez qu’il prenait des responsabilités, parce que, là, ça devient nouveau, vous me direz, dire : il y a une intensité, il y a une infinité d’intensités de lumière, bon bien. Mais qu’est-ce qu’il en tire et pourquoi il dit ça ? Quels comptes il règle, et avec qui ? Ça devient important. Comprenez que l’exemple est typique parce que quand il dit blanc ou qualité, il veut dire aussi bien : forme ;

En d’autres termes, on est en pleine discussion autour de la philosophie d’Aristote, et il nous dit : Une forme a des modes intrinsèques. Ha ! S’il veut dire : une forme a des modes intrinsèques, ça ne va pas de soi, du coup. Pourquoi ? Parce qu’il va de soi que toutes sortes d’auteurs, toutes sortes de théologiens considéraient qu’une forme était invariable en elle-même, et que seuls variaient les existants dans lesquels la forme s’effectuait. Duns Scott nous dit : là, où les autres distinguaient deux termes, il faut en distinguer trois : ce dans quoi la forme s’effectue, c’est des modes extrinsèques. Donc, il faut distinguer la forme, les modes extrinsèques, mais, il y a autre chose. Une forme a aussi une espèce de, comme ils disent au Moyen Age, a une espèce de latitude, une latitude de la forme, elle a des degrés ; degrés intrinsèques de la forme. Bon. C’est les intensités, donc, des quantités intensives, qu’est-ce qui les distingue ?

-  Comment un degré se distingue-t-il d’un autre degré ? Là, j’insiste là-dessus parce que la théorie des quantités intensives, c’est comme la conception du calcul différentiel dont je parle ; elle est déterminante dans tout le moyen Age. Bien plus, elle est liée à des problèmes de théologie, il y a toute une théorie des intensités, au niveau de la théologie. S’il y a une unité de la physique, de la métaphysique au Moyen Age, elle est très centrée, comprenez, ça rend beaucoup plus intéressant la théologie au Moyen Age, il y a tout un problème, comme la trinité, à savoir trois personnes pour une seule et même substance, ce qui encombre le mystère de la trinité. On dit toujours : ils se battent comme ça, c’est des questions théologiques. Rien du tout, ce n’est pas des questions théologiques, ça engage tout parce que c’est en même temps qu’ils font une physique des intensités, au Moyen Age, qu’ils font une élucidation des mystères théologiques, la sainte trinité, qu’ils font une métaphysique des formes, tout ça, ça déborde beaucoup la spécificité de la théologie.

-  Sous quelle forme se distinguent trois personnes dans la sainte trinité ? C’est évident que là, il y a une espèce de problème de l’individuation qui est très très important. Il faut que les trois personnes soient, en quelque sorte, pas du tout des substances différentes, il faut que ce soit des modes intrinsèques. Donc, ils se distingueront comment ? Est-ce qu’on n’est pas, là, lancé dans une espèce de théologie de l’intensité ? Lorsque aujourd’hui, Klossowski, dans sa littérature, retrouve une espèce de lien très très étrange entre des thèmes théologiques dont se dit, mais enfin d’où ça vient tout ça, et une conception très nietzschéenne des intensités, il faudrait voir ; comme Klossowski est un homme extrêmement savant et érudit, il faut voir quel lien il fait entre ces problèmes du Moyen Age et des questions actuelles ou des questions nietzschéennes. C’est évident qu’au Moyen Age toute la théorie des intensités, elle est à la fois physique, théologique, métaphysique. Sous quelle forme ? Encore une fois, il y a des distinctions de degrés qui sont des distinctions intrinsèques, intérieurs à la qualité.

-  Alors, qu’est ce qui distingue quantité intensive et figure ou quantité extensive ? C’est qu’une quantité extensive, elle est composée de parties homogènes ; Elle répond assez bien à la formule de l’infinie actuelle, première couche de l’individualité : avoir une infinité, avoir un ensemble infini, parties extensives ; Tandis qu’une intensité, qu’est-ce qui la définit ? A ce moment là, une quantité extensive, remarquez, là, il y a un point déjà important, c’est que vous ne pouvez la penser que, sous quelle forme ? Vous ne pouvez la penser, dans l’étendue, que sous l’espèce de la durée. Vous ne pouvez penser une quantité extensive dans l’espace que sous l’espèce de la durée.

-  Qu’est ce que cela veut dire ? Ça veut dire que quantité extensive est le résultat d’une synthèse et cette synthèse est une synthèse du temps. En effet, quand je dis une ligne, je repère suivant de la durée, une synthèse des parties des segments dans laquelle je construis la ligne, ne serait-ce que dans la perception. Je regarde la longueur de la table, je commence par un bout, je progresse et il y a un moment où je m’arrête. La quantité extensive est constituée par une synthèse des parties homogènes dans le temps. Et c’est en vertu de cette synthèse dans le temps que je peux mesurer la grandeur extensive et dire elle a tant de mètres.

-  Tandis qu’est ce qu’une quantité intensive, qu’est ce que vous pouvez dire d’une quantité intensive ? Une quantité intensive, vous pouvez dire quelque chose et là, devient très fascinant ; Ce n’est pas qu’il lui manque quelque chose, on a tendance à interpréter comme s’il lui manquait quelque chose, eh bien pas du tout ! Il ne lui manque rien. Vous pouvez dire qu’une quantité intensive qui est plus grande qu’un autre mais vous ne pouvez pas dire de combien. Vous pouvez dire d’une chaleur est plus grande qu’une autre chaleur, vous pouvez dire d’une chaleur qui est plus grand qu’une tiédeur. De combien, vous ne pouvez pas. Bien sûr, vous pouvez avec un instrument spécial qui, en fait, est très complexe qu’on appelle un thermomètre un thermomètre comme cela a a été mille fois dit, consiste à mesurer une quantité extensive. Et vous ne pouvez pas dire de combien une chaleur est plus grande qu’un autre qu’à condition d’avoir correspondre aux quantités intensives un système de quantité extensive. Sinon, si vous en restez aux quantités intensives, comme disait spirituellement Diderot, en additionnant deux segments vous faites bien une ligne mais en additionnant deux boules de neige, vous ne faite pas une chaleur.

-  Bon, en d’autres termes, c’est des grandeurs non additives. Qu’est ce que ça veut dire des grandeurs non additives ? Ça veut dire qu’elles ne sont pas composées de parties homogènes. Pourtant, elles sont multiples. Une chaleur c’est une multiplicité. D’accord, c’est une multiplicité. Quelle type de multiplicité ? C’est une multiplicité non extensive. Ça veut dire quoi une multiplicité non extensive ? C’est-à-dire c’est une multiplicité dont la multiplicité est appréhendée dans l’instant. C’est dans l’instant que vous appréhendez la chaleur comme chaleur. C’est bizarre ça ! Une multiplicité dont vous appréhendez la multiplicité dans l’instant.
-  Dans d’autres termes, ce n’est pas une synthèse du temps, c’est une synthèse de l’instant. Qu’est ce que cela veut dire ? Ça veut dire les quantités intensives sont des longueurs mais ce n’est pas des grandeurs ou si vous préférez, c’est des quantités mais ce n’est pas des grandeurs. Au début du XXème siècle, le grand logicien des relations, comme par hasard, Husserl, dans un livre qui restera définitif qui s’appelle "Des principes mathematiques’, fera toute une théorie pour distinguer ce qu’il appelle les longueurs et les distances. Les longueurs, c’est le statut des quantités extensives et distance, c’est entre autre et non pas seulement, c’est le statut des quantités intensives.

-  La distance se définit par quoi ? Par sa proximité ou son éloignement du zéro dans l’instant. Mais, ce n’est plus, du tout, la synthèse de successions dans le temps. C’est une synthèse de l’instantanéité. Pour l’instant, il faut une synthèse ; précisément, qui est la synthèse intensive. Vous appréhendez dans l’instant la chaleur comme chaude ou la chaleur comme plus chaude que telle autre chaleur. Telle chaleur peut être plus chaude que telle autre chaleur. dites, ah, c’est encore plus chaud ou ça serait chaud. Ce n’est pas que la chaleur moindre sera une partie de la chaleur plus grande. Vous avez deux distances dont vous pouvez dire l’une est plus grande que l’autre mais vous ne pouvez pas dire de combien. Est-ce que quelque chose vous manque ? Non, rien ne vous manque pourtant. On dira aussi bien, terminologiquement, c’est des grandeurs ordonnées mais non pas mesurées. C’est des grandeurs ordonnables, sous forme du plus et du moins et non pas mesurables. Sous forme de mesurable, ça signifie constituées de parties extensives.

-  Bon, qu’est-ce que c’est une essence singulière ? Alors, là, est-ce qu’on ne peut pas récupérer quelque chose de l’idée de Guéroult sur la vibration ? Qu’est qu’une essence singulière ? Une essence singulière, dans notre réponse, chez Spinoza, ça serait un degré. Ce serait un degré de l’attribut. L’attribut c’est la qualité. L’essence singulière, ça serait, tel degré.

-  Donc, il y aurait des intensités, comme l’attribut c’est l’étendue, il y aurait des intensités d’étendue. Qu’est ce que serait ça ? Les degrés, c’est des puissances. L’étendue sous telle puissance, sous telle autre puissance, il y aurait une distinction des degrés, des modes intrinsèques, distinctions intérieures à l’attribut qui ne se réduit pas et qui doit être très distinguées de l’autre distinction, la distinction entre les modes d’existence.

-  Donc, l’essence de Pierre et l’essence de Paul se distinguerait comme deux degrés, comme deux quantités intensives, comme deux puissances, tandis que l’existence de Pierre et l’existence de Paule se distingue, au contraire, de toute autre manière, sous la forme de la distinction extrinsèque entre les parties qui appartiennent à l’un sous tel rapport et les parties qui appartiennent à l’autre sous tel rapport.

-  Alors, tout devient lumineux. Parce que les quantités intensives, distances indivisibles, distances dont je peux dire l’une est plus grande mais je ne peux pas dire de combien. Je peux dire l’une est plus puissante que l’autre. C’est des rapports de puissance. Ces quantités intensives s’expriment, qui, elles, se définissent, uniquement, par leur distance à zéro ; vous voyez, au lieu d’être en rapport avec des parties extensives qui forment une synthèse du temps, elles sont en rapport instantanément, avec le degré zéro en fonction du quel on dit telle distance est plus grande que telle autre. Et chacune est en rapport avec zéro. Elle est en rapport avec des actes. Et sa multiplicité c’est son rapport indivisible à zéro. S’il en était ainsi, s’il y a ainsi des distances, je peux dire chaque essence est une distance, c’est-à-dire, une puissance. Dès lors, c’est complètement normal que si les essences sont des quantités intensives, elles s’expriment dans des rapports différentiels, puisque la quantité intensive est inséparable d’une définition par rapport à zéro.

Et que le rapport différentiel, c’est précisément ça. Tout devient lumineux ! (Interruption du cours car Deleuze dit : je vais au secrétariat, vous pensez à tout ça, j’aimerait bien que vous lisiez un peu, que vous voyiez, réfléchissez et puis je reviens).

Reprise par la question moitié enregistrée : « ... et le pôle ou la face éternelle de l’essence . »

Deleuze : oui, ça, je ne l’ai pas dit encore. Oui, oui, ça, c’est la question de l’éternité. En quel sens nous sommes éternels ? Oui, Ça, il faudrait que je le dise. Oui...ah, c’est vrai, ça. tout d’un coup ce point me lasse !, éternité et bien, je vais le dire. Bon, est-ce qu’il y a des remarques ? Je suis sur qu’il y en a. Je suis sur. Oui ! Parles fort ! Ou si tu te lèves, c’est mieux parce que, ça t’ennuie, on va... je traduirais si j’arrive à entendre. Parce qu’ici, je ne sais pas si vous avez remarquez mais l’acoustique de cette salle est déplorable. Ils l’ont fait exprès ! (Rires.) Vas-y, oui, ah, la porte..., la porte... (La deuxième question est inaudible. Mais on entend Deleuze :)

Deleuze : ....comme une pulsation, oui, ...tout à fait, oui, par rapport à ... ? Oui, c’est vrai. Oui, oui, (fin de l’intervention de l’étudiant)

La réponse de Deleuze : oui, c’est-à-dire, ce qu’il dit, en effet, ce qui peut intéresser ceux qui s’intéressent à tous ces problèmes, c’est que, sur l’état des questions équivalentes, si vous voulez à ce dont on a parlé chez Leibniz, en effet, le même Guéroult a fait un livre très très précis qui s’appelle "dynamique et métaphysique chez Leibniz", où vous trouvez tout un état de ces théories de la force au XVIIème siècle, dans la seconde moitié de XVIIème siècle. Oui, Tout à fait, oui. (Pendant la ré-intervention inaudible de l’étudiant, on entend Deleuze lui demander : comme n’étant pas ? Comme étant de la réalité... ; Oui, mais la thermodynamique, cela, je ne sais pas si on peut introduire quoi que ce soit. )

Deleuze reprend Moi, ce à quoi je tiens, je dis ça comme ça, c’est que dans tout ce que j’ai fait avec des allusions soit de la physique, soit de la géométrie, soit des mathématiques, je m’en tiens strictement à l’état de la physique et des mathématiques de la seconde moitié du XVIIème siècle. Impossible d’introduire des notions de thermodynamiques, là, même si elles peuvent servir, parce que c’est des chemins de sciences qui n’ont pas de correspondances, il me semble, au XVIIème. Mais, en tout cas, la comparaison avec Leibniz, au niveau et grâce au livre de Guéroult, oui, ça s’impose. Oui.

Mais, ce que je voudrais savoir c’est si, en gros j’ai presque terminé, c’est cette conception spinoziste de l’individualité. Vous comprenez, on débouche, en effet, j’aurais fini avec ça sur, bon, compte tenu cette conception de l’individualité, quel est le rapport de l’individu avec la substance unique chez Spinoza. C’est ça qu’il nous reste à voir. Mais, je voudrais que cette conception de l’individualité soit pour vous, enfin pour ceux qui s’intéressent à tout ça, soit très concert, ce soit..

En d’autres termes, que vous vous viviez comme ça, quoi ! Car vous êtes, on est tous des petites quantités intensives, des modes intrinsèques quoi, des petits clignotements, quoi ! Oui, est-ce qu’il y a des remarques là-dessus ?

Etudiant : A propos, à propos de l’état de la réflexion dans la second moitié de XVIIème siècle, je voudrais que vous nous disiez quelque chose à propos du rapport entre l’état de la réflexion sur la génération et surtout l’exigence de la singularité des essences. Et je voudrais placer le problème dans ce contexte : la seconde moitié de XVIIème siècle, c’était l’époque où les théories préformationnistes ont pris un essor considérable par rapport à la biogenèse, par rapport aux théories biogenèsistes. Dans ces théories biogenèsistes, on imaginait que l’homme s’est constitué par attention des parties et pour les préformationnistes que l’homme préexistait. Et, là, il y avait plusieurs manières de présenter la préformation ; et l’une de ces façons, c’était la théorie de l’emboîtement qui prétendait, qui était soutenu jusqu’à assez tard, particulierment par Malebranche, qui prétendait que l’homme, c’est-à-dire ; Que soit dans l’œuf, soit dans les spermatozoïdes de l’homme, tous les hommes, jusqu’à la fin des siècles, étaient présents depuis Adam. Est-ce que j’étais clair ?

Deleuze : très clair ! Oui, très clair !

Etudiant : je veux dire ma question...très franche quoi. (Inaudible).

Deleuze : Oui, et vous souhaitez quoi ?

Etudiant : je voudrais voir le rapport entre cette vision qui ( )dans la sensibilité de l’époque et l’exigence de la singularité de l’essence dont vous avez parlez.

Deleuze : ouais, ouais, ouais ! Je cherche un joint, quoi ! (rires) Je vous dirais très rapidement, enfin, ceci, Il me semble : dans ce qu’on appelle le pré..., le pré..., le préformationnisme, comme il vient de le dire, il y a une certaine idée de l’emboîtement, à savoir que le vivant est emboîté dans le germe, hein ! emboîté dans quel sens ? Il est comme enveloppé dans le germe ; Donc, que le germe se développe ; En d’autres termes, le vivant est déjà là, et se fait un mécanisme qui est, à la lettre, un mécanisme du développement ou d’explication des parties enveloppées se déroulant ; Non, c’est vrai, d’abord, où cette formule, la genèse, si vous voulez, ne fait qu’un avec un développement. La genèse ou l’évolution d’un vivant ne fait qu’un avec le développement de quelque chose qui est enveloppé dans le germe. Cela peut se concevoir, d’abord, au niveau de l’organisme adulte et du germe.

L’organisme adulte est comme enveloppé dans le germe et l’évolution, ça consiste, ensuite, en ceci que les parties enveloppées se développent. Ça implique comme une espèce de développement par mise en extériorité, à savoir des parties qui sont enveloppées, les unes dans les autres, se développent. Un peu, vous voyez, comme les papiers japonais, là, comme les petits jardins qu’on plonge dans l’eau et qui se développent. Ils se déplient ; l’évolution comme le dépliement. Et lorsque vous tenez une tel, il ne s’agit pas de savoir si c’est vrai ou faux, encore une fois, ça n’a aucun intérêt. Il s’agit d’évaluer ce concept de l’enveloppement, l’enveloppement du vivant. Alors, lorsque vous tenez un tel concept, vous devez, évidement, vous ne pouvez pas le maintenir au niveau de l’organisme adulte-germe. Il faut aussi l’établir au niveau de l’espèce.

Vous ne pouvez pas l’arrêter au niveau de l’individu. Il faut qu’il valle au niveau de l’espèce. C’est-à-dire, la première, ce n’est pas seulement le germe de mouche qui contient toutes les parties de la mouche qui se développeront à partir du germe, mais, c’est la première mouche qui contient toutes les mouches. Ah ! ça devient plus intéressant, déjà. Il y a là, une vision de l’évolution de l’espèce, telle que la mouche primitive qui contient toutes les mouches à venir. Donc, toute évolution est conçue sous le mode d’enveloppement-développement ou en terme logique, implication- explication. Parce qu’implication, c’est envelopper, explication, c’est développer.

Alors, à première vue, ç’apparaît très sobre comme idée, cela apparaît bizarre ; en effet, comme il vient de le dire, il y a des textes de Malebranche, très beaux, très... même très comiques, très puissants, sur cette première mouche qui contient infini des mouches. J’insiste là-dessus, c’est que, à quel point, il ne s’agit pas de considérer cette théorie à la lumière de la biologie actuelle et de dire, ah ! ben, non, ça ne va pas ! c’est comme dans les manuels, vous voyez, on dit, à ce moment là, ils croyaient à la préformation. C’est ça la préformation.

Mais, ensuite dans le courant de XVIII ème et puis dans le IXX ème siècle, on y a substitué tout un autre concept : l’épigenèse. Et l’épigenèse, c’est, au contraire, l’idée, que le développement opère par formations nouvelles ; que le développement va d’un indifférencié à des différentiations et que les différentiations ne sont pas pré-inscrites. C’est, en gros, le point de vue de l’épigenèse, par opposition au point de vue de la préformation.

Quand on en reste à une espèce du manuel qui va vite, on a l’impression, vraiment, que les gens de XXII ème siècle qui croyaient à la préformation étaient débiles, quoi ! Qu’est ce que c’est cette histoire de la mouche primitive qui contient toutes les mouches à venir ! Qu’est ce que cela veut dire ? Au point, c’est tellement débile, la manière dont on nous le présente qu’il faut leur faire confiance que, quand même, ça devait vouloir dire autre chose pour eux. Et peut être que vous auriez des éléments, là, je ne voudrais pas et puis, je n’ai pas préparé, il faudrait de textes très précis, donc je m’en tiens à des choses très simples, mais d’après ce qu’on vient de me dire aujourd’hui, vous auriez quand même des pressentiments possibles sur le sérieux, sur le véritable sens du point de vue préformationniste. Parce qu’il est évident que c’est inséparable d’une notion de l’infini actuel, là, aussi. Lorsqu’ils disent, lorsqu’ils parlent de ces infinités de mouches qui sont contenues dans la mouche originelle, c’est évident que ça ne se comprend qu’à partir d’un infini actuel appliqué au vivant.

Tandis qu’évidement, une théorie comme celle de l’épigenèse ne peut apparaître ; si vous voulez, c’est ça qui m’intéresse, aussi bien en science qu’en philosophie, il ne faut pas croire qu’une théorie peut apparaître à n’importe quel moment ; une théorie ne peut paraître en règle générale que lorsqu’il y a déjà le système symbolique qui la rend possible. Si vous demandez pourquoi le calcul différentiel n’apparaît pas comme tel dans l’antiquité grecque, ce n’est pas parce qu’il manque de génies, évidement. ce n’est pas le manque du génie nécessaire ; C’est parce que les mathématiques ne disposent pas de systèmes symboliques qui rendent possible l’apparition et l’exercice du calcul différentiel. Et c’est évident pour toutes les sciences et pour toutes les découvertes en science qu’elles ne surviennent que quand elles sont possibles et ce n’est pas tellement difficile d’assigner, dans une découverte, ce qui la rende possible à tel ou tel moment. Ça ne veut pas dire qu’elle surgira, nécessairement, mais encore faut-il qu’elle soit possible. Moi, je crois que s’il faudrait, précisément, appeler un système symbolique, dans le domaine des sciences ou dans le domaine de philosophie, c’est cet ensemble de condition de possibilités linguistiques, ce sont des formes d’expression qui rendent possible l’énoncé, tel ou tel type d’énoncé.

Alors, il va de soi que l’épigenèse, je dirais, à savoir l’idée que l’évolution du vivant n’est pas une explication, n’est pas un développement, mais se fait par étapes non comprises dans l’étape précédente, c’est-à-dire, se fait par différentiation et non pas par développement. Je veux dire, avec l’épigenèse, c’est, à la lettre, une négation du concept de développement ; on substitue, le concept de, si vous voulez, de formation, de différentiation au concept de développement. Or, pour substituer un concept de différentiation à un concept de développement au niveau de l’organisme, il a fallu l’écroulement de l’infini actuel. L’infini actuel était un système symbolique au XVIIème siècle qui rendait comme nécessaire et qui imposait la théorie de la préformation.

Si bien que se demander : est ce que c’est vrai ou c’est faux la préformation ? il me semble que c’est un problème qui n’a strictement aucun sens. Une théorie est vraie ou fausse en fonction de tel ou tel système symbolique. Alors, la question rebondit. Est-ce que le système symbolique de l’infini actuel est vrai ou faux ? La question n’a aucun sens.Ce qui a un sens c’est qu’est ce qui a conduit à abandonner ce système, là ? Or, ce qui conduit à abandonner ce n’est jamais des raisons négatives. Ce n’est, jamais, pour des raisons pour des raisons propres au système qu’on abandonne ; qu’on abandonne un système ! C’est toujours pour des raisons positives, c’est-à-dire, par pression, précipitation exercée par le système naissant, par l’autre système. Ce n‘est pas au niveau des faits que l’on peut poser la question. L’évolution du vivant était assimilable à développement de quelque chose d’enveloppée ou à une différentiation. Ce n‘est pas au niveau des faits. C’est évident ! C’est au niveau du système symbolique. Et il y a un système pour le vivant, tout comme il y a des systèmes symboliques en mathématiques.

A savoir, si vous pensez, le vivant dans un contexte de l’infini actuel, ce qui était absolument le cas, pour, à la fois, l’histoire naturelle et la théologie qui faisaient cause commune au XVII ème siècle - alors, à ce moment là, l’évolution du vivant est du type développement -explication et les notions de l’épigenèse et de différentiation sont strictement dénuées de tous sens.

Pour qu’arrive un jour, un concept équivalant à celui de différenciation, il faut, non seulement, le travail du XVIII ème siècle,qui n’y arrivera pas , il faut, très précisément, la révolution romantique, il faut la révolution romantique, à savoir, l’accent mis sur la synthèse du temps et sur une synthèse du temps créative. Alors, un systeme symbolique où le temps est créateur, à ce moment là, un concept comme épigenèse, de...apparition de quelque chose de nouveau par différentiation devient possible. Il nous faut une toute autre conception, une nouvelle conception du temps.

Inversement, quand vous pensez en terme d’infini actuel et que vous êtes dans un point de vue préformationniste, ça consistera à nous dire simplement, il y a une grosse mouche primitive qui contient toutes les mouches à venir. Pour une raison très simple, c’est que, comme je viens de le dire, les parties enveloppées, c’est des parties infiniment petites. Pour eux, le germe, c’est, si vous voulez, la sommation des parties organiques d’un animal, mais, à l’état de quantités évanescentes. Vous trouvez, exactement, le thème de l’infini actuel et de l’infiniment petit. Si bien qu’ils ne veulent pas dire du tout, même quand ils s’expriment comme ça, c’est pour rigoler, ils s’expriment comme ça ! ils ne veulent pas il y a une mouche Primitive, une grosse mouche qui contient toutes les mouches à venir ; ils disent même, exactement, le contraire.

Ils disent : il y a une mouche infiniment petite, la mouche infiniment petite, c’est simplement l’ensemble de rapports différentiel entre les parties évanouisssantes, les parties infiniment petites de la mouche et les mouches réelles ne s ont que l’effectuation de ces rapports. Evidement ! Ce n’est plus du tout une métaphore de ressemblance. On ne peut pas dire qu’il y a une mouche qui contient toutes les mouches !

C’est une théorie de l’infini actuel appliquée à la matière vivante. Alors, là, ça devient très très intéressant ! Au point que...iln’y a jamaisopposition deux par deux d’une théorie. Les phénomènes dits de différenciation, ils s’en rendront compte très bien.

Eux, ils diraient, mais la différenciation animale,c’est tout simple : c’est qu’un même rapport, un rapport biologique peut s’effectuer dans des ensembles différents tout en restant le même, il y aura une différenciation à partir de là. Donc, quand les théories scientifiques, moi c’est ça qui me frappe, quand les théories scientifiques paraissent, complètement, dépassées, elles ne paraissent dépassées que dans la mesure où on ne tient pas compte des systèmes symboliques auxquels elles renvoient ; et si vous ne tenez pas compte des systèmes symboliques, en effet, elles deviennent complètement puériles.

Encore une fois, le préformationnisme, si je le présente comme dans les manuels de l’histoire de la biologie, sous forme de gens qui croyaient que le vivant adulte était contenu dans le germe, ça n’a aucun sens, ça ne veut rien dire ! Ce n’est pas ça qu’ils veulent dire ! Ils disent tout à fait autre chose, quoi ! Ils disent, exactement, si vous voulez, si vous arrivez, si vous arrivez à des derniers corpuscules, eh, bien, ces corpuscules, que vous avez traités comme des quantités infiniment petites, c’est-à-dire des parties organiques infiniment petites, ces corpuscules ont des rapports, des rapports de type différentiel et les vivants que vous voyez, ne sont que l’effectuation de ces rapports.

C’est ça le préformationnisme. A ce moment là, c’est irréfutable. C’est irréfutable en fonction de système symbolique dont ça dispose. Bon, voilà, bon. (Deleuze dit oui à une question :)

G. Comtesse : J’ai une question en rapport avec le texte de Spinoza... parce que Spinoza ne parle pas, simplement, d’un ensemble d’infini actuel d’éléments infiniment petit avec des rapports, il pose une très curieuse identité, il pose la question, justement, du rapport de la physique et de la métaphysique. Parce qu’il pose l’identité de l’élément infiniment petit avec la partie. Or, poser une telle identité c’est nécessairement passer du cercle d’ensemble d’éléments infinis actuels à un autre cercle qui est la partie totalité, unité. Alors, en quoi, justement, un élément est -il différent ou identique à la partie, à une totalité, à une unité ? De même, Spinoza parle d’une essence singulière, en tant que puissance, et pour quoi l’essence précède l’existence ? Pourquoi admet-il que cette essence comme puissance singulière, est dans une autre identité avec l’être réel ? Est-ce qu’on peut dire que l’être réel compose, si on admet ces mots de partie, d’ unité, de totalité, de l’être ? est-ce qu’on n’est pas déjà dans un langage métaphysique qui empêche que, justement, d’affirmer que le pur réel, le pur physique ou l’absence complet d’idéal, possible.

Deleuze : je comprends la question. Alors, moi, je répondrais, évidemment, si tu la pose, c’est que t’as une réponse à toi. Alors, on va voir si c’est la même. Moi, je dirais ceci : il y a une chose qui ne me convient pas dans la manière dont tu poses ta question. Parce qu’il me semble que tu la poses en tant que tu es du IXX ème siècle, encore plus, du XXème. Pour des hommes comme Spinoza, Descartes, Leibniz, et particulierment, je dirais pour Spinoza, il y a, sûrement des distinctions entre sciences, métaphysique et bien plus toutes sortes de domaines : physique, biologie, mathématiques etc. Il y a des distinctions, mais encore une fois, il n’y a jamais de conflits. Il n’y a jamais de conflits. C’est comme des domaines d’être qui se renvoient les uns aux autres. L’idée qu’il puise y avoir un conflit, par exemple, entre la science et la métaphysique, tout ça, c’est une idée qui me paraît, trouver, justement, son intelligibilité que dans le travail de sape de XVIIIème siècle. Et au XVIIème, c’est des types qui vivent, c’est ce que j’ai essayé de dire, qui vivent un système d’équilibre. ce n’est même pas qu’ils soient à la fois, mathématiciens, physiciens, métaphysiciens, c’est que...ce n’est même pas, non plus, que ça soit la même chose, tout ça.

C’est que, ça se complète tellement, en vertu, justement, de leur système symbolique. Alors, je reprends tes termes, en quel sens j’essaie de répondre à ta question, plus directement ? Je dirais unité, totalité, partie, tout, chez Spinoza, qu’est-ce que c’est que cette (Interruption de la bande) J’ai un premier champ : partie, partie égale corps les plus simples, éléments extrinsèques, c’est-à-dire, éléments qui reçoivent leur détermination du dehors. Eléments sans intériorité.
-  Une partie, ça sera un élément sans intériorité, qui reçoit son mouvement du dehors. Donc, voilà tout un sens de "partie". "Tout", qu’est ce que ça veut dire, à ce même niveau ? Tout, ça vaudra dire tout ensemble infini constitué par ses parties. Et, encore une fois, ces parties n’existent que par ensemble infini. Le mot tout, aura, lui-même un sen précis. L’unité, eh, ben, sera l’unité d’un ensemble infini qui sous un certain rapport contient, comprend toutes ses parties.

Donc, j’aurais un premier sens de toutes ces notions. Maintenant, je passe aux essences, non plus, aux parties extensives qui composent mon existence, mais aux essences singulières, vous, moi, etc. au-delà de l’existence. Les pures essences. je constate que tout, unité, partie, etc. prennent un autre sens.

Quel autre sens ? Et là, je n’invente pas. Je prends deux textes de Spinoza. Il nous dit :" les corps les plus simples sont les parties d’un corps composé". Et il nous dit, d’autre part, deuxième texte, "chaque essence est une partie de la puissance divine". Bon, C’est évident ! Avant même que je comprenne pour quoi, je saisis que le mot partie n’a pas du tout le même sens. Lorsque Spinoza nous dit les corps les plus simples sont les parties des corps composés, lorsqu’il nous dit ça - partie veut dire partie extensive déterminée du dehors, déterminée du dehors à quoi ? Déterminée du dehors à entrer sous tel ou tel rapport qui correspond à telle essence.

C’est des parties extensives, on a vu leur statut. Lorsqu’il nous dit chaque essence est une partie de la puissance, je n’ai pas besoin, et je ne force en rien le texte, la puissance c’est quoi ? ce n’est pas une quantité extensive, c’est une quantité intensive.
-  Partie, voudra dire "part intensive" ; une partie intensive, c’est-à-dire, part voudra dire, ici, un degré. Degré de puissance.

Et la phrase devient intelligible : chaque essence singulière est un degré de puissance. On ne peut pas dire plus simple. Chaque essence singulière est un degré de puissance. Mais, les corps simples, eux, qui sont des parties des corps composés, ce n’est pas, du tout, les degrés de corps composé, ce sont les parties ultimes, c’est-à-dire des éléments infiniment petits qui composent, en extension, un corps composé.

Donc, je ne dirais pas qu’il y a un sens, par exemple, si je prends les termes partie/tout, je ne dirais pas qu’il y a un sens physique ou scientifique de partie/tout et un sens métaphysique de partie/tout ; Je crois qu’en effet, il faut beaucoup plus là, sérier des concepts qui sont, dont chacun est irréductiblement, physico-mathématico-métaphysqiue. Simplement, il y a la partie au sens de partie extensive et il y a, à la fois, une physique, une mathématique et une métaphysique des parties extensives.

Et puis, il y a tout autre sens du mot partie, partie intensive, qui lui-même, a une physique et une métaphysique des parties intensives. Voilà dans quel sens je répondrais à ta question, si j’y ai répondu. Et toi ?

Comtesse : (inaudible)

Deleuze : Mais, là, là, tu deviens dramatique ! Parce que ce n’est pas avec moi que tu rompts, c’est avec Spinoza. C’est avec Spinoza. C’est Spinoza que tu ne veux pas ! Ce n’est pas ma faute, là ! Comtesse : (inaudible) donc, il y a dans cette phrase, il y a ce langage là, encore ! il y a nécessairement des intensités, il y a une certaine intensité du réel qui doivent être nécessairement. Vous pouvez trouver lesquels.

Deleuze : oui, oh ! Je te pressens. Je te pressens. Mais là, on est bien d’accord sur ceci. Tu es en train de me dire, voilà, pour quoi Spinoza ne me convient pas parce que, malgré tout, il subordonne tout le domaine des intensités à un certain point de vue de l’être et de l’unité. Et comme ça, il perd des intensités, je ne sais pas bien lesquelles c’est, mais je suis sur qu’il les perd. Alors, ça, ça me dépasse. Moi, je ne suis pas quelqu’un comme représentant de Spinoza ! Alors...

Comtesse : Par exemple, dans, il y avait deux livres de, deux livres au moins, de quelqu’un, un philosophe français qui a posé, directement le problème et, bien sur très peu attendu en France, le rapport, les relations, le rapport entre les termes et les relations, c’est jean Wahl " le traité de métaphysique" et un autre livre qui s’appelle : "Vers la fin de l’ontologie". Eh, bien, il semblait tout à fait remarquable que dans ces deux livres, il cherchait à travers toute une analyse, pas seulement de Spinoza mais de l’ensemble de l’histoire de la philosophie, à découvrir ou affirmer un réel qui soit, justement, délesté de tout ce langage.

Deleuze : Je ne dirais pas ça !

Comtesse : Ce langage métaphysique, il affirmait, à chaque fois, quelque soit le point où il allait dans sa pensée ou la limite de sa pensée, il y avait quelque chose d’en deçà et au-delà des termes, des relations et des parties et que, justement, Deleuze : ouais ! ouais... ! ouais.. ! Etudiant : vous ne pouvez pas, finalement, affirmer, ici, qui soit un reste ou un réel, une puissance singulière réelle qui soit encore captive de la métaphysique, ne serait ce que de ce langage là. Nécessairement

Deleuze : mais, là, tu me....

Etudiant : donc le problème des rapports entre les fragments, les éléments et les parties.

Deleuze : A ça, je voudrais dire deux choses : c’est que, évidemment, tu me donnes un poignard dans le cœur ! Parce que tout revient à dire : bon, bien, d’accord, mais, Spinoza n’est pas le dernier mot de tout ! Ça j’en suis )( ! Mais dans la mesure où, je faisais, avec votre plein accord à tous, un cours sur Spinoza plutôt que sur autre chose, je ne m’occupais pas d’autres choses ! Si donc, à la fin, tu arrives et tu me dis : Oui, mais, enfin ! Spinoza, ce n’est pas si fameux que ça ! Il y a mieux ! Moi, je ne poserais pas la question comme ça ! Je ne me demanderais pas s’il y a mieux ! et c’est pour ça que je corrige, je corrige, quand même, quelque chose par rapport à ce que tu dis, c’est très vrai ce que tu viens de dire sur Jean Wahl, mais, justement, si je souhaite avoir apporté quelque chose à ce semestre, c’est, je ne suis pas sûr d’avoir raison, c’est, d’abord, avoir redressé une idée toute faite sur le XVIIème siècle, parce que, Wahl y compris, pense qu’une théorie des relations indépendantes de leur terme, c’est un acquis de la philosophie assez tardive. Et notamment, il reproche et je me rappelle des textes de Wahl très très formels, à toutes les philosophies de XVIIème siècle d’en être restées à un point de vue dit "substantialiste" où les relations sont comprises à partir de leurs termes.

Si bien que pour Wahl, et ça se comprend mieux, dès lors, une logique des relations, telle que Wahl la souhaite, une logique qu’il emprunte aux anglais et aux américains, une logique des relations ne peut se faire que sur la destruction de l’ontologie du type XVIIème siècle.

Moi, ce que j’ai essayé de montrer, c’était que sûrement, il avait raison, c’est son point de vue, ça, c’est très bien. Mais que c’était un sens un peu plus compliqué que ça ! Car s’il y a une première étape d’une théorie des relations indépendantes de leurs termes, c’est bien dans cette seconde moitié de XVIIème siècle. Et que bizarrement, l’ontologie pour eux, loin de les empêcher de dégager ce domaine des relations, est au contraire, un levier et un foyer très puissant pour arriver à une conception des relations plus profondes - et que ce n’est pas par hasard que dans la perspective de cette ontologie, on est arrivé à toute une conception de l’infiniment petit ou de l’infini actuel.

Alors, si j’avais à discuter un point, uniquement historique de Wahl, c’est que je ne crois pas que la théorie des relations, au sens où tu la réclames, ait son point de départ, si tu veux, avec la critique de l’ontologie. Moi, j’ai le sentiment que par exemple, chez Spinoza, encore une fois, chez qui il y a une conception de l’être qui est irréductible, mais vraiment irréductible à tout "étant", aussi bien à la substance qu’au mode, cette espèce de déploiement de l’être, lui permet précisément de faire quelque chose de très, alors là, de très très fantastique qui est le déploiement d’un système de relations qui ne se réduit pas du tout à leurs termes. Alors, oui, mais là, c’est un peu, si tu veux, là-dessus, toi, ton exigence, ça consiste à dire, si je la traduis le plus fermement et le plus modestement que je peux, c’est : Bon, d’accord, mais il faudrait arriver à faire, à la fois, une théorie des relations et une théorie des intensités qui n’impliquerait pas d’ontologie.

Oui, alors, tu dis qu’est ce serait, ces intensités libérées, ces intensités libérées de tout point de vue de l’être ? oui, ça revient presque à dire que toi, t’as envie d’aller dans cette direction, là, mais je veux dire, là, très bien, très bien mais je n’y vois, là, aucune raison pour dénoncer dans Spinoza une insuffisance quelconque.

-  Moi, ce qui m’intéresserait plutôt, c’est, indépendamment de la question : Est-ce que vous vous sentez spinoziste ou pas ? Quel effet ça vous fait une pensée qui a ce mode dans lequel... je veux dire...je sollicite plus votre émotion que votre rapport avec cette pensée.

Finalement, j’espère, ce que vient dire Comtesse, c’est que Dieu merci, Spinoza, il n’a, sûrement, pas tout dit. Sinon ça s’arrêterait. Il n’y que Hegel pour pouvoir avoir tout dit. (rires). Mais, vous comprenez, on ne dit pas tout quand on n’est pas, oui, en Allemagne. (rires).

Alors, Spinoza, il n’a pas tout dit. Mais, il est très éloquent. Un œuvre d’art ! A condition de traiter les œuvres d’art comme quelque chose de vital. Qu’est ce que c’est, en effet ? Eh, bien, à quoi, c’est vraiment une pensée de la vie ? Je l’ai rapproché des autres du XVIIème siècle mais en même temps ce qui me reste à dire la prochaine fois, ce qui me reste à dire la prochaine fois, c’est deux choses. C’est répondre à la question de Richard sur, bon, l’éternité, comment, déjà, il prétend, Spinoza prétend et qu’est ce que c’est ce point de vue de l’tre, c’est à dire répondre aussi un peu aussi à Comtesse ;

Qu’est ce que c’est ce point de vue de l’être que Spinoza estime absolument présent d’un bout à l’autre de sa théorie ?
-  Oui, voilà. Et bien, on verra ça la prochaine fois.

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