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23- 23/11/82 - 2

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Gilles Deleuze - Cinéma cours 23 du 23/11/82 - 2 transcription : Marie Lacire

Et puis avez les gaz. Un gaz c’est quoi ? c’est un corps où les molécules ont non seulement un parcours mais un libre parcours. Qu’est-ce qu’on appelle "libre parcours" ? On appelle libre parcours la distance parcourue par une molécule - vous voyez que là c’est gagné, il y a quelque chose de gagné - la distance parcourue par une molécule entre deux chocs, avec une autre molécule. La distance moyenne parcourue par une molécule entre deux chocs définit le libre parcours de chaque molécule. Un corps gazeux. Ce libre parcours est variable - c’est bien connu - avec la "pression". Qu’est-ce qui se passe - dernier point à comprendre - qu’est-ce qui se passe quand un corps solide est chauffé ? je retrouve mon thème de la chaleur. Quand il est chauffé jusqu’à fusion, il perd son état solide. C’est-à-dire ses molécules ne sont plus astreintes par le contact à n’avoir chacune que une très faible variation par rapport à une position moyenne constante, et elles tendent à l’état gazeux où chaque molécule a un libre parcours. Bon, alors, d’une certaine manière il suffit que ça chauffe. En même temps d’une certaine manière la vie n’est plus possible, hein c’est, bon, très bien. Voilà ce que je voulais dire.

Vous vous rappelez l’année dernière, à propos du cinéma, on avait étudié précisément la question d’une perception solide, d’une perception liquide, notamment du rôle de la perception liquide dans l’école de cinéma française, dans l’école française d’avant-guerre, et puis d’une perception "gazeuse" dans le cinéma expérimental, avec toutes leurs histoires de photogrammes, de photogrammes qui brûlent, de boucle, de clignotement, de vibration-clignotement, etc etc, et ça nous paraissait l’approche cinématographique d’une perception gazeuse. Et ça nous paraissait explicitement voulu par certains représentants du cinéma expérimental. Retrouvons ça ici.

Finalement sur mon plan d’immanence, je crois bien que j’atteins comme une espèce d’universelle variation, c’est comme une espèce d’état gazeux de la matière qui implique une très grande chaleur du plan. Cette chaleur, elle viendra d’où ? ça il va falloir y répondre. Ça il faudra. Bon alors essayons d’égayer ça. Je dis un monde sans axe, sans droite ni gauche, sans corps solide. Voyez à la limite, un plan d’immanence est obtenu, à la limite / coupure .. ; qui réagissent les uns sur les autres. Pourtant même est-ce que ça nous est étranger ? Non, qu’est-ce que vous voulez que, à quoi la pensée peut-elle s’exercer, à quoi l’art peut-elle s’exercer, sinon d’une certaine manière à créer le monde d’avant l’homme. Ou ce qui revient au même, à créer le monde d’après l’homme. À quoi ça sert la philosophie de l’art, etc ? Bien sûr, ça a à nous parler de l’homme, mais ça a aussi à nous parler du non- humain, c’est-à-dire d’un avant l’homme, d’un après l’homme, qui est sûrement pas le même que celui de la science.

Et aujourd’hui qu’est-ce qui se passe ? Je dirais que aujourd’hui, le plan d’immanence sans axe, sans corps solide, sans droite ni gauche, etc, le monde des images-mouvement, le monde des images-mouvement à l’état pur, d’une certaine manière, on est habituellement à sa poursuite. On arrête pas de... Sa poursuite pourquoi ? Ce serait une question, savoir pourquoi ? est-ce que, peut-être qu’on a le sentiment qu’on comprendrait bien des choses si on y atteignait. Et que beaucoup de choses se passent là, qui vont dans ce sens. Essayons de définir alors, bon on discute pas, est-ce que c’est un bon concept ou pas ? Modernité, moi je dirais modernité, oh bah c’est comme tout hein, y a du bon et du mauvais, faut pas s’en faire hein.

Alors essayons, on peut la définir "la modernité", notre modernité à nous, qui nous est chère. Comment la définir, on peut la définir de bien des façons, mais on peut en retenir certaines, du moins celles qui nous conviennent en ce moment. Modernité, moi je dis - vous voyez, on a l’air d’être sorti de BERGSON, mais en fait on l’est pas, vous le comprenez - je me dis, si j’essayais de définir la modernité, je dirais y a deux choses qui me paraissent frappantes entre mille autres. D’une part, c’est que, on n’a plus, on n’a plus, et c’est très grave ça, c’est un instant très grave. C’est, l’axe vertical est en train de s’effondrer. C’est embêtant ça. Ou bien c’est très gai. Tout dépend ce que vous en ferez hein. Mais on voit bien que ça commence, on vit une époque très bizarre parce que l’axe vertical commence à fondre.

Or on peut dire toujours - là vous savez on a toujours tendance à un peu faire, faire du vaste panorama - on peut dire que le monde a très longtemps vécu en remettant toutes sortes de choses en question, mais on remettait pas en question l’axe vertical.
-  L’axe vertical, c’était quoi ? C’était la posture de l’homme en tant qu’être debout. Or, or, est-ce que c’est pas en train de disparaître depuis longtemps ? Est-ce que c’est pas en train de disparaître et de mille manières toutes très intéressantes, les unes infâmes et abjectes, les autres splendides, et puis parfois très mêlées, les deux très mêlées ? Bon je dis même pas lesquelles me paraissent abjectes et lesquelles me paraissent splendides. Mais enfin y a un nombre de plus en plus considérable de gens qui vivent couchés. Ça veut dire quoi ça, "vivre couché" ? Et il faudrait voir les maladies modernes. Très intéressant, quel rapport elles ont avec l’abandon d’une stature verticale.

On peut pas dire, est-ce que c’était bien la stature verticale ? En tout cas bientôt on va en essayer d’autres. Qu’est-ce qu’on nous montre tout le temps avec les histoires de voyage transspacial ? Bon, on nous montre que essentiellement, essentiellement des bonshommes qui n’ont plus d’axe vertical - absolument fini ça, c’est joli d’ailleurs, c’est bien ces êtres sans axe vertical. Ils ont perdu l’axe vertical. Bon je dirais technologiquement, c’est constant cette mise en question de l’axe vertical qui était la posture de l’homme sur la terre.

L’homme comme roi de la terre. Eh oui. Bon mais, ajoutons alors il faut qu’il y ait des échos ailleurs. En art, en art c’est très intéressant, mais l’axe vertical, il est en train d’en prendre un coup énorme, dans tous les sens et plus c’est incohérent, plus ça m’intéresse, je veux dire plus c’est indépendant. Voilà que j’ai été frappé par un domaine auquel je ne connais rien donc j’en parle d’autant plus gaiement, alors que sûrement parmi vous y en a qui connaissent et je voudrais que, dans notre prochaine séance,ben ceux qui connaîtraient dans ce domaine veuillent bien en parler. J’ai vu a la télé parce que pour une fois ils ont fait des émissions là-dessus des histoires de moderne dance. Et quelque chose me frappe. Alors je suis à la recherche depuis d’une représentante qui me paraît magnifique de cette modern dance qui s’appelle Brigitte Marbin ??? Je veux savoir à tout prix qui est Brigitte Marbin qui est une chorégraphe de cette tendance. Et dans la modern dance, le peu que j’ai vu, là comme ça, je me dis c’est très très curieux quand même, j’exagère hein, je simplifie, mais c’est une des tendances, je dis pas que c’est ça la modern dance. Quand ils se tiennent debout, il faut qu’ils fassent groupe. Ils ont tendance à former une espèce de conglomérat. Très curieux hein. À s’appuyer les uns sur les autres, avec des effets rhytmiques très très très grands. C’est à ce moment-là des rythmes de groupe qui les animent comme si, ils tenaient si mal debout que, s’ils sont pas appuyés, ils vont s’écrouler. Et c’est ce qui se passe. Et là-dessus une souplesse, une rhytmique, une liberté de mouvement fantastique, purement horizontale. Couchés par terre. Bon. Même dans des trucs alors plus connus comme Béjart, on voit les éléments de ça. On les voit beaucoup plus assagis, beaucoup plus... Mais c’est évident dans le ballet moderne, la perte, la perte de la référence de l’axe vertical, du privilège de l’axe vertical.

Tout autre exemple que je prends comme ça, tout autre exemple : la peinture. La peinture. Encore au XIXème siècle, il y a quelque chose qui est très important, c’est comme on dit de la peinture de chevalet. Et la peinture alors ça se met sur quoi alors quand elle était pas peinture de chevalet. Supposons que c’était la fresque. La fresque, ça consiste à peindre un mur. La fresque est inséparable du mur. Alors bien sûr c’est plat. Y a une planitude. Peut-être qu’y a toujours eu une planitude de la peinture, elle a été assumée de manière très différente dans l’histoire de la peinture. Bon, ça n’empêche pas que par rapport à cette planitude de la peinture, l’axe vertical gardait son privilège. Quelque chose a commencé lorsque évidemment, des gens ont dit, par exemple : oh Picasso, on peut le retourner, c’est pas... Ce qui est absolument faux de Picasso mais ça fait rien. Les crétins ont toujours raison. Je pense qu’ils ont pas raison pour ce qu’ils disent mais ils ont raison pour autre chose. C’est évident. Il se trouve que c’était faux pour Picasso parce que dans tout le cubisme, y a encore, peut-être pas d’ailleurs, peut-être que j’ai tort de dire ça, mais on pourrait dire qu’il y a encore. référence en revanche, peut-être que dans certains tableaux de Duchamp, y a plus cette référence à l’axe vertical. Mais enfin peu importe, on pourrait discuter à quel moment, dans quelles premières grandes œuvres. Moi ça me paraît évident que, par exemple, dans la peinture américaine moderne, la référence à l’axe vertical est mise de plus en plus en question, au point que le moment arrivera vite où les tableaux perdront leur référence apparente à l’axe vertical, c’est-à-dire le fait même qu’on les mette sur les murs. Le fait même de mettre un tableau sur un mur implique encore une référence à l’axe vertical. Bon, ça tendra à disparaître parce que je peux pas dire que, très important le moment où la peinture a cessé d’être peinture de chevalet. Mais déjà au moment où elle était peinture de chevalet il y a des lettres merveilleuses aussi bien de Cézanne que de Van Gogh, quand ils font de la peinture de chevalet, quand ils disent dans quel état ils doivent se mettre pour saisir, par exemple un soleil couchant, ils doivent se coucher par terre. Van Gogh a des lettres fantastiques sur la manière dont il rentre le soir. Après alors, qu’il passe pour complètement fou dans son village, c’est évident, dans des positions, il doit planter son chevalet, l’enfoncer de plus en plus, l’axe vertical déjà. Déjà les post impressionnistes peuvent plus, peuvent plus sentir un axe vertical , ce serait peut être déjà ;; alors on sait pas.

Bien, mais en tout cas, si je pense à un peintre comme Pollock, est-ce qu’il y a un axe vertical qui a encore le moindre sens chez lui. Certains disent que oui. Ils veulent que, en tout cas, tout le monde est d’accord sur un point : que il y aurait bien eu une révolution vers 1950, en peinture, qui a été la révolution américaine, mais qui consiste moins dans ce qu’on dit d’habitude, mais y a un critique américain qui l’a très bien vu quand il dit, vers 1950, cette révolution qui n’est peut-être qu’une prise de conscience de ce que Pollock avait préparé, c’est la révolution de Rauschenberg. Et la révolution Rauschenberg c’est l’abandon délibéré et volontaire de l’axe vertical. Bon, mais avant la littérature, est-ce qu’elle est en retard ? La littérature ça faisait quand même des années et des années que Beckett nous avait lancé un certain nombre de personnages et que ces personnages avaient essentiellement et littérairement affaire avec l’axe vertical. Et la question, comment abandonner l’axe vertical ? comment cesser d’être debout ? et l’on traduisait ça toujours - et à la fois c’est crétin et c’est pas crétin - les choses elles sont tellement ambiguës vous savez on traduisait ça ’ah le désespoir de Beckett, ah etc etc !’ Oui c’est pas faux quoique Beckett soit sûrement un des auteurs les plus drôles, c’est un des auteurs les plus drôles et en même temps c’est un auteur très gai, c’est un auteur, ça s’oppose même. Il a un sens fondamental du comique et en même temps il nous raconte des choses qui sont plutôt des histoires de déchets, de... bon d’accord. Mais qu’est-ce qui est important là-dedans ? Un personnage de Beckett, son problème c’est quoi ? On en parlait avec "FILM" quand, dans notre première séance, quand, c’est quoi ? C’est le type, il marche encore Buster Keaton il marche encore le long de son mur " danns "FILM" de BECKETT. Et puis il arrive dans sa chambre, il ferme tout, ne plus être perçu,ne plus agir etc, il se met dans l’instrument sacré de Beckett dans toute son œuvre : la perceuse. Il se met dans la perceuse, mais comme dit Beckett souvent, il y a qu’une position encore meilleure qu’être assis, c’est être couché. Y a qu’une position meilleure, on parle pas d’être debout. Ça être assis, ça vaut mieux qu’être debout, c’est le principe Beckettien, être assis ça vaut mieux qu’être debout, mais être couché, alors ça vaut mieux que être assis. Pourtant, pourtant, y a une loi, il y a une loi du monde inhumain, c’est la loi du mouvement. Il faut te mouvoir. Et un célèbre héros de Beckett, dans une des plus belles pages de Beckett, dit : "malgré les ordres - je cite pas hélas exactement - "malgré les ordres, l’ordre de se mouvoir, se mouvoir à tout prix, malgré les ordres, je m’écroulais le visage sur un tas de feuilles mortes et me frappant le front, je me dis" - ça c’est toujours adorable quand les personnages de Beckett se parlent à eux-mêmes, il faut s’attendre au mieux, c’est-à-dire au pire - "je me dis, mais tu as oublié la reptation. Il a oublié la reptation où il va se mettre n’est-ce pas à ramper d’une manière très très bizarre. Pourquoi, qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce que c’est ?

Ce qu’on peut dire comme un déchet, rebus d’humanité, c’est aussi bien une conquête fantastique, conquête du monde sans verticalité. Si on le lit comme un rebus, un déchet, qu’est-ce qui se passe ? À ce moment-là, l’idéal et Beckett le dit :.Y a tellement de niveaux de lecture chez un grand auteur. C’est comment être immobile, pas comment arriver à être immobile. Et en effet. Mais si on le lit de l’autre manière, ce que l’on prenait par rapport à notre monde à nous comme production de déchets, en fait d’un autre point de vue est conquête. Conquête d’un monde sans verticalité, conquête d’un monde qui a perdu cet axe privilégié et qui donc va nous offrir d’autres choses. À ce moment-là, la question c’est plus celle de l’immobilité, c’est rejoindre, comment rejoindre le plan d’immanence ? comment rejoindre "l’universel clapotement" ? comment rejoindre la vibration universelle, comment rejoindre l’universelle variation des images-mouvement qui varient non pas par rapport à une image privilégiée qui serait douée de verticalité - ça c’est fini - mais qui varient toutes les unes par rapport aux autres sur toutes leurs faces et dans toutes leurs parties.

Bon. Et dans le cinéma, même chose. Même chose. Un des plus grands du cinéma expérimental dont on a parlé l’année dernière, Michael Snow, qu’est-ce qu’il fait ? Bon, il fait un film comme "Région Centrale" qui est un chef d’œuvre. On le redonne périodiquement, ceux qui l’ont pas vu, ont pas... Qu’est-ce qu’il fait ? Il invente un appareil très très coûteux, qui a coûté très très cher, qui consiste à rendre la caméra indépendante du mouvement de l’homme. Plus de problème ? C’est cet appareil qui va faire tourner la caméra, qui lui donne un système de rotation dans toutes les directions et en tous les sens. Et un système continu, de mouvement continu. Ça ne s’arrête jamais. Et ces mouvements sont commandés alors par des ondes sonores, d’où l’importance du son qui est fondamental mais je passe là-dessus parce que ces ondes sonores, moi voilà je le dis tout de suite, ça m’arrangerait beaucoup plus, mais ça aurait été possible si ça avait été des ondes lumineuses. Mais ça fait rien, ça aurait pu. Lui c’est des ondes sonores, je veux pas introduire là-dedans le problème des images sonores, quoique ce serait, ce serait possible. Et qu’est-ce que ça donne ? Il le dit lui-même. Ça donne - et à son avis le résultat n’est pas encore parfait, on peut lui faire confiance, il y arrivera - ça donne essentiellement , non pas essentiellement, entre autres, ça donne d’abord un mouvement continu où toutes les images varient les unes par rapport aux autres sur toutes leurs faces et dans toutes leurs parties. Ça donne destruction radicale de tout axe de référence privilégié, d’axe vertical. On peut dire que le cinéma était encore tenu par un axe vertical et vous savez ce que c’est l’axe vertical au cinéma, qui est comme le témoin de la stature de l’homme. C’est finalement le défilé de la succession des images sur le film. Le premier à avoir mis en question - faudrait voir - le premier à avoir mis en question l’axe vertical, c’est celui qui a mis cette verticalité de la succession des images sur le film, à savoir séquence, séquence. Séquence quand il disait, il faut pas, il faut dépasser la succession verticale des images. Et là j’invente pas, il emploie dans tous ses textes l’expression "succession verticale". Il faut dépasser la succession verticale des images au profit de quoi, au profit d’un "simultanéisme" - et là je cite des mots exacts, je cite pas un texte exact mais je cite des mots qui sont tous de lui - « un simultanéisme composé de mouvement de mouvement ». Et c’est ça qu’il appellera polyvision. Bon, je veux pas dire que GANCE c’est le précurseur de Snow. Je dis que chez GANSE y avait déjà une confiance dans le cinéma pour mettre en question une verticalité qui est la verticalité de la succession des images sur le film. Chez Snow, c’est alors, ça prend une tout autre, c’est vraiment : atteindre à l’universelle variation où vous n’avez plus d’axe de référence. En d’autres termes, comme dit Snow dans la "Région centrale", il n’y a plus ni haut ni bas. Il n’y a plus ni haut ni bas. Voilà, voilà le point essentiel, voilà le point important.

Bon. Ça se serait le premier caractère de la modernité, je dirais, vous voyez, c’est d’une certaine manière, ça répondrait à la question : comment nous qui sommes encore hommes - et j’espère qu’on le restera - donc je veux pas dire du tout que ce serait dommage, mais comment en tant qu’hommes, est-ce que nous pouvons quand même nous installer sur un tel plan, qui au premier abord, dans tout ce que je viens de dire, nous refusait, nous expulsait d’avance ? Ben, on a des moyens d’en approcher, on a des moyens même de fabriquer de tels plans. Et on voit que des arts différents travaillent dans tous ces sens, et si j’essayais de dire un deuxième caractère de la modernité... Je dirais, bon bah... Y a quelqu’un qui l’avait très bien dit, j’ai honte de mes sources, c’était un "futurologue". Il avait dit dans un article du "Monde Dimanche", qui pourtant est... Mais c’était une interview très très intelligente. Alors je lui rends hommage et je sais plus son nom donc... Mais il disait quelque chose comme ça, je me souviens pas absolument, il disait quand même :" nos rapports avec le mouvement sont complètement en train de changer. Il disait, voyez le sport, voyez les sports qui marchent aujourd’hui". Il y a les vieux sports et y a les nouveaux sports. Les sports qui marchent aujourd’hui - alors je le traduis dans mon langage, ça doit coïncider avec ce qu’il dit, espérons - il s’agissait finalement de propulsion. Vous faisiez de la propulsion dans les vieux sports, ou de la production d’énergie. C’est-à-dire vous faisiez de l’action au sens de "action humaine". L’action humaine c’est quoi, BERGSON la définira très bien l’action humaine. Il dira :" il y a action humaine lorsque, un mouvement n’est plus considéré comme tel, mais il est considéré par rapport à un résultat à obtenir, ou par rapport à un dessein à réaliser". C’est-à-dire lorsque - là je joue sur les mots - c’est que au mouvement s’est substitué le dessein du mouvement. Y a action humaine. Hein, vous voyez à peu près ce que ça veut dire. Il dit, tandis que, dans la matière c’est bien évident que le mouvement de la matière, il se propose aucun résultat et il n’a pas d’intention. C’est notre plan d’immanence : variation universelle de toutes les images les unes par rapport aux autres sur toutes leurs faces et dans toutes leurs parties et ça arrête pas. Hein. Alors ça, c’était le sport vieille manière. On faisait de l’action humaine, de la production d’énergie, on propulsait, on propulsait soi de son propre corps. Y avait un système d’ailleurs de... L’image c’était encore la vieille image du levier ou bien du tremplin. Alors on voit bien un système de propulsion qui produit de l’énergie, tout ça.

Dans les sports actuellement, qui plaisent vraiment, actuellement hein, y a plus ça ou alors c’est toujours, y a bien évidemment ça demeure les sports que j’appelle vieux, le vélo, le football, le lancement du poids, tout ça c’est des sports de propulsion... Mais c’est plus ça, on sent que les sports modernes c’est plus ça. Il s’agit plus de produire de l’énergie, il s’agit de quoi ? Il s’agit de se placer sur un faisceau énergétique. Vous voyez à quoi je fais allusion, une série de sports dont je sais même pas le nom... Et vous savez peut-être vous. Il s’agit de se flanquer sur un faisceau énergétique. Il s’agit pas de produire de l’énergie, il s’agit de quoi ? Au lieu de la production de l’énergie, c’est de, exactement ce que les physiciens appellent de l’oscillation à faible amplitude. C’est plus du tout de la mécanique. Les sports anciens ont un type mécanique, corps solide. Avec une frontière pour la nage.

Mais les sports actuels, deltaplane - tiens, je trouve un nom - aquaplane, y en a d’autres, surf. Plein d’autres, y en a plein d’autres que je ne me rappelle pas. Tous ces sports-là. Il s’agit alors, vous risquez beaucoup, c’est pas sans risque non plus, vous risquez de rater votre mise en place sur le faisceau. Tout à fait différent, il s’agit plus de l’origine et de la destination d’un mouvement. Voyez la vieille boxe, hein. Y a une origine et une destination du mouvement, il faut même cacher l’origine pour que le mouvement arrive bien. Mais on voit bien là, tout y est, levier, production d’énergie, appui sur un pied, c’est un sport de type mécanique. Je veux pas dire que ce soit mal les sports mécaniques, ils sont grandioses, mais c’est de la mécanique. C’est pas de l’énergétique. Tandis que les sports modernes, ils sont beaucoup plus de type ondulatoire. On n’a pas fini de rigoler dans cette voie.

Or, je dis juste - là vous pouvez sûrement compléter beaucoup mieux que moi pour certains d’entre vous- et je dis, est-ce que mes deux caractères ils sont pas très liés ? là, j’ai pas besoin d’essayer de chercher, je sens qu’ils sont liés donc, on cherchera, vous chercherez de votre côté, et moi je chercherai : à savoir l’abandon du centre vertical et l’abandon du monde solide. Des mouvements mécaniques, tout ça c’est absolument lié. Se placer sur un faisceau énergétique. Y a plus du tout, plus du tout de privilège de la verticalité. Au contraire, c’est les positions, c’est les positions antiverticales. Vous me direz que l’abandon de la verticalité, elle a commencé déjà au niveau des sports mécaniques, c’est vrai. C’est vrai. Je me rappelle y a très longtemps ... on a pas le temps, ça m’intéressait beaucoup, j’avais fait sur des séries, pourtant je savais pas mais j’avais repéré des trucs sur l’évolution des techniques dans certains sports, notamment dans le saut à la haie, et comment au début du saut à la haie, ils sautaient comme ça (il dessine qqch au tableau). Ils affirmaient l’obstacle. Ils marquaient l’obstacle. Ils allaient déjà très vite. Et puis s’est fait de plus en plus, cette fois-ci de profil, une position comme ça, complètement couché sur la haie. Du coup, au lieu de reconnaître et d’affirmer l’obstacle de manière mécanique, on le nie. Ça n’est plus que une foulée un peu plus longue.

Là y avait déjà comme une espèce de remise en question de la verticalité. Faudrait voir aussi comment on joue au tennis il y a quarante ans, tout ça. Faudrait faire des études sur cette évolution des styles, mais ça a dû être fait par les sportifs, je suppose. On verrait que peut-être y a eu... En tout cas, les deux sont liés : l’abandon, la tendance à l’abandon - c’est pour ça que je disais deux caractères entre autres d’une modernité possible -
-  l’abandon, l’abandon de l’axe de verticalité
-  et l’abandon du modèle solide mécanique au profit des faisceaux énergétiques.

Si je dis ça, c’est une manière par laquelle, je dis mais tout ça, c’est une espèce de manière de s’approcher de, de vivre, ce que j’appelais le "plan d’immanence", à savoir le système des images-mouvement. Et le système des images-mouvement, c’est, c’est encore une fois un ensemble quelconque d’images en tant qu’elles ne cessent de varier les unes par rapport aux autres... sur toutes leurs faces et dans toutes leurs dimensions. À partir de là, si vous m’avez compris, vous vous rappelez et c’est là-dessus que je voudrais aller très vite, on s’aperçoit que voilà, non, si vous m’avez compris, il faut repasser par ce point que j’avais complètement négligé : c’est de quel droit appeler ça image ?

Parce que quand même c’est bizarre. Il exagère BERGSON. Alors là, on revient à BERGSON. Tout ce que j’ai fait, c’était montrer uniquement de par mes développements que je me sentais bergsonien, que cette notion de plan d’immanence, j’aimais l’appeler comme ça parce que ce que disait BERGSON, ça me convenait moi, je trouvais ça bien, je trouvais ça très bien. je trouvais que ça allait. Alors je me dis, mais pourquoi et comment est-ce qu’il peut appeler ça image. Car image habituellement ça veut dire qu’il y a quelqu’un qui regarde. Or là ce plan d’immanence, cet ensemble infini d’images, c’est pour personne. À la lettre, il n’y a encore personne qui ne fasse partie du plan. Et tous les yeux que vous voudrez seront sur ce plan, mais uniquement en tant qu’ils subissent des actions et exercent des réactions. Ce seront des images parmi les autres.

-  Alors cet ensemble d’images, il est image pour qui ? C’est ça notamment dans BERGSON qui scandalisait SARTRE, en disant - mais SARTRE s’y trompait pas, il sentait bien que c’était là la nouveauté de BERGSON et c’était ça que SARTRE ne voulait pas, parce que SARTRE lui ça ne lui convenait pas, tout ça, toute cette histoire, ça lui convenait absolument pas. SARTRE ce qui lui convenait - je vais pas dire que c’était moins bien - c’était toute conscience est conscience de quelque chose. Toute conscience est conscience de quelque chose et vous me ferez pas sortir de là, ce qui implique inversement, toute chose est le corrélat d’une conscience et on me ferait pas sortir de là. Or là, rendez-vous compte, ce monde bergsonien, monde d’images que BERGSON ose appeler images, monde que nous appelons : "monde des images-mouvement" pour notre compte, qui n’est image pour aucune conscience, y a pas de conscience, y en a pas. À ce niveau,il n’ y en a pas. Alors quoi, alors quoi ? Pourquoi il est pas arbitraire comme ça ? Eh ben je vais vous dire, je vais vous dire pourquoi il appelle ça image. Parce que d’une certaine manière il faut bien qu’il ait pas le choix. Il appelle ça image parce que, et il précisera finalement : "oui c’est des images mais c’est des images en soi." C’est des images en soi, c’est-à-dire c’est pas des images pour quelqu’un. Ça devient de plus en plus obscur : qu’est-ce que ça peut être qu’un monde d’images en soi ?

Alors que pour tout le monde jusqu’à BERGSON, l’image a toujours renvoyé à un œil. Ben lui, c’est l’œil qui est une image comme les autres. Alors les images peuvent pas renvoyer à un œil. C’est une merveille ce truc. Je crois, la seule réponse qu’il aurait, ce serait - mais il la cache, il est pas forcé de la dire, il a tellement de choses à dire, comment, il peut pas répondre à tout hein - si on la cherche bien, il semble que c’est voilà, la seule réponse c’est que :
-  c’est parce que ce monde est pure lumière.

Et que ce monde c’est finalement moins du mouvement que de la lumière. En d’autres termes, ce plan d’immanence tel qu’il vient de le définir est uniquement fait de lignes de lumière. Ah, c’est intéressant - enfin je sais pas si vous trouvez ça intéressant - mais, du coup on comprend. Sij’airaison,si c’est bien ça qu’il veut nous dire, "ce monde est un monde de pures lignes de lumière", en quoi ça permet le mot image ? N’allons pas trop vite. Ça nous rapproche d’une réponse.
-  Vous comprenez, si c’est de la lumière pure, est-ce qu’y a grand inconvénient à dire : les lignes de lumière, appelons ça images ? Si c’est uniquement des lignes de lumière, on appelle ça images, pourquoi, pour marquer quoi ? Pour marquer que c’est pas des choses.

C’est encore le meilleur mot pour indiquer intention,c’est pas des choses. Et en effet on l’a vu, les choses c’est le solide, c’est le rigide. Or, y a pas de choses sur le plan d’immanence. Il n’y aura des choses que bien plus tard et on verra sous quelle influence. Les choses pourront se former sur ce plan, mais pour le moment, elles peuvent pas, y a pas de choses ... Il est midi ? Oui, on va arrêter bientôt parce que j’en peux plus... (Rires)...

Lumière, on avance un petit peu, ligne de lumière, en v’là une drôle de notion. Ligne de lumière. Ce plan, alors ne serait fait : y aurait pas de choses, y aurait rien, faudrait même aller plus loin,il n’ y aurait pas d’état gazeux, ce serait pas des états gazeux qui seraient sur mon plan d’immanence. Il serait rien d’autre que parcouru par des lignes de lumière. Évidemment il n’y aurait pas de solide. Le solide c’est quoi, c’est un ensemble de lignes rigides. Bon, c’est un ensemble de lignes rigides. Est-ce que ça devrait dire quelque chose à certains d’entre vous ? Je fais pas le moindre reproche à ceux auxquels ça ne dit rien. Je dis lignes rigides, lignes de lumière. Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

Cette histoire, c’est une histoire qui est très très présente du temps de BERGSON et qui a passé ses lettres chez nous de notre temps, à savoir, c’est l’histoire de la relativité restreinte. C’est l’histoire de EINSTEIN. C’est l’histoire de EINSTEIN. Car une des manières, une des manières, une des manières grossières d’exprimer la nouveauté de la théorie de la relativité chez EINSTEIN, ça consiste en quoi ? À dire quelque chose comme ceci - et EINSTEIN parlait parfois comme ceci - à dire quelque chose comme ceci : "à supposer que l’on distingue dans le monde deux sortes de lignes, les unes lumineuses - lignes d’un rayon lumineux qui revient sur lui-même - les unes lumineuses, les autres géométriques ou rigides, la vieille physique nous disait que c’est l’invariance des lignes géométriques qui garantit les équations de lignes de lumière. La théorie de la relativité opère le renversement absolu qui va avoir des conséquences énormes en physique, à savoir que les lignes rigides ne sont que des apparences, les lignes géométriques ne sont que des apparences et leur invariance découle d’un nouveau type d’équation entre lignes de lumière". C’est donc ce que la relativité restreinte fait - peu importe que vous sachiez, c’est juste ce point dont j’ai besoin - entre autres choses, entre autres choses, je dis pas que ça se ramène à ça, c’est un renversement fondamental du rapport conçu entre lignes lumineuses, lignes de lumière et lignes rigides ou géométriques.

Et c’est comme ça que BERGSON le présentera. Dans un chapitre du livre qu’il écrit sur ses rapports avec la théorie de la relativité, sur ses rapports avec EINSTEIN - ce livre étant "Durée et simultanéité" - et dans "Durée et simultanéité", BERGSON dira, une des grandes nouveautés de la théorie de la relativité c’est d’avoir renversé le rapport entre lignes rigides, lignes lumineuses, ou comme il dit, d’une manière encore plus belle, figures géométriques, figures de lumière. En d’autres termes c’est un monde de lumière. Qu’est-ce que ça veut dire ça ? C’est le rêve de BERGSON. Rappelez-vous, je l’ai dit l’année dernière ça. BERGSON il est scandalisé par ceci, par une chose...

Midi 5 très bien .. Il est scandalisé par une chose et, ou il trouve pas bien une chose. Il dit c’est quand même curieux, la science elle a complètement changé, elle a beaucoup changé. Mais la philosophie elle, elle a pas changé. On continue à faire de la philosophie comme sous Platon. Et c’est pas mal, ça veut pas dire que Platon soit dépassable ou qu’il faut plus lire Platon. Au contraire il faut lire Platon. Mais il faut lire Platon d’autant plus qu’on fait autre chose. Car ce n’est pas normal d’être dans un monde où la philosophie se raccroche à Platon alors que, en revanche notre science n’est plus du tout la science de l’Antiquité. Et il faut, disait-il, que la philosophie fasse pour son compte une évolution analogue à celle que la science a fait pour son compte. Bon, ça voulait dire quoi ? Eh bah, qu’elle transforme ses problèmes. Alors elle l’a bien fait d’une certaine manière mais en renonçant à elle-même, quand elle s’est fait épistémologie. À ce moment-là, elle s’est dit, bon on va réfléchir sur la science ! À ce moment-là, y a plus de philosophie c’est foutu.

Ce que Bergson voulait dire, c’était tout à fait autre chose." Être capable de faire une philosophie qui soit à la science moderne ce que la philosophie des anciens était à la science antique". Et ça, les anciens l’ont réussi. Donc nous, pourquoi qu’on réussit pas ? et pourquoi que... BERGSON pensait pouvoir le faire ? Si bien que, je crois que BERGSON est incompréhensible sans une idée qui était son secret à lui que, il réussirait à faire la philosophie correspondant à la science moderne, à la science du Xxème siècle. Ce qui était aussi à la même époque l’idée de WHITEHEAD. Après tout, il y a de quoi se consoler puisque y a beaucoup de ressemblances entre ceux qui se sont proposés ce but. Et avant tout pour eux, l’homme qui était en train de bouleverser la science à leur époque c’était EINSTEIN. Si bien que le grand thème de BERGSON c’était de montrer que la théorie de la relativité ne nous donne pas une vraie philosophie et qu’il faut trouver la philosophie qui correspond vraiment à la théorie de la relativité.

D’où la polémique, qu’on a pas du tout comprise, entre BERGSON et EINSTEIN, où BERGSON écrit ce livre "Durée et simultanéité" dont il interdira la republication. Et on a cru qu’il interdisait la republication parce qu’il estimait de lui-même s’être trompé scientifiquement. Mais je crois que c’est tout à fait faux. BERGSON avait une très très forte culture mathématique qui le rendait en tout cas capable de ne pas dire de bêtises en mathématiques et en physique. Donc qu’il ait compris la théorie de relativité, ça allait de soi. En revanche son livre n’a pas du tout été compris. Parce que les gens ont cru que BERGSON prétendait discuter les résultats de la relativité de EISTEIN. BERGSON, n’étant pas fou, se serait jamais permis une chose comme ça, aurait jamais cru qu’il était capable de discuter les résultats de la théorie de la..., chose qui d’autre part n’a strictement aucun sens. Ce que BERGSON se proposait, c’était de montrer que EINSTEIN en revanche était bien incapable de fournir la philosophie qui correspondait à la relativité et que lui BERGSON pouvait le faire. D’où son attaque contre EINSTEIN qui porte essentiellement contre l’idée d’EINSTEIN que il y aurait une pluralité de temps appartenant aux différents systèmes. C’est ça qui l’intéresse. Mais comme son livre a pas du tout été compris et que BERGSON il désirait pas tellement s’expliquer, il s’est dit bon bah ça a raté, il a interdit la republication, si bien que le livre..., mais il a été réédité enfin aujourd’hui malgré les vœux express de BERGSON dans son testament. Donc vous pouvez le trouver heureusement.

Mais vous voyez pourquoi j’introduis ça. C’est que toute cette histoire du plan d’immanence, du système d’image-mouvement, ça ne vaut, je crois, que avec cette perspective de la relativité. Ça ne vaut que si vous comprenez enfin que, ce monde d’image-mouvement en perpétuelle variation c’est quoi ? C’est les lignes de lumière.
-  C’est les lignes de lumière qui constituent l’univers matériel.
-  Et c’est ça qui constitue l’univers matériel des lignes de lumière.
-  Dès lors l’ensemble des lignes de lumière, on les appellera images.

Pourquoi ? Parce que ce ne sont pas des choses rigides, parce que ce ne sont pas des choses. Alors image, pour qui ? Pure lumière. La lumière est à elle-même. Bon, ce sont des images en soi. Ah ! ce sont des images en soi, la lumière est à elle-même, qu’est-ce que ça veut dire ça ? Voyez comment mon premier thème prépare déjà mon second thème que j’aurais hâte d’aborder du coup sur la lumière et l’ombre. Qu’est-ce que c’est cette pure lumière ? Eh bah oui le plan d’immanence, c’est un espace quelconque traversé et occupé par les lignes de lumière, « lumière qui se propageant toujours » - là je cite BERGSON, « lumière qui se propageant toujours - nous dit "Matière et mémoire" - ne peut pas être révélée »,
-  lumière qui se propageant toujours ne peut pas être révélée », formidable. C’est bizarre ça, qu’est-ce qu’il veut dire ? C’est l’état de la diffusion de la lumière. Qu’est-ce qui révèle la lumière ? BERGSON le dira. Quand est-ce que la lumière se réfléchit ? Là alors elle se révèle, quand elle est forcée de se réfléchir. Elle est forcée de se réfléchir sur un corps solide, par exemple. Elle est forcée de se réfléchir quand elle est "arrêtée". Dans le plan d’immanence, sur le plan d’immanence, BERGSON nous dit « la photo est tirée dans les choses ». En d’autres termes, la chose entre guillemets - on a vu que c’est un mauvais emploi du mot mais il faut bien parler - la photo est tirée dans les choses. C’est-à-dire les choses sont lumineuses en elles-mêmes. Les choses sont phosphorescentes.
-  C’est l’identité de la chose et de la lumière, que signifie image.

En d’autres termes il renverse complètement le rapport conscience / chose. En quel sens ? Pour tout le monde, strictement tout le monde avant BERGSON, la conscience est une lumière qui vient arracher les choses aux ténèbres, y compris pour la phénoménologie, y compris pour SARTRE. Le coup de génie de BERGSON, c’est - à ma connaissance c’est le seul, et là c’est de PLATON à SARTRE. Pour PLATON la lumière est du côté de la conscience. La conscience est l’image de la lumière. L’esprit est du côté de la lumière, etc. BERGSON tente un renversement qui me semble vraiment un renversement inouï, à savoir c’est la matière qui est lumière et c’est par là que EINSTEIN est passé par là évidemment, c’est la matière qui est lumière, c’est-à-dire ce sont les choses qui sont lumineuses, ce sont les choses, il n’y a pas d’autres choses que les figures de lumière, et ce que la conscience apporte, c’est le contraire de la lumière : c’est l’écran noir. C’est la zone d’obscurité sans laquelle la lumière ne pourrait pas se révéler, ne serait jamais révélée. C’est un renversement énorme, il me semble, dans l’histoire de la pensée.

Donc j’ai répondu à la question, si vous voulez, on reprendra là la prochaine fois, parce que là moi j’en peux plus. En quel sens et pourquoi appeler ce monde ensemble d’image-mouvement ? Ma réponse est uniquement en fonction - ou c’est avant tout, on verra la semaine prochaine si vous avez des remarques à faire - en fonction de la nature lumineuse et exclusivement lumineuse de ce qui se passe sur ce plan d’immanence. Ce plan d’immanence en tant que tel ne comprend pas d’écran noir. Il ne comprend que de la lumière qui se propage. La photo est tirée dans les choses, seulement comme y a pas d’écran noir, elle est translucide, elle est même transparente.
-  Ce sont des images en soi, des images pour personne, ce sont des figures de lumière qui constituent l’univers.

Voilà bon, la suite à la prochaine fois

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