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7- 27/01/81 - 1

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transcription : Christina Roski Deleuze Spinoza cours du 27/01/81 (1)

A 11h30, faites-moi signe, il faut que j’aille au sécrétariat.

-  Donc on aura une recréation à 11h30. N’oubliez pas de me donner vos fiches si ça vous intéresse.

Voilà ce que je voudrais faire aujourd’hui, et je voudrais que vous compreniez que, aujourd’hui, on aurait en quelque sorte un double objet, on aurait un double but. Je veux dire avancer dans le problème où j’en étais la dernière fois à savoir, une fois dit que, selon Spinoza, nous partons, nous naissons, nous sommes comme lancés, soumis à des conditions d’existence qui font que tout indique que finalement on ne peut pas s’en tirer quoi. On est soumis à des espèces de rencontre avec des corps extérieurs donc il y a très peu de chance que beaucoup nous conviennent. Il y a au contraire toutes les chances que sur le nombre des corps extérieurs agissant sur nous constamment, assez constamment, se fassent des rencontres avec des corps qui nous ne conviennent pas, c’est-à-dire qui décomposent nos rapports.

-  Donc comment s’en tirer finalement non seulement du point de vue de la connaissance puisque on est dans des conditions d’aveuglement absolu, de choc de corps, des rencontres avec des corps imprévisibles.
-  Donc non seulement du point de vue de la connaissance mais du point de vue de la vie tout court et pour Spinoza ce n’est pas pareil. La connaissance c’est vraiment un mode de vie.
-  Comment faire pour que très vite, un corps agressif, un corps empoisonnant ne nous décompose pas, ne nous détruise pas.

Ca c’est le problème commun de la connaissance et de la vie. Vous voyez déjà Spinoza a sa petite note à lui parmi les philosophes du 17eme siècle. C’est que comme tous, comme tous les philosophes du 17eme siècle, Spinoza dira très bien que, bien sûr, nous avons en puissance, nous avons potentiellement des idées vraies, des idées adéquates, des idées claires et distinctes. Et sans doute tous les philosophes du 17ième lorsqu’ils disaient que nous avions des idées vraies, que ce n’était par là que nous étions des êtres raisonnables. Il savait bien que ce n’était pas donné tout seul, tout fait. Ils savaient bien qu’il fallait un effort très singulier qu’ils appelaient méthode pour arriver à conquérir ce que nous avions déjà, à savoir les idées dites innées. Ces idées vraies qu’on appelait des idées innées c’étaient en fait des idées qui devaient être conquises à l’issue d’une certaine méthode et d’une certaine sagesse.

Ca n’empêche pas que, je crois, Spinoza met un accent particulièrement fort sur ceci : peut-être bien que les idées vraies sont des idées innées, ca n’empêche pas que dès notre naissance tout nous en séparent. Si bien que la conquête de ce qui est inné prend chez Spinoza une allure vraiment qui mobilise tous le mode de vie. Donc c’est ce point là, mais j’ai dit un double but aujourd’hui. Parce qu’en même temps je ne voudrais presque pas du tout affirmer mais m’interroger sur ceci : quelles sont les possibilités de Spinoza, que nous donne Spinoza quant à un problème moderne ou redevenu très vivant dans certaines philosophies modernes. Et on verra en quoi les deux sont liés. C’est-à-dire que vous le sentiez vous-même ce que j’ai precisé, faire un commentaire relativement strict de Spinoza quant au premier aspect de la question mais quant au second presque plutôt voir à quoi Spinoza peut nous servir quant à un problème qui nous paraît à nous un problème moderne.

-  Qu’est-ce que c’est ce problème moderne à partir duquel je vousdrais aussi donc interroger le texte de Spinoza. Ce problème moderne c’est ce qu’on peut appeler, qui est revenu si fort aujourd’hui : la sémiologie et par sémiologie on entend en gros la théorie des signes. Et pourquoi alors penser d’avance que Spinoza a peut-être quelque chose à nous dire au projet d’une sémiologie générale ? Ce projet moderne d’une sémiologie est venu évidemment d’un courant très important qui est la philosophie dite anglo-saxonne, mais particulièrement un très grand philosophe anglais - qui hélas est très peu traduit en France et qui s’appelle Peirce. Peirce qui est vraiment un philosophe très bizarre, très profond, vous ne trouvez qu’un livre traduit en francais aux Éditions du Seuil sous le titre "écrits sur les signes“. Et en effet à la même époque que Saussure, Peirce fait une théorie qu’il nomme lui-même une sémiologie. Pourquoi je dis à la même époque que Saussure ? Parce que c’est très important, ne serait-ce que pour la différence de base. C’est que Saussure avait un principe très simple. Je ne dis pas qu’il ne le complique pas, il le complique beaucoup. Mais le principe très simple de Saussure c’est à peu près : les signes c’est avant tout une entité conventionnelle.
-  Les signes c’est une entité conventionnelle. Ca lui permettait de distinguer, je ne dit pas du tout que c’était sa thèse seulement, c’est une espèce de point de départ qui lui permet de situer à Saussure, sa sémiologie. Ca veut dire, le signe a avec ce qu’il signifie, un rapport conventionnel. Un rapport d’institution et non pas un rapport naturel. C’est-à-dire, un rapport naturel ca serait quoi ? Ca serait un rapport de ressemblance, un rapport de continuité. Mais la c’est un rapport purement conventionnel. Je décide par convention que tel mot renvoie à telle chose. Vous voyez c’est le principe fameux de l’arbitraire du signe. Encore une fois, je ne dis pas que ce soit ça la théorie de Saussure, je dis que c’est ça le point de départ de Saussure pour distinguer le domaine du signe et d’autres domaines. Donc, nature conventionnelle du signe. Ce qui m’intéresse déjà c’est lorsque Peirce à la même époque lance sa grande sémiologie, il ne se contente pas du tout de ce caractère conventionnel pour même délimiter en gros le champs des signes, le domaine des signes. Et en effet il y a une remarque, qui a frappé ensuite beaucoup de linguistes, qui me paraît très importante pour lancer notre problème. C’est ceci : quand vous avez un mot, par exemple ; "boeuf". Que le mot boeuf désigne la chose avec des cornes et qui rumine et qui beugle. Ca, c’est un pur rapport de convention. Evidemment on pourrait y chercher une onomatopée, ce serait un rapport naturel, si on élimine l’onomatopée, ça n’irait pas avec "vache" : vache il n’y a pas d’onomatopée, c’est même impossible à trouver ? Vache désigne cette chose.. Est-ce que c’est vrai ? Beaucoup de linguistes ont quand même signalé ceci : c’est que si vous prenez le mot il a un double rapport. Vous allez comprendre toute à l’heure pourquoi je fais ce détour. Si vous prenez un mot il a un double rapport. Un double rapport avec quoi ? Il a un rapport avec la chose désignée, avec un désigné. Le mot vache désigne la vache. Ce rapport, peut-être que je peux - peut-être, admettons ou on en est dans les prémisses très simples. Je peux dire ce n’est pas un rapport conventionnel. Et en effet dans une autre langue ‚vache’ ne se dit pas "vache". Bon, d’accord. Mais un mot n’est pas seulment en rapport avec son désigné. Un mot, comme on dit, il a un ou des signifiés. Qu’est-ce que c’est ? Imaginez une langue,car il y en a, qui ait deux mots pour désigner boeuf vivant et boeuf mort. Ce n’est pas le même mot. Boeuf vivant et boeuf mort. Le désigné c’est le même, boeuf vivant ou mort. Mais il y a deux signifíés, il y a deux mots. En d’autres termes, vous comprenez, c’est tout simple : même si l’on dit qu’ entre un mot et son désigné, il y a un rapport conventionnel, ca ne veut pas dire necessairement qu’il y a un rapport conventionnel entre le mot et son signifié. Pourquoi ? Parce que les divisions du signifié, elles ne préexistent pas à la division des mots. Le signifé se divise suivant les mêmes lois que les mots eux-mêmes. On dira qu’il y a isomorphie. En terme technique on parlera d’une isomorphie du signe et du signifié. Ca dépasse ça le rapport conventionnel. En d’autres termes même pour les signes conventionnels il est douteux qu’on puisse definir leurs rapports constituant comme des rapports conventionnels. Pourquoi je dis ça ? Admettons que "conventionnel" c’est une assez mauvaise approximation de la nature du signe. Comment est-ce qu’on définira la nature du signe ? C’est là que j’interroge Spinoza comme ça. Pour voir si l’on peut tirer des conséquences. Je fais comme si le problème était extérieur à Spinoza pour le moment. On va voir que peut-être il ne l’est pas. Faisons comme si le problème était tout à fait extérieur à Spinoza. Et on se dit quand même il y a des textes de Spinoza, alors essayons de les extraire de leur contexte. Qu’est-ce que dirait Spinoza ? Eh bien, au fur et à mesure ou bien au hasard des textes, il me semble qu’il dirait trois choses. D’abord, ça va se compliquer, il dirait trois choses et vous verrez que le caractère conventionnel n’est qu’une conséquence de ces choses et non pas du tout la détermination principale du signe.

-  Je vois une première sorte de texte de Spinoza où il insiste sur la variabilité du signe. Peut être que les conventions en découlent. Mais Il nous dit : les signes, c’est bizarre, chacun réclame les siens. A quelle sorte de texte précis je fais allusion ? Au texte de Spinoza précisement où là on s’apercoit du coup que je ne lui colle pas sur le dos un problème qui serait forcé. Remarquez que ce serait, d’une certaine manière légitime, interroger un philosophe du 17ième sur un problème même s’il a quelque chose à nous dire là-dessus. Si ça n’est pas pour lui reprocher de ne pas avoir vu le problème, si au contraire pour se dire : il a vu quelque chose. Mais c’est même plus que j’ai fait puisque je suis sûr au moins que dès que je commence à dire variabilité du signe, que Spinoza, il a pleinement rencontré le problème par quelle voie ? Par la voie du problème de l’écriture, c’est-à-dire des Saintes Ecritures ; le problème est de l’interprétation de l’Ecriture, à savoir l’interprétation de l’Ancien Testament. Et que, après tout, s’il consacre tout un livre ou du moins la majeure partie de tout un gros livre, un des seuls qu’il ait publié de son vivant : le Traité Theologico-politique, à cette question de l’interprétation de l’ancien testament, là le problème que je lui colle en effet n’est plus un problème forcé, car comment voulez-vous qu’il ne rencontre pas fondamentalement le problème des signes ?

Et en effet on peut dire que d’une certaine manière le Traité théologico-politique est un livre d’une nouveauté, même actuellement. D’un point de vue d’une critique biblique, il reste un livre d’une nouveauté étonnante parce que je crois qu’il a une méthode que finalement personne n’a repris sauf peut-être encore une fois, d’où le lien que je fais, sauf certains, de ceux qu’on appelle les positivistes anglais actuellement. Mais il a le génie en plus je crois. Mais après tout je fais là un cour circuit historique. Peirce, il sort d’où ? Toute sa théorie des signes, il se réclame de qui quand il la fait ? Il se réclame du Moyen Age. Et le Moyen Age en effet develope dans tous les sens des théories des signes extraordinaires. Or que là il y est un point commun car Spinoza est très au courant sur les théories des signes du Moyen Age. Qu’il est donc un lieu commun entre la sémiologie actuelle et certains problèmes spinozistes, ça ne doit plus nous étonner.

-  Or je dis le premier caractère donc que Spinoza fixe pour les signes, c’est le contraire d’une fixité à savoir : sa variabilité fondamentale. Je dis : chacun réclame un signe. Et les signes de l’un diffèrent des signes de l’autre. Ce qui est signe pour vous, n’est pas signe pour moi. C’est déjà par là que le domaine du signe - vous voyez - se distinguera très grossièrement. C’est des choses très simples dont il faut partir, se distinguera du nombre des droits de la nature. Les lois de la nature ne varient pas pour chacun, les signes varient pour chacun, suivant le tempérament de chacun. Qu’est-ce que ca veut dire ? Qui c’est : Je réclame un signe ? et nous tous nous réclamons constamment des signes. Mais qu’est-ce que c’est que la situation [ ] Dans la vie quotidienne, on ne cesse pas de réclamer un signe : "dis-moi que tu m’aimes“, c’est fais-moi signe’, quoi. Oh la la ! tu ne m’aimes pas, pourquoi tu me regardes comme ça ? Qu’est-ce que je t’ai fait ? C’est ça la vie des signes. "T’as l’air de mauvaise humeur.“ "Mais non“ dit l’autre. "Si, si, t’as l’air de mauvaise humeur.“ "Non, je te jure.“ "Si, si, t’as l’air de mauvaise humeur.“ Etc. etc. et c’est parti. On est dans le domaine de cette variabilité fondamentale des signes : "Mais non je ne t’ai pas fait signe.“ Si, tu m’as fait signe.“ "Ah, est-ce que je t’ai fait signe ?“Arrète ! Trés bien Qui sait ? qui recueille cette situation ? C’est une dimension de notre expérience quotidienne. On vit comme ca, c’est pourquoi on a des vies si mauvaises. Et c’est là que Spinoza va nous tirer.

Alors, vous comprenez, si cette situation est répandue dans nos vies ! Mais on ne s’aperçoit même plus qu’on passe notre temps, qu’on est comme des enfants. Ce sont les enfants qui réclament tout le temps des signes. Eux-même sont condamnés aux signes, ils font des signes, quand ils ont faim ils se mettent à pleurer ; tout ça c’est vraiment un monde de signes. Qu’est-ce que veut dire le bébé ? Il est content, il n’est pas content ? De cette vie on n’est pas sorti. On en sort jamais. Quand on est amoureux c’est pareil ; Dieu, fais-moi signe. Peut-être que c’est un des fondements de notre croyance. Peut-être que dans notre croyance religieuse quand nous en avons, nous contractons, nous réunissons tous ces moments éparpillés des signes que nous réclamons à droite et à gauche et puis, en une fois, on réclame un bon gros signe qui nous ferait vraiment signe : "Dieu, envoie-moi un signe.“

-  Et en fait l’homme du signe c’est le prophète. Et c’est comme ça que Spinoza définit le prophète. Le prophète juif c’est l’homme du signe. C’est l’homme du signe sous quelle forme ? Voyez, on est tous des prophètes juifs dans notre vie. Le prophète juif il ne fait qu’élever à une puissance supérieure ce que nous vivons tous, à savoir cette réclamation du signe. Lui, il l’a élévée à une telle puissance que tout seul, face à face avec Dieu mais détournant sa face de Dieu il dit : "Lance-moi un signe.“ Et le rapport de Dieu et du prophète passe par le signe.

Or Spinoza, dans un chapitre splendide, disait dans le Traité Théologico-politique, même si vous ne lisez que ça, lisez le chapitre sur le prophétisme. Pour ceux qui s’intéressent à la question, la bibliographie n’est pas longue parce que, bien sûr il y a beaucoup de livres très beaux sur le prophétisme et surtout sur le prophétisme juif, mais si vous voulez prendre une connaissance à la fois très précise des problèmes de prophétisme juif et ne pas consacrer votre vie à cette question, il y a deux livres fondamentaux à ma connaissance : Le Traité Théologico-politique de Spinoza, il y a deux ou trois chapitres sur le prophétisme qui sont une merveille et d’autre part un livre d’un penseur juif francais, très très beau qui s’appelle Néher et le livre s’appelle "L’essence du prophétisme“.

Bon alors je reviens : le prophète réclame un signe, le prophète a avec Dieu un rapport des signes. Or chaque prophète réclame un signe particulier qui forcément lui est adapté. Vous voyez, ça c’est comme le premier caractère du signe, je ne vais pas loin, mais ça me permet de grouper au moins des situations concrètes. C’est dans cette voie sémiologique on évitera de définir le signe par la nature conventionnelle du signe, car ce n’est pas un caractère pertinent. Caractère conventionnel, quand il y a convention ça va découler d’autres caractères.

-  Le premier caractère qu’on va retenir c’est la variabilité du signe par opposition à la constance de la loi naturelle. Ce n’est pas compliqué. Deuxième caractère si je cherche dans le traité de Spinoza. Donc j’ai situé au niveau de la variabilité les textes principaux, c’est ce qu’il dit sur la prophétisme.

- Deuxième caractère : ce serait l’associativité. L’associativité du signe. C’est-à-dire le signe et là aussi, c’est d’une simplicité, c’est ça que j’aimerais bien que vous sentiez, faire de la philosphie et de la très grande philosophie comme Spinoza fait, c’est au besoin parfois dire des choses extraordinairement compliquées et parfois donner une lumière absolument nouvelle à des choses vraiment enfantines, quoi. Dire les signes c’est variable. Ca ne va pas loin en apparence mais si ça vous permet de grouper toutes sortes de choses, déjà ça va très loin là. Le deuxième caractère également très rudimentaire c’est l’associabilité du signe. Ca veut dire quoi ? C’est que le signe est un élément qui est toujours pris dans des chaînes d’association. Voyez alors, dès lors ce second caractère est un peu plus profond que le précédent. Pourquoi il est un peu plus profond que le précédent ? Parce que c’est sans doute le fait que le signe soit toujours pris, soit inséparable de chaînes associatives qui va expliquer qu’il est fondamentalement variable. Car, forcément, si le signe est inséparable des chaînes associatives dans lesquelles il entre, il variera avec la nature de la chaîne. Et c’est là, c’est à ce second niveau que Spinoza situe le langage. Ce serait même très, très curieux comme définition du langage qu’on pourrait extraire de Spinoza. Il ne définirait pas le langage comme système de signes conventionnels, encore une fois, même pas comme système de signes. Il définirait plus précisement : le langage c’est non pas le signe mais la chaîne associative dans laquelle entre le signe. Ce qu’il faut appeler le langage ça serait l’ensemble des chaînes associatives où entrent les signes. Spinoza nous dit à nouveau des choses enfantines. Il y a une association entre le mot et la chose. Par exemple entre le mot pomme et le fruit. Il prend lui même l’exemple de la pomme Entre le mot et le fruit il y a une assocation. Peu importe que cette association soit conventionnelle ou pas. Dans ce cas c’est une association conventionnelle d’accord mais c’est une association. Mais ce qui compte c’est que il ne faut pas l’isoler justement cette associaton. Parce que ce qui compte, si vous isolez l’association entre le mot et la chose désignée, vous ne voyez pas le tissu, le réseau d’associations plus profondes entre la chose désignée par un mot d’une part et d’autre part d’autres choses. Or vous ne pouvez penser le langage, jamais vous ne pouvez pas le penser au niveau d’un mot isolé, le langage. Vous ne pouvez pas penser le langage au niveau du rapport. Et là ça irait assez loin cette remarque. Vous ne pouvez pas penser le langage au niveau d’un mot isolé et la chose désignée par ce mot. Vous ne pouvez pas penser le langage au niveau du rapport entre les mots en tant qu’il renvoie à des rapports entre des choses.

- Et à ce moment-là il y aura isomorphisme entre les rapports entre les choses - il y a peut-être, si vous voulez, rapport conventionnel entre les mots et les choses, mais il y a isomorophisme entre les rapports entre les mots et les rapports entre les choses. Oui, ça c’est parfait comme formule. Enfin je veux dire, c’est clair. C’est pour ça que "conventionnel" ce n’est pas intéressant pour définir le signe. De toute manière vous avez un isomorphisme si vous prenez les rapports entre les mots et les rapports entre les choses. Or justement ces chaînes associatives qui unissent les choses comme nous unissons les mots, c’est quoi ? On voit bien en quoi ils sont variables. Elles sont variables pourquoi ? Exemple de Spinoza dans le Livre Deux de L’Ethique et c’est un très beau texte qui paraît très simple mais il faut se méfier sur le langage. Il dit : un paysan entend le mot cheval. Le mot cheval il est déjà pris dans une série associative avec d’autres mots et ces rapports des mots sont isomorphiques, isomorphes aux rapports de choses, à savoir : le paysan qui entend le mot cheval pense, selon Spinoza. Il pense champ, labour. On est dans un domaine extrêmement simple, rudimentaire mais encore une fois il me semble que déjà la thèse est très interessante. Quand vous donnez des exemples en philosphie il faut qu’ils soient toujours puérils, sinon ça ne marche pas. Mais si c’est un soldat ? Lui, il ne pense pas à un champ, labour, quand il entend le mot cheval, il pense à revue, guerre, mettre sa cuirasse etc. C’est donc, à la limite ce n’est pas le même mot puisqu’il est pris dans un cas, et dans l’autre il est pris dans deux chaînes associatives complètement différentes. Donc le signe c’est ce qui est inséparable de l’associativité. Vous voyez, s’il est variable c’est précisément parce qu’il est inséparable de l’associativité. Donc je dirais le second caractère du signe c’est : l’associativité.

Vous voyez, on a avancé je dirais plus précisément maintenant : conventionnel, n’est que... un caractère abstrait dérivé du signe.

Les vrais caractères réels du signe c’est :
-  Premièrement variabilité,
-  deuxièmement associativité

et troisièmement c’est quoi ? Le paysan : cheval, série associative, labour, champ, cheval, labour, champ. Qu’est-ce qui peut briser la chaîne associative ? Labour, champ, si Dieu le veut, il y a toujours un "si Dieu le veut“. Il y a toujours tellement un "si Dieu le veut“ que ce n’était pas par hasard que tout à l’heure je passais de la variabilité quotidienne à la variabilité prophétique. Lorsque je disais : "nous vivons d’une telle manière que nous ne cessons pas de nous réclamer les uns aux autres des signes’, nous apprenons assez vite que nos signes à nous ils sont toujours à recommencer alors on voudrait un signe qui nous rassure. Ce signe personne au monde ne peut nous le donner sauf le créateur du monde. Donc de ce signe éparpillé on passait à un signe divin, le prophète, la situation du prophète. Là, au niveau de l’associativité on trouve la même chose presque : Cheval, labour, champ, ah oui si Dieu le veut, c’est à dire s’il ne pleut pas demain, je peux labourer. Non je sais pas on lavoure quand il pleut ? Ca marche pour la récolte et le guerrier : "Ah, je monte sur mon cheval pour gagner la bataille mais si Dieu le veut. Comme une chaîne associative est à l’air libre, elle peut toujours être interrompue par sa propre garantie. Donc je réclame un recours, je réclame un signe des signes...

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