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1- 02/12/80 - 2

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Gilles Deleuze Spinoza cours du 02/12/80 - 1 transcription : Christina Rosky

Et l’inconnu du corps et l’inconscient de la pensée. Vous êtes une manière, vous êtes une manière d’être. Ca veut dire, vous êtes un ensemble de rapports de vitesse et de lenteur entre molécules pensantes, vous êtes un ensemble de rapports de vitesse et de lenteur entre molécules étendues. Et tout ça c’est l’inconnu du corps et c’est l’inconscient de la pensée. Alors bon, comment il va s’en tirer lui ?

-  D’où je peux passer à un second problème. A oui, parce qu’ il s’impose mon second problème, c’est évidemment, il s’enchaîne. C’est mais après tout pourquoi il appelle ça éthique et pas ontologie ? Son grand livre pourquoi il l’appelle "Éthique" au lieu de l’appeler "Ontologie" ? Il devrait l’appeler ontologie ! Non, il devrait l’appeller l’Éthique, il a sûrement bien fait. Il savait ce qu’il faisait, quoi. Il avait une raison pour appeler ça "Ethique". Donc, si vous voulez, ça va être le même problème. Je vous soulage, on répart à zero. On a fini là tout un pan les deux dernières fois et là, on vient de finir tout un premier pan sur l’Ontologie, Passe un second pan, pourquoi est-ce que cette Ontologie Spinoza l’appelle-t-il éthique ? Bon, et là aussi vous sentez qu’on va tomber en plein dans le problème : est-ce qu’une éthique est la même chose qu’une morale ? Est-ce que ça revient au même ? Si ça revient pas au même d’une certaine manière, est-ce que l’Éthique ce ne serait pas la seule manière dont l’Ontologie a quelque chose à nous dire sur comment vivre, que faire ?

-  Tandis que la morale c’est pas ça. La morale, peut-être, ça implique toujours mais il faudrait voir pourquoi. Peut-être est-ce que la morale ça implique toujours la position de quelquechose de superieur à l’être. Peut-être qu’une morale c’est indissociable de la position de l’Un superieur à l’être. Au point que si on croit, ou si on fait de l’ontologie, l’être en tant que être ou l’Un loin d’être superieur à l’être est au contraire un dérivé de l’être. Il ne peut plus avoir exactement de morale. Mais en quoi ? Voilà, je voudrais commencer par une histoire qui n’est pas difficile mais je voudrais la considérer rapidement pour elle- même. Toute la morale, il me semble, toute la morale du XVIIe siècle - Non je dirais de Platon au XVIIe. Qu’est-ce qui a pu se passer après ? On verra tout ça, mes formules, vous les corrigez de vous- même. Depuis longtemps, la morale consistait, d’une certaine manière, à nous dire quoi ? Eh bien, le mal n’est rien ! Le mal n’est rien. Et pourquoi c’était ça la morale ? On nous ne disait pas, avant tout : fais le bien. On nous disait d’abord : le mal n’est rien. Curieux ! Qu’est-ce que c’est cet optimisme ? Est-ce que c’est de l’optimisme ? Quoi alors ? Voilà que les philosophes étaient des espèces d’optimistes béats pour dire : le mal n’est rien ? Qu’est-ce qu’ils voulaient dire - il y avait tous les malheurs du monde ? Et voilà, ces types qui continuaient à dire le mal n’est rien. Je voudrais donc réfléchir là. Vous voyez, on repart à zéro.

-  Qu’est-ce qu’ils voulaient dire tous ces gens qui disaient "le mal n’est rien“ ? Depuis Socrate qui passe son temps à dire ça. Alors que oui, le malheur était là. Le mal il a toujours eu deux formes.
-  Le malheur
-  et la méchanceté. Le mal du malheureux et le mal du méchant. Ca manquait pas dès les grecs, des méchants et des malheureux. Et en plus, qu’est-ce qui fait qu’il y a du mal à première vue ? C’est que les méchants et les malheureux c’est pas les mêmes. Tiens, si les méchants et les malheureux c’étaient les mêmes, en effet le mal ne serait rien, il se détruirait lui-même. Le scandale c’est que les méchants ne soient pas forcément malheureux et les malheureux pas forcément méchants. Ca arrive de temps en temps mais pas assez souvent. En d’autres termes, si les méchants étaient malheureux et les malheureux méchants, le mal se détruirait, il y aurait une auto-suppression du mal. C’est formidable ça.

-  Il y a un auteur qui a beaucoup joué de ça tardivement. Il a dit : non, vous ne pouvez pas faire autrement, la loi du monde c’est que les méchants soient heureux en tant que méchants et que les malheureux soient innocents. Il a dit : et c’est ça le mal. Et perdu dans cette vision il écrit où ? c’est le marquis de Sade. D’où les deux grandes titres, n’est-ce pas, de deux grands romans de de Sade c’est "Les malheurs de la vertu“ et "Les prosperités du vice“. Il n’y aurait pas de problème du mal s’il n’y avait pas une irréductibilité entre le méchant par lui-même heureux et l’innocent, par lui-même, malheureux. Car c’est sa vertu qui ne cesse de rendre Juliette (c’est Juliette la gentille ?), qui ne cesse de rendre Juliette malheureuse. (C’est Justine, non c’est la méchante Justine.) Ce n’est pas par hasard que Socrate lui, déjà dans les dialogues platoniciens, ne cesse de se lancer dans une série de propositions qui à première vue, nous paraissent débiles et qui consistent à dire : dans le fond des choses, le méchant est fondamentalement malheureux et le vertueux est fondamentalement heureux. Bien sûr, ça ne se voit pas. Ca ne se voit pas mais il dit : "je vais vous le démontrer“. Il va le démontrer. Je précise pourquoi je fais cette longue parenthèse, alors aussi un peu débile : c’est pour vous faire sentir que d’une certaine manière il ne faut pas prendre les gens pour des crétins. Ce serait ça mon appel. Et que quand les philosophes très sérieux disent : "le mal n’est rien, seul le méchant est malheureux", ils ont peut-être une idée très bizarre derrière la tête et une idée telle qu’ils sont ravis si on leur dit : "mais t’es un rêveur !" Peut-être qu’on se trompe sur leur entreprise. Peut-être au moment même où ils disent ça ils sont très singulièrement diaboliques. Parce qu’on ne peut pas penser que Socrate croit à son truc. Il ne croit pas comme ça. Il ne croit pas que les méchants sont malheureux en tant que méchants. Il sait bien que ça ne se passe pas comme ça.
-  Donc, ma question c’est - c’est pour ça que je dis si on ne prend pas Socrate pour un idiot - on va se dire mais pourquoi il nous dit ça ? Dans quelle entreprise il est pour nous dire ça ? Alors que manifestement ce n’est pas comme ça. Il ne faut s’imaginer Socrate tellement perdu dans les idées et dans les nuages qu’il croit que les méchants sont malheureux. La cité grecque abonde de méchants très heureux. Alors est-ce qu’il veut dire qu’ils seront punis après ? Oui, il le dit comme ça. Il le dit splendidement, comme ça il invente même des mythes. Mais non, c’est pas ça. Qu’est-ce qu’il veut ? Qu’est-ce qu’il cherche ? Vous sentez déjà ?

-  C’est une espèce de cri : "alors le mal n’est rien". Mais il lance une espèce de provocation telle que le sort de la philosophie est en jeu là-dedans. A la lettre, je dirais : ils font les idiots. Faire l’idiot. Faire l’idiot ça a toujours été une fonction de la philosophie. L’idiot en quel sens ? En un sens qui va vraiment du Moyen-âge. où le thème de l’idiot est constant aux Russes, je veux dire à Dostoievski, un successeur de Dostoievski qui est mort il n’y a pas très longtemps, à savoir Chestov. Ca ne forme pas pourtant une tradition, Chestov ne se reconnaît pas dans Descartes. MaisJ’essaie de marquer très vite cette tradition, Je la répère pas au début, (si quelqu’un avait des idées là dessus, ce serait très bien même au hasard des lectures, il y a sûrement des travaux faits mais je n’ai pas eu le temps.) Je répère au hasard Nicolas de Cuses, un philosophe très, très important, il était Cardinal en plus. Nicolas de Cuses est un homme très très important de la Renaissance. Un très grand philosophe. Le Cardinal de Cuses lance le thème de l’idiot. Et ça a quel sens ? Ca a un sens très simple. C’est l’idée que le philosophe c’est celui qui ne dispose d’aucun savoir et qui n’a qu’une faculté, la raison naturelle. L’idiot c’est l’homme de la raison naturelle. Il n’a rien qu’une espèce de raison naturelle, de lumière naturelle. Voyez par opposition à la lumière du savoir et aussi par opposition à la lumière revélée. L’idiot c’est l’homme de la lumière naturelle. Ca commence donc à être Nicolas de Cuses. Descartes écrira un petit texte qui est d’ailleurs peu connu mais qui est dans les oeuvres complètes où il y a l’idiot dans le titre et qui est un exposé du cogito.

-  Et en effet, lorsque Descartes lance sa grande formule "je pense donc je suis“, en quoi c’est la formule de l’idiot ? Elle est presentée par Descartes comme la formule de l’idiot parce que c’est l’homme réduit à la raison naturelle. Et en effet qu’est-ce que Descartes nous dit à la lettre ? Il nous dit : "moi, je ne peux même pas dire l’homme est un animal raisonnable.“ Il le dit textuellement, je n’interprète pas. Il nous dit : "Je ne peux même pas dire l’homme est un animal raisonnable, comme Aristote le disait, parce que pour pouvoir dire l’homme est un animal raisonnable, il faudrait d’abord savoir ce que veut dire "animal’ et ce que veut dire "raisonable". En d’autres termes la formule “animal raisonnable“ a des présupposés explicites qu’il faudrait dégager. Or je suis incapable de le faire.“ Et Descartes ajoute : "je dis, je pense donc je suis.“ Ah bon ? Le contradicteur serait tout prêt à dire : "eh bien dis, t’es pas gêné toi parce que quand tu dis "je pense donc je suis", il faut savoir ce que veut dire penser, ce que veut dire être". Je pense, je suis. Ce que veut dire : je. Là Descartes devient très très curieux, mais ce sont les meilleures pages de Descartes, il me semble. Il devient très subtil. Il dit : "non, ce n’est pas pareil du tout.“ Voilà pourquoi ce n’est pas pareil : c’est que dans le cas : ’animal raisonnable il y a des présupposés explicites. A savoir, vous n’êtes pas forcé de savoir ce que veut dire : animal et raisonnable. Tandis que lorsque je dis "Je pense donc je suis“, prétend Descartes, c’est tout à fait différent. Il y a bien des présupposés mais là ils sont implicites. A savoir, vous ne pouvez pas penser sans savoir ce que veut dire penser. Vous ne pouvez pas "être" sans savoir au moins confusément ce que veut dire penser, vous ne pouvez pas "être" sans savoir au moins confusément ce que veut dire être. Vous le sentez d’un sentiment qui serait le sentiment de la pensée. En d’autres termes, animal raisonnable renvoie à des présupposés explicites de l’ordre du concept ; "je pense donc je suis“ ne renvoie qu’à des présupposés implicites de l’ordre du sentiment. Du sentiment intérieur

C’est très très curieux son intérêt d’autant plus que la linguistique moderne retrouve cette distinction des présupposés explicites et des présupposés implicites. Ils sont cartésiens sans le savoir, c’est très très curieux. Il y a un linguiste qui s’appelle Ducrot aujourd’hui qui fait toute une théorie à partir de la distinction des présupposés explicites et des présupposés implicites. Peu importe, voyez l’Idiot, c’est l’homme des présupposés implicites. C’est ça : la raison comme fonction naturelle. La raison naturelle. Vous ne pouvez pas penser sans savoir ce que veut dire penser, même confusément. Donc vous n’avez pas à vous expliquer. Descartes disait : je n’ai pas à expliquer ce que veut dire "je pense donc je suis“ chacun l’expérimente en lui-même. Tandis que ce que veut dire : "animal raisonnable", ça c’est écrit dans les livres. L’idiot s’oppose à l’homme des livres. L’homme de la raison naturelle s’oppose à l’homme de la raison savante.
-  Si bien que le cogito sera l’enoncé de l’Idiot. Donc, ce thème de l’Idiot est très fondé dans une tradition chrétienne, philosophique qui est la tradition de la raison naturelle. Alors par quel biais ? puis il a continué dans tout l’Occident. Il appartient bien à la tradition occidentale. Par quel biais est ce qu’il émigre en Russie pour être poussé au paroxysme ? Et pour prendre une nouvelle allure. Une nouvelle allure évidemment favorisée par l’orthodoxie russe, par le christianisme russe. Là donc j’ai toutes sortes de maillons qui me manquent sur la comparaison entre le thème de l’idiot russe puisque l’idiot est une figure fondamentale de la littérature russe, pas seulement chez Dostoievski. Et là aussi, d’une certaine manière, le personnage de Dostoievski, que Dostoievski appellera "l’Idiot", précisement lui, il est beaucoup plus dramatique que l’idiot de Descartes bien sûr, sa maladie etc. Mais il a gardé quelque chose de ça. La puissance de la raison naturelle réduite à soi. Tellement réduite à soi qu’elle est malade. Et pourtant elle a gardé des éclairs. Le prince, l’idiot il ne sait rien. Mais c’est l’homme des présupposés implicites. Il comprend tout. Cette figure de l’idiot continue à dire :"je pense donc je suis" au moment même ou il est comme fou ou bien distrait, ou bien un peu débile. Mais déjà Descartes acceptait de passer pour le débile. Qu’est-ce qu’ils ont ces philosophes à vouloir être le débile ? C’est très curieux comme entreprise déjà. Ils opposent cette débilité philosophique à la philosophie. Puisque Descartes, il oppose ça à Aristote. Il dit : "Non non, moi je ne suis pas l’homme du savoir, moi je ne sais rien“ etc. Socrate le disait déjà : "je ne sais rien, je suis l’idiot et que l’idiot de service“. Pourquoi ? Qu’est-ce qu’ils ont à la tête ?

Bon alors, qu’est-ce qu’il veut ? Je recommence, qu’est-ce qu’il veut Socrate quand il dit : "Ah, vous savez... mais si regardez bien, il n’y a que le méchant qui soit malheureux.“ Il pose un espèce de paradoxe, de l’auto-suppression du mal. Il faut voir si les méchants sont malheureux, il n’y a plus de mal. Mais pourquoi il n’y aurait pas de mal ou plus de mal ? Le mal n’est rien ! Ca veut dire quoi ? Voilà, ça veut dire : vous vous croyez malin, vous. Vous parlez du mal, mais vous ne pouvez pas penser le mal. Si les philosophes voulaient dire ça, ça serait intéressant. Pourquoi un philosophe aurait besoin de dire ça : vous ne pouvez pas penser le mal ? Et je vais vous montrer que vous ne pouvez pas penser le mal. Le mal n’est rien, ça ne voudrait pas dire que le mal n’est rien ; ça voudrait dire le mal n’est rien du point de vue de la pensée. Vous ne pouvez pas le penser. C’est un néant. Autant essayer de penser le néant. Dans les textes de Socrate, ou plutôt de Platon, le thème :"le mal n’est rien" parcourt deux niveaux. Un niveau grandiose objectif et un niveau subjectif. Le mal n’est rien objectivement, ça veut dire quoi ? Ca veut dire : tout mal se ramène à une privation et la privation se ramène à une négation.

-  Donc "le mal ce n’est rien“, c’est une pure négation. Le mal n’est pas. En effet il n’y a pas d’être du négatif. Voilà c’est très simple. C’est très simple et très difficile en même temps. Cette réduction, vous comprenez, du mal ou de la contradiction, si vous voulez, à la privation et de la privation à la simple négation. Supposons qu’il fasse ça, il developpe sa thèse. Et subjectivement le mal n’est rien, ça veut dire quoi ? Subjectivement, ça veut dire - Et là Socrate developpe tout son talent, il dit : "Ecoutez je vais vous le montrer par le dialogue.“ Il fait venir un méchant. Il lui dit : "Tu veux assassiner, non ?“ L’autre dit : "Oui, oui je veux assassiner. Je veux tuer tout le monde.“ „Ah“, dit Socrate, "tu veux tuer tout le monde. Mais pourquoi tu veux tuer tout le monde ?“ Alors le méchant dit : "Parce que ça me fait plaisir. Comme ça, Socrate, ça me fait plaisir.“ "Mais le plaisir, dis-moi, c’est un bien ou c’est un mal ?“ Alors le méchant dit : "Evidemment c’est un bien, ça fait du bien.“ Et Socrate dit : "Mais tu te contredis ! Parce que ce que tu veux, ce n’est pas tuer tout le monde. Tuer tout le monde, c’est un moyen. Ce que tu veux c’est ton plaisir. Il se trouve que ton plaisir c’est de tuer tout le monde. Mais ce que tu veux c’est ton plaisir. Et tu m’as dit toi-même, le plaisir est un bien, donc tu veux le bien. Simplement tu te trompes sur la nature du bien.“ Alors le méchant dit : "Socrate, on ne peut pas parler avec toi !“ Voyez c’est extrêmement simple.

-  Le méchant, subjectivement, c’est quelqu’un qui se trompe. Et ça va être très important pour nous cette formule, "le méchant". D’où la formule de Socrate :" Nul n’est méchant volontairement.“ Ce qui veut dire par définition : toute volonté est volonté d’un bien. Simplement il y en a qui se trompent sur la nature du bien donc ils ne sont pas méchants volontairement. Ils cherchent le bien. Il dit : "Je cherche "mon" bien.“ Mais Socrate dit : "T’as raison. Il faut chercher ton bien. Evidemment c’est ton bien. Alors toi, c’est assassiner, très bien, mais c’est toujours un bien, ton bien. Alors tu ne peux pas chercher le mal.“ Alors le méchant devient fou. Socrate espère qu’il va par là même se détruire lui-même. Cela marche à un certain niveau. Donc, vous voyez qu’est-ce que j’en retire ?

C’est que cette philosophie-là, qui nous dit : le mal n’est rien, qui nous le dit sur deux modes, sur deux registres ;
-  objectivement le mal est pure négation, il n’y a pas d’être du négatif. Et qui nous le dit subjectivement :
-  vous ne pourrez pas vouloir le mal parce que c’est contradictoire. Vous ne pouvez vouloir qu’un bien. Nul n’est méchant volontairement. Qu’est-ce qu’ils font ? Ils pataugent déjà dans quoi ces philosophes ? Non pas pataugent, ils sont déjà dans quel élément ? Ils sont dans l’élément du jugement.
-  En effet, le méchant c’est celui qui juge mal. Toute la philosophie va être apportée au système du jugement. C’est peut-être ça que la philosophie a inventé d’abord. Même si ça va être ruineux, catastrophique, je ne sais pas là. Je ne fais aucun jugement de valeur. Je crois que la philosophie est née avec un système de jugement.
-  Et l’homme méchant c’est celui qui juge mal. Et le philosophe il est peut-être idiot mais il est bon parce qu’il prétend juger bien. Supposons (j’en suis loin encore d’arriver à dire ce que je voudrais vous faire sentir, il faut tellement de mots pour arriver à un petit sentiment minuscule),
-  bon qu’est-ce que ça veut dire que la philosophie serait et se confondrait avec la constitution d’un système du jugement ? ça été peut-être pour le meilleur et pour le pire. C’est peut-être ça que, ensuite, certains philosophes ont essayé de secouer, et d’y échapper à la philosophie comme système de jugement. Un jugement sans sanction. La philosophie n’a jamais fait mal à personne, mais c’est vrai que les philosophes n’ont pas cesser de juger. Qu’est-ce qui les autorisait ? Sans doute, c’était eux qui avaient inventé le système du jugement. Ils avaient fait du jugement un système. Pourquoi et comment ? Qu’est-ce que ça veut dire ? Lá je vous dis presque le fond parce que ce sont des choses extrêmement simples. Mais je suis tellement mécontent, je suis tellement peu satisfait de ce que l’on dit généralement sur l’origine de la philsophie et y compris les héllenistes, les heideggeriens etc, que j’essaie de me débrouiller là pour mon compte.

-  Voilà ce que je voudrais dire : il me semble que la philosophie, elle a toujours commencé en prenant une forme très curieuse qu’elle n’abandonnera jamais, à savoir le paradoxe. Le philosophe est un type qui arrive en un sens c’est un bon à rien, c’est vrai : imaginer, dans la cité grecque, le philosophe : il se ballade sur la place publique, il est toujours prêt, il est toujours prêt à causer. "Ah bon“, Socrate qui commence : "où tu vas ?“ "Qu’est-ce qui t’arrives ?“ et puis la conversation s’engage. Mais ce n’est pas n’importe quelle conversation : on appellera la conversation philosophique celle où surgit le paradoxe qui désigne une certaine puissance. Une certaine puissance ou une certaine impuissance ? Et qu’est-ce que c’est le paradoxe au niveau le plus simple ? Vraiment, là je dis des choses rudimentaires, je ne me demande pas ce qu’est le paradoxe, je cherche un petit fil conducteur.

-  Et je crois que le paradoxe au niveau le plus simple ça consiste à vous dire : "il y a quelque chose qui "est" et en même temps vous ne pouvez pas le penser". Débrouillez-vous avec ça. X est, et pourtant merveille admirez ça : C’est impensable.
-  En termes techniques je dirais : le paradoxe, c’est une proposition qui consiste à poser l’impensabilité d’un "étant". Ce serait une bonne définition du paradoxe. ça le philosophe ne le dit pas : ce n’est pas. Il faut être là, les commentateurs sont vraiment lamentables. Je prends un exemple, un exemple en apparence différent de ce dont je parle mais c’est la même chose. Par exemple, il y a un paradoxe fameux d’un des premiers philosophes qui s’appelle philosophe, bien plus il est considéré comme l’inventeur de la dialectique, c’est Zenon. Il y a deux Zenon, il y a Zenon le stoïcien et Zenon d’Élée. Je parle de Zenon d’ÉLée, disciple de Parmenide celui qui disait : "l’Etre est.“ Voilà, donc le fondateur de l’ontologie. Zenon fait de fameux paradoxes qui concernent le mouvement. Et il explique qu’Achille par exemple ne peut pas rattrapper la tortue. Il explique que la flèche ne peut pas atteindre la cible. En d’autres termes, Zenon est un idiot. C’est ça être un idiot. Il explique donc : la flèche ne peut pas attraper la cible, ne peut pas joindre la cible, ni Achille rattraper la tortue. Vous vous rappellez comment il fait pour l’expliquer : il divise le parcours d’Achille ou le parcours de la flèche en deux. La seconde moitié, il la divise en deux etc. etc. à l’infini. Et il y aura toujours une distance si petite qu’elle soit, entre la flèche et la cible. De même, Achille fait un bond et il couvre la moitié de sa différence avec la tortue, il faudra qu’il couvre encore la moitié de ce qui reste, la moité du reste du reste, à l’infini : il ne rattrapera jamais la tortue. Vous me direz, ah bon, quand même Zenon a une forte culture mathématique grecque. C’est très intéressant. C’est très intéressant parce que ça fait intervenir ce que les Grecs avaient monté comme méthode d’exhaustion c’est à dire de l’analyse de l’infiniment petit. C’est moins pitrerie qu’il ne semblerait mais en quoi c’est de la philosophie ça ? Vous comprenez, Zenon n’est pas idiot. Socrate non plus. Il est idiot d’une autre manière. Mais pas à la manière dont on penserait parce qu’il sait bien que les choses bougent. Il sait bien qu’Achille ratrappe la tortue. Il sait bien que la flèche touche la cible. Il sait tout ça. De même Socrate sait bien qu’il y a des méchants

Donc ce qu’ils veulent nous dire c’est tout à fait autre chose : le mal ou le mouvement sont des étants. Seulement le probème c’est comment penser l’étant ? Ce que Zenon tente de montrer c’est que le mouvement en tant que mouvement est impensable. Ce n’est pas que le mouvement en tant que mouvement "n’est pas" comme le font dire beaucoup de commentateurs. C’est idiot ça. C’est que le mouvement en tant que mouvement ne peut pas ëtre pensé. Ce que Socrate veut montrer c’est que le mal en tant que mal ne peut pas être pensé. Bon voilà ça devient plus intérressant, c’est ça un paradoxe.

-  Un paradoxe énonce l’impensabilité d’un étant. Mais pourquoi est-ce que ça leur donne un plaisir intense, ces paradoxes ? Ils sont ravis. Plus on leur dit :" Mais tu es débile de dire ça : le mouvement n’existe pas, qu’est-ce que tu veux dire ?“. Ils disent :"Ah bon, comme tu peux toi. alors comment tu te débrouilles de mon paradoxe ?“ D’où la réputation que les philosophes ont toujours eu d’être des bavards. Ce ne sont pas des bavards, ce sont des hommes les plus silencieux du monde puisqu’ils pensent que finalement à la limite l’étant est fondamentalement impensable. Ca peut être consolant parce que si l’étant est impensable ce n’est peut-ëtre pas que l’être est pensable lui, mais penser l’être ce n’est pas facile. Et ça serait ça la philosophie alors. Mais peu importe, voilà. Pourquoi ils disent ça ? Pourquoi ils sont tellement contents ? A première vue ce n’est pas un triomphe pour la pensée, ce n’est pas une victoire pour la pensée. Loin de là. Elle ne peut pas penser le mouvement, elle ne peut pas penser le mal, elle ne peut rien penser.

Qu’est-ce qu’elle peut penser alors, la pensée ?
-  Elle va penser "l’être est“ : Parmenide.
-  Seule la justice est juste. Les hommes justes sont justes qu’en second, ce qui est vraiment et totalement juste, c’est la justice. La justice est juste, on peut faire des lithanies.
-  La vertu est vertueuse,
-  la sagesse est sage. C’est ce que Socrate fait dans une série de dialogues éblouissants mais qui exaspère tout le monde. On discute très longtemps pour arriver à la révélation : la justice est juste et il n’y a que la justice qui est juste. Il n’y a que l’être qui "est". On a envie de dire : il ne fallait quand même pas 40 pages, mais si, il fallait 40 pages. Parce qu’il fallait 40 pages puisque et cest inséparable de ceci, : l’étant est impensable. Qu’est-ce qui est pensable ? La pure idéalité, l’idée. Mais enfin c’est parfaitement brillant, pourquoi est-ce que les philosophes se rejouissent, moins ils arrivent à penser l’étant, plus ils sont contents, plus ils rigolent à leur manière. Ils embêtent tout le monde et puis ils expliquent qu’on ne peut rien penser, on ne peut pas penser le mouvement, on ne peut pas penser l’être, non, on ne peut pas penser le mal, on ne peut penser le devenir, on ne peut pas penser tout ce qui fait objet de paradoxe. Et ils arrivent en disant : oui, on peut penser : "la justice est juste,l’être est".etc.. Qu’est-ce qu’ils ont en train de faire ? comprenez ! Ils accomplissent vraiment le destin de la philosophie dans son surgissement il me semble originel, à savoir constituer un système de jugement.

-  Il s’agit de juger tout ce qui est. Et la possiblité de juger tout ce qui est c’est quoi ? C’est, à la limite, s’élever à la position de quelque chose qui est au-delà de l’être. On jugera ce qui est et on jugera l’être lui-même en fonction de quelque chose qui est au-dessus de l’être. On retombe sur l’Un au dessus de l’être. En d’autres termes l’idée de fond de toute cette philosophie, c’est seul le Bien avec un grand B - et c’est par là qu’elle a cette apparence optimiste. - Seul "le Bien fait être et fait agir". Seul le Bien fait être objectivement et fait agir subjectivement. Donc le Bien est au-dessus de l’être. Le Bien c’est l’Un. Dès lors on peut juger tout ce qui est. Il s’aggissait moins de décréter le mouvement, le devenir impensable que de les soumettre au système du jugement. En fonction de critères qui eux ne deviennent pas, qui sont les critères du Bien, qui ne sont pas en mouvement etc. Donc le Bien est à la fois raison d’être et raison d’agir. En latin ça deviendra le Bien comme : "ratio esandi et ratio agendi." Le Mal n’est rien forcément. Et c’est ça qu’ils veulent dire, le Mal n’est rien forcément. Puisque seul le Bien fait être et fait agir. Le Bien est au-dessus de l’être. C’est la condition du système de jugement. Alors finalement, si vous voulez, ce n’est pas au nom d’un optimisme niais, c’est au nom d’une logique, d’un logos poussé à l’extrême.

-  La puissance du paradoxe c’est le logos. Ce n’est pas le philosophe qui est optimiste, c’est la logique qui l’est. Elle ne peut pas penser le Mal, elle ne peut pas penser le mouvement, elle ne peut pas penser le devenir. C’est bien plus tard, bien plus tard que la logique va faire un mouvement considérable sur soi-même pour essayer de penser le mal, le mouvement et le devenir. Et la réconciliation du mal, du mouvement et du devenir avec la logique et avec la puissance de la logique marquera un tournant pour la philosophie.

-  Faudrait la fermer cette porte. Qu’est ce que j’ai fais de ma montre ? Quelle heure il est ? midi et quart ça marquera une date très importante.. En gros on peut dire que la réconciliation de la logique avec l’êtant comme tel, avec le mal, le devenir, le mouvement, ce sera quoi ? Ceseralegrand romantisme allemand. Ce sera Hegel. A ce moment-là la logique trouvera le moyen d’accorder un être au négatif. Il y a un être du négatif. Ce sera la réconciliation du logique si vous voulez, et du tragique. Jusque-là la logique avait été incurablement optimiste et au service du bien. Bon, voilà ce que je voudraisdire et je voudrais terminer vite parce que vous en avez assez. Voilà ce que je voudrais dire enfin : J’ai eu l’air d’abandonner complètement Spinoza. Le moment ou jamais d’y revenir c’est ceci. Je vais vous dire, comment il s’insère là-dedans ? j’ai l’air de faire une histoire de la philosophie qui s’en va par tous les bouts. Et c’est très curieux parce que Spinoza ne cesse pas de nous dire comme tout le monde à l’époque : le mal n’est rien. Il cesse pas. Tout le temps, il nous dit le mal n’est rien. Objectivement et subjectivement.
-  Objectivement parce que l’opposition se ramène à la privation et la privation se ramène à la négation. Il n’y pas d’être du négatif. - Subjectivement parce que le méchant c’est une erreur, la méchanceté c’est une erreur, le méchant c’est quelqu’un qui se trompe. Donc il n’arrête pas de nous dire ça. Bien plus, le problème du mal, il le traite pour lui-même dans un texte passionnant dont j’ai parlé la dernière fois, à savoir son échange des lettres avec Blyenberg et qui porte uniquement sur la question du mal. A la première lecture alors on se dit : "Oui, il dit ce que nous disait déjà des siècles avant Socrate, ce que beaucoup d’autres ont dit, c’est le système de jugement, c’est cette logique qui se refuse, qui ne peut pas penser le mal. C’est le fameux paradoxe-là du logos. Et puis, quand on lit en même temps qu’on lit on a une toute autre impression en même temps.

C’est que Spinoza, sous des mots qui ont été mille fois dits, nous dit complètement autre chose. Toute à fait autre chose. Qu’est-ce qu’il nous dit ?
-  Voilà ce qu’il nous dit : le mal n’est rien ! Et jusque-là, ça va très bien. Jusque-là ça peut être signé, c’est comme dans les pétitions, vous savez ? Vous pouvez signer la première phrase et puis vient la seconde phrase, alors là, je ne peut plus signer, non. Et bien, c’est la même chose dans l’histoire que je vous raconte. Le mal n’est rien, ça renvoie à qui ? Si on fait un concours. Alors on peut faire un concours. Qui peut dire ça ? Socrate ! Descartes ! Leibnitz ! Spinoza ! D’accord, à partir de là la phrase bifurque. Le mal n’est rien ? c’est une proposition qui n’est pas complète encore. Si on vous dit le mal n’est rien, il faut surtout être prudent, vous attendez, vous attendez - la phrase n’est pas finie. Tel quel c’est un non-sens. Puisque le mal ne peut être rien pour des raisons les plus opposées. Vous exigez des flèches de bifurcation et les uns prennent la première bifurcation :
-  le mal n’est rien parce que seul le bien "fait être" et "fait agir". ça c’est la voie : le bien c’est à dire l’Un au-dessus de l’être. Le bien fait être, c’est à dire l’être dérive du bien, l’Un est plus que l’être.

on va y retourner, hein ?? oui

Parce que le mal n’est rien, parce que seul le bien "fait être" et raison d’être et raison d’agir, c’est aussi signé Platon, c’est signé Leibnitz, qui bien plus, lui renouvelle complètement la formule :"le bien fait être et fait agir“, lui donne une interprétation très très curieuse, très, belle. Mais enfin elle est complètement dans cette première bifurcation. Et puis il y a un certain nombre des philosophes qui disent : "bien sûr, le mal n’est rien". Voyez, je ne suis pas limitatif parce qu’il y a en plus ceux qui disent : "Si, le mal est quelque chose.“ Il y a un être du négatif. Donc il y a beaucoup de variété. Mais je m’intéresse à la seconde bifurcation. Une race des philosophes étranges nous disent quoi ? Ils nous disent : "Oui, oui, d’accord le mal n’est rien.“ Ils ajoutent très vite, pour ne pas trop se faire entendre, ils ajoutent : "parce que le bien non plus.“ (rires) En d’autres termes, le mal n’est rien, bien sûr puisqu’il n’y a ni bien ni mal. ça rebondit. Qu’est-ce qu’ils veulent dire ? C’est des fous complets. Il n’y a pas de bien ni de mal ? Alors quoi, assassiner les gens - on peut y aller... n’importe quoi ! il n’y a pas de bien ni de mal. C’est l’égalité de l’être, quoi ? Bon, d’accord ! Est-ce qu’on peut faire n’importe quoi ? Ah non, ils disent on ne peut pas faire n’importe quoi. On leur répond : "Tais toi, ça revient au même.“ Non, ça ne revient pas au même, ce ne sont pas les mêmes choses que moi je vais défendre et que les autres vont défendre. Ce ne sont pas les mêmes choses. Et là ça devient plus intéressant. Mais défendre pourquoi ? Ca veut dire quoi défendre ? C’est un système de jugement. Ah, d’accord, j’ai dit un mot de trop, ce n’est pas défendre qu’il faut dire. Alors c’est quoi ? On va voir, c’est complètement différent. Le mal n’est rien qui signifie ni bien ni mal. Donc Spinoza se sert, il est très sournois Spinoza, vous voyez dans sa loyauté philosophique, dans sa grandeur. Il parle comme tout le monde pour dire quelque chose de complètement différent : le mal n’est rien, oui, mais moi je suis l’homme qui vous annonce qu’il n’y a ni bien ni mal et c’est pour ça que le mal n’est rien. Et là encore, longtemps après ce sera repris par quelqu’un qui intitule un de ses livres principaux : "Par delà le bien et le mal“. Et celui qui intitule ce livre principal : "Par delà le bien et le mal“ est si mal compris, tout comme Spinoza, qu’il éprouve le besoin d’écrire un autre livre principal intitulé :"La généalogie de la morale“, où il montre que la morale est une chose selon lui immonde mais qu’on a quand même mal compris son précédent livre : "Par delà le bien et le mal“. Et il lance cette formule qui pourrait, je vous jure à la lettre, qui pourrait être signée par Spinoza, qui répond à la lettre du "spinozisme" qui est : par delà le bien et le mal, comprenez : qu’il n’y ait ni bien ni mal, qu’il n’y ait pas plus de bien qu’il y a de mal, cela du moins ne veut pas dire par delà le bon et le mauvais. Ca veut dire, d’accord : il n’y a ni bien ni mal, mais il y a du bon et du mauvais. Il vaut mieux, si c’est pour dire ça, donnez-moi toujours le minimum toujours de confiance, peut-être que c’est énorme comme différence. L’éthique, il n’y a ni bien ni mal, il y a du bon et du mauvais,

voilà exactement la soudure entre l’éthique et l’ontologie. Il n’a ni bien ni mal, ça veut dire le bien n’est pas supérieur à l’être. Il n’y a que de l’être, bien et mal sont des mots denués de sens. Il n’y en a pas moins du bon et du mauvais alors que la morale est l’art du bien et du mal et leur distinction ou leur opposition est du triomphe de l’un sur l’autre, l’éthique est l’art du bon et du mauvais et leur distinction dans la mesure où la distinction ne recoupe pas à celle du bien et du mal.

Donc l’éthique est directement branchée sur l’ontologie, bien plus, je dirais qu’elle l’accompagne tout le temps mais elle en est le point de départ nécessaire. Ce début qui faisait qu’on ne pouvait pas s’installer immédiatement dans l’être, c’est que seul le débrouillage du bon et du mauvais peut nous porter jusqu’à l’être le plus vite possible.
-  L’éthique est la vitesse qui nous conduit le plus vite possible à l’ontologie. C’est-à-dire à la vie dans l’être. D’où l’importance du problème. Bon Alors, ce qu’il faut commenter c’est : le bon et le mauvais comme introduction à l’ontologie. À savoir : qu’est-ce que la différence éthique du bon et du mauvais par distinction de la différence morale du bien et du mal ? Là ça me paraît très simple, c’est-à-dire que je voudrais juste achever ce point, lancer juste ce point et remettre la suite parce qu’il faut que j’aille voter.. Je voudrais juste lancer l’analyse, pour que vous y pensiez, pensez y vous parce que je voudrais dire dans quel sens je veux développer maintenant. Pour moi, il y a deux différences. Il y a deux différences fondamentales entre la morale et l’éthique. C’est-à-dire entre l’art du bon et du mauvais et la discipline du bien et du mal. Je crois que le bon et le mauvais impliquent deux choses qui ne sont pas du tout, qui sont même inintelligibles pour la morale. Le bon et le mauvais impliquent d’abord l’idée qu’il y a entre les étants, c’est-à-dire les existants, une distinction quantitative.
-  Le bon et le mauvais c’est l’idée d’une distinction quantitative entre les étants, entre les existants. Ce qui revient au même, quantitative, mais quelle quantité, quelle quantité bizarre ? L’éthique est fondamentalement quantitative.
-  Et ma seconde idée c’est que le bon et le mauvais désignent une opposition entre une opposition qualitative entre des modes d’existence. Distinction quantitative entre les étants, opposition qualitative entre des modes d’existence. Qu’est-ce que ça veut dire ? Du point de vue de l’éthique, le mauvais, je dirais c’est quoi ? Je voudrais juste vous faire sentir en finisant des choses très concrètes pas du tout mises au point philosophiquement. On nous disait tout à l’heure, du point de vue de la morale, le méchant c’est quelqu’un qui se trompe, c’est-à-dire qui juge mal. Il se trompe sur la nature du bien. Il juge mal, il fait un faux jugement. Du point de vue de l’éthique je crois que le mauvais, ce que l’on appelle le mauvais c’est aussi du faux. Mais voilà ce n’est pas du tout la même conception du faux. Parce que dans le cas précédent, le faux c’était une détermination du jugement et en effet un jugement est faux lorsqu’il prend ce qui n’est pas pour être pour ce qui est. Cette table n’est pas rouge, je dis : "la table est rouge", je le prends pour l’inverse. Ca c’est le faux comme qualification du jugement. Est-ce qu’il n’y a pas un autre sens du mot faux ? Et en un sens c’est très compliqué parce que tous les sens se mélangent. Je dis par exemple : "Tiens on me rend une pièce d’or - et je dis : voyez le premier sens du mot faux : “Faux désigne quoi ? L’inadéquation de la chose et de l’idée dans le jugement. Je dirais : un jugement est faux quand il n’y a pas adéquation de l’idée de la chose et le faux a été très souvent dans toutes les philosophies de jugement, a été défini comme ça : le vrai c’est l’adéquation de l’idée et de la chose, le faux c’est l’inadéquation de l’idée et de la chose.
-  Je dis il y a un tout autre sens du mot faux. Qui précisément ne concerne plus le jugement. On me donne une pièce d’or et je la touche, je la mords comme dans les films, je la mords, elle se plie ou bien je prends ma petite bouteille d’acide et je dis, elle est fausse. Cette pièce est fausse. C’est du toc. Vous me direz c’est lié au jugement. Ca veut dire, cette pièce a une telle apparence qu’elle va susciter en moi le jugement :"c’est de l’or“ alors que ce n’en est pas. Mais ce que je viens de dire à l’instant c’est la façon dont le système du jugement interprète la fausseté de la pièce. Car pour que la pièce d’or fausse suscite un jugement d’après laquelle elle serait vraie, donc pour que faux signifie ici une adéquation de l’objet et de l’idée, il faut qu’il y ait eu un faux préalable : c’est en elle- même que la pièce d’or est fausse. Ce n’est pas simplement par rapport au jugement, elle ne suscite un jugement erroné que parce qu’elle se tient fausse en elle-même. Elle est fausse.

-  Faux n’est plus la qualification d’un jugement sur la chose, c’est une manière d’être de la chose. Je ne prétend rien dire de philosophique, je prétend indiquer, vraiment c’est du sentiment ce que je dis : "je dis de quelqu’un mais ce type là il est faux ce n’est pas du vrai". Curieux, vous me direz que c’est encore du jugement. Bizarre parce que c’est une espèce de jugement de goût. Je pèse la chose, je dis : ça, ça va pas ! j’ai parfois cette impression devant un mensonge, je sens quelque chose va pas là-dedans. Pensez aux pages prodigeuses de Proust, la manière dont il évalue un mensonge d’Albertine, quelque chose qui cloche. C’est bizarre, qu’est-ce qu’elle vient de dire ? Il ne se rappelle même plus ce qu’elle a dit. Il y a un rien qui fait qu’il se dit : "Mais elle est en train de mentir, c’est abominable. Qu’est-ce qu’elle raconte ?“ Il ne peut pas l’assigner. Alors, on peut dire toujours c’est du domaine du jugement ou du préjugement. Sentez que ça peut se dire, oui un philosophe du jugement ramènera ça au jugement, c’est-à-dire au rapport de l’idée et de la chose. Mais je dis c’est autre chose aussi. C’est en elle même que la chose est vraie ou fausse. Vrai ne designe plus, vrai et faux ne désignent plus un rapport de l’idée de la chose mais vraie et fausse désignent une manière d’être de la chose. Une manière d’être de la chose en elle-même. C’est complètement différent. Pourquoi on risque de confondre les deux ?
-  Le vrai et le faux comme qualification du jugement sur la chose
-  et le vrai et le faux comme qualification de la manière d’être de la chose. On risque de les confondre forcément. Je dirais que le second sens de vrai et faux c’est le sens le plus profond, il me semble. Le vrai et faux comme manière d’être de la chose. La manière de la chose est à l’être. Elle peut être vraiment ou faussement. Ca nous intéresse pour "l’éthique". Etre vrai à l’être. Ce n’est pas juger vrai, ça. C’est vraiment un mode d’existence. Etre vrai à l’être. Très compliqué. Ou être faux à l’être. Je dirais ça c’est le sens ou vrai et du faux, ça veut dire authentique et inauthentique.

-  L’authentique ça vient d’un mot grec compliqué, c’est vraiment : celui qui se tient en lui-même de manière à être vraiment à l’être. Bon, j’ai comme ça l’impression, devant des existences : elles ne sont pas authentiques. ça veut pas dire avoir une personnalité, encore une fois, c’est une manière d’être l’authentique et l’inauthentique. Par exemple, sentir que quelqu’un se force. Vous me direz sentir c’est un jugement. Non on va essayer de dire un peu plus que ça. Ce n’est pas un jugement, c’est exactement comme vous soupesez une lettre. Vous faites sauter dans votre main une pièce : trop legère, trop lourde, quoi ? Peut-être qu’on rejoint le thème de la vitesse et de la lenteur. Tiens, il a parlé trop vite. Il ment sûrement. Ou bien il traîne, il cherche ce qu’il veut dire. Ca va pas, ça va pas : trop lent, là. Ca ne marche pas aujourd’hui : il ne va pas bien. Qu’est-ce que cette évaluation ? C’est comme si on pesait le poids des choses. Ce n’est pas juger ça. Ce n’est pas confronter l’idée et la chose. C’est peser la chose en elle-même. C’est quoi ?

-  Je dirais c’est quelque chose qui est le contraire du système du jugement. C’est une espèce de monde d’épreuves. D’épreuve quoi ? reprenons le modèle du corps : "l’étonnant c’est le corps". Ce sont des épreuves comme physico-chimiques. Et on n’éprouve pas quelqu’un, c’est le quelqu’un qui ne cesse pas de se mettre à l’épreuve : il rate sa vitesse, il rate ses lenteurs. C’est inauthentique. Au contraire, vous savez, les jours où tout est malheur pour nous, dès le moment où on se lève on se cogne, on se cogne, on tombe, on glisse, on se fait engueuler partout ; alors on devient de plus en plus méchant soi-même. On est toujours en discordance. L’être en discordance c’est une manière d’être nos jours de malheur, rien ne marche. Ca a commencé dès le matin, oh là là, quand est-ce que ça va finir ? quelle journée ! C’est les journées de l’inauthentique. Chaque fois que je vais trop vite, je me cogne, chaque fois que je vais lentement, je glisse, Il n’y rien à faire. Vaut mieux se recoucher, mais en me couchant je ne sais pas ce qui se passe. C’est affreux aussi. Rien ne va, c’est la longue plainte, la longue plainte de l’inauthentique. Oh là là, je suis malheureux. Rien ne va, bon. Comme la pièce d’or : vous lui foutez la goutte d’acide, ah ! C’est l’épreuve ! Ce n’est pas un jugement, c’est l’épreuve. Qu’est-ce que peut la pièce d’or ? On ne sait pas ce que "peut le corps". Qu’est-ce quelle peut la pièce d’or qu’on vient de me remettre ? Elle supporte l’épreuve de l’acide, si elle est de l’or authentique, elle supporte.
-  Voyez, l’épreuve physico-chimique s’oppose au jugement moral. Et je dirais vous reconnaissez - finalement ceux qui pensent dans ce sens, on les a toujours appelés les immoralistes - Ils font passer une distinction entre authentique et inauthentique. Ca ne recouvre pas du tout la distinction du bien et du mal. Pas du tout. C’est une toute autre distinction. C’est très différent. Et vous les reconnaissez à quoi ces auteurs ?

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