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13- 24/03/81 - 3
Gilles Deleuze Spinoza cours du 24 Mars 1981 (13 C) Transcription : Sandra Tomassi Par cette formule dont personne ne s’étonne quelle soit grecque puisque pour Heidegger la philosophie est grecque. Cette formule c’est en grec, c’est trés joli en grec et puis il faut l’imaginer dans un chant, il faut l’imaginer rythmée, c’est "en panta " EN PANTA, ce serait ça le cri de la philosophie parce quand je crie "en panta", sentez c’est un cri.. "En Panta" les danseuses sont des philosophes, les danseuses crient en rythmant sur les tambourins : « EN PANTA, EN PANTA ». D’abord comment traduire « EN PANTA » ? qui traversera en effet, toute la philosophie grecque. « EN », c’est « l’Un ». E N ça veut dire Un « PANTA » : ça veut dire toutes les choses, c’est un nominatif pluriel neutre. Mais est ce que la peine de traduire « EN PANTA » ? Si « EN PANTA » est un cri, il n’y a pas tellement lieu de traduire ; ce n’est pas une proposition. Encore une fois il faut l’imaginer rythmé « EN— PAN-TA ». Mais mot à mot, ça veut dire, on traduit très souvent par : « L’Un tout », c’est une espèce de formule magique, mystique, l’Un Tout. Quand la formule est prononcée, quelque chose commence !. L’ « Un tout », en fait ce n’est pas une bonne traduction littérale puisque que ça ne rend pas compte du pluriel, donc il faudrait dire, on peut risquer : « l’un toutes choses ». Or de Platon au Néoplatonisme et bien plus même pas de Platon , des philosophes que l’on appelle les premiers philosophes c’est à dire les préocratiques, Héraclite, Parmenide, etc, en passant par Platon et en allant jusqu’aux Néoplatoniciens, c’est-à-dire après Jésus-Christ, le « EN PANTA », retentit partout.« L’Un tout » est comme le ralliement du philosophe. C’est bizarre ça ! Je peux au moins en conclure que la philosophie a toujours eu, je ne dis pas qu’elle s’identifie, mais elle a toujours eu un rapport trés particulier, une affaire particulière avec ce qu’on appelle le Panthéisme. Car qu’est ce que l’on appelle le Panthéisme ? Ce qu’on appelle le Panthéisme c’est quelque chose que l’on appelle d’une manière encore plus savante : le Pananthéisme. Et le Panthéisme et le Pananthéisme qu’est que c’est ? PAN qui veut dire tout, cette fois si au singulier, PAN tout AN, un, THEISME, « Theos », Dieu. Panthéisme ou Pananthéisme c’est « L’Un tout Dieu », « l’Un tout, ou l’Un toute chose, voilà ce qu’est Dieu », en d’autres termes Panthéisme signifie, ou pananthéisme signifie "l’Un toute chose, voilà Dieu". Bon, faut croire que si cette formule grecque le "en panta" qui encore une fois, les hante tous, est à l’origine de la philosophie, c’est qu’elle a à voir quelque chose avec l’essence de la philosophie, avec ce qu’est la philosophie au plus profond. Bon alors ce que constate juste, ce qui m’intéresse c’est que, il me semble, j’aurai voulu pouvoir le developper mais je ne le peux pas, que chez les plus grands philosophes, la reconnaissance de la formule ou plutôt du cri philosophique EN PANTA, s’est toujours accompagnée d’une tentative géniale, grandiose pour conjurer ou pour ne pas tomber, (et là, je suis très prudent), pour ne pas complètement tomber dans le Panthéisme que cette formule implique. Et là, il faut être très nuancé, parce que tomber à moitié oui, mais pas tout à fait. Il n’y a qu’un philosophe qui, à mon avis, accepte très tranquillement l’idée que la philosophie dès lors se confonde avec le panthéisme le plus pur, et c’est Spinoza. Seulement qu’est ce que ça veut dire ça ? Et après lui, non, ce sera fini, après lui, mais enfin il aura réussi le coup pour toute l’éternité ! C’est le seul qui ne dira pas : « Attention il faut distinguer !, il y a d’autres niveaux, ou bien c’est en un sens très spécial », c’est le seul qui prendra à la lettre et qui poussera jusqu’à ses dernières conséquences le "EN PANTA". Alors comment expliquer ça ? immédiatement si vous ouvrez l’Ethique Une des choses les plus nouvelles chez Spinoza, une des choses les plus nouvelles chez Spinoza, ça me paraît être l’affirmation suivante : il faut savoir où il est le nouveau, parce qu’il y a ce qui découle de la chose nouvelle, mais si vous partez de ce qu’il découle, vous ne pouvez pas bien comprendre. Je crois, ce qui est le plus nouveau dans tout l’appareil théorique de Spinoza, c’est l’affirmation que : les mêmes formes, ou si vous préférez, les mêmes attributs, (en prenant attribut au sens plus simple) - ce qui a est attribué - les mêmes formes, les mêmes attributs sous la même forme, se disent de Dieu et des choses. » Voilà une proposition, j’insiste la dessus, qui pour, à mon avis, la grande majorité des autres philosophes est une hérésie, une proposition fondamentalement impie et bien plus un non-sens. Or Spinoza, il lance cette formule très, très tranquille. Il faut voir à l’époque ce qu’il risque, qu’est que cela à entraîné ? Pourquoi Spinoza est resté un modèle de quelque chose d’effarant ? Tous ça, ce n’est pas innocent. Nous, alors on le lit comme ça aujourd’hui où notre problème n’est pas exactement cela, mais vous savez, ça continue à travailler nos problèmes, simplement il suffit que vous le viviez assez. c’est très bizarre cette proposition : « Les mêmes formes se lisent au même sens, s’attribuent sous la même forme à Dieu et à toutes les choses ». Pourquoi elle est extraordinaire cette proposition ? Parce que la plupart des philosophes disaient, qu’est ce qu’ils disaient pour mieux comprendre cette nouveauté énorme de Spinoza ? les autres philosophes ils disaient « Attention ! vous pouvez attribuer à Dieu et aux choses un même mot, mais pas sous le même sens, évidemment pas sous le même sens ! évidemment pas sous le même sens Exemple, vous dites : « Dieu est juste », et puis vous dites « tel homme, Pierre est juste », ce n’est pas sous le même sens, pour une raison simple, ce que, dans un cas, c’est la justice finie d’un l’homme ; et dans l’autre cas, c’est la justice infinie de Dieu. Et ce n’est pas la même forme, ce n’est pas sous la même forme. Bon ! Alors pour un même mot, il aurait plusieurs formes. Dans quel rapport ? la justice de l’homme sous la forme finie est elle avec la justice infinie de Dieu sous la forme infinie ? Dans quel rapport, une forme finie peut-elle être avec la forme infinie ? Grand problème, énorme problème qui va animer toute la théologie. En tout cas, c’est une hérésie, bien plus c’est un blasphème, que dire que les mêmes formes en tant que les mêmes,« en tant que », j’ai besoin de dire en tant que, les formes en tant qu’eux mêmes appartiennent à Dieu et à l‘homme. Avant on nous aurait dit les mêmes noms peuvent appartenir, mais pas sous la même forme. Bon, Spinoza lui alors il va vraiment sans nuance. Qu’est ce qu’il veut dire ? Toutes les formes qui peuvent être attribuées à Dieu, c’est des formes aussi sous la même forme qui s’attribue à l’homme. Sous la même forme. Qu’est ce que c’est que les formes qui peuvent être attribuées à Dieu ? Ce n’est pas difficile,là, le critère, Spinoza le conserve. Il dira que les formes qui peuvent être attribuées à Dieu et qui le pouvant dés lors, le sont nécessairement, c’est quoi ? c’est toutes les formes que nous pouvons concevoir comme élevables à l’infini. je passe très vite parce que c’est tout simple : prenez une forme quelconque, une forme ou une qualité. forme = qualité Prenez une qualité quelconque et demandez vous, si je peux la concevoir comme infinie ? Si vous dites oui, à ce moment-là, vos l’attribuez à Dieu, c’est un attribut de Dieu. Le critère est simple, ce n’est pas dificile.
exemple : Rouge, est ce que je peux concevoir un rouge infini ? Là ; je ne souhaite pas vous persuadez. Au moyen âge, au XVI °ou XVII° siècle, ils sont tous d’accord, il n’y a pas de rouge infini. Penser un rouge infini, c’est contradictoire. Toute couleur implique une figure, je ne sais pas s’ils ont tort ou raison, on ne va pas leur discuter ça, ça ne change rien l’exemple ! Dès lors, je ne peux pas dire " Dieu est rouge", parce rouge est bien une forme, forme de couleur, mais il n’est pas élévable à l’infini.
Donc, je cherche comme ça, "chaud" : est ce que je peux parler d’une chaleur infinie ? non !, ils diront la chaleur c’est du domaine de l’indéfini, ce n’est pas du domaine de l’infini », ils tiennent beaucoup à cette distinction. Peu importe, là, encore, on ne discute pas de ça !.
Spinoza, trouve deux formes et encore tout le monde ne serait pas d’accord avec lui, (mais ce n’est pas là-dessus que je voudrais que porte la compréhension).
Ce qui est intéressant, c’est que Spinoza va développer toute une doctrine selon laquelle ces mêmes formes, la pensée et l’étendue que nous attribuons à Dieu, ces mêmes formes d’infinis, elles appartiennent aussi, à quoi ? Aux choses finies, sans doute, mais elles n’appartiennent pas de la même manière : Ce n’est pas de la même manière que la pensée et l’étendue appartiennent à Dieu, et appartiennent à vous ou moi. Mais c’est sous la même forme qu’elles appartiennent à l’un et à l’autre. Comprenez cela devient assez compliqué et en même temps c’est lumineux, l’idée est que les formes sont égales, les attributs sont égaux. Ce sont les mêmes attributs qui vont se dire de Dieu et des êtres finis. « Le même », ça, ne veut pas dire que Dieu et les êtres finis soient "le même". En d’autres termes, ce sont des formes égales qui se disent « par rapport » et qui se disent de termes qui eux sont inégaux, ne sont pas égaux. Il y a des formes communes à Dieu et à la créature. Qu’est ce que disaient les autres ? À ma connaissance, ils disaient : « ou bien il n’y a pas de formes communes à proprement parler, ou bien ils disaient, il y a des formes analogues entre Dieu et les créatures, c’est-à-dire, ce que la forme infinie est à Dieu, la forme finie l’est à la créature. Donc on nous disait : "ou bien les formes ne sont pas les mêmes", ou bien on nous disait "il y a analogie de formes". Spinoza est le seul à nous dire : " Il y a communauté de formes." Ce sont les mêmes formes qui se disent de Dieu et qui se disent des êtres finis. Donc Dieu et les êtres finis ne sont pas les mêmes, mais les formes qui se disent de l’un et des autres sont les mêmes » : comprenez, c’est la formule théorique du Panthéisme. Si ce sont les mêmes formes, la formule « EN PANTA » « le tout un » ou « l’un toutes choses », ce sont les mêmes formes qui se disent de l’un et qui se disent des choses. Dès lors, les choses sont dans « l’ Un » et « l’Un est dans les choses ». Ils ne sont pas les mêmes, mais ils ont les mêmes formes. En quoi c’est important pratiquement cette formule ? Et en quoi c’est ça l’ontologie, l’être ? Je vous raconte une histoire et là aussi je voudrais que vous sentiez à quel point c’est une affaire ce qu’il s’agit aussi du problème de qu’est ce que c’est que créer en philosophie. Jusqu’à l’un certain auteur, je crois, la pensée a fonctionné en terme d’alternative, de disjonction. On disait, « c’est ceci ou c’est cela ». on peut toujours raconter les choses comme ça, pendant longtemps ». La pensée n’a pas trouvé le besoin de mettre en question ce principe. Alors quoi, tu vas dire, « ceci ou cela ? C’est l’un ou c’est l’autre ». Je pense à une chose très simple. C’est du fini ou c’est de l’infini ? Et bah réponds ! Et si je réponds c’est de l’indéfini ? Ah non, non, non !, si c’est de l’indéfini, c’est qu’une conséquence du fini ! « Et bien, c’est du fini ou c’est de l’infini ou bien c’est de l’universel ou c’est du singulier ? » Et d’une certaine manière, il faut bien que ça soit l’un ou l’autre. Exemple : « animal », je dis « animal », c’est un grand mystère que je vous découvre là. Je dis « animal », l’air de rien. Bon, vous êtes en droit de me dire, mais quoi « animal », en quel sens ? Pourquoi est ce qu’à première vue il y a deux sens ? « animal » ça peut être un genre, le genre animal.. Où ça existe le genre animal ? C’est que l’on appellera « un universel » où ça existe un universel ? ça n’existe pas dans les choses, vous n’avez jamais vu un animal tout court. Ce n’est pas possible de voir un animal tout court ! Si c’était un animal tout court, ce serait quoi ? combien aurait-il de pattes ? Ce n’est pas possible ! Donc « animal » tout court n’existe que dans l’esprit. Le mode d’existence du genre « animal » est un mode d’existence dans l’esprit. L’universel existe dans l’esprit, nous dit-on. Et dans les choses qu’est-ce qui existe ? C’est tel « animal » l’animal singulier. Ah oui, là il y a des animaux singuliers. Grand problème, quel rapport y a t-il entre les animaux singuliers et l’animal universel dans l’esprit ? D’où toute une opposition entre le : in re et in mente, « dans les choses » et « dans l’ esprit ». Pour ça il y a toutes sortes de philosophies qui sont toutes entières construites sur de pareilles disjonctions. Arrive un philosophe - et à ma connaissance et c’est ça qui me trouble, je crois et d’après les savants et il faut bien interroger les spécialistes, c’est un philosophe très particulier - arrive un philosophe arabe au XI° siècle, arabe iranien. Il écrit tantôt en arabe, tantôt en iranien. Il s’appelle Avicenne. C’est un très très grand philosophe ça fait partie toujours de la honte pour l’histoire de la philosophie en France qu’on fasse toujours ce court-circuit sur le Moyen âge, sur ce qui s’est passé, etc. Avicenne. Je connais très mal Avicenne, je sais juste qu’il y a une thèse qui apparaît chez Avicenne et qui est très très insolite. Il dit : "voilà, il y a des Essences ". Jusque-là, rien de nouveau. les essences les philosophes ils ont beaucoup parlé des essences. Il dit par exemple, " l’animal, c’est une Essence". et il dit : « est-il possible de penser une essence pure ? » dit Avicenne l’arabe. il dit : « Oui, oui. Seulement il faut voir à quoi ça engage. l’Essence animale - une découverte philosophique ça a l’air de rien ; moi ça me plaît beaucoup ça - il lance une formule, là aussi c’est une espèce de cri, un mot d’ordre : « animal tantum » ça a l’air de rien il dit "animal tantum" dans un texte, je parle de la traduction, il a été très vite traduit en latin, ce qui veut dire « animal seulement ». Et qu’est ce que ça veut dire "animal seulement" ? comprenez c’est très important. Il nous dit, si vous voulez penser la pure essence : c’est « animal en tant qu’animal », c’est-à-dire, ni universel, ni singulier. Et il dira lui même dans d’autres textes à propos d’autres exemples, « ni infini, ni fini ». Tiens ! Il reconnaît parfaitement, il est d’accord qu’il y a deux grands modes d’existence : l’universel dans l’esprit et le singulier dans les choses. Mais justement, il n’y en aurait pas deux ... s’il n’y avait pas un « tiers-état » - ça c’est pour plaire à Anne (Querrien)- il faut un tiers état - S’il n’y en avait que deux, on ne comprendrait même pas qu’il puisse y en avoir deux, qu’il n’y ait que ces deux-là. Car s’il y a l’universel dans l’esprit, à ce moment-là, il n’y aurait pas d’animaux singuliers. Et s’il y avait pas d’animaux singuliers, il n’y aurait pas d’animal universel dans l’esprit. Il ne peut y avoir l’un et l’autre parce qu’il y a un tiers. le tiers, c’est quoi ? C’est l’Essence animale, et celle-ci, elle n’est ni universelle, ni singulier. Elle est hors de ces critères-là. (intervention inaudible d’Anne Querrien) tu crois que c’est pour Joseph qu’il se bat ? (intervention inaudible d’Anne Querrien) Alors, comprenez ça a l’air d’être complètement insignifiant. Imaginez les autres, là ça devient intéressant : quelqu’un arrive et vous dit : « Ecoutez à mon avis, il faut faire un concept qui serait un concept de l’Essence, et un tel concept qui n’est ni universel ni singulier. Non, Il n’est ni infini, ni fini. L’Essence n’est pas justiciable de ces critères-là. Prenez un philosophe de l’époque, il peut dire : "qu’est ce que tu racontes ? c’est un non-sens, c’est un pur non-sens, cette histoire là : qu’est ce que c’est cette essence qui ni singulière ni universelle ? Même Platon, qu’est ce qu’aurait dit Platon d’un truc comme ça ? À mon avis, il aurait dit, « C’est une idée de sophiste ça, non ça ne va pas » ! Alors il y a ceux qui disent c’est un non-sens, il y a ceux qu’on peut imaginer beaucoup plus méfiants qui disent : "pourquoi il dit ça, qu’est-ce qu’il va nous ramener, comment il va développer son histoire ? on sent qu’il y a déjà des choses qui sont déjà engagées. Qu’est-ce qui va changer, y compris dans la théologie, si j’introduis ce tiers-état de l’Essence , ni universel, ni singulier, ni fini, ni infini. Est-ce que ce n’est pas déjà la voie où quelque chose échappe à Dieu ? Qu’est-ce que c’est que ça ? on peut voir comment ça se développera chez Avicenne, mais ça serait trop compliqué. Quelque temps après qu’est ce qui surgit chez un autre philosophe ? Jusque-là, la moyenne des philosophes, (je regrette de m’exprimer si vaguement), nous disait à propos de l’être et du problème de l’être :
« Il y a Dieu, l’être infini, puis il y a les êtres finis.
L’Etre infini se dit de Dieu, l’Etre fini se dit des hommes. Voilà que, après Saint Thomas, un étrange étrange philosophe qui s’appelle Duns Scot, qui sera nommé - parce qu’il se donnait des espèces de surnoms au moyen-âge - qui sera nommé par ses disciples « Docteur subtil », dit : "non, c’est pas ça !" et que cela va ensuite déchaîner des luttes, mais des luttes au couteau entre les Thomistes et les Scotistes. Luttes qui ne sont pas terminées aujourd’hui. Donc il s’agit bien de quelque chose mais de quoi ? et qu’est ce qu’il dit Duns Scot, il dit : « et bien voilà Bien sûr - il faut comprendre en quoi il est subtil - bien sûr, lorsque vous rapportez l’Etre à Dieu et aux créatures, vous ne pouvez le rapporter que de manière analogique. Pourquoi ? Parce que Dieu et les créatures ne sont pas "le même". Il croyait se garantir contre le Panthéisme en disant ça. Mais, glorieux et malheureux, car qu’est ce qui va lui arriver - il ajoute , « D’accord Dieu et les créatures ne sont pas les mêmes, donc l’Etre ne leur est pas rapporté d’une seule et même manière, il leur est rapporté d’une manière analogique. Mais en revanche Cet être qui est rapporté de manière seulement analogique à Dieu et aux créatures, en lui-même, il est strictement univoque : il n’y a qu’un seul et même Etre. Qu’est ce que vous voulez répondre à ça ? sinon « Ah oui, c’est vrai, il faudrait ajouter, s’il y a de l’Etre, il n’y a qu’un seul et même Etre. » Ce qui n’est pas le même, ce à quoi je rapporte - je me fais très complaisant, et je dis d’accord sur tout - Vous me dites qu’il y a des créatures, je vous dis d’accord. Vous me dites qu’il y a Dieu, et je suis d’accord, et vous rajoutez que Dieu et les créatures ne sont pas du tout les mêmes, et je suis d’accord. Vous ajoutez que je rapporte l’Etre à Dieu, quand je dis "Dieu est", aux créatures quand je dis "les créatures sont". Je rapporte l’Etre. Vous ajoutez : ce n’est pas sous le même rapport que je rapporte l’Etre à Dieu et aux créatures. Évidemment ce n’est pas sous le même rapport que je rapporte l’Etre aux dieux et aux créatures et vous concluiez dès lors que l’Etre est analogique. Et là je dis : « rien du tout », « non », « vous ne pouvez pas ». Pourquoi ? Parce c’est vrai que l’Etre est analogique quand vous le rapportez à Dieu et aux créatures, mais quand vous le pensez en tant qu’Etre sans le rapporter à rien, qu’est-ce qu’il est ? Réponse splendide : "Il y a un concept d’Etre qui est absolument indifférent au fini, à l’infini". L’Etre en tant qu’Etre, il n’est pas plus infini que fini. Dès lors, c’est le même. Ce concept d’Etre qui n’est ni fini ni infini, et qui est l’Etre en tant qu’Etre, il est strictement le même, bien qu’il cesse d’être le même quand vous ne le rapportez pas aux mêmes choses. D’accord, mais en lui-même, il est le même, donc il y a un être qui est ni fini, ni infini. Vous voyez que c’est exactement le même coup au niveau de l’Etre que le coup d’Avicenne au niveau de l’Essence, que fait Duns Scot contre Saint Thomas, à savoir, « l’Etre est univoque ». Il n’y a qu’un seul et même sens du mot être : ni fini, ni infini, bien que l’être se rapporte à des choses qui elles n’ont pas le même sens : Dieu et les créatures. Imaginez-vous l’état d’un Thomiste devant ça ! En quoi, peut-on parler de haine intellectuelle ? Ce n’est pas la faute de la philosophie, vous savez. Vous comprenez les objections, c’est toujours des passions. les objections ça ne portent jamais, c’est des ripostes de guerre, une objection. Qu’est ce que vous voulez dire à cette thèse de Duns Scot ? Si vous êtes Thomiste, votre raison vacille ! vous dites, vous dites "pas du tout, l’Etre en tant qu’Etre, c’est pas ce que tu dis" ! si vous êtes Thomiste vous êtes condamné à affirmer ceci : "cet Etre en tant qu’être c’est un non-sens abominable. C’est une hérésie, c’est contraire à la Révélation, c’est contraire à la raison. Donc, un Etre qui n’est ni fini, ni infini, ni universel, ni singulier, un être qui est - comme disait Duns Scot et là le mot est formidable pour nous - "neuter", c’est à dire « neutre », c’est à dire neuter ça veut dire quoi en latin ? ça veut dire « ni l’un ni l’autre ». (intervention inaudible d’Anne Querrien) Pas au moyen-âge, pas chez Duns Scot, après Spinoza mais il ne dira pas "neuter" justement. Alors bon ! il ne faut pas beaucoup de savoir, vous comprenez, pour évaluer ce qui a de nouveau dans une pensée Ce n’est du niveau de la discussion. C’est pas affaire d’argument. voilà un type qui vient de découvrir un nouveau domaine, c’est vraiment comme un nouveau territoire : le territoire de l’Etre. il ne nous dit pas grand chose, à première vue, c’est simple , c’est pas difficile : ça n’est ni infini, ni fini, ni singulier, ni universel,,. Est-ce qu’il a besoin de dire beaucoup plus, puisque chacune de ses propositions est un énorme paradoxe par rapport à la pensée du temps et même encore par rapport à aujourd’hui. Parce qu’on a tendance à se dire, « il faut bien que quelque chose soit ceci ou cela ! » et bien non ! Seulement vous voyez où en reste Duns Scot : il découvre une nouvelle sphère, celle de l’Etre en tant qu’Etre, seulement il la neutralise. C’est un concept purement logique. Si bien qu’il peut y avoir à la limite un accord entre les thomistes et les scotistes. Ils diront et bien oui : « L’Etre en tant qu’Etre est logiquement univoque, mais il est physiquement analogue. En d’autres termes, il y a un Etre qui est le même, mais en même temps dès que vous le rapportez à des étants, il cesse d’être le même. Si vous le rapportez à l’étant "infini Dieu" ou si vous le rapportez aux étant singuliers, "les choses". Il y aurait un petit arrangement, mais les arrangements ne sont jamais faits comme ça. Les Thomistes ne cesseront pas de poursuivre les Scotistes et les Scotismes ne cesseront de provoquer les Thomistes. Alors, imaginer un pas de plus et c’est là dessus que je voudrais finir parce que vous n’en pouvez plus : Imaginez juste un pas de plus, imaginez que quelqu’un trouve le moyen de libérer, de faire sortir cet Etre unique, cet Etre en qu’Etre de sa Neutralité. C’est-à-dire, il l’affirme cet Etre, il dit c’est ça le réel. Cet Etre en tant qu’Etre, qui est le même pour tout et pour tous, cet Etre unique, cet Etre univoque, il n’est pas seulement pensé dans un concept logique, il est la réalité physique en elle même, il est la Nature. En d’autres termes, c’est les mêmes formes qui se disent de Dieu et des créatures, c’est le même Etre qui se dit de tous les étants de Dieu et de la Créature. Dès lors, les créatures sont en Dieu, Dieu est dans les créatures. Pourtant, est ce que c’est le même "étant" ? Non, Dieu et les hommes ce n’est pas la même chose. Mais les mêmes formes se disent de Dieu et se disent des hommes, en quel sens ? En ce sens, que les mêmes formes constituent l’Essence de Dieu et comprennent ou contiennent les Essences d’hommes. Donc il n’y a pas égalité d’Essence. Mais il y a égalité d’Etre pour les Essences inégales. À ce moment là une ontologie devient possible, à ce moment là commence et à ce moment là finit l’ontologie. Voilà, commence et finit, voilà c’est fini... Ecoutez je sens que j’aurai du developper .. ceux qui n’ont pas compris là, aucune importance, vous supprimez tout ça et vous gardez ce que vous avez compris les autres fois... la prochaine fois je commence donc un autre cours complètement différent sur la peinture mais on peut faire un début de séance sur des questions.. mais moi je ne parlerai plus sur Spinoza.. Voilà |
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