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3- 16/12/80 -1

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transcription :LEDANNOIS Marc

DELEUZE 16/12/80 501/3A

...C’est toujours intéressant. Déjà d’après la question que tu m’avais posé la dernière fois. Tu as tendance toi à mettre l’accent très vite sur une notion authentiquement spinoziste, celle de" tendance à persévérer dans l’être". Je dis ça parce que c’est intéressant pour toute lecture, dont vous, quelqu’un qui lit vous comprenez c’est forcément quelqu’un qui met des accents sur tel et tel point. C’est comme en musique les accents ne sont pas donnés dans un texte. Alors voilà Comtesse qui déjà la dernière fois il me disait : "bon c’est très joli tout ça mais le conatus, c’est à dire ce que l’on traduit par le conatus, ce que Spinoza appelle en latin le conatus, c’est-à-dire ce que l’on traduit d’habitude par la "tendance à persévérer dans l’être", qu’est ce que tu en fais" ? Et moi je répondais :
-  ben. écoute il faut me pardonner, pour le moment je ne peux pas l’introduire parce que dans ma lecture je met des accents sur d’autres notions, spinozistes et "la tendance à persévérer dans l’être" finalement, ça allait déjà de soi d’après ce que je disais, je la conclurais. Quelque importance que je lui donne, je la conclurais d’autres notions qui sont pour moi, les notions essentielles, mais je ne dis pas du tout que j’ai raison, celle de puissance et d’affect. Aujourd’hui, tu reviens un peu au même thème. Ce qui revient et ce qui me paraît très intéressant, ce qui est une manière de me dire. Eh bien, moi je ne lis pas exactement même si on est d’accord sur l’ensemble. Tu me dis en gros : moi je ne lis pas exactement Spinoza comme toi, parce que moi je mettrais l’accent immédiatement sur la tendance à persévérer dans l’être.

-  Alors vous comprenez à ce niveau moi je trouve, il n’y a même pas lieu à une discussion. Ce qui m’intéresse beaucoup, ce que dit Comtesse, ce n’est pas du tout une lecture contradictoire. Lui il vous proposerait évidemment une autre lecture, c’est à dire différemment accentuée. Quant au problème précis que tu viens de poser. Ton premier - ce que tu annonçais comme un premier problème que tu me posais - sur cette histoire homme raisonnable, homme dément, moi je répondrais au point où j’en suis là exactement ceci :
-  Qu’est ce qui distingue le dément et l’homme raisonnable selon Spinoza ? Et inversement et en même temps dans la même question : il y a qu’est ce qui ne les distingue pas ? De quel point de vue est-ce qu’ils ont à être distingués ? Je dirais, pour moi, pour ma lecture en tout cas, la réponse de Spinoza est extrêmement rigoureuse, quitte à ce qu’on ne la comprenne que plus tard. Si je résume la réponse de Spinoza il me semble que ce résumé serait ceci : d’un certain point de vue il n’y a aucune raison de faire une différence entre l’homme raisonnable et le dément. D’un autre point de vue il y a une raison de faire une différence.

-  Premièrement, du point de vue de la puissance. J’introduis toujours pas tendance à persévérer dans l’être. Sans doute que cette notion elle me plait moins que les autres, je sais pas, on choisit pas peut-être. Du point de vue de la puissance, il n’y a aucune raison d’introduire une différence entre l’homme raisonnable et l’homme dément. Qu’est ce que ça veut dire ? Est ce que ça veut dire qu’ils ont la même puissance ? Non, ça ne veut pas dire qu’ils ont la même puissance. Mais ça veut dire que chacun autant, pour autant qu’il est en lui réalise, effectue sa puissance. C’est à dire pour parler comme Spinoza et Comtesse à la fois, c’est à dire chacun au temps qu’il est en lui, s’efforce de persévérer dans son être.

-  Donc du point de vue de la puissance en tant que chacun d’après le droit naturel, s’efforce de persévérer dans son être c’est à dire, effectue sa puissance. Voyez, je suis jamais toujours entre parenthèses (effort là) Ce n’est pas qu’il s’efforce de persévérer c’est parce qu’il essaie. De toute manière il persévère dans son être autant qu’il est en lui. C’est pour ça que je n’aime pas bien le conatus d’effort qui ne traduit pas il me semble la pensée de Spinoza en fait. Car ce qu’il appelle un effort pour persévérer dans l’être c’est le fait que j’effectue ma puissance à chaque moment, autant qu’il est en moi. En fait ce n’est pas un effort, il me semble pas - peu importe. Mais du point de vue de la puissance donc, je peux dire chacun se vaut, non pas du tout parce que chacun aurait la même puissance, en effet la puissance du dément n’est pas la même que la puissance de l’homme raisonnable mais ce qu’il y a de commun entre les deux c’est que quelque soit la puissance chacun effectue la sienne.
-  Donc de ce point de vue je ne dirais pas l’homme raisonnable vaut mieux que le dément. Je ne peux pas, j’ai aucun moyen de le dire. Chacun a une puissance, chacun effectue cette puissance autant qu’il est en lui.
-  C’est le droit naturel, c’est le monde de la nature. De ce point de vue je ne pourrais pas faire une différence, je ne pourrais établir aucune différence de qualité entre l’homme raisonnable et le fou. Mais deuxième point, d’un autre point de vue je sais bien que l’homme raisonnable est meilleur entre guillemets que le fou. Meilleur ça veut dire quoi ? Ça veut dire sans doute plus puissant au sens spinoziste du mot.

-  Donc d’un certain point de vue, d’un autre point de vue, de ce second point de vue, je dois faire et je fais une différence entre l’homme raisonnable et le fou. Bon, quel est cet autre point de vue ? D’après ce que j’ai fait la dernière fois, ce que j’ai essayé d’expliquer la dernière fois ma réponse selon Spinoza, ce serait exactement ceci : du point de la puissance vous n’avez aucune raison de distinguer le raisonnable et le fou. Mais de l’autre point de vue, celui des affects vous distinguez le raisonnable et le fou. D’où vient cet autre point de vue, vous vous rappelez ? La puissance est toujours en acte, elle est toujours effectuée, d’accord. Mais qu’est ce qui l’effectue ? Les affects. Les affects sont les effectuations de la puissance. C’est à dire ce que j’éprouve en actions, en passions, c’est cela qui effectue ma puissance à chaque moment, à chaque instant. Eh bien, si l’homme raisonnable et le fou se distinguent ce n’est pas par la puissance. Chacun réalise sa puissance, donc ce n’est pas par la puissance. C’est par les affects, les affects de l’homme raisonnable ne sont pas les mêmes que les affects du fou. D’où tout le problème de la raison sera converti par Spinoza en un cas spécial du problème plus général des affects. La raison désigne un certain type d’affects. Et ça c’est très nouveau, une telle conception de la raison c’est très nouveau. Dire la raison, elle ne vas pas se définir par des idées, bien sûr elle se définira aussi par des idées, elle ne se définira pas théoriquement mais il y a une raison pratique qui consiste en un certain type d’affects, en une certaine manière d’être affecté. Ça pose un problème très pratique de la raison.
-  Qu’est ce que ça veut dire être raisonnable à ce moment là ? Forcément c’est un ensemble d’affects la raison pour la simple raison que c’est précisément les formes sous lesquelles la puissance s’effectue dans telles et telles conditions. Donc, à la question que vient de poser Comtesse, vous voyez ma réponse serait relativement stricte en effet : quelle différence y-a t’il entre l’homme raisonnable et le fou ? D’un certain point de vue aucune, d’un point de vue de la puissance, d’un autre point de vue, énorme : du point de vue des affects qui effectuent la puissance.

-  Deuxième question si tu le veux bien.

Comtesse : Pour résumer... Est ce que l’on peut dire que Spinoza est un disciple de Hobbes parce qu’il définit le droit naturel comme une puissance en acte. Parce que pour Spinoza le pacte fonctionnel qui institue l’état social implique que cet état social justement n’est bon que s’il consolide ou augmente ma puissance propre comme l’expression de la puissance de la vie divine. Autrement dit c’est dire que pour Spinoza le droit civil, le droit de ce qu’il appelle "la souveraine puissance de la nation". Eh bien le droit civil c’est ce qui prolonge d’une certaine façon, c’est ce qui contourne ce qui poursuit le droit naturel or justement pour Hobbes même si l’état de nature, de guerre, des loups devient la menace de la société de l’Etat, il reste que L’état, le Léviathan est ce qui dessaisit du droit naturel les individus possessifs ou dévorateurs. Or pour Spinoza justement la souveraine puissance de la nation continue la puissance naturelle. Il n’y a pas de déni de puissance. Là il y a un problème de différence entre Spinoza et Hobbes et la monarchie libérale, la monarchie de Kant, et Spinoza qui n’assurerait ni la souveraineté ni la liberté. Donc le deuxième point c’est que peut-être Spinoza n’est pas un disciple simple de Hobbes parce que pour lui il n’y a pas de discontinuité, de rupture mais un prolongement entre droit naturel et droit civil.

-  Ma réponse serait celle-ci. Là aussi ça met en jeu des manières de lire, vous comprenez ? Tu marques une différence entre Spinoza et Hobbes et tu as complètement raison de la marquer et tu la marques très exactement. La différence si je la résume est celle-ci : c’est que pour l’un comme pour l’autre Spinoza et Hobbes en essence est sortir de l’état de nature par un contrat. Mais dans le cas de Hobbes il s’agit bien d’un contrat par lequel je renonce à mon droit de nature. Je précise immédiatement parce que c’est plus compliqué quand même que tu me l’as dit - si c’est vrai que je renonce à mon état de nature, à mon droit naturel, en revanche le souverain lui ne renonce pas au sien. Donc le droit de nature est conservé aussi par.

-  Comtesse : II est menacé

-  D’accord.... Il est conservé mais d’une autre manière que chez Spinoza. Pour Spinoza au contraire dans le contrat je ne renonce pas à mon droit de nature. Et il y a la formule célèbre de Spinoza dans une lettre : « je conserve le droit de nature même dans l’état civil ». Et cette formule célèbre de Spinoza "je conserve l’état de nature même dans l’état civil " signifie clairement pour tout lecteur de l’époque, sur ce point je romps avec Hobbes, qui lui d’une certaine manière conservait aussi le droit naturel dans l’état civil mais seulement au profit du souverain, encore ce que je dis est trop vite, peu importe. Ça n’empêche pas que je disais, Spinoza en gros est disciple de Hobbes. Oui, pourquoi ? Parce que sur deux points généraux mais fondamentaux, il suit entièrement ce qu’on peut appeler la révolution hobbessienne. Et je crois que la philosophie politique de Spinoza aurait été impossible sans l’espèce de coup de force que Hobbes avait introduit dans la philosophie politique. Et quel est ce coup de force, ce double coup de force j’ai essayé de le dire qu’elle était la nouveauté prodigieuse, très très importante de Hobbes.
-  C’est première nouveauté : avoir conçu l’état de nature et le droit naturel d’une manière qui rompait entièrement avec la tradition cicéronienne. Or sur ce point Spinoza entérine entièrement la révolution de Hobbes.
-  Deuxième point dès lors : avoir substitué l’idée d’un pacte de consentement comme fondement de l’état civil, avoir substitué l’idée d’un pacte de consentement à la relation de compétence telle qu’elle était dans la philosophie de Platon à St Thomas.

Or sur ces deux points fondamentaux, l’état civil ne peut renvoyer qu’à un pacte de consentement et pas une relation de compétence où il y aurait une supériorité du sage. Et toute la conception d’autre part de l’état de nature et du droit naturel comme puissance et effectuation de la puissance. Ces deux points fondamentaux appartiennent à Hobbes.
-  C’est en fonction de ces deux points fondamentaux je dirais : la différence évidente que Comtesse vient de signaler entre Spinoza et Hobbes suppose et ne peut s’inscrire que dans une ressemblance préalable. Ressemblance par laquelle Spinoza suit les deux principes fondamentaux de Hobbes. Ça devient ensuite un règlement de comptes entre eux à l’intérieur de ces nouveaux présupposés introduits dans la philosophie politique par Hobbes.
-  Et enfin pour répondre complètement quand tu parles de la conception politique de Spinoza, moi je crois on sera amené à en parler du point de vue toujours sur les recherches que l’on fait cette année sur l’ontologie.

En quel sens est ce que l’ontologie peut comporter ou doit comporter une philosophie politique ? Il faut pas oublier quant aux histoires, quand tu as fait allusion à la monarchie libérale, n’oubliez pas qu’il y a tout un parcours politique de Spinoza, je le dis très vite là comme je n’en ai pas encore parlé, un parcours politique très très fascinant. Parce qu’on ne peut pas même lire un livre de philosophie politique de Spinoza sans comprendre quel problème politique il pose et quel problème politique il vit. Parce que les Pays-Bas à l’époque de Spinoza ça n’est pas simple la situation politique. Tous les livres politiques de Spinoza sont très branchés sur cette situation, si vous voulez ce n’est pas par hasard que Spinoza fait deux livres de philosophie politique.
-  L’un, le Traité Théologico-Politique,
-  l’autre le Traité Politique et que entre les deux il s’est passé assez de choses pour que Spinoza ait évolué. Qu’est ce qui s’est passé ? c’est que les Pays-Bas déjà à cette époque là ont été déchirés entre deux tendances. Il y avait la tendance de la maison d’Orange et puis il y avait la tendance libérale des frères de Witt. Or les frères de Witt dans des conditions très obscures qu’on verra, l’ont emporté à un moment. La maison d’Orange ce n’était pas rien, ça mettait quand même enjeu toute une politique extérieure, les rapports avec l’Espagne, la guerre, la guerre ou la paix. Les frères de Witt étaient fondamentalement pacifistes, ça mettait en jeu la structure économique. La maison d’Orange appuyait les grandes compagnies, les frères de Witt étaient très hostiles aux grandes compagnies. Tout ça, ça brassait tout quoi, cette opposition maison d’Orange / frères de Witt. Or les frères de Witt ont été liquidés. C’est à dire assassinés. Assassinat des frères de Witt dans des conditions extrêmement pénibles. Spinoza ressentit ça comme le dernier moment où il ne pourrait plus écrire parce qu’il pouvait y passer lui aussi. Tout ça n’était pas simple, mais l’assassinat des frères de Witt lui a porté un coup surtout qu’il semble bien que l’entourage des frères de Witt protégeait Spinoza. Or le ton, la différence de ton politique entre le Traité Théologico-Politique et le Traité Politique s’explique parce qu’entre les deux il y a eu l’assassinat.

-  Et que Spinoza ne croit plus tellement à ce qu’il se disait avant au moment du Traité Théologico-Politique, oui, une monarchie libérale ça peut se faire. Son problème politique finalement, il faut essayer de comprendre, il ne faut pas faire de la satire là aussi, il faut comprendre c’est à dire faire de l’éthique en politique et comprendre quoi ? Comprendre pourquoi est ce que les gens vraiment se battent pour leur esclavage. Ils ont l’air d’être tellement contents d’être esclaves qu’ils sont prêts à tout pour rester esclaves. et ça ça le fascine Comment expliquer un pareil truc que les gens ne se révoltent pas ? En même temps, révolte, révolution vous ne trouverez jamais ça chez Spinoza. Mais pourquoi ? Là on dit des choses très bêtes, en même temps il faisait des dessins. On a une reproduction d’un dessin de lui très curieux. La vie de Spinoza c’est une chose obscure. Où il s’était dessiné lui-même le soir comme ça quand il avait bien travaillé, il s’était dessiné lui-même sous une forme d’un révolutionnaire napolitain qui était connu à l’époque et il avait mis sa propre tête. Oui il s’était dessiné en révolutionnaire, c’est bizarre.

-  Mais en même temps pourquoi est-ce qu’il ne parle jamais de révolte, de révolution ? Est-ce parce qu’il est modéré Spinoza ? Sans doute il est modéré, quoi qu’il y ait cette histoire du dessin révolutionnaire qui est bizarre, mais à ce moment là, même les extrémistes hésitaient à parler de révolution. Même les gauchistes de l’époque. Et les collégiens, tous ces types qui étaient contre l’Eglise, tous ces catholiques étaient assez, ce qu’on appellerait aujourd’hui les catholiques d’extrême gauche, c’était très curieux. C’est des milieux très bizarres mais pourquoi les gens ne parlent pas de révolution ? Contrairement à ce qu’on dit, il y a une bêtise qu’on dit même dans les manuels d’histoire tout le temps, qu’il n’y a pas eu de révolution anglaise. Tout le monde sait qu’il y avait parfaitement une révolution anglaise. Une formidable révolution anglaise, c’est la révolution de Cromwell. Et que la révolution de Cromwell a été le cas où tout est à la limite extrêmement pur. Ç’a été la révolution trahie aussitôt faite.

-  Quand on fait semblant aujourd’hui de découvrir le problème de la révolution trahie, il faut pas charier. Tout le 17éme siècle est plein de réflexions là dessus, comment est-ce que une révolution peut ne pas être trahie ? Non, il faut pas croire que c’est un nouveau problème de 1975, avec les droits de l’homme, ou avec la découverte qu’il y a un goulag en Russie. La révolution, elle a toujours été pensée par les révolutionnaires à partir de ceci : Comment ça se fait que ce truc là soit constamment trahi ? Or l’exemple moderne, l’exemple récent, contemporain de Spinoza c’est la révolution de Cromwell qui a été le plus fantastique traître à la révolution que lui même, Cromwell, avait imposée. Et si vous prenez là je dis un peu n’importe quoi mais c’est pour vous faire sentir que ce problème est très très présent chez les gens, si vous prenez, alors bien après ce qu’on appelle le romantisme anglais. Le romantisme anglais qui est un mouvement non seulement poétique, fantastique et littéraire mais qui est un mouvement politique intense. Tout le romantisme anglais est centré sur le thème de la révolution trahie.
-  Comment vivre encore alors que la révolution est trahie et semble avoir comme destination d’être trahie ? Et le modèle qui obsède les grands romantiques anglais c’est le cas plus ancien, puisque du temps, c’est toujours Cromwell. Et pour les révolutionnaires anglais, l’image à la fois fascinante et abjecte. Qu’est ce que ce type a fait, si vous voulez, Cromwell est vécu, là je crois que j’exagère à peine, à cette époque comme Staline aujourd’hui. Et qu’est ce qui se passe ? Si Spinoza parle jamais de la révolution c’est parce qu’il ne parle pas de révolution. Personne n’en parle. Pas du tout parce qu’ils n’ont pas d’équivalent dans la tête. C’est je crois pour une toute autre raison parce que le mot absolument, ils n’excluent pas du tout des actions violentes. Ils appellent pas ça révolution parce que la révolution c’est Cromwell. Enfin il y a de ça, j’exagère,peut être il y a de ça.

-  Or au moment du Traité Théologico-Politique Spinoza croit encore dans les chances d’une monarchie libérale, en gros. Là ce que vient de dire Comtesse à la fin de sa seconde intervention c’est vrai du Traité Théologico-Politique à mon avis. Ça ne l’est plus du traité politique. Les frères de Witt ont été assassinés, là dessus il n’y a plus de compromis possible, Spinoza sait bien que, il renonce à publier l’Ethique, Spinoza sait que c’est foutu. Et finalement à ce moment là Spinoza, semble t’il, tendrait beaucoup plus à penser aux chances - sous quelles formes concrètes - d’une démocratie. Et le thème de la démocratie apparaît beaucoup plus dans le Traité Politique que dans le Traité Théologico-Politique qui en restait à la perspective d’une monarchie libérale. Mais une démocratie ça serait quoi au niveau des Pays-Bas ? C’est justement ce qui a été liquidé. Les chances d’une démocratie c’est ce qui a été liquidé avec l’assassinat des frères de Witt. Alors c’est pas facile et comme par symbole comme on dit Spinoza meurt quand il en est dans le Traité Politique au chapitre démocratie. On ne saura pas ce qu’il aurait dit dans ce chapitre.

-  Voilà si vous voulez la remarque de Comtesse me paraît tout à fait juste sur la différence Hobbes / Spinoza ; je maintiens pourtant pour les raisons que je viens de dire qu’avant cette différence et en un sens plus profond cette différence, Spinoza peut bien être traité ou appelé sur un point précis de Hobbes puisqu’il dérive de cette révolution de Hobbes dans la philosophie politique. Troisième question ?

-  Comtesse : .. .Hobbes n’aurait jamais pu faire la distinction entre le maître et l’esclave, il n’aurait jamais pu dire que une des lignes de salut possible passe par le fils éternel ou le Dieu c’est-à-dire le Christ en tant qu ’esprit et modèle à imiter, à mon avis c’est un autre climat de violence, de très grandes guerres...

-  Mais tu sais pourquoi Spinoza peut le dire et pas Hobbes ? Parce que Spinoza est juif et Hobbes n’est pas juif. Je veux dire toutes les pages très très étranges de Spinoza sur le Christ où il fait et où il trace le portrait d’un Christ à la lettre devenu indépendant de l’Eglise, de l’Eglise chrétienne, de l’Eglise catholique, toute cette opération ne pouvait être menée que par un juif lui même excommunié par les juifs. La situation de Spinoza lui permettait une chose comme ça. Hobbes, il n’aurait pas pu. Il aurait tenté ça, là il passait en procès. Alors reste ce que tu dis de beaucoup plus important, que la violence en effet, la violence des textes de Hobbes et l’espèce au contraire de, je ne dirais pas que c’est une douceur chez Spinoza. Je n’ai pas du tout l’impression que c’était un homme doux, mais l’espèce de..qu’est ce que c’est ce contraire, ce n’est pas que ça manque de violence, c’est une violence très froide, je ne pourrais pas définir la violence de Spinoza, enfin pas maintenant. Mais tu as raison sur la différence complète, si on reprend l’idée de Nietzsche que les philosophies expriment comme des tempéraments ou des instincts du philosophe, qu’est ce qu’un instinct du philosophe ? C’est évident qu’ils n’ont pas le même tempérament Hobbes et Spinoza. C’est évident qu’ils n’ont pas le même tempérament. Mais arriver à définir quel tempérament était celui de Spinoza, c’est un peu notre objet avec l’histoire des modes d’existence. En tout cas je suis d’accord sur cette troisième remarque, ce n’est pas le même style, c’est un autre monde, oui c’est vrai.

-  Comtesse .. .Le problème d’interroger la fonction politique de Spinoza, est ce qu’il y a un rapport entre l’Ethique et.. ? Il n’y a pas toujours un rapport nécessaire entre les penseurs de l’être même si Spinoza met en cause, la pensée du désir.

-  Oui, complètement mais ça nous appartient.

Comtesse : Dans l’histoire de la philosophie, si il y a toujours un rapport nécessaire entre les penseurs de l’être, même dit Spinoza s’il n’y a pas un rapport nécessaire entre toute pensée de l’être et le plan d’organisation de l’Etat. Est-ce que tous penseurs de l’être n’est pas amené à un certain moment à penser comme le fait Spinoza dans le chapitre 4 et 5 est amené justement à fabriquer à certain moment de sa pensée ontologique un plan d’organisation de l’Etat. Donc de se référer d’une certaine façon au modèle d’Etat.

-  Moi je dirais un peu autre chose qu’il y a un rapport fondamental entre l’ontologie et un certain style ou un certain type de politique, ça oui, on est d’accord. En quoi consiste ce rapport on le sait pas encore, on le rencontrera cette année. Je suppose que ce rapport est fondamental. Mais en quoi consiste une philosophie politique qui se place dans une perspective ontologique. Est-ce qu’elle se définit par le problème de l’Etat ? Je ne dirais : pas spécialement puisque les autres aussi, une philosophie de l’Un passera aussi par le problème de l’Etat. La vrai différence elle me paraîtrait ailleurs entre les ontologies pures et les philosophies de l’Un. J’ai essayé de montrer toutes les autres fois d’un point de vue théorique uniquement. Les philosophies de l’Un sont des philosophies qui impliquent fondamentalement une hiérarchie des existants. D’où le principe de compétence, d’où le principe des émanations, le sage pratiquement est plus compétent que le non sage. Du point de vue des émanations : de l’Un émane l’être, de l’être émane autre chose etc. Les hiérarchies des Néo- Platoniciens. Le problème de l’Etat ils le rencontreront quand ils le rencontrent au niveau de ce problème : l’institution d’une hiérarchie politique. Il y a et pensez à la tradition néo-platonicienne, le mot "hiérarchie" intervient tout le temps. Il y a une hiérarchie céleste, il y a une hiérarchie terrestre et tout ce que les néo-platoniciens appellent les hypostases sont précisément les termes dans une hiérarchie, dans l’instauration d’une hiérarchie.

-  Ce qui me paraît frappant dans une ontologie pure c’est à quel point elle répudie la hiérarchie. Et en effet, s’il n’y a pas d’Un supérieur à l’être, si l’être se dit de tout ce qui est en un seul et même sens, c’est ça au point où nous sommes, c’est ça qui m’a paru être la proposition ontologique clé.
-  Il n’y a pas d’unité supérieure à l’être. Et dès lors l’être se dit de tout ce dont il se dit c’est à dire se dit de tout ce qui est, se dit de tout "étant "en un seul et même sens. C’est le monde de l’immanence. Ce monde de l’immanence ontologique est un monde essentiellement anti-hiérarchique au point que, bien sûr il faut tout corriger, chaque fois que je dis une phrase j’ai envie de la corriger, bien sûr ces philosophes de l’ontologie nous diront : mais évidemment il faut une hiérarchie pratique. L’ontologie n’aboutit pas à des formules qui seraient celles du nihilisme ou du non-être du type "tout se vaut". Et pourtant d’un certain égard "tout se vaut" du point de vue d’une ontologie, c’est à dire du point de vue de l’être. Tout étant effectue son être autant qu’il est en lui, un point c’est tout. C’est la pensée anti hiérarchique absolue. C’est une espèce d’anarchie. Il y a une anarchie des étants dans l’être. Si vous voulez, l’intuition passe de l’ontologie. Tous les êtres se valent. C’est une espèce de cri, oui après tout, la pierre, l’insensé, le raisonnable, l’animal, d’un certain point de vue, du point de vue de l’être ils se valent. Chacun "est" autant qu’il est en lui. Et l’être se dit en un seul et même sens de la pierre, de l’homme, du fou, du raisonnable etc.

C’est une très belle idée, on voit pas ce qui leur fait dire ça mais c’est une très belle idée, ça implique même sa cruauté ça, sa sauvagerie. C’est une espèce de manque très sauvage. Bon Là dessus évidemment ils rencontrent le problème politique. Mais la manière dont ils aborderont le problème politique dépend précisément de cette espèce d’intuition de l’être égal, de l’être anti-hiérarchique. Et la manière dont ils pensent l’Etat, ce n’est plus le rapport de quelqu’un qui commande et d’autres qui obéissent. Et là, alors en effet, je retrouve la remarque précédente de Comtesse. Chez Hobbes le rapport politique c’est le rapport de quelqu’un qui commande et de quelqu’un qui obéit, ça c’est le rapport politique pur. Du point de vue d’une ontologie ce n’est pas ça. Alors là Spinoza ne serait pas du tout à la manière de Hobbes.

-  Le problème d’une ontologie c’est dès lors en fonction de ceci, l’être se dit de tout ce qui est, c’est comment être libre. C’est à dire comment effectuer sa puissance dans les meilleures conditions. Et l’Etat, bien plus, l’Etat civil c’est à dire la société toute entière, est pensée comme ceci : l’ensemble des conditions sous lesquelles l’homme peut effectuer sa puissance de la meilleure façon. Donc ce n’est pas du tout un rapport d’obéissance. L’obéissance viendra en plus, ils ne sont pas idiots. Il savent que là dedans il y a de l’obéissance. Mais l’obéissance devra être justifiée par ceci : qu’elle s’inscrit dans un système où la société ne peut signifier qu’une chose : le meilleur moyen pour l’homme d’effectuer sa puissance, l’obéissance est seconde par rapport à cette exigence là. tandis que dans une phuilosophie de l’Un, l’obéissance est évidemment première. Elle est évidemment première, c’est à dire le rapport politique c’est le rapport d’obéissance, ce n’est pas le rapport de l’effectuation de puissance.

-  Un étudiant : ...

-  Ce n’est pas évident. Ça dépend de ce que tu as dans la tête. Au sens politique du mot aristocratie, l’aristocratie désigne un certain type de régime. Un certain type de régime ou un groupe d’êtres qui se nomment eux mêmes aristocrates commandent aux autres. Donc, un type de régime qu’on peut distinguer de la monarchie, de la démocratie etc. Ce régime il a existé, il y a eu des aristocraties dans les cités grecques, dans certaines cités grecques. Il y a eu des aristocraties dans certaines cités italiennes, ça existe un régime dit aristocratique. Si tu penses à d’autres sens du mot aristocrate, d’autres emplois du terme aristocrate par exemple celle que Nietzsche fait dans certains contextes concernant l’aristocratie, il veut dire à ce moment là quelque chose de complètement différent. C’est ce que tu avais dans la tête ? Le même étudiant : oui Oui, je n’ose même pas aborder la question de Nietzsche parce que politiquement ça devient tellement compliqué, tellement différent et de Hobbes et de Spinoza. Quoi ?

Un autre élève :

-  Oui, le problème d’une ontologie, à ce niveau on le retrouvera en effet chez Nietzsche. C’est que, qu’est-ce qui est égal ? Ce qui est égal c’est très simple : c’est que chaque être quel qu’il soit, de toute manière effectue tout aussi qu’il peut de sa puissance. Ça ça rend tous les êtres égaux. Les puissances ne sont pas égales. La puissance par exemple de la pierre et la puissance d’un animal c’est pas la même. Mais chacun s’efforce de "persévérer dans son être" c’est-à-dire effectue sa puissance. Or de e point de vue tout se vaut, tous les êtres se valent. Il sont tous dans l’être et l’être est égal. L’être se dit également de tout ce qui est, alors tout ce qui est n’est pas égal c’est à dire n’a pas la même puissance. Mais l’être qui se dit de tout ce qui est, lui est égal. Là dessus ça n’empêche pas qu’il y a des différences entre les êtres. Du point de vue des différences entre les êtres peut se rétablir toute une idée de l’aristocratie. Ça oui, à savoir il y en a de meilleurs. C’est un peu ce qu’on avait vu.

-  Je veux dire toute la dernière fois si j’essaie de résumer, comprenez où on était la dernière fois. Avant que j’aborde un nouveau thème. La dernière fois on posait un problème très précis.

-  Puisque notre but de toute l’année c’est l’ontologie. Donc il faudrait ne pas le perdre de vue. Le problème c’est ceci que j’ai traité finalement jusqu’à maintenant. Quel est le statut non pas de l’être, mais de l’étant ? C’est à dire quel est le statut de l’étant ou de l’existant du point de vue de l’ontologie. La dernière fois j’ai essayé de dire que le statut de l’existant chez Spinoza, ce statut de l’existant constituant le corrélat de l’ontologie à savoir constituant une éthique. Vous voyez l’éthique c’est le statut de l’existant ou de l’étant, l’ontologie c’est le statut de l’être. Or l’être se dit l’étant ou l’existant. Eh bien ma réponse était double. Le statut de l’étant dans l’ontologie de Spinoza il est double. D’une part, distinction quantitative entre les "étants". De quel point de vue ? Quelle quantité ? Quantité de puissance. Les étants sont chacun des degrés de puissances.
-  Donc distinction quantitative entre les étants du point de vue de la puissance. D’autre part et en même temps, distinction qualitative entre les modes d’existence. De quel point de vue ?
-  Du point de vue des affects qui effectuent la puissance. Et ce que j’avais essayé de montrer c’est que ces deux conceptions,
-  celle de la distinction quantitative entre existants. Et l’autre point de vue,
-  celui de l’opposition qualitative entre modes d’existences, loin de se contredire s’imbriquaient l’un dans l’autre tout le temps. C’est ça je crois si vous n’avez pas compris ça c’est ennuyeux, si vous avez compris ça vous avez tout compris.

Donc ça finissait si vous voulez cette première rubrique, finalement dans ce premier trimestre on aura fiât une première grande rubrique.
-  L’ontologie, qu’est ce que ça veut dire l’ontologie et comment ça se distingue de philosophies qui ne sont pas des ontologies.
-  Deuxième grande rubrique, quel est le statut de l’étant du point de vue d’une ontologie pure comme celle de Spinoza ? Voilà, si vous êtes prêts je passe à une troisième rubrique.

Un élève : quantité, différence

-  Si, vous le comprenez parfaitement d’après ce que vous venez de dire, j’espère en tout cas car vous dites, par exemple, vous dites du point de vue d’une pensée de la hiérarchie ce qui est premier c’est la différence et on va de la différence à l’identité. J’ajoute juste de quel type de différence s’agit-il ? Réponse : c’est toujours une différence entre l’être et quelque chose de supérieur à l’être. Puisque ça va être une différence de jugement. La hiérarchie, elle implique une différence dans le jugement. Donc le jugement se fait au nom d’une supériorité de l’Un sur l’être. On peut juger de l’être parce qu’il y a précisément une instance supérieure à l’être. Donc la hiérarchie est inscrite dès cette différence puisque la hiérarchie son fondement même c’est la transcendance de l’Un sur l’être. D’accord, et ce que vous appelez différence c’est exactement cette transcendance de l’Un sur l’être. Quand vous invoquez Platon, la différence n’est première chez Platon qu’en un sens très précis, à savoir l’Un est plus que l’être. Donc c’est une différence hiérarchique. Quand vous dites en revanche l’ontologie elle va de l’identité ce n’est pas exactement ça, en tout cas elle va de l’être aux étants. C’est à dire elle va du même ou de l’être à ce qui est et seul ce qui est diffère, elle va donc de l’être aux différences. Ce n’est pas une différence hiérarchique. Tous les êtres sont également dans l’être.

Au Moyen Age on verra tout ça de plus près. Il y a une école très très importante. Vous savez ces écoles du Moyen Age on ne peut pas les liquider en disant c’était la grande époque de la scholastique. Il y a une école qui a reçue le nom de l’école de Chartres. Et l’école de Chartres ils dépendent, ils sont très proches de Dunn Scott dont je vous ai déjà un petit peu parlé. Et il insiste énormément sur le terme latin égalité. L’être égal. Ils disent tout le temps que l’être il est fondamentalement égal. Ça ne veut pas dire que les existants et les étants soient égaux, non. Mais l’être est égal pour tous. Il signifie d’une certaine manière tous les étants sont dans l’être C’est là que ensuite quelque soit la différence à laquelle vous atteindrez, puisqu’il y a une différence, il y a une non- différence de l’être et il y a des différences entre les étants, ces différences sont pas conçues de manière hiérarchique. Ou alors ça sera conçu de manière hiérarchique très très secondairement, pour rattraper, pour concilier les choses. Mais dans l’intuition première la différence n’est pas hiérarchique. Alors que dans les philosophies de l’Un elle est fondamentalement hiérarchique. La différence entre les étants, elle est quantitative et qualitative à la fois. Différence quantitative des puissances, différence qualitative des modes d’existences. Mais elle n’est pas hiérarchique.

-  Alors bien sûr ils parlent souvent comme s’il y avait une hiérarchie. Ils diront très bien, ils diront "évidemment l’homme raisonnable vaut mieux que l’homme méchant". Il vaut mieux dans quel sens et pourquoi ? Ce n’est pas pour des raisons de hiérarchie. C’est pour des raisons de puissance et d’effectuation de puissance. Alors on verra tout ça. Justement progressivement je veux passer à une troisième rubrique qui s’enchaîne avec la seconde et qui reviendrait à dire bon si l’éthique je l’ai définie comme deux coordonnées. La distinction quantitative de point de vue de la puissance, l’opposition qualitative du point de vue des modes d’existences. Et j’ai essayé de montrer la dernière fois comment on passait perpétuellement de l’un à l’autre.

-  Je voudrais commencer un troisième titre qui est de ce même point de point de vue de l’éthique, alors quelle est la situation et comment se pose le problème du mal. Car encore une fois on a vu que ce problème se posait d’une manière aiguë. Pourquoi ? Parce que je vous rappelle que j’ai commenté et je ne vais pas revenir sur ce point, je le rappelle juste en quel sens la philosophie classique de tout temps, vraiment de tout temps avait érigé cette proposition paradoxe en sachant bien que c’était un para doxe à savoir le mal n’est rien. Et justement le mal n’est rien, je vous disais, comprenez qu’on peut lire comme ça et se dire, bon c’est une manière de parler. Mais bizarrement ce n’est pas une manière de parler c’est au moins deux manières de parler possibles et qui ne se concilient pas du tout. Car lorsque je dis le mal n’est rien vous savez, je ne reviens pas sur le commentaire que j’ai fait de la formule. Mais lorsque je dis ça, le mal n’est rien, je peux vouloir dire une première chose.
-  Je peux vouloir dire le mal n’est rien parce que tout est bien. Si je dis tout est bien, comment ça s’écrit tout est bien ? ça s’écrit tout est Bien. Si vous l’écrivez comme ça avec un grand B, vous pouvez commenter la formule mot à mot. Ça veut dire il y a l’être : Bien, l’Un est supérieur à l’être et la supériorité de l’Un sur l’être fait que l’être se retourne vers l’Un comme étant le Bien. En d’autres termes, le mal n’est rien veut dire forcément le mal n’est rien puisque c’est le bien supérieur à l’être qui est cause de l’être. En d’autres termes, le bien fait être. Le bien comme raison d’être, le bien c’est l’Un comme raison d’être. L’Un est supérieur à l’être. Tout est Bien ça veut dire c’est le Bien qui fait être ce qui est.

-  Elève 4 : C’est platonicien

-  C’est exactement, je suis en train de commenter Platon. Donc ça marche. Si tu m’avais dit que ça n’est pas platonicien j’aurais été inquiet parce que...

-  Elève 4 : (.. .vous employez le mot étant...) pas audible

-  Oui, j’ai très bien défini. Brièvement, mais très bien. J’ai dis : ce n’est pas l’être c’est ce qui est. Non, ce n’était pas en un sens... mais Heidegger il n’a jamais dit autre chose. Attends un peu. Vous comprenez donc, le mal n’est rien ça veut dire, seul le Bien fait être et corrélat fait agir. C’était l’argument de Platon, on l’a vu, le méchant n’est pas méchant volontairement puisque ce que le méchant veut c’est le bien. C’est un bien quelconque. Bon, je peux dire le mal n’est rien. Au sens de seul le bien fait être et fait agir, donc le mal n’est rien. Dans un ontologie pure où il n’y a pas d’Un supérieur à l’être : Je dis le mal n’est rien, finalement il n’y a pas de mal il y a de l’être. D’accord mais ça m’engage à quelque chose de tout à fait nouveau. Si le mal n’est rien c’est parce que le bien n’est rien non plus. Vous voyez c’est donc pour des raisons tout à fait opposées que je peux dire dans les deux cas le mal n’est rien.
-  Dans un cas je dis le mal n’est rien parce que seul le fait être et fait agir.
-  Dans l’autre cas je dis le mal n’est rien parce que le bien non plus. Parce qu’il n’y a que de l’être.

Or on avait vu que là aussi cette négation du bien comme du mal n’empêchait pas Spinoza de faire une éthique. Comment est-ce que je peux faire une éthique s’il n’y a ni bien ni mal ? A partir de la même formule, à la même époque si vous prenez le mal n’est rien, signé Leibnitz et signé Spinoza, ils disent, tous les deux emploient la formule "le mal n’est rien". Mais elle a deux sens absolument opposés chez Leibnitz qui lui dérive de Platon et chez Spinoza qui fait une ontologie pure. Alors ça se complique.

-  D’où mon problème quel est le statut du mal du point de vue de l’éthique, c’est à dire de tous ces statuts des étants, des existants. Surtout qu’il va y avoir un problème très important là comme pratique on va entrer vraiment dans les points où l’éthique est vraiment une pratique. Or je dis à cet égard qu’on dispose et je vous en avais prévenus que je voudrais bien que vous le lisiez ou relisiez d’un texte de Spinoza exceptionnel. Ce texte de Spinoza exceptionnel est un échange de 8 lettres, 4 pour chacun. Ce n’est pas très long. Un échange vde 8 lettres avec un jeune homme qui s’appelle Blyenberg. Un jeune homme des Pays-Bas, un jeune homme de là bas qui écrit à Spinoza, Spinoza ne le connaît pas. Tout est important. Car il y a des mystères dans cette correspondance immédiatement. L’Objet de cette correspondance est uniquement le mal. Ou Blyenberg, le jeune Blyenberg dit à Spinoza : "expliquez vous un peu sur le mal". Chose très curieuse, les commentateurs là aussi, lisez le texte, c’est vous qui décidez. Beaucoup des commentateurs par exemple les éditeurs de la Pléiade décident que Blyenberg est un idiot. Qu’il est idiot, stupide et confus. Moi je lis ces lettres et je n’ai pas du tout cette impression. J’ai l’impression que Blyenberg est un drôle de type mais pas du tout stupide et confus. D’abord une chose me donne d’avance raison : 4 lettres pour Spinoza c’est beaucoup. Spinoza il n’aime pas beaucoup écrire des lettres ou alors il écrit à des amis surs. Il n’aime surtout pas écrire à des étrangers. Il se dit toujours, qu’est ce qu’il va me tomber dessus ? Donc il écrit très peu. D’autre part Spinoza déteste l’insolence. Il n’aime pas qu’on soit insolent, qu’on soit mal élevé, il n’aime pas ça c’est son affaire. Or dès sa seconde lettre Blyenberg commence à ricaner, à faire des sommations, à dire à Spinoza : expliquez vous, je vous somme de... alors quoi ? Inventer des conséquences grotesques du spinozisme, enfin très désagréable.

Un chieur quoi, mais pas du tout un idiot. Agaçant, très agaçant. Or je remarque aussi que Spinoza n’aime pas du tout les gens agaçants. Les gens agaçants qui l’embêtent et à qui il faut répondre. Il n’a pas le temps, d’abord c’est tout simple il n’aime pas ça. Et Spinoza le remarque dès sa seconde lettre à lui, Spinoza devient très sec et lui dit : ça va Blyenberg, qu’est ce que tu crois ? tu me lâches, tu vas me lâcher mais là je dis qu’il y a quelque chose d’extraordinaire c’est qu’il continue la correspondance. Or à ma connaissance ça s’est jamais vu chez Spinoza. Il a reçu beaucoup de lettres et on a des lettres d’injures contre Spinoza. Spinoza il ne répond pas. Mais qu’est-ce qui se passe. Si le type était idiot, Spinoza ne lui répondrait pas. Et pourquoi Spinoza supporte un ton qu’il n’aime pas du tout, lui, Spinoza supporte tout ça, j’ai bien une réponse. Il consent à répondre à Blyenberg. J’ai bien une réponse : Blyenberg est le seul qui ait pris Spinoza sur un problème précis où Spinoza ne s’était jamais expliqué ailleurs. A savoir le problème du mal. Et que ce sujet fascine Spinoza. Dès lors il accepte tout ce qu’il y a de désagréable chez Blyenberg, tout ce qu’il y a de genre petit con, il accepte. Il répondra parce qu’il veut pour lui-même mettre au point cette histoire du mal. Et il va répondre et il passera par dessus les insolences de Blyenberg parce qu’il sent qu’il est quand même très intelligent. Et en effet Blyenberg ne lâche pas. Et le coup prodigieux de Blyenberg qui a voulu faire un hommage malgré tout, c’est que Blyenberg force Spinoza à dire des choses que lui Spinoza n’aurait jamais dites et des choses très très imprudentes. On verra dans le texte, des choses très très curieuses, des déclarations d’espèce de paradoxe sur le mal qu’on s’étonne de trouver sous la plume de Spinoza. Or ça c’est grâce à Blienberg. Or mon interprétation ça serait uniquement que Spinoza accepte cette correspondance parce que c’est un cas unique où il voit l’occasion de s’expliquer sur ce problème du mal. Ce qui confirmerait cela c’est que comment Spinoza arrête la correspondance ? Tout d’un coup Blyenberg perd les pédales. D’abord il fait une imprudence, il va voir Spinoza. Spinoza déjà ne supporte pas bien des lettres mais les visites... donc du coup, Spinoza il voit un petit moment Blyenberg et puis ça va, salut. Et là dessus Blyenberg écrit à Spinoza et rompt le pacte implicite qu’il y avait entre eux. C’est à dire il se mit à lui poser des questions dans tous les sens sur l’éthique. Il sort du problème du mal. Alors Spinoza lui renvoie une lettre immédiate. Non, au contraire il tarde à répondre à cette dernière lettre de Blyenberg. C’est la dernière lettre de Blyenberg. C’est une lettre de grande sécheresse, en disant : non pas d’autres questions, tu avais droit à une question, tu sors de la question on finit. Je ne veux plus te voir, je ne veux plus te lire, lâches moi ! Il a accepté d’être traité d’une manière dont il n’aime pas être traité le temps des 8 lettres. Le temps de s’expliquer sur ce problème du mal.

-  Bon, je dis ce problème du mal est bien au cœur de l’Éthique. Et pourtant il n’est pas traité dans l’Ethique. C’est dans cette correspondance avec Blyenberg qu’il est traité explicitement. Je crois que c’est ce problème qui peut nous faire faire un grand bond. Quant à l’autre question qui reste fondamentalement qui est le rapport de l’existant et l’être. C’est pour ça repartir à partir de ce problème du mal très doucement.

Et je dis Blyenberg dès sa première lettre, Blyenberg fonce et dit à Spinoza : "expliquez moi ce qui veut dire : Dieu a défendu à Adam de manger la pomme, le fruit et pourtant Adam l’a fait". C’est à dire Dieu a interdit quelque chose, l’homme, l’existant a passé outre à cette interdiction. Comment ça se passe dans votre système à vous ? Dans votre ontologie. Et déjà à ce moment Blyenberg connaît très mal Spinoza, il connaît pas l’Ethique. Forcément, qui n’était pas un texte biblique. Donc il ne s’adresse même pas à Spinoza en tant que Spinoza, il s’adresse beaucoup plus à Spinoza.

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