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12- 09/03/82 - 2

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Cours 12 du 9/03/82 Deleuze Cinéma Transcription : Nicolas Lehnebach

(...) telle qu’elle apparaît dans l’exemple privilégié : “force résistance”, ou “effort résistance”, deux termes. Et il faut dire de la secondéité deux choses, c’est que, elle est dite secondéité parce que elle vient après la priméité, mais aussi parce qu’en elle même, elle consiste en « deux ».

Là où il y a image-action, ou là où, je dirais aussi bien, là où il y a sentiment de réalité, il y a « deux ». Vous me direz on n’a pas beaucoup avancé, bon. Cherchons alors, cherchons, qu’est-ce qui pourrait nous arranger ?

Trois temporalitées chez Pierce

-  PIERCE lui, il va faire tout un système... supposons qu’on ait fini avec MAINE DE BRIAN, j’en n’ai pas dit lourd sur MAINE DE BRIAN mais juste ce qu’il fallait. Supposons qu’on fasse tout un syst... que euh, maintenant, on envisage le système de PIERCE. PIERCE va distribuer l’ensemble de ce qui apparaît, l’ensemble des phénomènes sous trois catégories. Et les trois grandes catégories de PIERCE, très insolites à première vue mais peut-être qu’on est un peu mieux armé pour les comprendre c’est :

Priméité, secondéité, tiercéité.

Il dit : “tout ce qui apparaît”, et il appelle cela : des “catégories phénoménologiques”. Ou comme il emploie des mots de plus en plus compliqués, il adore les créations de mots, c’est son droit, des “catégories phanéroscopiques”, mais le phanérum en grec c’est la même chose que le phénoménum donc euh... catégories phénoménologiques disons. Et tout ce qui apparaît donc va être ou bien phénomène de priméité ou phénomène de secondéité ou phénomène de tiercéité.

Bien... alors, cherchons un peu... qu’est que mais qu’est-ce que ça peut nous faire tout ça ? pourquoi ? quand même, j’essaie pas de gagner du temps, ça serait une idée abominable tout ça... alors, pourquoi raconter tout ça ? C’est comme au hasard, EISENSTEIN ne peut pas être euh... soupçonner d’avoir lu MAINE DE BRIAN, bien qu’il ait lu beaucoup.

-  EISENSTEIN

Dans un curieux texte euh... d’un livre d’EISENSTEIN La non-indifférente nature, dont on aura à parler par la suite, La non-indifférente nature, EISENSTEIN nous dit à peu près la chose suivante :
(quoi ?)...
nous dit à peu près la chose suivante. Il dit, il y a de très curieux états par lesquels on passe. Ce sont de pures affections... et ces états de pures affections, c’est comme si on ne peut les saisir que dans la mesure, ça peut être très simple, mais c’est comme si ils nous mettaient hors de nous-mêmes. Rupture de la relation avec un moi. Et il dit c’est ça, alors il retrouve un concept qui lui est propre, tiens ça va j’espère nous intéresser, il dit c’est ça, c’est ça que j’appelle l’extase ou le fond du pathétique.

L’extase, elle est du type, non pas du tout « je vois ceci », mais « il y a ». L’extase c’est jamais, et il cite et il va jusqu’à citer des textes pathologiques et des textes mystiques, tout nous va. MAINE DE BRIAN aussi faisait allusion à des textes mystiques.
Le mystique, il commence pas par dire « je vois Dieu », ce qui serait d’ailleurs une proposition insupportable à son orgueil, à son humilité plutôt. Il dit pas « je vois Dieu » ou « je vois le Christ », il dit « il y a la déïté ». C’est-à-dire il ne voit rien du tout, il éprouve un affecte, il éprouve un affecte pur, sans relation avec le moi, sans relation avec l’espace et le temps.

Et voilà qu’EISENSTEIN nous dit c’est ça que j’appelle le pathétique. Une fois dit que, et même l’extrême du pathétique, une fois dit que la pathétique c’est en effet le mouvement d’être hors de soi.

Et il nous dit, s’il y a une chose au monde qui est supra-historique, c’est ça. C’est ça qui est supra-historique, et, voyez que ce monde du pathétique va couvrir beaucoup de choses puisque il va terminer son texte en donnant comme exemple la faim. Il dit : i n’y a pas plusieurs manières d’avoir faim d’après les époques. La faim c’est exactement ce que MAINE DE BIRAN appellerait une affection impersonnelle. Sentiment de la faim qui n’est même plus considéré sous la forme d’un « j’ai faim », mais sous la forme de « il y a de l’affamé ». Pur affect impersonnel qui n’est même plus localisé dans l’espace et dans le temps... et qui en effet...
Et, EISENSTEIN - alors ça m’intéresse parce que c’est trés curieux - EISENSTEIN fait ses catégories et propose un ensemble de catégories où vous avez d’un côté la sphère du pathétique fait d’affections simples sur le mode du « il y a » sentiment absolu, sentiment absolu d’entité. On retrouverait là toutes les entités dont j’ai essayé de parler la dernière fois, supra-historiques, hors de l’espace et du temps, qu’il va distinguer du monde historique ou du monde de l’action qui lui, est un monde à coordonnées spatio-temporelles avec des individus relatifs à une époque ou déterminés par une époque etc., mais voyez ces deux sphères qui correspondent exactement à la priméité et à la secondéité. Et puis alors bon euh... ce serait intéressant ce texte de le voir de très près.
Alors il dit, EISENSTEIN s’en prend très violemment à la religion parce que il dit voilà, voilà le tort de la religion. La mystique, c’est rien parce que les mystiques ils sont très exacts. Ils disent, il y a de la déïté mettons, présence d’une qualité puissance. Eh ben oui ça c’est très bien dit EISENSTEIN. Mais l’opération de l’église, d’après EISENSTEIN, c’est précisément de rapporter ces états d’affections simples à des coordonnées spatio-temporelles, à tout un mécanisme de causes, à des "moi", et dire c’est la preuve de l’existence de Dieu etc, etc. Alors il dit, là y a une opération qui défigure complètement le pathétique.

Voyez c’est très correspondant là... euh je dirais c’est bien au niveau de l’histoire, c’est la même histoire que je raconte sans du tout, je cherche pas un rapprochement arbitraire de texte. Ça me paraît très très étonnant que il y ait cette correspondance. Et si je venais à en chercher une autre de correspondance...

-  GODARD

Je me dis, bon, c’est curieux, y a un thème qui a toujours obsédé GODARD. Et là aussi GODARD, il est comme EISENSTEIN euh... c’est quelqu’un qui lit beaucoup, beaucoup, beaucoup hein, il a beaucoup lu mais ça m’étonnerait, je sais pas pourquoi, je sais pas pourquoi, ça m’étonnerait qu’il ait lu PIERCE. Or, beaucoup d’entre vous savent avec quelle persistance à travers toutes ces différentes époques, si l’on peut dire, Godard a utilisé et manié un thème qui peut être résumé sous la forme, un thème qui concerne étroitement sa conception des images au cinéma et qui peut être ramené à la forme : 1,2,3...

1,2,3.

Et, je dis à travers les époques parce que à travers les époques, ça a prit des sens assez différents, mais, à ma connaissance c’est toujours revenu dans la pensée de GODARD comme un thème obsessionnel comme une espèce de clé pour comprendre l’image-cinéma.

Et le thème du 1, 2, 3 il apparaît je crois que une de ses premières apparitions très euh... explicite, c’est à propos de Deux ou trois choses que je sais d’ellec’est ça ? Deux ou trois choses que je sais d’elle, (c’est ça !) oui...
mais ensuite pendant sa période Vertov, là, le 1, 2, 3 bon ressurgit, reprend un autre sens, dans Ici ailleurs, il prend, à mon avis un autre sens, dans les émissions télé, il va ressurgir alors à fond le 1, 2, 3 en prenant encore un autre sens. Et évidemment c’est pas parce qu’il dit 1, 2, 3 qu’il est hégélien ou qu’il est marxiste hein, non, je veux dire les hégéliens ils disent, ils disent 1, 2, 3 mais euh, mais ce serait offensant pour HEGEL et pour les autres de penser que ça suffit à définir un hégélien. Y a des gens qui disent 1, 2, 3 et qui sont pas du tout hégélien, tout dépend comment on conçoit le 1, 2, 3, alors, bon ben... GODARD il dit 1, 2, 3 et il pense nous apporter un message vraiment très profond sur la nature de l’image au cinéma, bien. Je me dis, ça... on va finir bien par la rencontrer cette histoire, on en tient le début.

Y aurait des images de priméité, des images de secondéité et PIERCE nous dit des images de tiercéité.

On commence à se débrouiller dans les deux premiers types d’images : priméité, secondéité. Mais enfin, on se débrouille encore assez mal.

-  PIERCE

D’où, prenons maintenant PIERCE. Ce que je voudrais que vous sentiez c’est à quel point on va avoir besoin de PIERCE. Voilà comment il nous définit priméité, secondéité, etc. C’est pas difficile tout ça, hein, ça va, vous... c’est ennuyeux mais c’est pas difficile.

Intervention : “C’est pas du tout ennuyeux !”

« La priméité est le mode d’être de ce qui est tel qu’il est ».

Alors hein, il pèse ses mots hein... c’est, c’est un genre de penseur qui pèse chaque mot hein, « La priméité est le mode d’être de ce qui est tel qu’il est positivement et sans référence à quoi que ce soit d’autre ». Là, on comprend pourquoi ça s’appelle priméité, c’est ce qui est « un ». Seulement qu’est-ce qui est « un » ?
Bien ce qui est « un » c’est ce qui est tel qu’il est positivement et sans référence à quoi que ce soit d’autre. Un exemple, vous me direz, donnons-le tout de suite.
Je dis : le rouge.
Le rouge, tout le monde me comprend. Bon, je dis « le rouge ». Ce mot renvoie à quelque chose qui est tel qu’il est le « rouge », positivement et sans référence à quoi que ce soit d’autre.

« La secondéité est le mode d’être »...

Intervention : « mais quand on dit le rouge c’est... » inaudible

Deleuze : quand on dit le « rouge » parce qu’il y a un mot et qu’un mot, c’est manifestement de la tiercéité, mais ce que désigne le mot...
essayez par abstraction, vous me direz ah... oh ça pose des tas de problèmes, vous allez voir ce qu’il dit hein, vous allez voir ce qu’il dit.
Oui, ça euh, votre remarque est très juste, ça va de soi que, si vous tenez compte du mot le « rouge » mais je pourrais m’en passer, je pourrais faire sans, euh... vous suiviez mon doigt mais y a mon doigt qui lui introduit un rapport mais c’est parce que j’essaie de parler, de vous parler c’est donc de la secondéité au moins. Mais, si je suis dans le rouge là moi, j’ai, j’ai un phosphène rouge au moment de m’endormir ça arrive, une lueur rouge, le rouge je le dis à personne, voilà, il y a, il y a le rouge, y a le rouge dans mon œil mais je le dis pas, je dis rien, y a le rouge. Ben, c’est une qualité telle qu’elle est, positivement et sans référence à quoi que ce soit d’autre. Vous me direz « si c’est en référence à ton œil », non c’est pas en référence à mon œil, ça le sera si j’introduis d’où vient ce rouge, si je pose une question de la cause. Mais là, pas du tout, je suis absolument comme une vache avec euh ah...euh, une vache qui se dit « ah ! y a du vert ». Hein... elle se dit pas « y a de l’herbe », « y a de l’herbe » ce serait de la secondéité hein. Là y a du vert...une vache qui mangerait pas quoi, parce que manger c’est de l’action, voilà bon.

« La secondéité est le mode d’être de ce qui est tel qu’il est par rapport à un second. »

Vous direz ça va de soi, ça va pas de soi du tout tout ça. « La secondéité est le mode d’être de ce qui est tel qu’il est par rapport à un second mais sans considération d’un troisième quel qu’il soit. »
Sentez tout ce qui est réel, tout ce que vous éprouvez comme réel est de la secondéité.
Force-résistance, action-réaction. La secondéité c’est toutes les formes de duels. Partout où il y a duel, il y a secondéité. Et tous les phénomènes qui ressortissent d’un duel quelconque... action-réaction, force-résistance et bien d’autres euh... eh bien d’autres encore renvoient à la catégorie de secondéité. La tiercéité, alors ça qui n’avait pas d’équivalent chez Maine DE BIRAN, du moins dans mon analyse hein.

« La tiercéité est le mode d’être de ce qui est tel qu’il est en mettant en relation réciproque un second et un troisième. »

C’est-à-dire, il y a tiercéité chaque fois qu’il y a médiation... chaque fois qu’il y a médiation... ou disons le mot peut-être, chaque fois qu’il y a loi ou possibilité de loi. Chaque fois qu’il y a loi ou possibilité de loi, est-ce que j’en n’ai pas trop dit parce que dans le, dans le duel euh, dans la secondéité...

Coupure

Exemple de tiercéité
... de l’eau bouillante, je veux de l’eau bouillante, bon, je la mets sur le gaz, je la fais bouillir, j’attends. Voilà, je prends cet exemple pour distribuer à la PIERCE les trois catégories. Supposez qu’elle ait bouillie et puis je plonge mon doigt dedans alors qu’elle est bouillante. Euh... je pousse un hurlement, la douleur est si grande que c’est même plus une douleur locale, c’est vraiment : "il y a du bouillant", affection pure. Je sais même plus où j’en suis, j’ai giclé hors de l’espace et du temps, sous la douleur, euh affection pure oh lala, euh... c’est même plus moi qui ai mal, le monde a mal, bon, voilà.
Je dis c’est la priméité.
Y a bien une loi d’après laquelle l’eau bout, cette loi, vous constatez que c’est une médiation. C’est une médiation entre l’eau et la chaleur telle que la chaleur doit être à cent degrés pour que l’eau bout. Cent degrés est ici la médiation légale. Je dirais, c’est le nombre de la tiercéité. Vous avez trois termes. Un terme, un second terme, une médiation qui rapporte un à deux. C’est très simple ce qu’il dit mais mais ça me paraît trés...c’est... les philosophes anglais ils procèdent toujours comme ça. Ils sont dans des trucs absolument simples qu’ils découpent d’une manière tellement tordue, tellement bizarre que on a l’impression qu’ils vous parlent d’une autre planète... et c’est avec ça qu’ils construisent leurs concepts. C’est très très curieux, y a que les anglais qui savent faire ces coups-là... bon alors ça c’est la tiercéité.
Mais moi quand je veux faire bouillir de l’eau, qu’est-ce que c’est ? Ben, c’est un rapport force-résistance. Vous me direz y a une loi. Bien sûr y a une loi mais la loi, elle porte pas du tout sur le fait que je veuille faire bouillir de l’eau. La loi c’est quoi ? c’est l’énoncé de la possibilité de porter, et je dis bien, de la possibilité de porter l’eau à l’ébullition. Une loi est toujours comme on dit en terme savant hypothético-déductive. Elle est hypothétique et elle s’exprime sous la forme : si tu portes l’eau à cent degrés, elle entrera en ébullition. D’accord si je porte l’eau à cent degrés, elle entre en ébullition, c’est le domaine de la tiercéité. Bon mais, quand je veux faire bouillir de l’eau, c’est pas au nom de la loi, c’est au nom de quoi ?
C’est au nom d’un phénomène de secondéité, à savoir : moi, le but que je me propose. Et ça se fait dans un monde de la secondéité, à savoir mon effort : il a fallu que je remplisse la casserole, que je la porte, que je la mette sur le gaz... et, la résistance. La résistance à mon effort c’est quoi, là... comme disait BERGSON dans une autre occasion : faut bien attendre que le sucre fonde, faut bien attendre que l’eau bout... c’est la forme d’inertie et de résistance qui s’oppose à mon effort. Lorsque vous voulez faire bouillir de l’eau, vous êtes dans le monde de la secondéité, bien que la loi au nom de laquelle l’eau bout fasse partie de la tiercéité.
Vous comprenez ?
Ça doit être très très concret ça doit changer même votre manière vous comprenez, vous...l’idéal c’est que vous ne fassiez plus jamais bouillir de l’eau de la même façon... euh, pas de la même manière que les choses se sont distribuées. Ça c’est le monde signé PIERCE. C’est un monde très curieux, très attirant, très...

Bon alors bien sûr les actions et réactions répondent à des lois. Oui, elles répondent à des lois, mais pas en tant qu’actuelle, pas dans leurs réalités. Elles répondent à des lois dans ce qui les rend possible, or ce qui les rend possible, c’est des phénomènes de tiercéité. Mais en elles mêmes c’est de la pure... c’est de la pure secondéité... l’actualité même est pure secondéité.
D’accord ?...

Alors, là-dessus, si vous comprenez vaguement cette première différence, priméité, secondéité, tiercéité.

Il va, dans certains textes - parce que, on va comprendre qu’en fait c’est bien plus compliqué que ça - dans certains textes, il va dire, eh ben, en gros, à la priméité, à la secondéité, à la tiercéité correspondent trois sortes de signes.
Moi je dirais pour mon compte, et la différence il me semble est très très mince, correspondent trois sortes d’images.

Y a des images de priméité, et comment qu’on va les appeler les images de priméité ? au plus simple. Je dis bien ce n’est pas l’état final de la pensée de PIERCE, hein, mais il passe par là. On va les appeler des icônes.
C’est des icônes.
Un icône, qu’est-ce que c’est en effet, c’est un signe qui fait signe en fonction de ce qu’il est. Uniquement de ce qu’il est. C’est un signe de priméité. C’est un signe qui fait signe en fonction de ce qu’il est. Nous appelons ça une icône... j’ai dit un icône ? pardon euh... nous appelons ça : une icône...

Bon... Signe de secondéité... c’est un signe qui fait signe en fonction d’autre chose d’existant, d’autre chose d’actuel. C’est un signe actuel qui fait signe en fonction d’autre chose d’actuel.
Il faut qu’il y ait deux.
Un tel signe nous l’appellerons : un indice.
Par exemple : pas de fumée sans feu. La fumée fait signe en rapport avec quelque chose d’autre qui est actuel même si ça m’est pas donné... faut qu’il y ait du feu, je vois de la fumée, y a pas de fumée sans feu, bon... la fumée est l’indice d’un feu.
L’indice ça sera le signe de la secondéité.
Action-réaction, je dirais un baromètre... tiens on pourra faire le code de la route comme ça d’ailleurs, on pourrait, vous allez voir... enfin, il faut pas compliquer. _ Ben y a des signes de secondéité, des signes de priméité et y a des signes de tiercéité... enfin euh...

Un signe de tiercéité, c’est ce qu’il appellera : des symboles.
Un symbole c’est un signe qui unit deux choses par une médiation.

C’est le monde de la signification car... selon lui, selon Pierce, il n’y a pas de médiation qui unisse deux choses indépendamment d’une signification.

C’est la signification qui est de la médiation même... bon, peu importe, tout ça ce serait compliqué.
Voilà, je dis... maintenant... ça peut préciser notre vocabulaire... un tout petit peu.

Je dirais les images affections sont des icônes...
ça va bien, tout ce qu’on a vu sur le gros plan tout ça, voilà et euh... je sous-entends que il nous apporte autre chose que des mots là, ça doit nous faire faire des progrès.

Et les signes de l’image-action sont des indices.

Et je dis : 1, 2. Bon... et quand je dirai 1, 2 maintenant ça voudra dire : je mets là un icône et puis je mets là un indice... puisque je vous le rappelle que 2 c’est pas seulement ce qui vient après 1, 2 c’est ce qui en soi même et par soi même est 2... et si 2 vient après 1 c’est parce que 1 est en soi-même 1 priméité et que 2 est en soi-même 2 secondéité.
Alors je dis bon, je dis 1 et puis je dis 2 et puis si j’ose je dis 3 mais est-ce que je tombe ou est-ce que je tombe pas quand je dis 3 si y a quelque chose dans le cinéma qui soit de la tiercéité.

Ce sera pas rien. Qu’est-ce que veut dire GODARD lorsqu’il dit : 1,2 et puis 3.
Sans le savoir, sans le vouloir, peut-être est-il le plus pur disciple de PIERCE.

Mais enfin, on n’en est quand même pas là, on tient juste : image de priméité ou icône... ou image-affection, quoi.
Image-action égale indice ou image de secondéité.

Ah bon, est-ce qu’on peut développer un peu déjà... euh, ou bien alors il faut que j’en finisse avec PIERCE...
ouais, oui oui, parce que sinon la prochaine fois on n’en pourra plus.

Donc seulement, reprenons, faut pas se lasser, tant que, tant que y aura quelque chose d’un peu obscur.

La priméité, telle que la définit PIERCE c’est en fait très, très compliqué. C’est tellement compliqué à comprendre par l’esprit que il faut bien... faut, faut essayer de sentir ce qu’il veut dire. Lui-même moi j’ai l’impression que lui-même par moment il, il peut pas s’exprimer. Y a bien en effet, c’est pas, c’est pas étonnant, dans la priméité y a quelque chose d’ineffable. Dès que vous vous servez de mots, on est déjà dans la tiercéité alors...

À la rigueur avec la tiercéité on peut pressentir ce qu’est la, la secondéité mais, arriver jusqu’à la priméité pure c’est pas facile hein. Mais il essaie, alors il se crée un langage. Il essaie et une de ses formules les plus satisfaisantes c’est, il dit : « la priméité c’est ce qu’il y a de conscience immédiate et instantanée dans toute conscience ».
Seulement méfiez-vous, aucune conscience n’est immédiate et instantanée. Il n’y a pas de conscience immédiate et instantanée qui soit donnée en fait.
Pour une raison simple.
Il n’y a pas de conscience immédiate et instantanée qui soit donnée en fait pour la simple raison que, le fait, c’est le domaine de la secondéité.

Il n’y a de fait que comme relation entre deux choses.

Donc, la formule elle devient très, très bizarre la formule qu’il emploie, c’est pour ça que il faut que vous la reteniez à la lettre ou que vous l’oubliez complètement.

« Ce qu’il y a de conscience immédiate et instantanée dans toute conscience est, tandis qu’aucune conscience n’est immédiate et instantanée ».

D’accord, c’est pas contradictoire... aucune conscience n’est immédiate et instantanée mais il y a une conscience immédiate et instantanée dans toutes conscience. Simplement faut rudement gratter pour la dégager. Et alors qu’est-ce que c’est, cette conscience immédiate et instantanée qui est présente dans toute conscience ?

Prenons un exemple, il le prend lui-même.
« Le rouge »
et c’est l’exemple qu’il prend, « le rouge », comme affection pure. La petite fille à l’école c’était, tout à l’heure, c’était « le jaune ». Ça pourrait être la faim, ça pourrait être la faim, car je commence par un des plus beaux textes de, de Pierce, quand il veut essayer de nous faire vaguement comprendre ce que c’est la priméité, il donne une liste d’exemple qui fait rêver... euh... - où c’est... si je le trouve plus ça sera catastrophique... évidemment j’ai perdu la page... Ah voilà !

Parmi, ça vous donnera un exemple de son style, parmi les phanérums, c’est-à-dire parmi les phénomènes, parmi les phanérums il y a certaines qualités sensibles comme :

-  la valeur du magenta,
-  l’odeur de l’essence de rose
-  le son d’un sifflet de locomotive
-  le goût de la quinine
-  la qualité de l’émotion éprouvée en contemplant une belle démonstration mathématique
-  la qualité du sentiment d’amour, etc...

Il nous dit tout ça c’est des qualités et
les qualités c’est la priméité.

Comprenez c’est déjà énorme. Ça peut pas être actuel. C’est vrai que, l’actualité c’est toujours le rapport d’une action et d’une réaction, c’est toujours le rapport force-résistance. Donc la priméité selon PIERCE ce sera les qualités pures ou les pures puissances. Il emploie lui-même le mot : potentialité.
Ce sont des qualités ou potentialités...

Ah bon, c’est des qualités ou potentialités, comme ça nous va...
Qu’est-ce qu’on rêve et qu’est-ce qu’on pouvait rêver de mieux ?
Un philosophe qui a tout trouvé alors sur cette nature, euh, de l’image-affection telle qu’on l’a cherché. Et ça peut être le sifflet des wagons de locomotive, de la locomotive, ça peut être la quinine, ça peut être l’amour, ça peut être la faim, la soif... ça recouvre à peu près les affections pures et les affections impersonnelles de MAINE DE BIRAN. Mais vous me direz, mais comment c’est pas actuel ?qu’est-ce que ça veut dire...

reprenons l’exemple, « le rouge ».
Vous pouvez percevoir du rouge, c’est un mode de conscience, perception de rouge, là il est actuel, vous êtes dans la secondéité. Lorsque vous percevez un objet rouge, vous êtes en pleine secondéité. Sujet percevant-objet perçu, action-réaction, effort-résistance, tout ce que vous voudrez vous êtes dans la secondéité, vous êtes dans la relation.

La tiercéité c’est la médiation, la secondéité c’est euh la relation.

Bon... lorsque vous pouvez vous souvenir du rouge... « Ah ! je me rappelle, il avait mis son bel habit rouge », je dis hier, « Ah oui, elle avait mis sa belle jupe rouge... ». Voyez, je fais mes exemples de plus en plus tentant pour que vous... pour que vous suiviez mieux, ah ! oui elle avait sa jupe rouge... Bon...
Je peux imaginer du rouge, là je verrai du rouge, je dis ah oui ça je fais un... je vais faire un tableau, je dis là oui je vois du... je verrai du rouge bon... je peux faire tout ça.

La priméité n’est dans aucun de ses modes de conscience. Ce n’est ni du rouge perçu, ni du rouge imaginé, ni du rouge souvenu.

C’est quoi ? C’est ce qu’il y a de, je recommence, c’est ce qu’il y a d’immédiate et d’instantanée dans tous ces modes de conscience. Ah qu’est-ce que c’est ça alors qu’est-ce qu’ y a de...d’immédiate et d’instantanée dans tous ces modes de conscience, perception, imagination, mémoire, lesquelles ne sont pas, eux-mêmes, immédiates et instantanées. Mais c’est formidable comme idée, je crois que c’est un statut du sensible que PIERCE impose là qui est fantastique.
Il dit, ben oui, c’est pas difficile, il dit, alors là il prend un ton plus, qui se met, c’est de la grande philosophie délire... et plus qui va loin plus euh... plus il prend des exemples familiers. Il dit y a des gens très bizarres, ils pensent que quand un objet est dans le noir...que quand un objet rouge est dans le noir il cesse d’être rouge. Il dit c’est quand même une drôle d’idée, il dit ah ben oui si ils vivent comme ça eux alors ils sont pas bons pour mes catégories.
Parce que, bien sûr quand un objet est dans le noir il cesse d’être actuellement rouge... ça d’accord. En effet, il y a plus de secondéité, dans le noir, y a plus de secondéité.
Mais... le rouge il cesse pas, il cesse pas du tout.
Pourquoi ?
Supposez que je dis « Oh... elle n’est pas en rouge », « Tiens, elle n’est pas en rouge »
Ma conscience du rouge comme conscience immédiate et instantanée n’est pas moins positive dans la formule « Elle n’est pas en rouge » que dans la formule « Oh, elle a mis sa belle robe rouge ».
Le rouge qui n’est pas actuel qui n’est pas actualisé n’est pas moins rouge que le rouge qui est prit dans une actualité, c’est-à-dire dans une secondéité. Et dans la mesure où le rouge est une priméité, il n’a rien à faire avec la question : Est-il ou non actualisé ?.

Intervention inaudible d’un auditeur

Ah ben c’est très bien, tu es ? hein ? eh ben très bien alors... tu vois tout va bien, tout va bien... d’accord... très bien, parfait, tout va bien... tout comme tu dis...

(Bruit) La porte s’ouvre

Deleuze : - Au revoir...
Oui, vous voyez cette histoire de... est-ce que vous sentez quelque chose ? Il faudrait que vous sentiez quelque chose, oui.
Je dis : Ce n’est pas rouge.
Eh ben, le « Ce n’est pas rouge » est une présentation immédiate du rouge égale à celle de la proposition « C’est rouge ».
Dès lors c’est forcé que le rouge comme pure qualité soit une potentialité soit une qualité puissance. Et y a un autre philosophe anglais, moi, qui me fascine dont je voulais parler tout à l’heure, puis j’ai renoncé à en parler parce que déjà que je suis en retard sur tout euh... mais auquel j’ai fait plusieurs fois allusion ; qui est WHITEHEAD.
WHITEHEAD, il s’entendait très mal avec PIERCE, ils se méprisaient tous les deux euh... les Anglais ils sont très... c’est comme ça, c’est la vie hein, mais Pierce il trouvait que RUSSEL et WHITEHEAD c’était vraiment pas grand-chose et puis RUSSEL et WHITEHEAD ils le lui rendaient bien hein euh... du coup euh bon mais ça fait rien...

-  WHITEHEAD

C’est quand même étonnant, WHITEHEAD, qui pour moi est un très, très grand philosophe autant que PIERCE, développe toute une thèse sur ce qu’il appelle les objets éternels.

Et il fait la distinction des objets éternels et des préhensions.

Et il dit l’objet éternel, l’objet éternel c’est une pure virtualité, une potentialité.
Il devient actuel quand quoi ? quand il se réalise dans une préhension...
C’est-à-dire dans un acte de perception si vous voulez, dans un acte d’appropriation, de perception mettons.

Il dit alors qu’est-ce que c’est l’objet éternel en lui-même ? Y en a de toutes sortes commechezPIERCEmaisunesorted’objetséternels,c’estlesqualités,lesqualitéspures,« lerouge »,

etjemesouviensd’unepagetrès belle de WHITEHEAD sur le bleu comme objet éternel.

Alors la secondéîté, c’est lorsque la potentialité s’actualise dans un état de choses.

Voyez qu’on est en train de dessiner notre image-action.

L’image affection, c’est la qualité puissance en elle-même.
C’est-à-dire, suivant cette formule merveilleuse - j’imagine pas de plus belle formule - encore une fois que ceci : « ce qu’il y a de conscience immédiate et instantanée dans toute conscience. »
Dans toute conscience qui elle n’est pas immédiate et instantanée.

Alors ça c’est, bon, mes images d’affection, les icônes.

Je demandais qu’est-ce qu’y a d’autre que les deux types d’icônes, pour moi je distinguerais deux types d’icônes : les icônes d’expression et les icônes, euh... ça serait bien ça alors... euh... Je dirais :
y a des icônes d’expression
et des icônes d’exposition,
conformément à mes deux types d’images-affection.

Et qu’est-ce qui peut arriver d’autre à une qualité-puissance que l’exposition ou l’expression ?
C’est la priméité.
Exposition ou expression, c’est la priméité .

Eh ben, il peut arriver qu’une chose à une icône :
passer à l’actualité.
La qualité-puissance s’actualise dans un état de choses déterminés dans un espace-temps déterminé, dans un état de choses individué. À ce moment-là, l’icône n’est plus icône, à ce moment-là, l’icône est devenu indice.
Indice de quoi ?
Indice de l’état de choses.
Vous avez une image-action. Vous avez déjà une image-action.

Tiercéité, pour le moment, je laisse de côté. Est-ce qu’il y a des images de tiercéité ? Pour le moment, on a vu :
La tiercéité, c’est ce qui met en jeu le futur.
Là, si je fais ceci, j’obtiendrais ceci par l’intermédiaire d’une médiation ou d’une loi.
Médiation, loi ou signification.
Bon eh ben, finissons-en avec PIERCE.

Seulement voilà, vous avez vos trois machins : priméité, secondéité, tiercéité.

Là, où ça se complique, il peut pas en rester là parce que il est euh c’est trop bien parti, c’est beaucoup trop bien parti. Qu’est-ce qui va tout compliquer ?

Là, je vais vite parce que vraiment je voudrais avoir fini ça aujourd’hui.

Non, j’essaie pas d’expliquer pourquoi ce problème vient. Surgit la notion de signe, puisque, en effet y a des signes de priméité, des signes de secondéité, des signes de tiercéité. Et voilà que Pierce va s’apercevoir que ce qu’on appelle un signe a lui-même trois aspects. Non seulement y a :
-  des signes de priméité : icônes
-  des signes de secondéité : indices
-  signes de tiercéité : symboles
mais, tout signe quel qu’il soit, a lui-même trois aspects.

Premier aspect, mettons - je simplifie beaucoup - mettons, le signe en lui-même. Le signe en lui-même. Il l’appelle d’un nom barbare : le représentamen. Peu importe. Le signe en lui-même.

Deuxième aspect : le signe par rapport à un objet dont il tient lieu.
En effet, un signe c’est quelque chose qui tient lieu d’autre chose. « Tenir lieu » est l’expression plus vague pour exprimer l’opération du signe. Donc, y a le signe en lui-même, deuxième aspect, y a le signe par rapport à l’objet dont il tient lieu, et

troisièmement, y a le signe par rapport à ce qu’il appelle l’interprétant. Et là c’est une notion aussi très complexe.
L’objet c’est quoi ?
L’objet c’est pas forcément un objet réel. Vous pouvez avoir signe d’un objet qui n’existe pas. Et en plus, vous pouvez avoir signe désignant un objet qui ne peut pas exister. Donc, c’est pas forcément l’objet réel. Et l’interprétant, surtout ce n’est pas celui qui interprète le signe.

Ce que PIERCE appelle « l’interprétant, c’est d’autres signes qui forment avec le premier signe une série d’après laquelle la signification du signe va être complétée, développée ou déterminée. »

L’interprétant, je répète c’est, un ensemble de signes ou une série de signes liés au premier signe de telle manière qu’ils en développent, complètent ou déterminent la signification, la signification du premier signe.

Exemple tout simple : je dis le mot "grenade" euh, bien plus, il dira dans une formule très très abstraite, très très obscure PIERCE : finalement l’interprétant c’est l’habitude.

Y a pas de philosophes anglais qui un moment quelconque ne ramènent l’habitude. Pour eux, ça tient lieu de... C’est le meilleur concept pour eux. Mais ils se font une conception de l’habitude qui est alors, à la lettre vraiment pas croyable, très très curieuse, très belle. Ça de toutes traditions chez les anglais quand vous rencontrez le thème “habitude,” je crois qu’il faudrait le traduire plus euh, ceux qui ont fait du latin je dis uniquement pour ceux qui euh... c’est beaucoup plus proche de ce que les latins appelaient “habitus”, c’est-à-dire le mode d’être, mode d’être.

Exemple du troisième aspect du signe
Eh ben, je dis le mot “grenade”,je dis le mot "grenade". "Grenade" ah bon, bien, c’est un signe, c’est un signe le mot "grenade".
Mais, signe de quoi ? Première série d’interprétants :
"ville", "Espagne".
Je dirais : "ville", "Espagne" sont les interprétants de "grenade" de ce point de vue là.
Je dis : "dégoupiller", boum boum".
C’est autre chose.
C’est une autre série d’interprétants, à ce moment là, c’est que “grenade” n’était pas signe de la ville d’Espagne, “grenade” était signe de l’arme de guerre.
Y aurait une troisième série : “grenade”, “arbre”, “grenade”, est-ce un arbre ou une plante ? oui, euh c’est un arbre euh... "fruit" etc. Bon, vous pouvez toujours comme ça constituer des séries d’interprétants.
Voilà c’est ça le troisième aspect du signe.

-  Introduction au tableau de Pierce

Bien, alors, pour en finir parce que je vous sens épuisés, on va avoir un tableau très, très curieux, on va avoir un tableau. Là, j’ai pas le temps de sauter au tableau mais il faut que vous voyiez.
Si j’avais une feuille de papier, je mettrais en horizontal.
Là ! vous voyez, vous suivez mon doigt.
Je diviserais trois colonnes mais je me réserverais à gauche quelque chose hein, et je ferais trois colonnes à partir du milieu de la page.
-  Priméité : première colonne
-  Secondéité : seconde colonne
-  Tiercéité : troisième colonne.

Et puis, verticale, dans la marge, je mettrais mes trois aspects du signe :
-  signe en lui-même
-  signe par rapport à son objet
-  signe par rapport à son interprétant

Calculons rapidement, ça va me donner combien de signes ? Combien de signes de base ?

Neuf.

Et je vous donne la liste parce qu’elle est trop charmante euh et elle sert à tout, vous comprenez, et puis après on va pouvoir combiner mais on s’arrêtera là.

-  Premier aspect du signe : le signe en lui-même.
Alors, dans la colonne Priméité ça sera les qualisignes.
Q.U.A.L.I.S.I.G.N.E. etc.
Qualisigne.
Qu’est-ce que ça veut dire un qualisigne ?
C’est lorsque c’est une qualité qui fait signe.
C’est une qualité qui fait signe.

-  Signe de secondéité, c’est ce qu’il appelle un sin signe. S.I.N. plus loin Signe. Un sin signe.
Pourquoi ?
Le sin signe, c’est un signe qui fonctionne dans un état de choses, dans un état de choses singulier.
C’est le préfixe de singulier qu’il a pris.
Lui, dit singulier moi je préfèrerais dire individué puisque je me suis servi de singularité pour au contraire la priméité mais ça compte pas ça.
C’est-à-dire dans ce cas là le sin signe, cette fois ci, c’est bien un signe mais cette fois c’est une existence qui est signe. Ça n’est plus une qualité ou potentialité qui est signe c’est une existence qui est signe.

-  Signe de tiercéité, ce qu’il appelle un légisigne.
Légisigne.
Cette fois, c’est une loi qui est signe.

Par rapport à l’objet :

-  signe de priméité : icône.
En effet, une icône sera définie comme ceci :
« C’est un signe qui renvoie à l’objet par des qualités qui lui sont propres à lui, signe ».
C’est un signe qui renvoie à l’objet par des qualités qui lui sont propres. Par exemple : la ressemblance.

Une icône est ressemblante, or sa ressemblance est une qualité qui lui est propre.

Du côté de la
-  secondéité : indice.
Que cette fois maintenant en sens plus précis PIERCE va définir : c’est un signe qui renvoie à l’objet parce qu’il est affecté par cet objet.

-  Signe de tiercéité : symbole.
Cette fois-ci, c’est un signe qui renvoie à l’objet en vertu d’une loi ou d’une habitude.

Enfin, par rapport à l’interprétant.

-  Signe de priméité, ce qu’il appelle le rhème.
R.H.E.M.E.
C’est un signe qui dit-il pour son interprétant est signe de possibilité, et c’est l’équivalent en logique formelle de ce qu’on appelle un terme.

-  Signe de secondéité ce qu’il appelle le dicisigne.
D.I.C.I.Signe.
Le dicisigne qui répond à ce qu’on appelle en logique formelle une proposition. Cette fois-ci, c’est un signe qui pour son interprétant est signe d’existence réelle.

-  Signe de tiercéité, ce qu’il appelle un argument.
Argument. Et euh, et voilà et cette fois ci c’est un signe de loi, et, ça correspond, à ce qu’on appelle en logique formelle, un raisonnement.

Bon. si ça vous amuse, c’est un exercice pratique. Voyez bien que vous pouvez combiner vos neuf types de signe. Vous aurez tout compris de Pierce lorsque sans vous reporter à ses propres tableaux à lui il se lance dans des tableaux, toute sa vie il va remanier son tableau, il va en ajouter d’ailleurs ça va devenir de plus en plus dément.
Mais, déjà avec vos neuf signes, il y a des combinaisons permises et des combinaisons pas permises.

Un exemple, je prends un exemple : est-ce que je peux parler d’un qualisigne indiciel ?
Et ça vous ouvre une logique, une drôle de logique formelle, ça vous ouvre une logique formelle d’un type très nouveau qui va être tout un aspect de ce qu’il appelle une sémiotique.
Est-ce que vous pouvez parler d’un symbole rhématique ? Un symbole rhématique, est-ce que vous pouvez en parler ? Sentez que, dans les combinaisons il y a des incompossibilités, y a des incompatibilités et y a des compatibilités. Oui ?...

Intervention : question inaudible

...un qualisigne ? un qualisigne.
Eh ben. c’est un signe qui fait signe.
Euh non, pardon !...

Rire

...C’est une qualité qui fait signe.
Du rouge, vous prenez comme signe du rouge.
Lorsque une qualité est prise comme signe, je dirais presque : un aspect du feu rouge. Quand je parlais du code de la route, ça serait très intéressant de prendre les différents signes du code de la route et de voir dans quelles catégories de PIERCE.
Le rouge-vert. Là, ce sont de pures qualités qui font signe. Ce ne sont pas seulement des qualisignes. parce que en fait c’est aussi des indices etc. Mais, si vous dites : je ne retiens du feu rouge et du feu vert que cet aspect abstrait séparé des autres, le rouge est signe, le vert est signe, vous avez un qualisigne...

Intervention : question inaudible

...Quoi ! un cri.
Je préférerais un cri, un cri. Un cri c’est un indice d’abord, une onomatopée, à mon avis oui, vous auriez raison, une onomatopée c’est une icône.
Euh, c’est pas un qualisigne c’est une icône puisque une onomatopée ça renvoie au second aspect du signe.
Quel rapport avec un objet ?
Parce que sinon vous distinguez pas une onomatopée d’un bruit. Si vous me dites un bruit qui fait signe,
oui c’est un qualisigne...

Intervention : question inaudible

...Un signe par définition c’est : un quelque chose qui renvoie à quelque chose d’autre et qui a des interprétants qui se développent dans d’autres signes hein.
Tout signe réunit ces trois aspects, mais c’est une abstraction légitime que dire : je vais commencer par considérer le signe en lui-même en tant qu’il est lui-même quelque chose, et puis je vais le considérer en tant qu’il renvoie à quelque chose, et puis je vais le considérer en tant qu’il a des interprétants.
Il est bien entendu que tout signe... si bien que y a pas des qualisignes qui ne soient que des qualisignes. ou peut-être que si, mais des cas extraordinaires. Par exemple, j’imagine un qualisigne qui n’est que qualisigne, ben j’dirais c’est en effet ; je m’endors et j’ai ce qu’on appelle une lueur entoptique. Remarquez que si j’ai une lueur rouge dans l’œil, et que je me dis ou lala, j’ai une artère qui vient de craquer...

Rire

...c’est plus un qualisigne ça, plus du tout un qualisigne, mais une lueur entoptique c’est proche d’un qualisigne. Vous aurez jamais un exemple pur, vous aurez une prévalence de ceci ou de cela.

Alors. euh. j’ai presque fini. Qu’est-ce qu’on retient de tout ça ? Pourquoi j’ai, pourquoi j’ai raconté tout ça ?
Eh ben, vous comprenez, parce que là du coup ça nous lance.
On avait besoin d’un relancement et que enfin la philosophie nous relance. vous savez.
Pourquoi ?
Parce que je tiens encore une fois le moment où je peux faire commencer abstraitement comme ça l’image-action, c’est-à-dire, le troisième type d’image.
Je sais où elle commence, et puis, je sais aussi qu’on va avoir de rudes problèmes.

Je dirais, l’image-action, c’est pas difficile, elle commence à partir du moment, là je pèse mes mots, quand on passe des qualisignes aux sin signes.
Car, je reprends alors mon vocabulaire, pour plus de commodités.
J’appellerai sin signe, moi pour mon compte, j’appellerai sinsigne les qualités puissantes en tant qu’effectuées dans un état de choses individué. C’est-à-dire : en tant qu’effectuées dans un espace-temps déterminé.
À ce moment là il y a quoi ?
Il y a : monde actuel où pour le moment on peut traiter tout ça comme euh... équivalent mais on verra que peut-être pas, ou milieu, ou situation.

Monde actuel, milieu ou situation se définit comment, eh ben, c’est l’effectuation de qualités puissantes dans des états de choses.
Et, l’image-action, elle va de quoi ?
Elle va de la situation à l’action, elle va du milieu au comportement. Est-ce que j’en dis pas trop, pourquoi pas l’inverse ? j’en sais rien elle opère et elle balaie tout le domaine de la secondéité.
Bien eh ben mais ce domaine il va être immense, rendez-vous compte, rendez-vous compte à quel point il va être immense.

Intervention : Question inaudible

Le sinsigne oh lala c’est , c’est un état de choses ou un espace-temps déterminé en tant qu’il actualise des qualités puissances.
C’est ça ?
Alors euh, ça va être un programme immense, c’est pour ça que l’image-action, mais peut-être pas plus que, l’image-action vous comprenez ? il va falloir, on se trouve devant quoi qu’est-ce que ça va être les milieux, les mondes ? et puis, comment les actions vont-elles sortir des situations de milieux et mondes ?
On pourrait presque alors prendre une première formule. Qu’est-ce qu’y a ?
Première formule de l’image-action au cinéma. S situation tiré A action tiré S prime (S-A-S’)...

Coupure

... actualisé dans un état de choses déterminé.
L’action c’est quoi ?
Cherchons, cherchons vite là, euh, pendant qu’on est poussé par PIERCE.
Je dirais l’action c’est le duel.
L’action c’est toujours la relation, relation euh. action-réaction, force-résistance.
C’est le duel.
Bon, j’ai donc situation, qui est un sin signe, action qui est un duel, réaction sur la situation qui est modifiée par le duel.
C’est intéressant ça, pourquoi c’est intéressant ?
Je suppose mais là on en reparlera on verra ça, c’est pour euh avant de m’écrouler c’est...

y a une loi, y a une loi qui avait été dégagée, il faudrait l’appeler la loi de BAZIN par hommage à André BAZIN. Qu’est-ce que c’est la loi de BAZIN ?
C’est dans des articles qui avaient eu beaucoup de retentissement et qui avaient comme thème "montage interdit".
Y a des cas où le montage est interdit. Et on verra la prochaine fois les textes de BAZIN là-dessus.
Ben ça me parais pas difficile le cas où le montage est interdit et le cas où le montage est permis ou bien même euh recommandé. 

Le montage est complètement nécessaire à toute présentation de monde, milieu et situation, au cinéma dans l’image action.

Le montage est strictement interdit et doit être prohibé lorsque l’action qui sort de la situation se resserre au maximum en un duel.

Car là il faut bien que vous ayez un seul plan qui réunit les deux termes de l’action.
Mais, l’action-duel réagit sur la situation S-A-S’.
Et pourquoi pas l’inverse ?
Pourquoi qu’on n’aurait pas un type d’image-action euh inverse, juste le contraire ?
A-S-A’, Action-Situation-Autre Action.
Est-ce que c’est les mêmes types d’images-actions ?
Est-ce que c’est les mêmes auteurs, est-ce que c’est les mêmes génies dans le cinéma, qui ont particulièrement réussi le chemin S-A-S’ et ceux qui ont réussi le chemin A-S-A’ ?
Est-ce que... est-ce que les genres sont liés à un des deux chemins ?
Je veux dire est-ce que le western appartient à tel côté ? est-ce que le burlesque, le burlesque américain.
Hein, tout ça ?
ça va être de grands grands problèmes. Donc, on tient juste ceci, l’image-action va être l’image qui de toutes les manières, saisit dans un ensemble les situations et les duels.

C’est-à-dire, la situation étant l’effectuation de la qualité-puissance dans un état de choses.

et le chemin par lequel la situation se développe est le duel.

Voilà bon.
Donc, on pourra commencer l’image-action la semaine prochaine.

 1- 10/11/81 - 1


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 20- 25/05/82 -1


 20- 25/05/82 - 2


 21- 01/06/82- 1


La voix de Gilles Deleuze en ligne
L’association Siècle Deleuzien