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Introduction au numéro spécial "Féminismes au présent" de la revue Futur antérieur

par Michèle Riot-Sarcey

En ces temps de crise des idéologies, le féminisme peut-il renouveler son potentiel critique ? Où plutôt, la réflexion théorique de type féministe peut-elle aider à dépasser les apories idéologiques par l’introduction d’idées façonnées dans la longue histoire des individus assujettis ?

Depuis quelques années déjà, les approches se sont diversifiées, la différence des sexes n’est plus seulement analysée dans sa structure de domination ; les oppositions binaires - égalité, différence - sont repensées ; l’idehtité des sexes réinterrogée, les limites critiques du féminisme mises en perspective. Il n’en reste pas moins que les différentes formes d’oppression ne sont pas effacées et que les pratiques politiques et les modes de g penser restent marqués par les assignations dévolues à chaque sexe.

La démarche féministe, même si le mot est largement postérieur au siècle des Lumières, est héritière, sinon d’une tradition, du moins de pratiques individuelles, d’élaborations théoriques antérieures à l’Aufklärung. Produit réactif à la domination d’un sexe sur l’autre, la pratique féministe a souvent permis de dévoiler un ordre social, un système de pouvoirs grâce au point de vue extérieur qu’elle supposait.

Le féminisme ne devient mouvement collectif qu’à la fin du XVIIIè siècle, à la faveur des crises révolutionnaires. Courant d’idées puis pratiques politiques, il ne s’exprime massivement que dans des temps courts, au gré des désordres sociaux et des crises idéologiques. Rarement, il perdure dans sa forme radicale. Comme si sa permanence était inconciliable avec une restauration des pouvoirs, de quelque ordre qu’ils soient. pourtant, des formes de résistance se maintiennent, s’enrichissent ; des tentatives d’assimilation, d’intégration ou de dé tournements se manifestent. Plus globalement des idées résistent, voire tout un mode des penser se reconstruit. Minorées par la tradition historique, rendues invisibles par l’approche épistémologique de la plupart des disciplines, des pratiques politiques, des élaborations théoriques réapparaissent ponctuellement dans leur irréductibilité à une pensée universelle fondée sur l’unicité. Symptômes révélateur de l’inadéquation des systèmes univoques, ces féminismes-là n’en restent pas moins actes, paroles et pratiques marginales.

Nous présentons ici un ensemble de réflexions, produit du mouvement des années 1970, mais aussi, cela va sans dire, de réflexions ultérieures. Les points de vue sont multiples. Outre qu’ils émanent de chercheuses de disciplines et d’origines diverses, ils diffèrent par les approches, par les références. La confrontation de ces différents points de vue nous a semblé revêtir quelque intérêt ; autant d’élaborations, signes de diversité, de multiplicité qui nous autorisent à parler de féminismes, au pluriel, autant qu’au présent.

La critique féministe, élaboration théorique sans cesse en formation, dont la visibilité est quelques fois masquée, n’est pas devenue une référence incontournable ; rendue inévitable, elle reste ajout, supplément utile, sans être nécessaire. C’est pourquoi, aujourd’hui, la recherche porte davantage sur les moyens, les outils, la démarche, les méthodes, en d’autres termes sur l’efficacité de la portée critique du féminisme. Les idées foisonnent, éparses, éclatées en autant de nécessités politiques : leur potentiel subversif, s’il est bien vivant, marque le pas. La part critique voit parfois sa pertinence émoussée par la pratique d’emprunts conceptuels non interrogés dans leur production. Détournée par un certain postmodernisme en jeux épistémologiques, la domination comme phénomène social, toujours à l’œuvre, manque quelquefois à l’analyse, et du même coup, sa critique demeure coupée des réalités. Or, pratique politique et réflexion théorique ne peuvent être disjointes dans une mise en question de la domination sous toutes ses formes.

C’est pourquoi, sans mettre en cause la fécondité des questions abordées jusqu’alors, en tenant compte de la multiplicité des approches possibles, les auteurs de ce numéro ont jugé nécessaire d’opérer ’un certain retour sur l’histoire, la psychanalyse, le postmodernisme, les théoriciens, les théoriciennes de référence ; autant de lectures critiques [1] pour mieux saisir les enjeux, les apories, les richesses de telle ou telle démarche, de telle ou telle pensée.

Plusieurs thèmes courent à travers les articles, et d’abord les difficultés du procès d’individuation dans un monde où les références collectives sont des données codées rarement interrogées. Difficulté d’être sujet d’histoire dans une écriture du passé dominée par la vision linéaire du devenir humain. Difficulté de penser et d’être, à partir de théories subversives qui réinventent ou reproduisent d’autres formes de domination. Difficulté de retrouver une pertinence critique dans ce dédale postmoderne où l’utopie n’a plus lieu d’être et où l’appropriation conceptuelle sélective se mêle à une instrumentalisation des femmes. Difficulté de rester personne sexuée quand on cherche à désexualiser les activités sociales et culturelles. Difficulté de penser la relation différence-égalité ; mais aussi possibilité d’être soi dans un processus politique ouvert par la démocratie.

Regroupement d’articles, plus que numéro collectif, ce livre ne prétend aucunement à l’exhaustivité, bien au contraire ; les manques sont suffisamment importants - sociologie, anthropologie, langage, écriture - pour souligner la nécessité d’autres travaux qui s’ajoutent à ceux qui, ailleurs s’élaborent.

Michèle RIOT-SARCEY

Numéro sous la responsabilité de Michèle Riot-Sarcey, conçu et préparé avec Christine Planté et Éleni Varikas.

[1] Nous n’avons pu, pour des raisons techniques, rendre compte de tous les ouvrages récemment publiés. Nous nous proposons, en particulier, de faire un compte rendu, dans un prochain numéro, du livre de Geneviève Fraisse, La Raison des femmes, essai, Paris, Pion, 1992, « Provenances de la pensée », Femmes/ Philosophie, Les Cahiers du Grif, 1992, de l’ouvrage collectif, « Le sexe des sciences », Autrement, n° 6, octobre 1992.





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