par
Sigrid Weigel
Il [1] n’existe que fort peu d’exemples d’une présentation de la dialectique de la Raison dans une perspective féminine qui soit aussi juste que dans le roman de Bachmann intitulé Malina [2]. Dans la relation entre la figure du titre, qui incarne la raison, et le moi anonyme de la narratrice, prennent forme aussi bien l’asymétrie et la hiérarchie d’un rapport dichotomique des sexes que la liaison de ce dernier avec le rapport entre la raison et l’autre, qui tout d’abord produit celle-ci, mais qui par elle est soumis et en est séparé. Ce n’est pas un hasard si c’est un texte littéraire qui réussit, en exploitant la richesse des possibilités d’expression propres au langage poétique, à donner expression au lieu compliqué des femmes et à la fonction complexe du féminin dans la dialectique de la Raison. Là où les textes scientifiques de la critique féministe tentent de désigner et de théoriser, par exemple, le destin du féminin dans le progrès du savoir européen « tout à la fois comme appropriation et exclusion du féminin » [3], le texte de Bachmann pose la relation en question dans l’image de deux histoires et positions liées l’une à l’autre dialectiquement, c’est-à-dire séparées l’une de l’autre, et dont la constellation rencontre le regard en une pluralité de scénarios et d’éclairages variables. Ainsi la relation entre le moi et Malina n’est pas présentée seulement comme celle de deux figures, voix, histoires et positions, mais également comme historique-temporelle et hiérarchique-spatiale, comme rapport de présupposition et complémentarité, d’affirmation et disparition, de supériorité et déclin.
En outre, le roman ne se contente pas de la problématique mise en scène entre Malina et le moi de la narratrice ; simultanément, dans la relation entre le moi et l’amant Ivan, il donne forme à une autre constellation du rapport des sexes. Ce n’est donc pas sur le seul plan de la « raison » que Bachmann thématise ici la différence et la relation des sexes, mais, simultanément, sur le plan de l’« amour » - les deux « plans » étant, il est vrai, étroitement intriqués dans le tissu, dans la texture du roman.
La « dialectique de la Raison » de Horkheimer et Adorno [4], qui situe le féminin à l’envers de la Raison et de la conservation de soi, du côté de la nature surmontée et revendiquée par et , pour soi, a été entre temps concrétisée, différenciée, et en tout cas confirmée par de nombreuses études scientifiques féministes [5] pour autant que cela concerne la description et l’analyse de cette histoire dans laquelle la femme fut domestiquée et le féminin mythifié [6].
Mais lorsqu’il s’agit de l’histoire réservée dans leur texte, du désir de subjectivation de la femme, soit pour ainsi dire d’un discours dont le lieu est l’envers, on perçoit très vite que la dialectique se met alors en mouvement de telle sorte qu’il n’est pas si facile de gagner un sol ferme sous ses pieds. Ni le procès d’individuation ne peut être simplement rattrapé par la femme, ni l’envers simplement transformé en endroit ou déclaré comme tel. Entreprendre de rattraper le gain de soi dont elle est privée, c’est-à-dire l’avance de Raison du sujet masculin, aurait d’ailleurs pour la femme des conséquences beaucoup plus graves que les contreparties fâcheuses et préjudiciables du progrès attestées par et pour l’homme. Tandis que pour lui les pratiques de revendication et de domination de la nature se sont, dans une large mesure, effectuées sur la matière et l’image de l’autre, principalement de l’autre sexe, ce travail civilisateur chez la femme concernerait son propre : mater - materia, sur la domination desquelles se règle en tout premier lieu la conservation de soi : le corps de la femme, ce scandale pour une histoire orientée par la rationalité. Non seulement la structure de victime de l’histoire de la Raison [7] se répète dans le sujet féminin pour ainsi dire plus à fleur de peau et plus physiquement ; mais la femme y a toujours en même temps une part de l’endroit et de l’envers.
Le lieu du sujet féminin n’est pas seulement de beaucoup plus compliqué que celui du sujet masculin ; il introduit aussi dans la dialectique une perspective doublement inversée : le regard et le discours de l’autre sexe qui souhaite changer de place avec son opposé sans pouvoir seulement rompre avec l’envers dont il provient - et qui, de surcroît, n’est pas même si sûr que la place lui étant depuis longtemps interdite soit, après tout, à tel point désirable. La complexité de cette constellation semble perpétuellement soustraite à une présentation conceptuelle. Au lieu de quoi, pour moi, la reconnaissance de l’inadéquation du discours scientifique dominant pour la constellation complexe d’une dialectique féminine de la Raison implique la nécessité d’un mode spécifique de pensée et de présentation : l’introduction d’une dimension polyperspectiviste et topographique dans la pensée dialectique. Puisque la position de la femme dans et par rapport à la Raison ne peut être clarifiée dans une analyse comme un tout et intégralement, avec une validité unique et universelle, il doit rester une seule série - probablement infinie - d’observations dans lesquelles les situations et moments de passage les plus divers soient éclairés avec précision.
Pour un tel projet, rien n’est sans doute aussi prometteur qu’un recours à la façon dont Walter Benjamin procède dans sa relation aux mythes et aux images, spécialement à sa conception de f« image dialectique », image qu’il interprète comme « dialectique à l’arrêt » : un instantané arraché au continuum du temps, qui, en tant que « Maintenant de la connaissabilité », renferme sa pré- et sa posthistoire. Nul doute que l’image dialectique de Benjamin est une image cognitive, mais rapportée de multiples façons aux images visuelles, aux images imaginées et à celles de l’inconscient.
« Il ne faut pas dire que le passé éclaire le présent ou le présent éclaire le passé. Une image, au contraire, est ce en quoi l’Autrefois rencontre le Maintenant dans un éclair pour former une constellation. En d’autres termes : l’image est la dialectique à l’arrêt. Car, tandis que la relation du présent au passé est purement temporelle, la relation de l’Autrefois avec le Maintenant est dialectique : elle n’est pas de nature temporelle, mais de nature figurative (bildlich). Seules les images dialectiques sont des images authentiquement historiques, c’est-à-dire non archaïques. L’image qui est lue - je veux dire l’image dans le Maintenant de la connaissabilité - porte au plus haut degré la marque du moment critique, périlleux, qui est au fond de toute lecture [8].
Pour la compréhension de cette formulation de Benjamin dans son projet des « Passages », il y a lieu d’ajouter que la lecture, chez Benjamin, s’étend bien au-delà de son strict rapport à l’écrit ; de même que le langage, ici, ne vise pas seulement la parole, écrite ou orale. Et que cela ne veut pas dire que, chez lui, les phénomènes sociaux se « réduisent » à un texte, mais que la capacité de lire, l’habileté à déchiffrer, est mise à profit pour plus et pour autre chose que le seul écrit. L’image dialectique de Benjamin ne contient pas non plus une dialectique figée, mais bien plutôt l’instantané d’un mouvement dans lequel la connaissance s’éclaire dans le devenir visible d’une constellation spécifique. Il a lui-même mis son procédé à l’épreuve pour quantité d’objets et de situations relevant de l’histoire de la culture ; ses études les plus détaillées touchant le drame baroque, le Paris du XIXè siècle et le Berlin de son enfance. Dans ses travaux, il a toujours fait preuve d’un regard vigilant et d’une grande attention pour les lieux et fonctions du féminin dans le monde d’images et de signes qu’il explore [9]. Il n’a cependant pas produit de théorie « de la » féminité comme voudrait le faire croire l’étude de Christine Buci-Glucksmann sur Walter Benjamin et l’utopie du féminin, réinteiprétant à cette fin comme utopiques plusieurs images dialectiques et critiques du progrès chez Benjamin [10].
Ce n’est pourtant pas un hasard si, bien avant les théories « de l’esthétique féminine » ou « de l’esthétique du féminin », Benjamin a trouvé dans l’une de ses images mentales une présentation convaincante pour l’utilisation et la mise à mort du féminin dans le mythe masculin de la création, anticipant par là dans une image dialectique l’une des thèses centrales de la critique littéraire féministe [11]. Dans cette image intitulée « Nach der Vollendung » (Après l’accomplissement), il reprend la métaphore de la naissance dans la représentation de la « genèse des grandes oeuvres » et montre comment le concept de création spirituelle se met à la place de la création naturelle ; le moment féminin requis pour la création étant consommé et épuisé dans le procès même, tandis que, tirant son origine de l’accomplissement de l’œuvre, le créateur est réenfanté : comme « premier-né masculin de l’œuvre qu’un jour il a conçue » [12]. L’œuvre se substituant à la mère, le maître n’a plus à devoir sa naissance à son extraction, mais à l’accomplissement de son oeuvre ; en quoi il apparaît comme indépendant de la nature et s’élevant au-dessus d’elle : « Dépasser la nature le ravit : car, cette existence qu’il reçut pour la première fois de l’obscur tréfonds du sein maternel, il pourra désormais en être redevable à un empire plus lumineux. » (ibid). Ainsi, tout en restant dans l’image (la naissance), qu’il laisse percevoir comme dialectique, Benjamin décrit, en liaison avec la représentation de l’œuvre, cette construction d’une création masculine se développant indépendamment de « mater - materia ». Quant aux conséquences que peut avoir ce modèle créationnel pour l’artiste féminin, c’est là, il est vrai, une autre question qui, étant donné sa nature, n’est plus décrite par Benjamin [13].
Que les travaux et le mode de penser de Benjamin aient été si rarement pris en compte (à l’exception du périodique Frauen und Film) dans la formation de la théorie féministe [14] - élaborée en jonction ou en rupture avec la « Théorie critique » -, cela provient certainement de la réception généralement tardive de Benjamin, ainsi que de l’héritage plutôt violent de Benjamin par l’École de Francfort, où furent abandonnés les moments de ses travaux ne pouvant s’intégrer dans l’orientation occidentale [15] et la référence aux concepts de raison et de communication - ensuite la réception sélective des traces matérialistes de ses travaux en 1968 fit le reste. Mais la réception incomplète ou entravée des écrits de Benjamin s’explique aussi en partie par le fait qu’aujourd’hui la théorie critique de la société et le post-structuralisme s’opposent par de multiples aspects aussi implacablement, alors qu’en réalité on peut observer de nombreux points de contact entre les écrits de Benjamin et ceux, par exemple, de Michel Foucault et de Julia Kristeva [16].
Entre les réflexions théoriques de Kristeva et de Benjamin, je vois une proximité surtout dans la conception dialectique du « procès de la signifiance » chez Kristeva [17] et du langage chez Benjamin [18]. Dans le mode de rapport qu’entretiennent, dans la dimension de l’histoire du sujet décrite par Kristeva, le sémiotique et le symbolique, et, dans la dimension de l’histoire de la culture présentée par Benjamin, le côté magique du langage - le mimétique - et le communicatif : en tant que distincts l’un de l’autre et fonctionnellement reliés l’un à l’autre. La modalité « préalable » - respectivement les modes d’articulation de la chora sémiotique (Kristeva) et la magie du langage paradisiaque de l’homme (Benjamin) - intervient dans et disparaît avec la modalité lui succédant, celle du symbolique (Kristeva) et du langage des signes fonctionnant comme moyen. Dès lors, l’apparition du préalable dans le texte ou l’écriture est liée à la modalité dominante lui succédant, et ne fait son apparition « que » comme transgression ou irruption, comme éclair ou illumination.
Selon Kristeva, les articulations du sémiotique appartiennent à la phase préoedipienne, caractérisée par une relation archaïque à la mère. Partant, elles sont conçues comme des fonctions présymboliques et prélinguistiques, préalables au discours qui à son tour repose sur elles, mais s’en détache. Dans le modèle psychanalytique pris ici pour base, la constitution du sujet étant liée à l’entrée dans le langage/ le symbolique,
« la chora sémiotique est pour (le sujet) le lieu de sa négation, où son unité cède devant le procès de charges et de stases la produisant » [19].
Mais c’est en théorie seulement que le sémiotique peut être isolé comme « préalable » et spécifié dans son fonctionnement ; car il ne nous revient qu’après la thèse symbolique, après la coupure par laquelle les frayages sémiotiques et les stases pulsionnelles sont ramassées dans la position du signifiant ; le sémiotique étant, par suite de cette coupure, produit récursivement et faisant irruption comme un retour « second » de la fonctionnalité pulsionnelle dans le symbolique, dont il transgresse l’ordre [20]. Ainsi le sémiotique s’exprime comme irruption, effraction, transgression, voire explosion dans le symbolique. Mais, empiriquement, les deux modalités du procès de la signifiance ne peuvent être isolées l’une de l’autre, puisque celui-ci n’est rendu possible que par la dialectique qui les soutient.
Dans la théorie de Kristeva, le thétique comme rupture ou frontière prend structurellement la place qui revient au « péché originel de l’esprit linguistique » dans la théorie du langage de Benjamin. Ce dernier distingue entre la « langue du paradis » et la médiateté du langage des signes. Par référence aux deux versions du mythe de la création, et par dérivation du verbe divin créateur, Benjamin développe le langage de l’homme avant la Chute, tout à la fois connaissant et nommant. Son caractère magique tient à ce qu’il connaît le langage muet de la nature et des choses en donnant un nom à celles-ci. C’est le développement, conçu dans le mythe biblique, d’un état linguistique préalable d’immédiateté, dans lequel communication et communiqué étaient encore inséparés : magie du langage, mimésis. Or la perte de cette magie immanente est liée à l’origine de l’abstraction comme pouvoir de l’esprit linguistique dans le « péché originel », à la connaissance du bien et du mal et à la naissance d’un langage qui, en communiquant une chose en dehors de soi, devient pur signe. Cependant l’immédiateté passe du côté de l’abstraction et crée une nouvelle magie ne se reposant plus en elle-même, une « magie du jugement », ayant sa « racine dans le mot qui condamne » [21]. Mais, comme le suppose Benjamin, le don mimétique que l’homme a perdu « aurait, au cours d’une évolution millénaire, très progressivement immigré dans le langage et l’écriture, et se serait créée en eux la plus parfaite archive d’analogies insensibles » [22]. Une fois qu’a disparu la magie originaire du langage et que domine le langage des signes, le côté magique apparaît alors, dans certaines constellations ou moments, du côté communicatif du langage, de sorte que l’analogue vient au jour dans un éclair. Ainsi le concept d’« analogies insensibles » se concrétise chez Benjamin dans le rapport entre la magie perdue du langage et le langage dominant des signes, le magique n’apparaissant plus désormais que fugitivement, par fulgurance, dans la quasi-exclusivité de l’instant ; de sorte que deviennent par là visibles des images énigmatiques de l’inconscient et du non-encore-connu. Le côté magique a donc besoin du côté communicatif du langage pour devenir visible. Empiriquement, il ne peut pas être isolé en tant que moment linguistique préalable, refoulé, et revenant au jour sous une forme changée. Comme le sémiotique chez Kristeva, la mimésis chez Benjamin est prise dans une conception dialectique.
Dans sa fonction théorique, le concept d’« analogies insensibles » chez Benjamin peut être comparé à la conception du sémiotique chez Kristeva comme « retour second de la fonction nalité pulsionnelle dans le symbolique ». Quelle que soit l’analogie que présentent par conséquent leurs conceptions théoriques du langage et de la signifiance, et bien que l’intérêt de part et d’autre se concentre sur la rupture avec le mythe créationnel et sur les conséquences de cette rupture (sur les aspects préalables, perdus pour l’écriture et s’exprimant autrement, sous des formes changées), il y a cependant lieu de considérer leurs différences essentielles. Tandis qu’avec la sémiotique, Kristeva s’intéresse à un « sujet en procès » et à une praxis textuelle spécifique - attribuant du sens au discontinu, au rythme, au geste, au corps du langage -, l’intérêt de Benjamin pour la magie du langage et les « analogies insensibles » vise des images et constellations, une histoire déchiffrable dans l’image : la « dialectique à l’arrêt ».
Dans la formation de la théorie féministe, les ouvrages de Kristeva ont pris jusqu’ici une importance incomparablement plus grande que les textes de Benjamin. En même temps, la réception de Kristeva supplée en partie ce qui fait défaut dans la réception de Benjamin, encore que le féminisme y ait gagné une orientation nettement psychanalytique. Dans les études sur le lieu compliqué de la femme lors de son entrée dans l’histoire (du sujet et de la culture), si la référence à la théorie de Kristeva prend une place aussi centrale et productive c’est que sa lecturestructurale de la psychanalyse permet de présenter dans une triade les positions différentes des sexes.
A la question de la constellation problématique de la dialectique féminine de la Raison, correspond dans ses réflexions la question - d’abord établie sur le plan de l’ontologie - de l’entrée compliquée de la femme dans le symbolique. Comme c’est déjà le cas dans la théorie du sujet de Lacan, le stade de développement conflictuel que Freud nomme complexe d Œdipe (qui chez lui fait partie d’un modèle téléologique) est transporté ici dans une constellation présentée topographiquement et conçue comme le passage de la dyade mère-enfant à une relation triadique, où l’interdit de l’inceste (pour les deux sexes) s’entend comme interdit de la mère, c’est-à-dire comme séparation d’avec le corps de la mère. Ce qui d’ailleurs a des conséquences pour le mode de référence au mythe. Le rappel du mythe d Œdipe n’intervient plus dans une identification actualisante avec la figure d Œdipe ou dans la manière dont l’histoire ancienne est de nouveau racontée ; au lieu de quoi il est lu comme scène primitive d’une constellation devenue structure.
Mais, à la différence de Lacan, Kristeva s’intéresse en particulier aux conséquences de cette constellation pour la femme, aussi bien pour la petite fille [23] que pour le destin et la signification du corps refoulé, interdit. Ainsi elle réussit à distinguer différentes fonctions et positions féminines, comme la « fonction de mère », liée à une prédominance du corps maternel dans la phase préoedipienne, et la fonction de la femme dans le symbolique, qu’elle nomme l’« effet femme », « un effet ne disposant ni du pouvoir ni d’un système linguistique, mais qui en est le soutien muet » [24] - un support muet du système qui lui-même n’apparaît pas. Une image à comprendre comme de part en part verbale et concrète.
S’il est possible à Kristeva de décrire l’histoire conflictuelle de la constitution du sujet féminin dans les multiples contradictions qui nécessairement s’y inscrivent, cela trouve son fondement dans la projection des conflits étudiés sur le modèle topologique du sujet de la psychanalyse, la triade. Des conflits se produisant dans la dimension de l’histoire (du sujet et de la culture) sont ainsi reproduits dans une configuration triadique. Dans la perspective de l’infans féminin, la constitution conflictuelle du sujet de la femme se meut entre les pôles de l’identification au père, ou plutôt à la loi au nom du père, et de l’identification à la mère, ou plutôt au corps de la mère. Tandis que la position occupée par le père à la pointe de la triade est mise en relation avec la loi et le nom, que celle qui est occupée par la mère - la position inférieure, en face de l’infans - est mise en relation avec le corps, et qu’ainsi sont pris en compte aussi bien le rapport des sexes que la relation entre corps et nom/ loi, la problématique complexe d’un lieu féminin dans le symbolique devient, dans ce modèle, représentable et topologiquement présentable. En résulte une théorie dans laquelle se déploie, à partir de la triade et de ses membres, un penser en images dans lequel les situations et « résolutions » les plus diverses sont conçues et présentées figurativement [25] comme illuminations de scènes primitives psychanalytiques et de leurs répétitions dans le symbolique, c’est-à-dire de leur transformation en symbolique. C’est surtout dans l’extension de ses études aux thèmes d’histoire de la culture, où elle quitte le plan de l’ontogenèse (comme dans la postface à Des Chinoises ou dans Histoires d’amour) que Kristeva fait jouer la référence aux figures mythiques de femmes [26] ; leurs noms désignant alors des constellations et « résolutions » paradigmatiques dans la subjectivation conflictuelle de la femme.
A la différence de la vulgate féministe des réceptions de mythes, il ne s’y produit pas d’identifications, c’est-à-dire d’égalités posées entre figures mythiques et contemporaines. Situation à l’aide de laquelle on se donne aujourd’hui si volontiers de l’importance avec l’aura des mythes classiques. Si l’on conçoit les mythes comme imaginaire social - d’une part comme mémoire pour ce qui n’est pas compris, qui est refoulé par la raison et n’est pas nommable dans le discours rationnel, et d’autre part comme canon des images transmises, comme répertoire d’histoires souvent des plus tragiques, qui se sont figées, coagulées en « métaphore de l’existence » [27] -, il s’agira alors, dans le commerce avec les mythes, de savoir comment procéder avec cette ambivalence. Dans un emploi métaphorique, dans une actualisation et une interprétation de figures mythiques, on se meut la plupart du temps à l’intérieur de la structure de l’imaginaire, où, au travers des opérations d’identification, des différences sont méconnues ou effacées. Il en est autrement quand la structuration de notre perception et de notre expérience est réfléchie par des modèles de l’imaginaire, et que des constellations mythiques sont lues dans la mémoire comme des scènes primitives de notre histoire [28].
Walter Benjamin a déployé au-delà de la métaphore un semblable penser en images ; celui-ci se fonde sur sa théorie du langage, dans laquelle la magie, le mythe et l’instrumentalisation progressive s’ordonnent en mode signifiant. Tandis que chez Horkheimer et Adorno magie, mythe et Raison sont décrits essentiellement comme des stades successifs d’une évolution historique, Benjamin accentue davantage leur non-contemporanéité. Sa théorie du langage est marquée par un deuil lié à la perte du caractère magique du langage, à la perte de son immédiateté, de ce langage de l’homme au paradis tout à la fois connaissant et nommant. Mais en même temps elle est marquée par le savoir de la logique historique de cette perte. Sa théorie du langage est au fondement d’une pratique de la lecture dont le caractère de nouveauté se révèle surtout à l’endroit des mythes de la modernité, par exemple lorsqu’il découvre « des correspondances entre le monde de la technique et le monde archaïque de symboles de la mythologie » [29], ou lorsqu’il déchiffre une structure onirique dans la topographie et l’architecture de la ville, et par là réfléchit des moments du mythique et de l’inconscient dans l’histoire du progrès, de la mécanisation et du monde des marchandises et des choses.
Pour ce qui est de la méthode, ce qui lui importe est la signification des vues psychanalytiques pour une présentation matérialiste de l’histoire, où il veut savoir incluse la matière présupposée aux rapports de production, soit le corps humain. On pourrait donc dire qu’il prend le discours du « matérialisme » à la lettre et se réfère effectivement au matériel, au corporel. D’où sa tentative de se rapprocher du concept de « matérialisme anthropologique », à la fin de son essai sur le surréalisme, texte dans lequel il discute le surréalisme en regard des possibilités de politisation qu’il renferme, y développant pratiquement dans la dernière section son propre projet de travail. C’est d’ailleurs dans ce contexte - où il évoque la perspective d’« exclure de la politique la métaphore morale et, dans l’espace de la conduite politique (de) découvrir l’espace d’images à 100 % » [30] - que Benjamin introduit le discours du « corps et espace d’images ». Avec cette catégorie, il tente de saisir ce qui subsiste comme reste une fois l’individu distribué entre matérialisme politique et créature physique. En suite de quoi il juge insuffisantes les descriptions du sujet en termes de sciences de la nature et de matérialisme politique
« Il y a toujours un reste. Même la collectivité est un corps vivant. Et la physis, qui pour lui s’organise en technique, ne se peut constituer avec toute sa réalité politique et effective que dans cet espace d’images que nous rend familier l’illumination profane [31]. »
Auprès d’une représentation dans laquelle le collectif est formé par la technique à partir de l’organisation des hommes, la catégorie « corps et espace d’images » revêt chez Benjamin une signification centrale. Tandis qu’ici la matérialité physique de l’homme, la corporéité du collectif, est comprise comme la base de la vision matérialiste, l’organisation technique de la physis est distinguée de sa réalité politique et concrète, et sa production déplacée dans un espace d’images - en d’autres termes : elle réfléchit la signification de l’imaginaire pour la réalité du physique. Les réflexions de Benjamin rejoignent par là les perspectives d’une psychanalyse structurale dont les intérêts sont orientés par des faits relevant de l’histoire socioculturelle. Dans l’essai sur le surréalisme, son propos est lié, il est vrai, à une intention révolutionnaire lorsque, se raccordant au discours du « corps et espace d’images », il établit un rapport entre « tensions révolutionnaires » et « innervations corporelles », et transporte ce genre de catégories, de la description neurologico-psychanalytique des processus à l’œuvre dans le sujet, à une dimension historico-politique. Au niveau théorique, la catégorie « corps et espace d’images » n’a pas été ensuite explicitement développée par Benjamin, mais elle peut, avec sa théorie du langage, valoir comme présupposition pour la lecture de ses « images dialectiques » de la modernité.
Précisément par son intérêt pour les mythes de la modernité, mais plus fondamentalement aussi par la perspective historique de ses études, la théorie de Benjamin met à disposition de la recherche d’une dialectique féminine de la Raison un supplément productif à celle de Kristeva. Indépendamment d’un modèle graphique comme celui de la triade, ses images dialectiques forment une topographie historique ; elles sont à lire comme des fondus enchaînés différemment projetés, fondus enchaînés du « temps de Maintenant » et de l’« Autrefois », dans lesquels des constellations historiques, incluant celle de l’histoire du sujet féminin, peuvent être lues dans leur teneur de contradictions [32].
Eu égard au rapport entre mythe et Raison, son travail s’oriente sur des moments de passage. L’une des constellations centrales à ses yeux est celle du réveil, qu’il nomme cas d’école de la pensée dialectique, seuil entre nuit et jour, passage de rêve à conscience. C’est une constellation qui - topographiquement comme passage, psychanalytiquement comme seuil, temporellement comme « Maintenant de la connaissabilité », et historiquement comme fondu enchaîné de l’« Autrefois » et de l’« Aujourd’hui » - est organisée de manière complexe et semble propre à offrir à l’observation et à la connaissance un mouvement dialectique à l’arrêt, précisément comme image dialectique.
Sans refouler les moments du mythique et de l’inconscient ou nier leur magie, ceux-ci sont rendus accessibles à une vision réfléchissante. Ainsi Benjamin dans sa critique se délimite par rapport à la philologie (qui, dans son inspection du texte, reste magiquement fixée à celui-ci) comme à la mythologie [33], auxquelles il oppose son procédé de « lecture authentique » :
« La philologie est cette inspection minutieuse d’un texte qui progresse de détail en détail et qui fixe magiquement le lecteur à ce texte. (...) L’apparence de facticité close sur elle-même, qui s’attache à l’étude philologique et qui envoûte le chercheur, disparaît dans l’exacte mesure où l’on construit l’objet dans la perspective historique. Les lignes de fuite de cette construction confluent à l’intérieur de notre propre expérience historique. L’objet se constitue ainsi comme monade. Dans la monade, tout ce qui, au terme de l’analyse du texte, s’établit dans une rigidité mythique, prend vie. (...) Vous trouverez que la critique de l’attitude du philologue est chez moi un vieux souci est qu’elle est intimement identique à la critique du mythe [34]. »
En regard de l’histoire, cela est lié à un abandon de la représentation de la continuité et du progrès. Comme alternative à la logique évolutive d’une écriture linéaire de l’histoire, s’ouvrent à la lecture (au sens de Benjamin) des « correspondances » entre le « temps de Maintenant » et l’Autrefois, qui - comme il l’a formulé dans ses notes sur l’« image dialectique » - sont à la fois dialectiques et de nature figurative. Celles d’Aujourd’hui se réfèrent à l’Autrefois en « citant » des moments du passé qu’elles arrachent au continuum de l’histoire, et dont elles chargent son « temps de Maintenant ». Le mode d’éclairage ou de charge étant motivé par la situation dans laquelle elles se trouvent, par leurs affects et désirs, par leur espoir (de rédemption). « L’histoire est l’objet d’une construction dont le lieu n’est pas le temps homogène et vide, mais qui forme celui qui est plein du temps de Maintenant [35]. »
Pour une histoire des femmes - comme pour toute écriture de l’histoire ne partageant pas le regard de ceux qui dominent, et qui sont « toujours les héritiers de tous les vainqueurs » [36], les réflexions de Benjamin sur la théorie de l’histoire représentent une stimulation productive, en particulier pour les femmes, du simple fait qu’on ne peut citer que de rares moments ou images de leur passé, parce que les traditions les ont amplement « oubliées », et qu’elles ont été refoulées comme sujets. Tandis que l’écriture de l’histoire orientée par le concept d’évolution passe largement sous silence les sujets féminins (auteurs, artistes, etc.), s’ouvrent dans la lecture des mythes, tableaux et autres sources imaginaires, de multiples correspondances pour les expériences et situations des femmes aujourd’hui - ce que prouvent d’ailleurs les citations de figures féminines historiques et mythiques dans les textes littéraires de l’époque actuelle, où il ne s’agit pas de présenter le passé « tel qu’il a été effectivement » [37], mais des images mentales littéraires, des constellations d’une dialectique féminine de la Raison, des images mnésiques d’un passé dont les femmes s’emparent dans le moment du « réveil » - et celui-là aussi est périlleux [38].
Pour concrétiser la pratique benjaminienne de l’image dialectique et la rapporter à la problématique d’une dialectique féminine de la Raison, on doit faire suivre ici une observation de sa fameuse image de f« ange de l’histoire ». Pour cela, je proposerai dans un premier temps une étude du mouvement textuel de sa IXe thèse « Sur le concept d’histoire », puis dans un second temps une lecture orientée par la perspective d’une femme. Notons que ce passage - sans doute le plus souvent cité de ses thèses de théorie de l’histoire [39] dans lesquelles il développe sa critique de l’historicisme conventionnel et de la pensée progressiste du matérialisme historique - est très fréquemment lue métaphoriquement, mais non en tant qu’image dialectique.
A commencer par le fait que l’épigraphe citée d’un poème de Gershom Scholem est fréquemment omise ou reste négligée dans la lecture. En réalité, ce n’est pas un ange que nous présente cette IXe thèse « Sur le concept d’histoire », mais trois, et même parfaitement différenciés ; le premier étant celui des vers de Scholem :
« A l’essor est prête mon aile,
j’aimerais revenir en arrière,
car je resterais aussi temps vivant
si j’avais moins de bonheur. » (G. Scholem, Gruss vom Angelus) [40]
La voix de cet ange est identique au moi lyrique du texte. Dans un retournement de l’histoire sacrée vers l’origine, le ton d’une quête déçue du bonheur et le pathos d’une valorisation positive du retour déterminent le rythme lyrique [41]. A la différence de cet ange disert de Scholem, celui qui est représenté par le tableau de Klee, et cité en second, est muet. Benjamin nous dit qu’il s’appelle Angelus Novus ainsi que Klee l’a nommé :
« Il existe un tableau de Klee qui s’intitule Angelus Novus. Il représente un ange qui semble avoir dessein de s’éloigner du lieu où il se tient immobile. Ses yeux sont écarquillés, sa bouche ouverte, ses ailes déployées [42]. »
Tel que Benjamin le décrit, cet ange accuse des traits médusiens : bouche ouverte, yeux écarquillés, regard fixe. A la description du tableau de Klee - la peinture de l’ange et le nom que lui donne le peintre - est associé en outre un mouvement : « il semble avoir dessein de s’éloigner ». Dans le plan du tableau, qui tourne vers l’observateur le visage d’Angelus Novus, ce mouvement n’est cependant que représenté, ajouté à la présentation dans l’observation. Mais le texte ne se met effectivement en mouvement qu’avec le troisième ange, l’« ange de l’Histoire ». L’Angelus Novus présenté par Klee n’est pas mis sur le même plan que l’« ange de l’Histoire », ni interprété comme sa présentation figurée. Bien plutôt s’agit-il d’une représentation :
« Tel est l’aspect que doit avoir nécessairement l’ange de l’Histoire. Il a le visage tourné vers le passé. Où se présente à nous une chaîne d’événements, il ne voit qu’une seule et unique catastrophe, qui ne cesse d’amonceler ruines sur ruines et les jette à ses pieds. Il voudrait bien s’attarder, réveiller les morts et rassembler les vaincus. Mais du paradis souffle une tempête qui s’est prise dans ses ailes, si forte que l’ange ne les peut plus refermer. Cette tempête le pousse incessamment vers l’avenir, auquel il tourne le dos, cependant que jusqu’au ciel devant lut s’accumulent les ruines. Cette tempête est ce que nous appelons le progrès [43]. »
Le mouvement du texte est réalisé surtout par de multiples changements de perspectives : entre le regard de l’observateur sur l’ange et la perspective de l’ange - « il voudrait bien s’attarder » - et entre « nous » et « lui », par rapport aux ruines à ses pieds et à l’avenir auquel il tourne le dos et vers lequel il est poussé. En outre la non-contemporanéité entre le « nous » et l’ange s’actualise dans une présentation stratifiée et polyperspectiviste : comme constellation corporelle (visage, pieds, dos), comme temporalité (cependant que, incessamment), comme spatialité (où), comme matérialité (morts, ruines) et comme conceptualité (ce que nous appelons le progrès), avec quoi la rigidité mythique et la magie médusienne de l’image figée d’Angelus Novus sont transportées dans un mouvement dialectique. C’est en lui que se réfléchit la non-contemporanéité et, avec elle, l’irréconcihabilité entre une conception positiviste de l’Histoire pensée comme enchaînement de faits, comme continuum, et une perception des ruines, de la catastrophe.
L’auteur y a probablement réfléchi aussi sa propre histoire d’une fascination de près de vingt ans pour le tableau de Klee, et l’a présentée en même temps dans une image dialectique, comme un réveil au sortir d’une fixation magique au tableau dans la forme d’une inspection permanente. Ce n’est sans doute pas un hasard si le laps de temps durant lequel il s’est trouvé en possession du tableau coïncide avec ce qu’il nomme l’histoire cachée des sources de ce texte - écrit en 1940, peu de temps avant son suicide forcé -, dans lequel il lui importe « de consigner quelques pensées dont je puis dire que pendant près de vingt ans je les ai mises à l’abri en moi, oui, à l’abri de moi-même » [44]. Une représentation de Klee, une note de son « Pädagogisches Skizzenbuch » (1925) qui pourrait commenter son Àngelus Novus - « A demi-ailé, à demi-prisonnier, ainsi est l’homme » [45] -, et qui se meut dans le modèle dichotomique des concepts d’imagination et d’identité, est enlevée par l’image mentale benjaminienne de f« ange de l’Histoire » à son figement en métaphore de l’existence et portée dans un mouvement qui, avec la présentation d’une non-contemporanéité, ne s’épuise pas en réconciliation.
Si, à présent, des femmes lisent cette image, la difficulté de trouver un heu dans cette dialectique devient considérable. Le premier ange propose la reprise d’une perspective atempo relle dans laquelle un moi moralement inférieur tourne le dos au monde d’aujourd’hui - variante de lecture : au monde masculin ou patriarcal. Ce serait une version de la sortie hors de l’histoire, telle qu’elle prend forme, par exemple, dans un retour à une préhistoire prétendue heureuse (matriarcale). Le figement de l’ange de Klee dans l’horreur s’offre à l’observation fascinante, à l’identification avec sa fixité mythique, au devenir-magique par le mythe ou à l’identification fascinée avec la position de victime. Le troisième, par contre, l’« ange de l’Histoire », est expressément distingué de « nous ». Par là est rompue la structure imaginaire qui fait fond sur le moment trompeur de l’identification de l’hétérogène. Le « nous » (uns) peut se rapporter au « nous » (wir) de la pensée progressiste, ou simplement mais nécessairement à celui des survivants. Lu politiquement, l’image peut aussi renvoyer à la participation des femmes au concept de progrès, en tant qu’« émancipation ». Dans la mesure où les femmes prennent part aux institutions dominantes, ce « nous » (wir) ne peut être simplement identifié avec « les hommes » ou « le système masculin », les femmes étant nécessairement intéressées par cette orientation du regard [46]. Il est vrai que les femmes, en tant que sexe, ou mieux en raison de la division du travail selon les sexes dans l’histoire de la culture, ont quelque chose en commun avec la perspective de l’ange. Ce sont elles principalement qui ont à faire avec les corps, comme génitrices et prenant soin des malades et des mourants, et pleurant les morts. Mais elles ne sont pas comparables à l’« ange de l’Histoire » ; car, en tant que survivantes, associées à cette histoire et à cette culture, leur regard se détourne nécessairement de celui de l’ange [47].
Mais une distinction est à faire selon que des hommes ou des femmes s’adonnent à la lecture de cette image. Distinction qui, précisément, met en jeu le concept, si difficile à saisir, de la « différence » entre la dialectique de la Raison et sa variante féminine - à supposer, il est vrai, que l’image benjaminienne de l’« ange de l’Histoire » soit lue dialectiquement. Ajoutons à cela que la philosophie de l’Histoire de Benjamin ne livre pas de la pierre à bâtir pour une théorie du féminin, mais des présuppositions pour une présentation et observation de l’histoire du sujet féminin, au-delà des créations illusoires du discours de l’émancipation et du refus de l’histoire. Elle offre un important supplément aux possibilités de la théorie de Kristeva partout où les données du problème doivent être transportées du champ psychanalytique dans un champ historique.
(Traduit par Denise Modigliani)
[1] Extrait du livre de Sigrid Weigel, Topographien der Geschlechter,. Reinbek bei Hamburg, ROwohlt Taschenbuch Verlag, 1990, pp. 18-39.
[2] I. Bachmann, Malina, Frankfurt am M., Suhrkamp Verlag, 1971. Trad. franç. Par Ph. Jaccottet. Paris, Éd. du Seuil, 1973.
[3] E. Fox Keller, Liebe, Macht und Erkenninis. Männliche oder weibliche Wissenschaft ? (Amour, pouvoir et connaissance. Science masculine ou féminine ?). München, 1986, p. 50.
[4] Max Horkheimer/Theodor W. Adorno, Dialektik der Aufklärung (1944). Frankfurt am M., S. Fischer Verlag, 1969. Trad. franç. par E. Kaufholz, La dialectique de la Raison, Paris, Gallimard, 1974. Dans la présente traduction du texte de S. Weigel, « Raison » (avec la majuscule initiale) rend « Aufklärung ». Par opposition à « raison », pour « Vernunft » (N.d.t.).
[5] II est vrai que le texte de Horkheimer et Adorno n’est pas exempt de formations de mythes sur la femme. Cf. en particulier le passage sur la mégère (p. 272 de l’édition française).
[6] Voir la seconde partie de S. Weigel, Topographien der Geschlechter, ouv. cit. Dans la recherche, comparer en particulier les publications de K. Theweleit, 1977-1978 et 1988 ; B. Schaeffer-Hegel et B. Wartmann, 1984 ; C. Honegger, 1978 ; E Hassauer-Ross, 1988 ; l. Stephan, 1981 ; S. Wallinger et M. Jonas, 1986.
[7] Concernant les effets de cette structure de victime pour le « féminin », les plus pénétrantes descriptions de l’histoire de la Raison se trouvent chez K. Heinrich, 1985. Cf. également l’étude de l’Œdipe par H. Kurnitzky, 1978.
[8] W. Benjamin, Das Passagen-Werk, Frankfurt am M., Suhrkamp Verlag, 1982. Trad. franç. par Jean Lacoste, Paris, capitale du XIXè siècle, Le livre des passages, Paris, Éd. du Cerf, 1989, N3, 1, p. 479. Variante N2a, 3 : « [...] non archaïques ; et l’endroit où on les rencontre est le langage. Réveil. »
[9] Cf. S. Weigel, Topographie der Geschlechter, 2e partie, chap. 4. Ouv. cit.
[10] Concernant en particulier le type et les motifs de l’androgyne (masculin ou féminin).
[11] La mise à mort du « féminin » dans et pour la création artistique est un leitmotiv, par exemple, chez S. Gilbert et S. Gubar 1979 ; M. Schuller, 1980 ; C. von Braun 1985 ; M. Janz 1986 ; H. Oppermann 1986 ; A. Taeger 1987 ; R. Berger et I. Stephan 1987 ; K. Theweleit 1988.
[12] W. Benjamin, Gesammelte Schrifien, Hrg. von R. Tiedmann und H. Schweppenhäuser. Bd IV, I, p. 438. Frankfurt-am-M., Suhrkamp, 1980. Le passage est cité en entier dans S. Weigel, ouv. cit., 3.1.237.
[13] Voir là-dessus à titre d’exemple l’étude sur la différenciation dans les présuppositions de la production artistique masculine et féminine, dans S. Weigel, ouv. cit., I.3.
[14] Pour la réception de Benjamin dans le contexte de la formation d’une théorie féministe, cf. par exemple H. Fehervary et C. Bange - Pour la position des femmes dans la réception de Benjamin, cf. également, parmi les travaux récents, ceux de L. Niethammer.
[15] C’est-à-dire l’occidentalisation de l’orientation de nos valeurs culturelles, désignée par J. Habermas comme l’un des traits dominants de la formation théorique ouest-allemande après 1945. Même Seyla Benhabib oublie encore Benjamin dans son histoire de la « Théorie critique », ou ne peut que l’évoquer brièvement dans la perspective de la critique habermasienne.
[16] Les moments structuraux dans les écrits de Benjamin ont été signalés notamment par W. Menninghaus 1980. Il serait très profitable de discuter les réflexions de Benjamin « Sur le concept d’histoire », dans lesquelles il se réfère entre autres à Nietzsche, en les rapportant à l’essai de M. Foucault, « Nietzsche, la généalogie, l’histoire », dans Hommage à Jean Hyppolite, pp. 145-172, Paris, PU.F, 1971.
[17] Julia Kristeva, La révolution du langage poétique, Paris, Éd. du Seuil, 1974.
[18] Principalement dans ses essais : « Ueber die Sprache überhaupt und über die Spraché des Menschen » (1916) ; « Lehre vom Aehnlichen » (1933) ; « Ueber das mimetische Vermögen » (1933). Dans W. Benjamin, Gesammelte Schriften, II.
[19] Ouv. cit., p- 27.
[20] Ouv. cit., p. 77 sq.
[21] W. Benjamin, « Sur le langage en général et sur le langage humain » (1916). Trad. par M. de Gandillac. Dans Mythe et violence, Paris, Denoël, 1971, pp. 79-98.
[22] W. Benjamin, Gesammehe Schriften, ouv. cit., Bd II, p. 209.
[23] La position de l’infans, surtout décrite chez Freud et Lacan pour le masculin, est étudiée chez elle pour le féminin.
[24] J. Kristeva, « Die Produktivität der Frau » (La productivité de la femme). Interview d’Elaine Boucquey dans Le sourire de Méduse, Alternative, n°108-109, 1976, pp. 166-172.
[25] Par exemple dans des expressions comme « la vierge du verbe », la « fille du père », et la « fille de la mère ». Voir, dans Des Chinoises, « De notre côté ».
[26] Ses Histoires d’amour traitent des mythes centraux de la civilisation chrétienne, comme la vierge Marie, Roméo et Juliette et Don Juan.
[27] . Cf. K. Heinrich, « Das Floss der Medusa » (Le radeau de la méduse), dans R. Schlesier (Hrg.), Fascination des Mythos, Studien zu antiken und modernen Interpretationen (Fascination du mythe, études des interprétations anciennes et modernes). Basel/ Frankfurt, 1985, pp. 335-398.
[28] Voir sur ce sujet le chapitre sur la référence au mythe et la mémoire historique dans S. Weigel, Die Stimme der Medusa, Schreibweisen in der Gegenwartsliteratur von Frauen (La voix de Méduse. Manières d’écrire dans la littérature féminine d’aujourd’hui), Reinbek bei Hamburg, 1989.
[29] Paris, capitale du XIXè siècle, ouv. cit., N2a, l, p.478.
[30] Le surréalisme (1929). Trad. par M. de Gandillac, dans Mythe et violence, Paris, Denoël, 1971, p. 312.
[31] Ibid., p. 313.
[32] Son image dialectique fait référence à la description de l’« appareil psychique » dans le « Wunderblock » de Freud. Texte dans lequel la non-contemporanéité entre perception-conscience et mémoire est pensée comme temporelle aussi bien que spatiale (S. Freud, « Note sur le "Bloc-notes magique" » (1925), dans Résultats, idées, problèmes II, Paris, P U.F, 1985, p. 119.
[33] C’est dans ce contexte qu’il se délimite également par rapport à Aragon, Le paysan de Paris, qu’il nomme modèle et antithèse de ses propres écrits sur la ville : « Tandis qu’un élément impressionniste - la "mythologie" - demeure chez Aragon et que cet impressionnisme doit être considéré comme responsable des nombreux philosophèmes informes du livre, il s’agit ici de dissoudre la "mythologie" dans l’espace de l’histoire. » (Paris, capitale du XIXè siècle, ouv. cit., N1, 9, p. 474).
[34] . « A Theodor Adorno », lettre du 9.12.1938 (n° 307). Dans W. Benjamin, correspondance II (1929-1940). Trad. par G. Petitdemange. Aubier Montaigne, 1979.
[35] « Thèses sur la philosophie de l’histoire ». Trad. M. de Gandillac. Dans Mythe et violence, ouv. cit. (Je modifie légèrement, rendant « Jetztzeit » par « le temps de Maintenant », comme le fait H. Meschonnic, plus proche ainsi de Benjamin, rythme et sens inséparés (Ndt).
[36] Ibid.
[37] Ibid.
[38] Voir à ce sujet S. Weigel, Topographien der Geschlechier, ouv. cit., 3.2. Également Die Stimme der Medusa, ouv. cit., en particulier le chapitre intitulé « Literaturgeschichte in Bewegung ».
[39] Pour l’histoire de leur réception, cf. L. Niethammer, Posthistoire. Ist die Geschichie zu Ende ? (Post-histoire, L’histoire est-elle à sa fin ?). Reinbek bei Hamburg, 1989.
[40] IXe thèse « Sur la philosophie de l’histoire », ouv. cit., p. 188.
[41] A comparer avec l’interprétation de 1’« ange de l’Histoire » par G. Scholem, dans Walter Benjamin et son ange (1983). Ce qui est important ici pour la compréhension de Benjamin est l’accentuation de la trace de la tradition juive dans sa pensée qui n’a pas peu été influencée par l’amitié de Scholem. Mais ce dernier, dans son essai, voudrait faire abstraction des différences entre sa pensée et celle de Benjamin, quand il suppose chez lui une conception cyclique de l’histoire. Cf. l’essai donnant son titre au volume, pp. 63-71.
[42] IXe thèse « Sur la philosophie de l’histoire », ouv. cit., ibid.
[43] Ibid., p. 189.
[44] Dans Gesammelte Schrifien, ouv. cit., Bd 1, 3, p. 1223.
[45] P Klee, 50 Werke aus 50 Jahren (1890-1950), Catalogue de l’exposition, Hamburg, 1990.
[46] Dans l’image de la « voix de Méduse », j’ai essayé de saisir comme « regard louche » et comme impossible constellation le lieu spécifique des femmes : étant à la fois discriminées dans une culture et concernées par celle-ci. Cf. « Der schielende Blick. Zur Geschichte weiblicher Schreibpraxis » (Le regard louche. Sur l’histoire d’une pratique féminine de l’écriture), dans I. Stephan und S. Weigel, Die verborgene Frau (La femme cachée), Berlin, 1983. A propos des femmes auteurs de langue allemande aujourd’hui, Anne Duden, en particulier, part de la position de la femme comme victime et coupable. Cf. ses publications : Uebergang, Berlin, 1982 ; Das Judasshaf, Berlin, 1985. Voir là-dessus l’entretien Duden-Weigel, dans T Koebner (Hrg.), Laocoon und Kein Ende. Der Wettstreit der Künste, München, 1989, pp. 113-141.
[47] Si l’éclairage de la scène de l’« ange de l’Histoire » était braqué sur la situation historique de celles qu’on a appelées en Allemagne après 1945 « Trümmerfrauen » (femmes déblayant les décombres), le travail de remémoration des études sur les femmes leur étant consacrées prendrait sans doute un accent différent. Tandis que jusqu’ici il s’agissait surtout de l’aspect du travail non rémunéré des femmes, surtout par rapport au repli des femmes, ensuite, dans les travaux ménagers, dans les cuisines et intérieurs techniquement retapés du « miracle économique », c’est l’autre orientation du regard qu’en outre il faudrait adopter : la participation des femmes au travail de reconstruction et de déblaiement des ruines de la catastrophe du fascisme national-socialiste. Les femmes sont concernées elles aussi par la question que pose Primo Levi, par exemple dans son texte de souvenirs, où, comme survivant du camp de concentration d’Auschwitz, il décrit sa traversée de l’Allemagne détruite « En errant dans les rues de Munich pleines de ruines, autour de la gare où notre train était une fois de plus enlisé, j’avais l’impression de me promener au milieu de débiteurs insolvables, comme si chacun me devait quelque chose et refusait de me payer. J’étais parmi eux, dans le camp d’Agramante, au milieu des seigneurs. Mais les hommes étaient peu nombreux, beaucoup mutilés, beaucoup déguenillés comme nous. Il me semblait que chacun d’eux aurait dû nous interroger, déchiffrer notre identité sur notre visage et écouter humblement notre récit. Mais personne ne nous regardait dans les yeux, personne n’acceptait le débat ; ils étaient sourds, aveugles, muets, retranchés dans leurs ruines comme dans une forteresse d’oubli volontaire, encore forts, encore coupables de haine et de mépris, encore prisonniers de l’antique noeud d’orgueil et de faute. » (P Levi, La trêve (1963). Trad. française (1966, Paris, Grasset).