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Appel à contributions

Corps habillés. Politique des métiers de l’ordre

Avant le 15 avril


Date de mise en ligne : [16-03-2012]



Mots-clés : corps | militaire


Pour un prochain numéro de la revue Politique africaine

Sous la direction de Joël Glasman et Marielle Debos

Présentation :

Les corps habillés (i.e. : militaires, gendarmes, policiers, gardes nationaux, gardiens de préfectures, gardes frontières, forestiers, sapeurs pompiers, etc.) constituent un champ professionnel central dans les appareils d’Etat africains. Formant dans certains Etats jusqu’à près de la moitié des fonctionnaires, présents à tous les étages des appareils d’Etat, des carrefours de circulation aux antichambres du pouvoir, ils participent à plein du fonctionnement de l’Etat postcolonial. Redécouverts récemment par les organisations internationales et les bailleurs de fonds sur le mode de la "Réforme du Secteur de la Sécurité" (SSR), ils restent mal connus des sciences sociales. Alors que les acteurs non étatiques de l’exercice de la violence sont de mieux en mieux étudiés, les fonctionnaires en charge de l’exercice de la violence d’Etat restent un objet à explorer.

Prenant acte des impulsions venant de la recherche sur des terrains connexes (les milices, les trajectoires combattantes, la police coloniale, les administrations publiques africaines, les carrières des fonctionnaires, la coercition étatique et non-étatique, etc.), ce numéro se propose d’articuler perspectives historiques, sociologiques et anthropologiques, afin de mieux comprendre la formation des forces de l’ordre, les pratiques de leurs agents et les rapports qu’ils entretiennent avec le pouvoir d’Etat en Afrique. Se distinguant de deux poncifs, celui de l’homogénéité ("esprit de corps") et celui de la fragmentation ("guerres des polices"), il s’attachera à retracer les caractéristiques communes, les croyances partagées, les circulations, mais aussi les tensions, les luttes de position et les conflits propres au champ des forces de l’ordre. En rompant avec les discours normatifs (type paradigme SSR) et téléologiques, les articles repenseront à nouveau frais les trajectoires collectives et individuelles des professionnels de l’ordre et leurs relations avec l’Etat. On mettra notamment l’accent les axes suivants :

Socio-histoire d’un champ professionnel.

Les institutions de maintien de l’ordre sont pour l’essentiel héritées de l’époque coloniale. Elles ont été étudiées le plus souvent de façon séparée, en reprenant les labels institutionnels. Il apparaît au contraire fécond d’envisager ces institutions comme un espace social, tout en mettant l’accent sur les projets successifs de (ré)organisation des forces de l’ordre. En quoi les compagnies de Tirailleurs Sénégalais, les Gardes Indigènes ou la Royal West African Frontier Force par exemple furent-ils les matrices des forces de l’ordre de leur territoire respectif ? Comment, à partir des troupes de conquête ou des premiers postes administratifs, se détachèrent progressivement les différentes institutions spécialisées, les corps et les unités participant des forces de l’ordre ? Les périodes clés sont aussi la période de la transmission de l’appareil sécuritaire durant les Indépendances, les années 1960 et 1970 où les forces de l’ordre des Etats post-coloniaux se forment, les années 1980 avec les politiques d’ajustement structurel, et les années 1990 où l’on observe un processus de démocratisation souvent accompagné d’une restauration autoritaire.

Cultures matérielles et représentations populaires.

Habits de camouflage, AK47, talkie-walkie, machines à dactylographier : l’univers matériel des agents de l’ordre se double d’un univers symbolique qui organise d’une part l’opposition entre les membres de la profession et les non-initiés (qui ne portent pas uniforme, ne savent pas lire les insignes, n’ont pas d’arme, etc.), et d’autre part les oppositions internes à l’espace professionnel du maintien de l’ordre ("tenue" contre agents "en civil", porteurs de fusils contre porteurs de matraques, etc.). Quelles sont les langages et les mythes auxquels sont associées les forces de l’ordre ? Quelles sont les croyances partagées, les codes compris par tous, la doxa professionnelle des forces de l’ordre ? A l’inverse, où se situent les conflits symboliques, les luttes de classement, les enjeux de mémoire professionnelle ? En quoi cet espace social est-il structuré par des idiomes professionnels (langage de l’uniforme, images de l’ordre, hexis corporelle, codes hiérarchiques, etc.) réglant à la fois l’unité et les distinctions d’un ensemble professionnel ?

Etre professionnel-le de l’ordre : carrières et trajectoires. Malgré un regain récent des travaux anthropologiques sur l’Etat au quotidien et les bureaucraties africaines, on sait encore peu de choses des carrières et des pratiques des agents des forces de l’ordre. Comment est-on recruté dans les armées et les polices africaines ? Dans les pays marqués par des conflits, notamment au Tchad, les agents passés par des écoles spécialisées travaillent au quotidien avec d’anciens rebelles intégrés à la faveur d’accords de paix. Comment se déroulent les carrières ? Comment les agents perçoivent-ils leur rôle ? Une attention particulière pourra notamment être portée aux procédures routinières et pratiques quotidiennes des forces de l’ordre.

Luttes de position, conflits latents et violence. En raison de leur position spécifique au sein de l’Etat, les conflits internes aux forces de l’ordre sont des enjeux politiques centraux dans les Etats postcoloniaux (bagarres entre policiers et gendarmes à Dakar, mutineries au Niger, rebellions au Burkina-Faso, mais aussi retournements soudains, comme on l’a vu récemment notamment en Tunisie, en Egypte et en Libye, peut-être en Guinée et ailleurs). Trop souvent, ces conflits sont ramenés à une lutte univoque entre corps concurrents (le poncif de l’opposition entre militaires et policiers par exemple) ou encore à des luttes endémiques entre clans ou groupes ethniques (officiers du nord contre ceux du sud par exemple). Qu’en est-il vraiment des luttes de position au sein des forces de l’ordre ? Comment s’organisent les réseaux d’officiers, les liens verticaux entre individus de rangs différents, les alliances entre unités, compagnies et brigades ? Comment les hiérarchies au sein des forces de l’ordre sont-elles négociées, débattues, contestées ?

Modes d’action politique. Situés à la fois au c&oeligur de l’Etat et à la périphérie du champ bureaucratique, les agents de l’ordre disposent de moyens de pression. Dans de nombreux Etats, le pouvoir accorde une attention particulière aux revendications des agents de l’ordre. Pourtant, dans le même temps, les agents de l’ordre sont des fonctionnaires surveillés de près par les autorités (interdiction de syndicat, interdiction des grèves, code disciplinaire, baraquement et logements séparés, etc.). Les agents de maintien de l’ordre disposent-ils de modes spécifiques d’action politique ? Au-delà des coups d’Etat et du déclenchement de "nouvelles guerres" dont l’étude fut centrale respectivement dans les années 1970 et 1990, peut-on identifier un spectre plus large de modes d’action et d’expression politique propres aux forces de l’ordre ?

Casernes, camps, commissariats : les lieux des forces de l’ordre. Parmi les lieux les mieux protégés des villes africaines se trouvent les camps militaires, les casernes, les commissariats, les maisons des combattants, les baraques, les buvettes des officiers, etc. Ces lieux protégés sont aussi parmi les plus surveillés par le pouvoir, inquiet de ce qu’il s’y passe (que l’on pense à Alassane Ouattara exigeant des familles qu’ils quittent les camps militaires ou à Alpha Condé voulant "encaserner les militaires"). Il s’agira ici de saisir ce qui se passe dans les lieux de formation, de travail et de socialisation des forces de l’ordre, mais aussi de réfléchir aux frontières entre les espaces réservés aux forces de l’ordre et les autres espaces de la vie sociale et économique. Dans certains contextes, le camp apparaît comme un espace à part sans être une hétérotopie. Ailleurs, par exemple au Tchad, les militaires restent rarement cantonnés dans leurs casernes. Comment les agents de l’ordre s’emparent-ils de ces lieux, comment y travaillent-ils, comment y vivent-ils avec ou sans leur famille ? Quels rôles jouent les événements tels que les fêtes nationales, les grandes man&oeliguvres, ou les tournois de foot dans la socialisation des militaires et agents de l’ordre ?

Genre et forces de l’ordre. Les métiers de l’ordre restent, dans les pays considérés comme ailleurs, très majoritairement exercés par des hommes. L’approche de genre permet ici de mettre en évidence la division genrée du travail. Quelle est la part des femmes ? Dans quelles institutions, à quels rangs et à quelles fonctions sont-elles présentes ? Comment négocient-elles la division genrée du travail ? Quels capitaux mobilisent-elles dans ces mondes professionnels pensés comme masculins ? Les institutions de l’ordre participent en outre de la fabrique d’une masculinité postcoloniale qu’il convient d’étudier. Comment les autorités gèrent-elles les questions de la famille, de la sexualité, du corps et de l’intimité des agents de l’ordre ? Certains pays, comme le Bénin, se prévalent de forces féminines de maintien de l’ordre associées à un passé précolonial idéalisé. Pour d’autres pays, comme la Guinée, les forces féminines sont perçues comme participant d’un passé socialiste. D’autres, comme le Rwanda, semblent faire de la féminisation des forces de l’ordre un enjeu politique de rupture avec le passé. D’autres enfin, comme le Togo, tentent à échéance régulière, mais pour le moment sans grand succès, d’étendre aux femmes le recrutement policier et militaire. En quoi le recrutement féminin participe-t-il d’un nouveau discours sur la modernisation et la démocratisation des forces de l’ordre ?

Politiques de réforme entre le global et le local. Les forces de l’ordre et de sécurité font l’objet d’une attention croissante de la part des acteurs internationaux. Loin d’opposer le « global », le « national » et le « local », il s’agira de saisir les recompositions des forces de l’ordre dans le contexte de la diffusion transnationale de normes, de référents et de techniques dans le domaine de la sécurité. Quels sont les effets des programmes dits de Réforme du Secteur de la Sécurité (RSS) ? Quelles furent les conséquences des réformes passées (créations successives de nouvelles institutions, politiques d’ajustement structurel, réformes des années 1990 et 2000) ? Par quels moyens les acteurs internationaux tentent-ils d’influer, avec ou contre les Etats, sur les forces de l’ordre (stages de formation, workshops, campagnes d’information, livraisons de matériel, déploiements d’observateurs internationaux, etc.) ? L’enjeu n’est pas ici d’étudier les échecs ou les succès de ces politiques, mais de saisir ce qui est en jeu aux points de rencontre entre les agents des forces de l’ordre et les experts internationaux.

Calendrier :

Les propositions d’une page maximum sont à envoyer à Marielle Debos et Joël Glasman jusqu’au 15 avril 2012. Les articles retenus seront attendus pour le 15 juin 2012. Après le processus d’évaluation conduit par Politique africaine, les articles acceptés paraîtront dans le dossier du numéro de décembre 2012.

Contact :

Marielle Debos, mdebos@u-paris10.fr

Joel Glasman, glasmanj@cms.hu-berlin.de

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